vendredi 31 mars 2023


Une lune de pierre

(Sculpture de Roland Vincent, Vaucresson, 25 mars, 10h 40)

Une lune de pierre dort au pied du noisetier

Ni les jonquilles ni les giboulées ne la réveillent

Ni le chat ni les oiseaux

Ni le lierre qui s’accroche

Ni les fourmis qui passent

Les unes derrière les autres

Elle dort depuis longtemps

Ni la lumière en été

Ni les feuilles à l’automne

Ni le givre en hiver

Ne la réveilleront

Seule la main du sculpteur

La main qui a fermé ses paupières

La main qui lui a donné ces joues gonflées de bonheur

Pourrait la réveiller

Est-ce à elle 

Qu’elle songe dans son sommeil? 

jeudi 30 mars 2023


Chat

(Vaucresson, 25 mars, 10h30)

Printemps au jardin

Impossible de faire un pas sans écraser une fleur

Alors je me fais chat 

mercredi 29 mars 2023


Petit matin à Saint-Quentin 

(Montigny-le-Bretonneux, 28 mars, 7h 35)

Petit matin à Saint-Quentin

Mobilité douce dit la pub

Alors il va piano

Le soleil aussi prend son temps

Peut-être bien que le soleil l’attend

Mais ce qui vient à cet instant

Ce qui vient alors qu’il va tout doux

C’est son père qui dit rien

C’est son père qui est juste là

Dans sa tête

Au chaud

Son père qui a l’air tranquille

Là dans sa tête

Muet mais tranquille

Alors puisque le soleil l’attend

Peut-être bien qu’il n’ira pas bosser

Pour garder un peu plus longtemps

Son père

Dans sa tête

L’écouter

Même s’il se tait

mardi 28 mars 2023


La famille


(La Famille - hommage aux forains, José Sotor, 1998, Montigny-le-Bretonneux, Yvelines, 7h 40)


L’est du matin

Faut partir tôt

Fait froid

Ça pique les oreilles

Le nez coule

Pourtant le parterre est fleuri

Des jonquilles

Fleurs de mars

Grève de mars

La galère

Service à 8h

Il y sera

Faut anticiper

L’aurait bien fait

La grève

Mais y a l’opération du petit

Le loyer en retard

Il veut y arriver

Il y arrivera

Faut pas s’arrêter

Faut pas s’arrêter au bistrot

Au bistrot PMU

Pas jouer pas boire

C’est tout

Pas compliqué

Faut regarder en face

En face l’enseigne PMU

Suffit de tourner la tête

Le reste du corps

Si on prend son temps

Ce matin y a que la tête qui tourne

Pas le temps de se poser tout entier

Tout entier en face des cavaliers

Les cavaliers de bronze

La statue

L’homme et la femme

Nus

À cheval

L’homme et la femme de bronze

Sur le même cheval

Un grand cheval

Juste tourner la tête

Voir le soleil qui se lève

Sur le grand cheval

Sur l’homme et la femme

La femme contre l’homme

Sur le dos du cheval de bronze

Voir le soleil qui se lève

Sur le ventre de la femme

La femme de bronze

Juste tourner la tête

Une seconde

Deux secondes

Garder l’image

Les muscles du cheval

L’aplomb de l’homme et de la femme

Leur regard

Droit

Garder l’image

L’aplomb, les muscles, le ventre

Et accélérer

Ne pas prendre de retard

Travailler avec l’image

Déjeuner avec l’image

Rentrer avec l’image

Le soir

Quand le corps devient las

Quand le pas devient lourd

Ouvrir la porte avec l’image

L’aplomb, les muscles, le ventre

Et raconter la journée

Raconter au petit

Raconter à la mère

Les cavaliers de bronze

L’homme et la femme

Le ventre rond

Le regard

Le soleil 

Les jonquilles

La cavalcade

Le long des rivières

Les têtes qui se baissent sous les branches

Puis se redressent

Le bruit des sabots

Les herbes dans le vent

La plaine

Le soleil tout au bout

L’oiseau

Qui tourne dans le ciel

Le cri de l’oiseau

Un grand oiseau

Un aigle

Un aigle de bronze

Qui tourne

Dans le ciel

Dans le ciel bleu

Un grand aigle de bronze

Léger

Léger

Léger 

lundi 27 mars 2023


Confusion

(Hendaye, 10 mars, 17h 10)

De la confusion jaillit la clarté. 

dimanche 26 mars 2023

samedi 25 mars 2023


Cavalcade 

(Cognassier du Japon, Vaucresson, 25 mars, 10h30)

Le petit a des chaussures neuves. Rouges. Il court en regardant ses chaussures. Penché en avant il court après ses chaussures. Il ne les quitte pas des yeux. Ses chaussures rouges au bout de ses petites jambes. Et la grand-mère court derrière en riant et criant: Mais regarde devant toi!

vendredi 24 mars 2023


Au bord de l'eau

(Travaillan, 21 mars, 16h 30)

Un jour gris

Un jour sans dessus dessous

Un homme avec trois plumes

S’est posé sur une branche

Au dessus de la rivière

Un autre avec trois écailles

À cet instant est sorti de l’eau

Je vous ai pris pour un oiseau

Dit-il à celui qui est en haut

Et moi je vous ai pris pour un poisson

Je ne suis qu’un homme

Qui se laisse porter par le vent

Je vais au sud pour plus de clarté

Heureux de vous rencontrer

Heureux de même

Voyez vous je ne suis qu’un homme moi aussi

Qui se laisse porter par le courant

Je vais à la mer pour plus d’espace

Hé bien nous verrons qui arrivera le premier

Au plaisir de vous revoir

Celui d’en haut s’est envolé

Celui d’en bas a replongé

Une plume blanche

S’est doucement posé sur l’eau

Sous laquelle filait

Un reflet argenté 

jeudi 23 mars 2023


Verdun en Provence

(Travaillan, 21 mars, 17h)

Il y a cinquante ans elle a suivi son mari venu travailler ici, en Provence.

Leur maison est au milieu des vignes, sous une ligne à haute tension.

Les premiers jours, désespérée, elle disait, devant ces étendues de pieds de vigne plantés comme des croix: On dirait Verdun.

Elle ne s’y est jamais vraiment habituée. 

mercredi 22 mars 2023


Petite composition

(Travaillan, 18 mars, 17h 55)


Au rythme de l’hiver qui s’en va

Un métronome

Un vieil indien

Une sauterelle

Une horloge

Une petite composition

Dans le champ des caragouilles

L’ancien verger

Devant la maison des vieux

Le champ convoité par le voisin

Où se cachent les lièvres

Entre les arbres morts 

mardi 21 mars 2023


Poinçon

(Travaillan, 19 mars, 15h 50)

Ils voulaient tout monnayer, poinçonner le printemps comme on poinçonne l’argenterie, mais le printemps ne se monnaye pas. 

lundi 20 mars 2023


Révolte

(Travaillan, 19 mars, 18h 55)

Le vent se lève au dessus des usines

Au parfum de la pluie

Se mêle celui de la révolte 

dimanche 19 mars 2023

samedi 18 mars 2023

vendredi 17 mars 2023


Les escaliers

(Théâtre antique d’Orange, Vaucluse, 16 mars, 12h 35)

Adolescent, je faisais souvent ce rêve récurrent: Je montais un escalier sans savoir vers où précisément. À l’instant où je percevais dans la montée un objectif, je constatais que j’étais alors en train de descendre, et quand j’acceptais que le but se trouvait en bas, à nouveau je montais et ainsi de suite, monter, descendre, monter, descendre, jusqu’à un réveil intranquille. 

Il y a bien longtemps que je ne fais plus ce rêve.

Et devant certains escaliers, raides, anciens, interminables, j’ai la sensation qu’on ne peut que les gravir, monter sans jamais redescendre… 

jeudi 16 mars 2023


Prémices

(Piéride de l’ibéride, Travaillan, 16h 15)

À ras de terre

Discret

Un papillon sur le chardon

Piéride de l’ibéride

Plus loin

De petites fleurs

Souci des champs

Et fausse roquette

Et au travers des feuilles sèches

Les herbes neuves 

mercredi 15 mars 2023


Musique

(La Seine Musicale, Boulogne-Billancourt, 14 mars, 20h 10)

L’auditorium de la Seine Musical, une boule de noël, un œil brillant et exorbité posé sur l’île Seguin sur la Seine.

Ce soir, concert d’Anouar Brahem (oud) et son quartett, Klaus Gesing (clarinette basse, saxo soprano),  Björn Meyer (guitare basse), et Khaled Yassine (darbouka, bendir).

Le public entoure la scène, l’acoustique est parfaite. Je suis au premier balcon derrière les musiciens. Je vois danser l’ombre du clarinettiste. Je ne vois d’Anouar Brahem que le dos en mouvement et le corps rebondi de l’oud. En face, les visages des spectateurs, sont de multiples taches claires

La musique est envoutante, subtile, intime, une musique qui ne serait que pour soi. 

Je ferme les yeux et je suis dans le corps de l’instrument, au cœur de la caisse de bois cintré, seul, et mon propre corps comme de l’eau, un nuage, je suis à la fois grand et petit, léger, incroyablement léger.

Parfois l’instrumentiste accompagne la mélodie de sa voix grave et ténue. Je pense à Glen Gould.

Je rouvre les yeux. J’aperçois tout en haut, au deuxième balcon, la silhouette d’une ouvreuse à contre jour, l’épaule appuyée sur l’encadrement d’une porte.

La musique, soudain ce merveilleux morceau Astrakan Café, l’ombre du clarinettiste, le sourire du percussionniste, les mains du bassiste, les taches claires tout autour, et là haut la silhouette sombre de la jeune femme découpée dans l’encadrement légèrement éclairé de la porte….

La musique a la texture de la paupière de la jeune femme debout tout en haut, une paupière qui se ferme  pour laisser fondre le son en dedans, une paupière bordée de cils noirs délicieusement fins. 

mardi 14 mars 2023


Retour


(Vaucresson, 9h 30)

Au soleil du matin

Un bouquet de tulipes

Prend ses aises 

Une voix douce

Dit bonjour


Je rentre au port

 

lundi 13 mars 2023


Uluru

(Hendaye, 8 mars, 18h 45)

Levant la tête

Je vois Uluru

L’île-montagne

La trace des ancêtres

Marche du temps du rêve

Grès rouge

Dans la plaine rouge

Le ciel est encore bleu

Les nuages gris

Mais bientôt

Ils rougiront

Et j’irais pieds nus

Sur la terre sacré 

dimanche 12 mars 2023


Miniatures éphémères

(Buxerolles, Vienne, 5 mars, 16h 50)

Une petite robe de fête 

samedi 11 mars 2023


La douceur du soir 

(Hendaye, 10 mars, 18h 45)

Le ciel et la mer ne font qu’un

Le long de la plage

La laisse de mer

Dit la rage du jour

À l’ouest le ciel rougit

À l’est le noir s’attarde

Les jours rallongent

Il ne reste qu’un surfeur

Qui goûte la douceur du soir

En regardant cette image

Après une journée de surf

Les épaules lourdes

Et les yeux rouges

Je suis surpris de sa douceur

Bien plus grande que la réalité

Tout est vrai

Le ciel la mer la plage le surfeur

J’étais là

J’ai fait une photo

L’image est là sans retouche

Pourtant bien plus douce

vendredi 10 mars 2023


Maché recraché

(Hendaye, 17h 25)

La mer a trop bu

Elle a l’ivresse rageuse

Elle cherche à embrouiller la terre

Rick est allé surfer

À l’aveugle

La mer l’a mâché recraché

Comme un chewing-gum 

jeudi 9 mars 2023

 

Le Jaiskibel

(Route de la Corniche, entre Hendaye et Socoa, 19h 15)

Ce fut une journée à oublier au fond d’un seau à charbon.

La nuit n’est pas mieux, un calamar géant a mangé la lune et craché toute son encre.

Rick tâtonne à peine pour glisser la clef dans la serrure. Il a l’habitude.

Il pourrait rentrer chez lui les yeux fermés, même bourré.

Noire, noire, la ville est noire. Premières restrictions d’énergie. 

Rick tourne la clef, un léger clic, à peine audible, une histoire qui commencerait en catimini.

Il ne bouge pas, la main sur la poignée. Il écoute. Tout le monde dort à cette heure ci. Sauf les chats, et les rats. Est-il plutôt chat ou plutôt rat? Personne pour lui répondre ce soir.

Il attend, il guette, une pensée, une rencontre, un souvenir, des retrouvailles, une musique…

Il ne sait pas ce qu’il guette. La journée entière il est resté à l’affût sans rien faire. Un chasseur qui ne sait pas ce qu’il chasse.

Personne ne l’attend derrière la porte et pourtant…

Il ouvre, la porte glisse, en silence. Il tend la main vers l’interrupteur à gauche de la porte. Il le trouve immédiatement. Il a dans la tête le dessin millimétré de son appartement. Il faudra faire deux pas sur la droite pour trouver le porte-manteau.

Il allume la lumière et s’arrête net. Au bord d’une falaise. Le dehors est dedans, le soleil se couche à peine, le ciel est clair, parsemé de quelques éclats de nuages, quelques idées noires qui se perdent, et au fond, étendu comme un chat, le Jaiskibel, son paysage, son jardin.

Rick est sonné. 

Dehors la nuit est toujours aussi noire et chez lui le soleil se couche.

Il referme délicatement la porte et s’assoit sur le canapé face à la mer.

Il attend que chez lui s’éteigne le jour avant d’aller dormir.

mercredi 8 mars 2023


Ciel baratté

(Hendaye, 19h 06)

Une jeune femme baratte le beurre. 

Elle chante pour le nouveau né qui pleure dans un coin de la pièce sombre. 

Elle chante au rythme de la batte qui agite la crème dans le fût de bois. 

Elle chante pour la pluie qui ne vient pas.

Elle chante pour la vache qui va vêler

Elle chante, elle bat, elle chante, elle bat.

La crème s’épaissit et les bras deviennent douloureux.

Elle chante pour la peine, elle chante pour l’enfant, elle chante pour la vache, elle chante pour la pluie.

Et dehors, dans le ciel baratté s’annonce la pluie, s’annonce le veau, s’annonce les premiers mots de l’enfant. 

Et la lumière du couchant entre dans la maison, elle traverse les taches sur la lucarne, borde de lumière le coin sombre où le petit s’est endormi.

Bientôt le beurre sera prêt, mais la jeune femme chante encore, plus bas, plus doux, plus lent.

Elle chante pour la peine, toujours là. 






mardi 7 mars 2023


Le Grand lit


(Hendaye, 9h 30)


Tout est gris

Gris et doux

Doux comme les draps 

Remontés  jusqu’au menton

Et mon pied cherche ton pied

Dans le grand lit 

lundi 6 mars 2023


Bilboquet

(Hendaye, 17h 55)

Tout est calme ce soir à Hendaye

Le ciel est calme et bleu

La mer est calme et bleue

Les haubans sont silencieux

Les marins sont tranquilles

Les chiens ne s’en font pas

Un joueur de bilboquet joue

Seul face à  la mer

Rien absolument rien

Ne dit les catastrophes en cours

Et le chaos à venir

À moins que la boule de bois

Ne soit la Terre 

dimanche 5 mars 2023


Miniatures éphémères 

(Bois de Saint-Cucufa, 1er mars, 16h 10)


Le dandy


samedi 4 mars 2023


Thelma et Louise

(Buxerolles, Vienne, 17h10)

Elle avait pris deux poules, pour les œufs frais et les déchets.

Farouche et cinéphile elle les avait nommées Thelma et Louise.

Il a suffit d’un trou dans le grillage pour que les poules se fassent la malle. 

vendredi 3 mars 2023


L'arbre et le noyé 

(Étang de Saint-Cucufa, 1er mars, 17h 45)

L’arbre n’est pas mort

L’arbre n’est pas tombé

Il est penché, très penché

Il écoute l’eau qui bruisse

Le poisson qui passe

Le gros qui avale le petit

Il écoute le chant du noyé

La lumière qui s’éteint

tandis qu’il s’enfonce

Le chant des regrets

qui deviendront sédiments


L’arbre était debout

Il a vu l’homme défait

Vaciller sur le bord

Abandonner

Tomber droit comme un i

Alors il s’est penché

les branches tendues

À fleur d’eau

Mais l’homme a sombré

Les bras le long du corps

Droit comme un  i


L’arbre n’a pas compris

Il est resté couché

Stupéfait

Il ne voit plus l’homme

Au fond de l’eau

Il entend le chant 

Des hommes défaits

Pourquoi ont-ils laissé

La vie lestée de chagrins

Au fond de l’étang

Pourquoi


L’arbre reste là

Penché

Au printemps foulques et canards

Se reposent sous les feuilles

À fleur d’eau

Et l’enfant qui court

En équilibre sur le tronc

L’entend murmurer

Pourquoi

Et l’enfant lance un nom

Un nom qui ricoche sur l’eau