mercredi 31 mai 2017



La Zygène de la Badasse




La Zygène de la Badasse pleurait sur un brin d’herbe. Avec son col blanc, elle aurait voulu être reine, serrer la main au président et descendre les cent marches à Versailles. Avec le Proscris de la Globulaire et la Zygène de la Filipendule  ils se sont demandés comment accéder à la cour avec des noms pareils. Se nommer l’un, l’autre les rendaient encore plus tristes. Un Charençon qui passait par là leur dit que les jardins de Versailles ne valaient pas leur pré fleuri et que leur noms et leurs couleurs faisaient la joie des promeneurs. Alors ils sont repartis gaiement de fleur en fleur.

(Montcélèbre, Minervois, Hérault, 14 mai)

mardi 30 mai 2017


Sous Verre


C’est la seule chambre qu’il a trouvée dans le coin. La chaleur est étouffante sous les toits. Il a ouvert grand le Vélux, il a ôté ses Santiags, il a balancé ses chaussettes à la poubelle, il s’est désapé et s’est laissé tomber sur le couvre lit de coton gratté orange.
Là haut les nuages filent à toute vitesse. Il se sent sombrer avec la désagréable sensation que ses rêves d’Amérique ont été étouffés à la naphtaline et mis sous verre.

(Mailly-Maillet, 3 novembre 2016)

lundi 29 mai 2017


Un Mince Collier de Chanvre


Il fait si chaud. Dans le train bondé, Lucas ne bouge pas. Il sent la sueur qui coule sur ses tempes, dans son dos, sur sa poitrine. Il sent les corps brulants des autres passagers serrés les uns contre les autres. Il sent leur fatigue, leur renoncement. Il sait qu’il sera bientôt ainsi, un corps sans nom et sans pensée anéanti par le travail, brinquebalé le matin, brinquebalé le soir, sans autre désir que la fin de la journée, puis la fin de la semaine.
Dans le train bondé, Il bouge le moins possible. Comme il faisait chez lui, là bas à Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, quand la chaleur devenait trop forte. Il fait le lézard, seuls ses yeux sont mobiles. Il regarde la nuque de la jeune femme, juste devant lui, les perles de sueur, le mince collier de chanvre noué. Il imagine le pendentif sur la gorge humide, une turquoise, une pierre de lune, ou quelques graines de chez lui.  Soudain, il voit sa mère, sa mère qui vendait ses colliers de graines sur le marché de Saint-Laurent, sa mère qui lavait le linge dans le fleuve tandis qu’il se balançait à une corde accrochée aux branches des gros arbres avant de se laisser tomber dans l’eau rafraichissante, sa mère qui était  si fière lorsqu’il est parti étudier à Cayenne, sa mère qui a retenu ses larmes lorsqu’il s’en est allé travailler en métropole.
C’était hier la fête des mères et il ne l’a pas appelée comme il le fait chaque année. Alors, au premier arrêt, il descend et sort de la gare. Il appelle sa mère, il ne se disent pas grand chose, que tout va bien, qu’il fait chaud, ici et là-bas, et s’envoient des baisers. Puis il repart, à pied, avec cette énergie qui le faisait courir sur les pistes de latérite quand il était enfant. Il repart à pied avec la conviction que pour ne pas disparaitre dans l’amas de corps qui emplit chaque jour les wagons aux mêmes heures, il ne doit jamais abandonner l’enfant qu’il a été sur les bords du Maroni.

(Saint-Laurent-du-Maroni, 21mars 2013)

dimanche 28 mai 2017



Miniatures éphémères
l'Eden


 Tout autour n’était que pierre sèche et bois mort. En arrivant au col, il s’écroula de fatigue.
 Avant de s'endormir, sur quelques centimètres carrés de l'écorce d'un arbre à terre, il vit l'Eden.

(Filetto, Abruzzes, Italie, 13 avril)

samedi 27 mai 2017



La Nuit Vient


La nuit vient. Il marche depuis des heures en plein soleil. La tramontane souffle fort et le son des pales devient entêtant. Pas âme qui vive, du caillou à perte de vue, et son sac qui lui scie l’épaule. L’un de ses lacets est cassé, sa chaussure droite ne tient plus, sa démarche est bancale.
Le vent le fait pleurer, il faut qu’il trouve où dormir ce soir. Il repense à cet article lu ce matin qui racontait qu’avait été découverte dans la station spatiale une bactérie inconnue sur Terre. Non, il ne s’arrêtera pas par ici, il marchera jusqu’à ce qu’il trouve un peu de lumière et des traces de vie humaine, il n’ y a que  là qu’il pourra trouver le sommeil.

(D1, entre Pézilla-la-Riviére et Estagel, Pyrénées Orientales)

vendredi 26 mai 2017


Chardons et Hautes Herbes


Prendre la route
Quitter la route pour le sentier
Quitter le sentier pour les hautes herbes
Marcher lentement
Les chardons piquent aux mollets
Le bonheur d’être en vie

(Argelès-sur-Mer, 23mai)

jeudi 25 mai 2017


Une Évidence


Quand au détour d’un sentier s’unissent le rocher, le ciel et les arbres, il y a comme une évidence, je suis le rocher, le ciel et les arbres.

(Massif du Carlit, Pyrénées Orientales, 20 mai)

mercredi 24 mai 2017



Perpignan- Manchester- Méditerranée


Premières chaleurs. 30° hier à midi à Perpignan. Rick a du détendre légèrement les peaux de sa batterie. Ce fut un beau concert hier soir à La Casa Musicale. Une des premières dates de la tournée d’été du Rick Delaveine Trio. Le matin, Rick a été réveillé par la radio qui diffusait en boucle les dernières infos. Vingt deux morts à Manchester. Une bombe, au milieu de très jeunes gens. Avant de descendre rejoindre Phil et Gilberto, le contrebassiste et le pianiste, Rick s’est longtemps regardé dans la glace. Un exemplaire de l’espèce humaine, s’est-il dit. Et il s’est trouvé très fatigué. Chiale pas, t’énerve pas, garde le tempo et joue, putain. Ils n’en n’ont quasiment pas parlé avec ses deux potes, ils ont pris leur petit déjeuner en silence, Et chacun est parti de son coté, avant de se retrouver à quinze heures pour les balances. Rick avait besoin d’air, quitter la ville. Quand il joue dans une ville où il n’a jamais joué, Rick aime trainer dans les rues et s’offrir un nouveau costume, une chemise à fleurs, où des pompes qui te font marcher comme un prince, même si t’as les pieds en canard. Là, non, il a loué une bagnole et s’est cassé vers les montagnes.
Quand  sur la route, il a vu indiqué: Ermitage de Galamus, il a été voir. Il y a là à flanc de falaises, dans les gorges de l’Agly, une chapelle dans une grotte et une maison de pierre, une maison qui semble si petite dans cet univers minéral. Rick s’est demandé quelles perceptions les ermites ont du monde; en sont-ils coupés, préservés du tumulte, où à l’inverse ont-ils acquis un état de conscience  qui les rend si sensibles que tout leur parvient. Il y a une chose dont Rick est sûr, c’est qu’on est tous reliés, et s’il y en a un qui joue faux, pas commode de tenir le rythme. Bon, mon vieux faut redescendre, il y'a un concert qui t’attend, et puis tu seras jamais ermite, t’aimes trop les filles.
Ce fut un beau concert. Une ambiance, comment dire, musclée, debout, profonde et vive. Il ont commencé par un silence en hommage aux victimes de Manchester, puis ils ont joué pendant deux heures sans s’arrêter. Tout ce qu’ils ne pouvaient se dire était dans la musique.
Après le concert, ils sont allés boire un verre sur la côte avec deux espagnoles aux yeux de braises.
Mais il était trop tard, et fin mai la saison n’a pas vraiment démarré. Il n’ont rien trouvé d’ouvert. Rick voulait rester là, se remplir les poumons de l’air de la Méditerranée, disparaitre au rythme lent du ressac. Les quatre autres sont retournés vers la ville et lui est resté sur la plage assis sur une chaise. Il a fumé une à une les cigarettes de son dernier paquet de Camel sans filtre avec le chameau. Après celui ci il arrête définitivement de fumer. Un paquet de cigarettes avec des photos d’ organes malades! Putain! Quand il fume une cigarette, c’est tout un rituel, sortir lentement le paquet de la poche, le regarder longtemps avant d’en extirper une clope et de l’allumer en tordant légèrement la bouche à la manière de Clint Eastwood. Comment rêver avec ces putain de paquets. Bon, me direz vous, c’est réussi, puisque c’est fait pour vous empêcher de fumer. Empêcher de fumer, à la rigueur, mais pas de rêver! Merde! C’est quoi ce monde qui au fur et à mesure qu’il rétrécit, se recroqueville comme une vieille bigote, engendre les pires des barbaries. Merde!
Rick est resté toute la nuit sur cette chaise, face à la mer, la mer Méditerranée. Il s’est calmé. Il a remarqué que chaque fois qu’il y a des catastrophes, il répète les mots putain et merde en boucle, lui dont on dit qu’il est l’élégance même. Il a dit putain encore une fois, avec un demi sourire cette fois ci. Rick restera toujours un indécrottable optimiste.
Il a dit putain  avec un demi sourire et a chialé comme un con face à la Méditerranée.

(Saint-Cyprien, Pyrénées Orientales)

mardi 23 mai 2017


Le Grand Porte  Queue


Le Grand Porte Queue
Papilio Machaon
Piano et accordéon
Satie et Galliano
Sur la Knautie des champs

(Err, Pyrénées Orientales, 21 mai) 

lundi 22 mai 2017


Variations

Eau sous pierre brisée
Les chagrins aussi
Ont leur beauté




(Massif du Carlit, Pyrénées Orientales, 20 mai)

dimanche 21 mai 2017


Miniatures éphémères
Quand tu deviens vieux

 
Quand tu deviens vieux, tu rapetisse
Tu rapetisse, tu rapetisse
Jusqu'à ce que le vent t'emporte

samedi 20 mai 2017



Voilà mon Amérique


Voilà mon Amérique.
7 heures sur la D 627 entre Lahitère et Montesquieu-Volvestre en Ariège.
Arrêté sur le bord de la route, je regarde passer cette fourgonnette blanche, qui roule doucement sur une route parallèle. Sans doute un paysan qui se rend à la ville ou fait la tournée de ses bêtes au pré. Ma fourgonnette est blanche également, l’a-t’il remarquée, se demande-t-il qui est cet homme sur le bord de la route?
À cet instant, dans l’immensité, nous sommes deux. Suffisamment éloignés pour ne pas nous déranger, suffisamment proche pour nous apercevoir. Et cela me met en joie.

(19 mai)

vendredi 19 mai 2017



À angle droit


Adélaïde ne sait plus depuis quand elle n’a plus pu se redresser. Elle marche à angle droit et reconnait les gens à leurs chaussures. Les trottoirs et les planchers n’ont plus aucun secret pour elle. Elle fait un peu peur aux enfant avec sa silhouette de potence, mais Adélaïde est une brave petite vieille, enjouée, avec une grande capacité d’adaptation. A son âge elle fait encore du vélo et trouve la forme de son dos bien pratique. Elle ne voit pas le ciel mais elle entend les  Martinets. Ce qu’elle voit par en bas est sans doute bien aussi beau.

(Pont-de-l'Arn, Tarn, 16 mai)

jeudi 18 mai 2017



En Marche


Souvent, les entrées des grandes propriétés sont encadrées de colonnes surmontées de lions, de sphinx, de chiens, toutes sortes d’animaux inspirant la crainte, la puissance, la réussite.
En traversant Mane, je tombe en arrêt devant ces deux petits accordéonistes à l’entrée d’une entreprise de transport. Il n’y a pas de portail, la maison et les hangars sont fermés.
Je ne peux m’empêcher de penser que le patron de cette société était un rêveur et un humaniste  qui ne marchait pas tout à fait du même pas que ceux qui nous gouvernent.


(Mane, Ariège, 17 mai)

mercredi 17 mai 2017



Coiff'Passion


Deux heures. La place est déserte. Qu’y a t’il derrière cette façade grise? Une femme endormie sur un fauteuil de faux cuir qui dans son rêve se voit enfant entourée de Barbies et de poneys qu’elle passait ses journées à coiffer? Sa sieste terminée, elle rallumera la lumière et attendra que quelqu’un vienne. Elle regardera par la vitrine et attendra…
Où y a t’il une femme qui dans l’arrière boutique, assise sur une chaise de paille, entourée d’une multitude de boites pleines de cheveux de toutes teintes, noue un à un des poils sur un tulle, pour en faire un postiche qui affublera un Cyrano amateur ou un apprenti gangster.
Je pense à cet homme que j’ai connu, alors que j’étais  jeune comédien. Guillaume, remarquable postichier, qui très vite travailla pour les plus grands. J’étais fasciné par sa patience. Un beau postiche, ce sont des centaines de cheveux noués un à un sur le tulle. Il aimait tant les cheveux. Il me racontait que si dans une file d’attente la personne le précédant avait une longue et belle chevelure, il ne pouvait se retenir de la toucher. Combien de fois fut-il au bord de sortir subrepticement ses ciseaux pour voler une magnifique natte. Je le vis fou de joie le jour où lui rendant visite  pour un singulier postiche, je lui apportai une longue mèche blonde, un blond vénitien, que ma fille s’était coupée. Il me racontait aussi la connaissance des visages et des caractères qu’il avait acquise à force de les transformer, comment les acteurs les plus connus  se confiait à un homme qui semblait en savoir plus sur eux qu’eux même. Humble artisan, réclamé par de grands metteurs en scène, il ne négligeait pas les acteurs moins connus à qui il faisait de petits prix. Ce qu’il aimait par dessus tout c’était ce qui sortait de l’ordinaire comme ce postiche de menton, boucles brunes rigidifiées au fixateur, qui , quand je mettais la tête à l’envers devenaient les cheveux dressés d’un petit être dont la tête était mon menton avec deux yeux peints, une petite tête et une grande bouche. J’entends son rire quand je m’étais allongé dans son petit atelier pour lui montrer ce que je voulais.
Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Récemment,  j’ai tenté de retrouver sa trace. Rien. Peut-être n’est-il plus de ce monde. Guillaume Tixier. C’est un nom banal, il y en a plein sur internet. Lui ne l’était pas, banal.
Cette façade grise, qui au premier abord pourrait dessiner l’ennui d’un village de campagne désertifié, ne l’est pas non plus. J’ai la sensation de n’avoir dit qu’une toute petite part de ce qu’elle me raconte.

(Prat-Bonrepaux, Ariège)

mardi 16 mai 2017


Le Goût du Vin et de la Liberté


Fermer la cabane, reprendre la route au petit matin, une route étroite qui grimpe sur le Haut Minervois. Le soleil se pose délicatement sur les vignes et les prairies. Si Dieu existait, ce serait une femme maître dans l’art du Pastel et des Sanguines. Ce matin l’aube a le goût du vin et de la liberté.

(D 182, entre Fauzan et Saint-Julien-de-Molières)

lundi 15 mai 2017


Argus Frêle et Sainfoin



Suspension
Pas de tintouin sur le sainfoin
Après-midi légère

(Montcélèbre, Minervois, Hérault, 14 mai)

dimanche 14 mai 2017



Miniatures éphémères
Une Chanson Douce


À tous ceux dont la vie fut trop brève, une chanson douce...

samedi 13 mai 2017


Danser


Si souvent les arbres m'invitent à danser!

(Montcélèbre, Minervois, Hérault)

vendredi 12 mai 2017


Sur le Balcon


De son balcon, la jeune femme observe la porte de bois, espérant enfin voir un homme entrer ou sortir. Elle habite Rome, sur les hauteurs du Trastevere depuis quatre ans. Sa mission à l’ambassade va prendre fin. Dans quelques jours elle regagnera la France.
Depuis quatre ans elle regarde cette maison. Quelque chose l’attire, il lui semble que ne peut vivre ici qu’un être hors du commun. Elle n’a jamais vu quiconque entrer ou sortir. Elle connait tout le quartier et tout le quartier la connait. Souvent elle prend son petit déjeuner dans une pâtisserie réputée où se retrouvent ses voisins. Elle tente bien quelques questions, mais chaque fois on change de conversation.
Et jamais elle n’osera frapper à cette porte.
Une seule fois, une nuit d’été où il faisait si chaud qu’incapable de trouver le sommeil, elle était restée longtemps sur son balcon après minuit,  elle avait vu une ombre apparaitre là haut, derrière les vitres colorées. Une ombre immense, le dos rond, comme si elle devait baisser la tête pour ne pas se cogner aux plafonds. Longtemps l’ombre avait fait des allées et venues sous la verrière, s’arrêtant parfois, ses longs bras grands ouverts. Sans doute, l’homme, car c’était un homme, la jeune femme en était certaine, n’arrivait-il pas à dormir lui aussi.
Une autre fois, il lui avait semblé voir apparaitre l’ombre à la fenêtre de sa chambre. L’ombre grattait le carreau. La jeune femme s’était réveillée en nage, le cœur affolé.
La seule chose dont elle est sûre est que quelqu’un habite ici. Chaque soir les lumières s’allument.
Alors ce soir elle s’est installée confortablement  à son poste d’observation. Un fauteuil en rotin, une tasse de thé, et des petites jumelles de théâtre. Elle ne veut pas quitter Rome sans savoir qui vit là, en face de chez elle.
C’est le printemps, les glycines embaument tout le quartier, et la jeune femme lutte contre le sommeil….

(Rome, 10 avril)

jeudi 11 mai 2017


TGV


Dans le TGV entre Montpellier et Bézier, je photographie le ciel. Là bas, rien ne bouge, où si lentement, et ce ciel me plait, alors je déclenche l’appareil, plusieurs fois. Quand je regarde les photos deux jours après, je suis surpris de constater que l’image ne ressemble en rien à la paisible beauté d’un coucher de soleil. Je me souviens de rêves récurrents que je faisais adolescent où sautant d’un haut plongeoir, après l’exaltation du vol, j’étais incapable de remonter à la surface. Je me souviens de tous ces rêves où je voyais agir mon double en dessous, j’entends le bruit des trains quand deux TGV se croisent à pleine vitesse, j’entends toutes ces jeunes filles interviewées au Louvre le soir des élections, leur débit de mitraillette et leur foi inconsidérée dans l’aventure du grand capital, je vois les fumées noires et le ciel trop rouge. Rouge au couchant, grand vent le lendemain, dit-on à Camaret-surAygues.
Le TGV m’a conduit à deux cent à l’heure jusqu’ à ce village tranquille du Minervois où dans le silence j’écris ces quelques mots sur un ordinateur Apple. Cette image me fait l’effet des grésillements que l’on entend parfois en pleine campagne sous les lignes à haute tension.
Je sais qu’il faut faire confiance à la jeunesse, je m’émerveille des nouvelles découvertes et des avancées technologiques, mais je suis inquiet et me sens de plus en plus empêtré de contradictions. Le train finira par dérailler.
Je lève les yeux de mon ordinateur. Par la fenêtre de ma cabane je vois un ciel bien plus doux, le ciel et les arbres en dessous. J’entends les oiseaux, il est neuf heures, il fait encore jour.
Oui, il serait bon de ralentir.

mercredi 10 mai 2017


La Grande Tipule


Corinne était grande et maladroite, encombrée de ses longs bras, elle se cognait aux choses et aux hommes comme les oiseaux aux vitres. On l’appelait la Grande Tipule. Elle eut un jour l’idée d’aller voir de près ce qu’était une Grande Tipule.  Elle découvrit un diptère peu séduisant mais bien inoffensif, un diptère dont les ailes attrape la lumière et qui se meut avec grâce. Il lui fallut du temps et de la patience avant de parvenir à l’observer, il lui fallut apprendre à calmer sa respiration, il lui fallut apprendre l’immobilité, il lui fallut aiguiser son regard et canaliser ses pensées. Elle sut après tant de temps se faire discrète dans les prairies et approcher les insectes.
Elle fit connaissance des sauterelles et des grillons, des papillons et des bourdons, avant de rencontrer la Tipule Géante.
Maintenant, il lui restait à faire connaissance des hommes. Ses longs bras étaient enfin capables d’enlacer sans heurter.

(Cesseras, Hérault)

Bille de Verre


Midi. Pause sur la route. En bordure d’un champ de colza.  Grillons et papillons. Tout est calme.
Quelques gouttes sur une feuille, pluie ou rosée, et cette chanson qui vient, une chanson douce que j’écoutais en boucle après la naissance de mon fils. Une chanson que j’écoutais en boucle, sur la route. Une chanson douce, pour mon fils, et pour mon père…

Un bateau de bois
Emporte papa
Tout au bout d'la Terre
Il verra la Chine
Et les îles opalines
Où les gens vivent nus.
Moi, j'deviendrai un homme
Mes notes seront bonnes
Il sera fier de moi.
Il me rapportera une bille de verre
Et un ver à soie.

Si la nuit m'fait peur
J'lui dirai que mon coeur
Est au bout d'la Terre
Où les enfants des rois
Ont des sabres qui coupent
Et des chevaux vivants.
Moi, je ferai l'grand
Je défendrai maman
Contre les voleurs.

Il me rapportera une bille de verre 
Et un ver а soie

Plus tard il y aura les caresses des femmes 
Les secrets qui planent 
Aux oreilles des grands 
Les départs а minuit, les tempêtes, les drames 
L'océan 

Et quelqu'un qui attend une bille de verre 
Et un ver а soie. 

Un bateau de bois 
Emporte papa 
Tout au bout d'la Terre. 
Il chass'ra le fauve 
Au fond des jungles mauves 
Où le jour n'entre pas. 
Je cach'rai ma peine. 
J'attendrai qu'il revienne. 
Il sera fier de moi. 

Il me rapportera une bille de verre 
Et un ver а soie. 
Il me rapportera une bille de verre... 
Il me rapportera une bille de verre 
Il me rapportera une bille de verre 
Et un ver а soie. 
                                (Bille de Verre, Maxime Le forestier, Michel Rivard)

(Labessière-Candeil, Tarn, 27 avril)

mardi 9 mai 2017


Un Bout de Bois Sec


Son coeur est un bout de bois sec, disait-on. Jamais, ou si rarement, avait-il pu dire ce qu’il ressentait, exprimer un peu d’amour pour ses proches. Certains ont les fibres du coeur si serrées qu’elles ne laissent rien passer, cela peut être douloureux, tant d’émotion contenue.
Et puis, vieillissant, l’écorce se fendillait, le bois s’entrouvrait, les mots cherchaient le passage.
Mais alors, c’était la mécanique qui faisait  défaut, la langue, les cordes vocales, les connexions cérébrales. Il ne lui restait que le regard, un regard bouleversant…

(Villa Adriana, Tivoli, Italie, 11 avril)

lundi 8 mai 2017


Le Parfum des Chemins Andalous


Il s’est penché pour cueillir une fleur. D’un coup son cœur s’est arrêté. Il s’est écroulé sur les tulipes. La mort avait le parfum des chemins andalous. Chaleur et poussière. Elle frappait le sol du talon, d’une main elle tenait relevée sa robe grenat, de l’autre, sur le bleu du ciel, elle traçait en lettres arabes les noms des pays parcourus. Puis elle s’est dévêtue, laissant tomber au sol chaque pan d’étoffe jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une silhouette longiligne qui le regardait droit dans les yeux. Il souriait.

(Vaucresson, 30 avril)

dimanche 7 mai 2017



Miniatures éphémères
Petits Métiers
Le lecteur


 Lire quelques vers aux fleurs en bouton sera propice à leur épanouissement

samedi 6 mai 2017



Noms d'oiseaux


Au café, on s’engueule, à la boulangerie, on s’engueule, à la télé on s’engueule, même à la maison on s’engueule. Il n’en peu plus le vieux Luis. Alors il vient là, au Mas Larrieu, face à la mer, où des hommes se retrouvent pour s’aimer dans les roseaux. Personne ne sait au village qu’il vient là, souvent. Il vient s’asseoir sur cette souche de bois blanc espérant un peu plus qu’une caresse. Aujourd’hui il fait trop froid, il n’y a personne. Il n’y a que la mer et le vent. Combien d’étrangers ont accosté ici? Combien d’hommes se sont aimés sur cette plage? Luis ferme les yeux et se met à égrener tous les noms d’oiseaux qu’il connait: « Butor étoilé, Cisticole des joncs, Gobemouche, Macareux, Balbuzard, Tarin des aulnes, Troglodyte, Hypolaïs polyglotte, Fuligule morillon, Petrel culblanc, Puffin des anglais, Pigeon, Harle, Grèbe, Poule d’eau….Bien sur que j’irai voter! »

(Argeles-Sur-Mer, Pyrénées orientales, 3 mai)

jeudi 4 mai 2017



Sauge de Jérusalem


Une Sauge de Jérusalem
En bordure d’un parking désert
Une fleur me regarde
Mon aimée n’est pas si loin

(Albi, 27 avril)

mercredi 3 mai 2017



Aux heures creuses


Un moteur de poids lourd tourne au ralenti
Une femme en noir balaye la salle de restaurant
Un robinet fuit, goutte à goutte
Là haut, un homme dort
Les oiseaux se taisent, le chien est couché
C’est aux heures creuses qu’on se demande si ça vaut la peine de continuer

(Sur la D 999, à l'est d'Albi, Tarn, 27 avril)

mardi 2 mai 2017


Elle


La courbe de ses hanches sous la robe à fleurs
Le papier peint aux murs anciens
Sa silhouette  dans l’encadrement de la porte
Elle m’a rendu la vie si légère

(Argelés-sur-Mer)

lundi 1 mai 2017


À Bareille


À Bareille, la ferme était accolée au  « Château ». Vivaient là, Jean et Antoinette, leur fils Joseph et sa femme Alice. C’était un temps où dans les campagnes les vieux restaient  chez eux jusqu’à la fin. L’ainé y vivait avec femme et enfants, tout ce petit monde cohabitait,  les enfants aux côtés des vieillards. Le reste de la famille n’était jamais très loin. Ce n’était pas toujours facile, mais on se débrouillait.
Le vieux Jean avait perdu un bras à la guerre. C’est lui qui gardait les vaches, sur les pentes derrière la ferme. Il sortait le troupeau, environ huit têtes, au petit matin et le rentrait le soir, pour la traite. Il passait  la journée sous un abri de planches, à flanc de prairie.
Le dimanche, avec Antoinette, ils allaient à l’église, à deux kilomètres de là, sur un tricycle à moteur biplace, sans doute un Automouche Monet-Goyon.
Enfant, je passais une partie de l’été au « Château ».  Joseph était un homme  rieur à l’embonpoint  généreux. Je ne ratais pas une occasion pour l’accompagner aux champs,  juché sur le tracteur ou la charrette, ou pour le regarder traire dans la pénombre de l’étable.
Ces journées au grand air m’exaltaient. Il y avait là tant de paix.
Et pourtant dans l’étable Il y avait la douce odeur de la bouse mais aussi le parfum âcre de la pisse.  Dans la maison Il y avait Alice toujours debout derrière Joseph, à son service, après avoir passé la journée aux champs elle aussi.
Le dimanche il y avait l’Automouche qui pétaradait, mais il y avait aussi l’épingle à nourrice qui retenait la manche de la veste de Jean  à son coté gauche, tandis qu’il conduisait de sa seule main droite.
 À  Bareille je m’enivrais  du parfum des herbes et des arbres et devenais un peu moins ignorant.

(Sur la route entre Carmaux et Saint-Cirgue, Tarn, 25 avril)