vendredi 31 août 2018


Fin de règne


(Vaucresson)

Après un règne éclatant du haut d’inaccessibles sommets, elle a vu se flétrir soie et or, s’éloigner les courtisans, et le soleil lui-même détourner le regard. Il ne lui reste plus que le velouté de son cœur à nu. C’est cette douceur longtemps ignorée qui lui faudra accepter pour s’éteindre en paix.

jeudi 30 août 2018


Je te tiens, tu me tiens...


(Abbaye d’Aubazine, 28 juillet)

Au centre du jardin deux moines immobiles se tiennent face à face. À leurs pieds un arrosoir à moitié vide et une bêche plantée dans la terre. Les deux moines se tiennent par la barbichette. L’un  porte une belle barbe d’un gris cendré, l’autre  un timide bouc brun.
Tout le jardin est suspendu à leurs regards brillants, à leurs lèvres frémissantes et closes. Les insectes, les oiseaux, se sont tus, le vent s’est arrêté au portillon de bois, la fontaine a cessé de goutter.
Dès que l’un d’eux faillira, une clameur s’élèvera, portée par la pierre au dessus des collines.

mercredi 29 août 2018


En lisière 


(Mousseaux-sur-Seine, Yvelines, 25 août)

À Mousseaux, Gaspard a son arbre. S’y accrochent les souvenirs de sa vie dispersée, les breloques d’une vie de rien.
Ils sont encore debout, en lisière, lui et son arbre, sous un ciel de moins en moins bleu.

mardi 28 août 2018




(Vaucresson)

Je l’ai déjà dit ici (Billet du 4/09/2017). Je le répète, non pour m’en persuader, mais parce que cela   me semble de plus en plus clair et ne cesse de m’étonner. Il est un lieu où joie et chagrin se côtoient, se rejoignent, ne font qu’un, indiscernables.
J’écris ceci après une journée de répétition, comme avait été écrit le billet du 4/09/2017 au cours d’une autre création. L’art de l’acteur n’est-il pas l’un des meilleurs moyens pour explorer ce lieu de façon extrêmement concrète, en pleine conscience?
N’y a-t-il pas là, sur cette  infime ligne entre ombre et lumière, la clé de l’art de vivre?

lundi 27 août 2018


Démons


(Moisson, Yvelines, 25 août)

En forêt les démons sont bienveillants.

dimanche 26 août 2018


Miniatures éphémères


(Mousseaux-sur-Seine, Yvelines, 25 août)

Le voyage d’Ératosthène

samedi 25 août 2018


Sur la Seine


(Moisson, Yvelines)

Anne est étendue sur le grand lit défait. Un air léger passe par les fenêtres ouvertes.
La maison glisse sur la berge, se pose sur la Seine puis va doucement vers la mer.
Elle va au gré du courant le long des rives arborées au pied des falaises blanches. Elle passe les écluses en toute discrétion, à Rouen elle ignore les lourdes péniches qui la regardent de haut, à Tancarville elle tangue sous le pont suspendu, au Havre elle vacille face au pont de Normandie fièrement haubané. Elle ne prête aucune attention aux usines, aux raffineries qui dressent leurs cheminées avec ostentation. Seuls les premières grues et les cargos à quai ont ses faveurs. Ils annoncent le large.
À l’embouchure le vent fraîchit par les fenêtres ouvertes, la maison roule, les mouettes crient. Anne se lève, monte sur le toit hisser les voiles, cap à l’ouest, elle part rejoindre son amant, un marin au long cours parti hier.

vendredi 24 août 2018


Triangle


(Hendaye, 22 juillet)

Autrefois, j’ai fait des mathématiques. J’avais une certaine aisance dans ce monde de figures et de chiffres. Je n’ai rien retenu, si ce n’est l’intuition que tout se relie intimement de façon extraordinairement précise, souvent à notre insu.

jeudi 23 août 2018



Le Bal


(Vaucresson)

Elle aime les parquets cirés, les chaises alignées, les sacs posés sur les genoux serrés, les regards furtifs, les plis impeccables des pantalons,  les mouchoirs blancs que l’on sort d’un geste bref de la poche poitrine pour s’éponger le front, les escarpins négligemment posés au pied d’une chaise et la main qui masse la cheville endolorie, l’inclinaison des corps à l’invitation, les murmures aux creux des oreilles, les mains qui s’enhardissent dans le dos des danseuses et des danseurs, les nuques offertes, la sueur qui perle, les yeux qui se baissent, les rires, les éclats puis les coups parfois.
Elle n’attend pas, elle propose, enlace, tourne, s’abandonne, puis disparaît. Chaque jour, une nouvelle danse, un nouveau partenaire qu’elle laissera désemparé au petit matin.
Son chemin est seul.

mercredi 22 août 2018


Samares


(Vaucresson)

Hélicoptères, samares, vol-au-vent, ailes d’anges,
pensées pour le réconfort
au-delà du pied de l’arbre.

mardi 21 août 2018


Les Perruches


(Vaucresson, 20 juin)

À quelques battements d’ailes de la fenêtre, les perruches jacassent sur le bouleau.
Leur cri écorche, mais leur couleur emmène bien plus loin que ne porte le regard.

lundi 20 août 2018



Jean Dieuzaide, "Les Suds"


(Exposition « Les Suds » Jean Dieuzaide, Urrugne, Pyrénées-Atlantiques, 18 août)

L’un des premiers billets de ce blog ( Voyage en Ibérie, 20/09/2015 ) parlait d’un livre de Jean Dieuzaide portant en couverture « la Gitane ».
Depuis que je tiens ce blog je ne quitte plus mon appareil photo, je regarde différemment, plus attentivement sans doute. Je n’ai aucune prétention photographique si ce n’est partager un instant et ce qu’il éveille en moi.
Samedi en revoyant ces images de Jean Dieuzaide, je comprends pourquoi elles m’avaient bouleversé alors que je n’étais qu’un jeune homme qui cherchait sa place. Une telle vitalité!
Jean Dieuzaide était un ami de mon très cher oncle Pierre Igon, peintre au sourire éternel, doué d’une formidable énergie créatrice. Douceur et vitalité les réunissaient sans doute. Douceur et vitalité, deux mots que je m’attacherai à faire miens jusqu’à la fin de mes jours.
À cette belle exposition, il y avait bien sûr cette photo de la gitane, accompagnée de ce magnifique hommage de Robert Doisneau:


(La Gitane, Jean Dieuzaide)

Après une longue course, le voleur d’images s’arrête, tente d’établir le bilan de ce qu’il considérait comme une mission.
Oh, collègue, si l’ambition d’être pris au sérieux, aggravé d’un certain penchant pour la grandiloquence, t’a poussé à ne retenir systématiquement que les instants où la vie montrait un visage lamentable, je ne vois aucun inconvénient à ce que tu arrête là ton parcours et qu’enfin tu cesse de nous tricoter ce patchwork du malheur. Les images qui donnent le courage de vivre sont beaucoup plus rares, peut-être parce qu’elles nécessitent le courage de lutter contre la gravité, donc contre la pesanteur. Je n’ai pas à fouiller longtemps dans ma mémoire pour trouver une preuve toute simple: la gitane à l’enfant, cette photographie de Jean Dieuzaide, me parait être le meilleur exemple pour illustrer mes convictions.
Devant elle, nous nous sentons éclaboussé d’allégresse. Être témoin d’un tel instant de bonheur n’est pas à la portée de n’importe qui. Il faut avoir du rayonnement personnel pour ne pas effaroucher la joie des acteurs. D’avoir su l’arrêter et nous la transmettre est un acte généreux.
Yan, mon ami, debout, toi, ramasse ton sac et puisque tu as le don, tu dois partir pour encore nous rapporter des occasions de nous réjouir d’être vivants.
                                                                                                       (Robert Doisneau)

dimanche 19 août 2018


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 14 août)

Dimanche, c'est jour de marché à Vaucresson.

samedi 18 août 2018



Jouer encore


(Hendaye, 7h30)

Escapade de trois jours pendant les répétitions. Sur scène ou sur les vagues, la même chose, être là, dans l’instant, jouer, jouer encore, offert aux éléments, offert aux spectateurs, danser, dessiner  l’indispensable, éprouver les trajectoires, questionner, faire corps avec l’instabilité.

vendredi 17 août 2018



Doux orages


(Vaucresson, 11août)

Au rêveur les cieux tourmentés
au surfeur les mers démontées
à l’amant les lits renversés
Il est de doux orages

jeudi 16 août 2018


La Sieste


(Gambaiseuil, Yvelines, 12 août)

La sieste aura lieu entre midi et 14H30
Tamisez la lumière.
Seul, adoptez une position autre que celle de la nuit. Allongé de préférence. Desserrez le col et la ceinture. L’idéal est la nudité. Assurez vous que votre nez est dégagé. Faites mmmmm deux ou trois fois les yeux fermés. Ne dormez pas plus de dix minutes. Vos rêves seront brefs et nombreux.
À deux, changez de coté, si la nuit vous dormez à droite de votre conjoint, alors positionnez vous à sa gauche. Enlacez votre partenaire, cherchez l’emboitement parfait, en prenant garde, si vous ronflez, à ne pas coller votre nez dans son oreille. Si vous vous dévêtez  attention à la sieste dite crapuleuse qui n’est alors plus une sieste, qui reste ceci dit tout aussi bonne pour la santé à condition que vous n’ayez aucun rendez vous important dans l’après midi.  Faites mmmm une fois, accompagné d’un mot doux et d’un baiser. Vous pouvez aller jusqu’à deux baisers; à partir de trois, il sera plus difficile de résister à la sieste crapuleuse.  Dormez dix minutes sans vous lâcher l’un l’autre. Levez vous ensemble, cela contribuera à l’harmonie du couple.
À plusieurs, gardez entre vous une distance minimum de quelques centimètres. Une position sur le dos est alors préférable. Fermez les yeux, faites mmmm une fois  chacun, cela peut être accompagné d’une citation, d’un haïku, de quelques vers ou aphorismes. Surtout soyez bref, sinon il ne s’agira plus d’une sieste mais d’une conversation, ce qui encore une fois est tout aussi bon pour la santé à condition que la parité entre propos sensés et insensés soit respectée.
Levez vous ensemble au bout de dix minutes. Saluez vous, le contact est alors possible, même recommandé, mais sans vous  attarder, avant de vaquer à vos occupations.

mercredi 15 août 2018


Au fond du bois


(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 12 août)

En lisière, l’herbe  jaune et cassante,
au fond, un filet d’eau,
y  faire son lit,
écouter
chanter les poissons.

mardi 14 août 2018


La Gousse de Glycine


(Vaucresson)

La gousse de Glycine
tendre et veloutée
prête à exploser
elle porte le poids des jours

lundi 13 août 2018


Paix


(Vaucresson)

20h15, descendre au jardin avant que le soleil ne soit trop bas. Ne reste qu’une tache de lumière sur le mur du fond. Là pend une jeune fougère assoiffée qui a pris racine au faîte. Une plume de tourterelle s’y accroche. Une trace, la vie par dessous tout, la paix. La nuit peut venir.

samedi 11 août 2018


Une robe qui tourne


(Vaucresson)

Le monde s’écroule et elle rêve d’une robe qui tourne.

vendredi 10 août 2018


Saint-Raphaël


( Paris Est, Autoroute A4 )

Alors que sa vue baissait, c’est en invoquant l’Archange Raphaël qui guérit Tobie de sa cécité, que le docteur Juppet élabora en 1830 la recette du St Raphaël, apéritif à base de quinquina, et recouvra la vue.
Sortie Est de Paris, bloqué sur l’autoroute A4 dans son antique fourgon diésel, Marco sourit. Il revoit la bouteille sur la table du vieux, l’affiche au mur du café, il entend la voix éraillée de son père qui pour la centième fois lui raconte cette histoire et lui fait l’éloge du quinquina. Son père qui a tiré sa révérence à 73 ans avec de drôle de trucs dans les poumons, son père  qui l’emmenait sur les chantiers quand il était môme. Son père qui lui a laissé l’entreprise de peinture, des pots, des dettes et des pinceaux.
Ça n’avance toujours pas sur l’autoroute. Marco s’en fout. Il a le temps, sa journée est finie, c’est vendredi et Corinne est en vacances. Il tousse, gratte une goutte de peinture sèche sur sa joue et adresse un signe de tête à l’enseigne là-bas comme si son père s’y tenait à califourchon. Tu vois vieux, je l’ai tenu la boite, dit-il.
Marco a chaud, il a coupé le moteur, les vitres sont baissées, ça pue les gaz d’échappement. Dans la voiture d’à côté une jeune femme se maquille, un délicat coup de pinceau sur les cils. Elle va manquer son rendez vous, pense-t-il.
Il passe de plus en plus de temps en bagnole. Il faut se lever de plus en plus tôt pour éviter les bouchons, il doit accepter des chantiers toujours plus loin.
Il tousse à nouveau, regarde les voitures, les usines, le ciel.  Hé, Raphaël, peut-être bien qu’il n’y a pas que Tobie qu’il faudrait guérir de la cécité, dit-il.


jeudi 9 août 2018


Jeu


( Hendaye, 22 juillet )

 C’est extraordinaire, ces joies enfantines que le plateau du théâtre offre au comédien.

mercredi 8 août 2018


Quelques gestes simples


 (Vaucresson, fleur de Lin)

Après une journée de répétition riche en émotions, quelques gestes simples pour réajuster les contours. Préparer un repas léger, donner à boire aux plantes, lire quelques lignes de Guillevic, vérifier l’orthographe d’un mot, aujourd’hui ce sera digression pour tous les écarts le long du chemin afin de cueillir quelques friandises, et avant de s’endormir prononcer le nom de l’absente.

mardi 7 août 2018



Soif


 ( Vaucresson )

Le jardin est sec. Il se recroqueville, craque sous les pas. Son chant se fait plus aigu. Les mousses prennent des teintes cuivrées. Le vert s’estompe peu à peu. La fleur minuscule se fripe, son rouge résiste, elle rêve d’une pluie drue.
Et l’amoureux à la fenêtre regarde s’assombrir le ciel, il pense à l’aimée.

lundi 6 août 2018


Ivresse


( Fontarrabie, Espagne, 14 juillet )

Sans doute fut-ce ma première ivresse, ce souvenir dont la joie est si précise. Enfant, dans le parc de Marly-le-Roi, je roule dans l’herbe le long de la pente, riant aux éclats, et me relève en bas heureux et titubant.

dimanche 5 août 2018


Miniatures éphémères


( Vaucresson, 4 août )

Le chant veut porter
Un peu plus que lui même
Qui se dérobe

Toujours
Il laisse percer:

Qui suis-je?
Où vais-je?

Jamais
Il ne pose la question:
À quoi bon?

                                                                                                ( Guillevic, Le Chant, édit. Gallimard )

samedi 4 août 2018


Signes


  ( Aubrac, Aveyron, 5 mai )

Sur les chemins la pierre et le bois portent parfois des signes que je tente de déchiffrer des heures entières. Ils m’émeuvent. J’ignore cet alphabet, même si avec l’âge il se précise. Ce que je sais, c’est qu’il me raconte l’homme, il me parle d’amour et de guerre, chaque fois.



(  Travaillan, Vaucluse, 9 juillet )

vendredi 3 août 2018


Le Personnage


( Hendaye, 16 juillet )

Après une journée de répétition en ville sous les lumières électriques, fourbu, j’ouvre l’album photo comme on déplie une chaise longue.
Tant de nuages, tant de traces sur le sable. Devant l’image, dans la solitude du bureau, je sens  le personnage prendre sa place dans mon corps, dans mon esprit. Je le sens m’essayer, je suis son costume. Frère Grégoire, c’est son nom, regarde le ciel, l’eau et le sable, et défilent les  drakkars, les lombards, les moines fuyant en cortège, les barbares piétinant le jardin des pères, les incendiaires, les porteurs de pierres, les armées de la révolution, les cieux mille fois changeants, les amis disparus. Frère Grégoire se tient debout sur un muret de pierres grises, il regarde l’eau le ciel  et le sable, il sait  les tempêtes et la terreur, et pourtant il est en paix.
Je regarde l’image. Un air léger vient du dehors par la fenêtre ouverte sur la nuit. Grégoire lentement se retire. Je le sens maintenant hors de moi, mais pas très loin, peut-être dans le bouquet de fleurs sur la petite table.
Je regarde l’image et j’ai une irrépressible envie de plonger dans les vagues.

jeudi 2 août 2018


La Carrière


(Carrière de Pauliac, Aubazines, Corrèze, 28 juillet)

Dans les années 30, à la carrière de Pauliac, trimait une centaine d’hommes aux mains calleuses.
Ils taillaient des pavés de Gneiss. La poussière de la pierre s’infiltrait dans les plis des vêtements et des corps, pénétrait souvent bien plus profond qu’ils ne pouvaient l’imaginer.
Le parterre de blocs concassés a fait  place à une prairie et une marre où, dans le silence de l’aube, viennent s’abreuver quelques biches.
À certaines heures, avant que ne sèche la pluie ruisselante sur la roche, se dessine une silhouette aiguisée. C’est celle de maître Florent qui régna sur ses ouvriers d’une main ferme. Un nez grec, un large sourire et l’oeil clair, Florent était aussi dur et exigeant avec ses hommes qu’il était tendre avec la pierre. Il lui parlait, la caressait, devinait ses moindres failles, mettait à jour la plus belle de ses textures. Il suffisait qu’il parle au rocher de sa voix grave pour que les carriers se mettent à l’œuvre avec ardeur.
Quand l’exploitation a cessé, après que l’on eut évacué les derniers blocs et les outils, Florent est resté seul pendant trois jours sans dormir. Pendant trois jours il a regardé la pierre, pendant trois jours il s’est remémoré les visages de chacun de ses ouvriers, pendant trois jours il les a nommés un à un. Puis il a quitté le pays. On n’entendit plus jamais parler de lui.
À la carrière de Pauliac, aux heures où se dessine sur la face humide la silhouette de maître Florent, on entend alors cogner les pics, les coins, et les maillets, métal contre pierre, on entend claquer, crisser et rouler le caillou, on entend battre le cœur des hommes.

mercredi 1 août 2018


Éguzon


( Barrage d’Éguzon, Indre, 29 juillet, 0h30  )

Cette nuit là, je courrais après la lune. Je me suis arrêté au pied d’un haut mur. Mélanie de Biasio chantait un blues déchirant. La lune était là. Je me suis endormi, épuisé.
Au matin, le ciel était clair. Derrière le mur tant d’eau retenue.


(6h45)