samedi 31 octobre 2015


Amsterdam


Sur le bac de Centraal station à NDSM, Rick Delaveine tape du bout des doigts sur le métal du bastingage. Une nouvelle composition prend forme. Il l’appellera Quichotte. Il jouera la rythmique aux balais. Pour la contrebasse ce sera un simple walking et la mélodie au piano apparaitra et disparaitra, légère.
Ce soir, il la proposera à ses partenaires. Ils donnent un concert au Bimhuis, à guichet fermé.
Rick est vêtu de la veste soie et cachemire vert pâle qu’il s’est offert à Bilbao cet été. Ici, à Amsterdam, il s’est trouvé des chaussures en croco moutarde. Il les porte depuis ce matin. Il en aime le son du talon et la souplesse de la peau. Il fait des pas plus grand et danse pour esquiver les vélos.
Il a rencontré Sophie au jardin botanique devant l’Oostkapse Broodboom, la plus vieille plante en pot de l’hémisphère nord. Cette plante a été rapportée d’Afrique du sud il y a trois cents ans. Sophie portait un pantalon de velours rouge et une veste mauve, elle a craqué sur les chaussures jaunes de Rick. Elle s’est adressée à lui quand elle l’a vu coller son nez à la plante. Les couleurs et les parfums. Ils ne pouvaient s’ignorer. Elle l’a alors convaincu de le suivre jusqu’aux locaux de Greenpeace à NDSM. Elle est une des cadres de l’organisation aux Pays Bas. Il a le temps d’ici ce soir, et ce soir elle viendra l’écouter. Fan de jazz, elle connaissait le trio et avait déjà son billet.
Sur le bac Sophie sourit, les cheveux dans le vent et Rick tape toujours sur le métal.
Oui, Quichotte, c’est un beau titre…



Ils ont débarqué sur les anciens docks, ils se sont embrassés au Noorderlicht café, sur un canapé mauve, comme la veste de Sophie, il a adhéré à Greenpeace, et ils ont marché jusqu’au bout du quai.
Là, il lui a parlé du tacatac des trains et de ce concert dans une friche industrielle de Rouen où la rythmique était assurée par le moteur diesel d’un vieux tracteur au point mort.
Là, elle s’est très vite rendue compte qu’il ne pensait qu’à sa musique et elle a fait demi tour.
Il est là, hors champ, il la regarde. Elle s’est arrêtée. Il n’est peut-être pas trop tard…

vendredi 30 octobre 2015


Echappée


C’est un café alternatif au coeur des anciens chantiers navals d’Amsterdam. Hors champ, un couple et leur fils.  L’homme est énorme, le sourcil épais et un regard noir. Il mange un steak tartare accompagné d’un bock de bière. Il mange bruyamment. En face la femme, blonde, mince, de grands cernes sous les yeux, vêtue d’une robe imprimée de losanges colorés regarde fixement son homme. Elle ne mange pas. Sous la table sa jambe droite ne cesse de trembler. Entre eux le fils, lui non plus ne mange pas. De toute façon il n’a pas faim. Il fixe ces deux figurines posées sur le rebord du bois. Et comme à chaque fois, quand  ça ne va pas, il s’échappe, il s’échappe de son corps…

Publicité...


Hans est maladroit, un peu timide et souvent seul. Il y a quelques jours il s’est assis sur ses lunettes. Alors il fallu en changer. C’était des lunettes pour voir de près, hé oui, c’est qu’il n’est plus tout jeune, Hans. Il a choisi des verres progressifs. Il les gardera sur le nez, cela lui fera des économies. Et ce léger flou sur les cotés n’est pas si désagréable, lui change sa manière de voir les choses. Il a aussi choisi des montures Ray-Ban, parce qu’il aime l’Amérique et les routes toutes droites avec les boules d’herbes sèches qui roulent dans le vent du sud. A quinze ans il avait un poster de Easy Rider punaisé au dessus de son lit.
Ce matin, il était au musée Van Gogh. Il y vient dés qu’il fait gris. Il y a un tableau qu’il aime plus que les autres. C’est une peinture de la butte Montmartre à Paris en 1887. Un ciel tourmenté, au sommet de la butte un moulin, des champs qui descendent, verts, plusieurs nuances de vert avec des taches claires, et en bas à gauche deux silhouettes côte à côte, noires. On distingue un troisième personnage, flou, quelques centimètres à droite au dessus  du couple.
Ce matin, il est resté longtemps devant le tableau. Plus longtemps que d’habitude. Il le redécouvrait. Plus il s’attachait aux détails, plus l’émotion grandissait, une profonde mélancolie.
Soudain une femme à ses cotés lui a adressé la parole. Elle était là depuis longtemps elle aussi. Une américaine. Avec des lunettes rouges. Elle lui a parlé de la relativité. Le timbre de sa voix était délicieusement rauque. Pour la voir, avec ses nouvelles lunettes, il a fallu qu’il tourne bien la tête à droite. Et la réponse est venue, étrangement fluide, portée par les couleurs du tableau.
Et maintenant, ils sont là tous les deux, hors champ, devant cette vitrine. Ils s’embrassent passionnément au milieux du trottoir…

jeudi 29 octobre 2015


La dame en rouge


Elle est bien seule, la dame en rouge, sur le banc. Sa fille est en Italie, son fils est au Nicaragua,  et son mari devant son ordinateur. Le vent souffle, la lumière est belle, elle prendrait bien la mer, la dame en rouge…

Fantômes


Bernardo  marche en compagnie de sa famille ce dimanche après midi dans cette ruelle étroite d’un village d’Italie. Il lève les yeux et, soudain, ce souvenir: un homme au sol, le visage en sang, appelle à l’aide tandis qu’un autre le frappe avec une brutalité inouï; il fait nuit, nous sommes au moi de mai, dans les années soixante dix; sur son vélo moteur, Bernardo, adolescent, vient de chez un ami; il s’arrête, saisi par cette scène, il regarde, immobile; l’homme qui frappe le regarde à son tour, droit dans les yeux; « Casse toi! » lui dit il. Bernardo s’en va; de retour chez lui, impossible de trouver le sommeil; il se lève et retourne sur les lieux de l’agression; il n’y a plus personne. Longtemps Bernardo s’est demandé ce qu’était devenu l’homme au sol. Mais depuis ce jour,  plus jamais il n’a fuit…

mercredi 28 octobre 2015


 Respiration


Hors champ, un homme est assis sur le granit d'un inselberg. L’averse s’est tue. L’homme a posé son fusil et sa machette. Ses vêtements sèchent, étalés sur le rocher.
Il est bien là, iI ne veut plus fuir. Juste regarder la terre respirer…

 les Monts d'or


En dessous, dans la grisaille des hommes et des femmes s’affairent, des voitures roulent, des trains passent. Là haut, dans la lumière, Roland s’est arrêté sur le bord de la route, juste avant le col de la croix de Presles, hors champ.
Roland est représentant de commerce. Il aura tout vendu, des sous vêtement féminins, des encyclopédies Universalis, de la nourriture pour poissons, des couteaux de Laguiole et tant d’autres choses. En ce moment ce sont de petits tableaux souvenirs, paysages miniatures peints sur du sable fixé sur le bois, un procédé unique crée par un australien…
Roland ne bouge plus, les deux mains posées devant lui sur le volant gainé de cuir. Il regarde le paysage. Puis il dénoue sa cravate, ouvre son col, et se dit qu’il serait peut être temps de changer de vie…

mardi 27 octobre 2015


 Anatole


Anatole revient de l’école. Il est content, il a fait des progrès. Bientôt il pourra lire les livres de Martine. Martine, c’est sa grande soeur. Il a bien vu qu’elle a les yeux qui brillent quand elle lit ses livres. Sur les couvertures, en gros, il y a écrit Harlequin. Oui, il l’a lu, mais il n’a pas osé demander à Martine si le H était muet où aspiré…

Caroline


Une famille saramaka vit là. L’homme relève ses filets sur le Maroni, la femme lave son linge sur la berge, les trois plus jeunes enfants jouent dans la cour, hors champ, avec une brouette transformée en char d’assaut. L’ainée, Caroline, vêtue d’une légère tunique orange est seule dans la case. Enfin seule. A moitié étendue sur une banquette de 4L, sa main se laisse aller, taquine, sous la tunique. Un air délicieusement doux pénètre par la porte ouverte. Caroline a treize ans, demain, pour la première fois elle ira au collège…

lundi 26 octobre 2015



Attente


Attendre. Rien ne bouge. La lumière est posée, les pensées à l’arrêt, le coeur à l’affût. Soudain quelqu’un, quelque chose, elle, où une autre, le corps se tend vers l’illusion, brièvement. Puis il retrouve sa position initiale…

L'infirme


Il est monté jusqu’ici d’un pas vif. L’air est frais, la lumière sur Notre Dame de Lagarde est de bon augure. Il est en avance à son rendez vous. Il est toujours en avance, il aime attendre. L’attente lui dévoile parfois quelques trésors. Aujourd’hui, sur les hauteurs de Marseille, il se remémore ce vieil homme infirme rencontré jadis.
Il avait dix sept ans. C’était au bord de l’océan. Déjà, il attendait, souvent, assis au même endroit sur la jetée. Il attendait les vagues, une fille, quelqu’un, la lune. Il n’osait pas aller au devant des autres, alors il attendait que les autres viennent à lui. C’était en été, pieds nus et vêtu d’un long imperméable blanc, il ne pouvait passer inaperçu. Un jour, il s’est approché, le vieil homme sur sa chaise roulante, poussé par un jeune anglais accompagné d’un yorkshire.
Ils ont fait connaissance. Au début il se contentait de répondre par oui où par non, il laissait parler le vieillard, Il l’écoutait, le regardait, curieux. L’anglais veillait.
Pendant un mois, chaque soir, ils se retrouvèrent au même endroit. L’homme lui parlait de la nature humaine, des corps, des relations, du sexe, de la parole, de l’art. Lui  écoutait et de plus en plus se confiait.
Il lui semblait qu’au fil de leurs conversations s’ouvrait un monde nouveau. Il grandissait.
Une après midi, sortant de l’eau après une magnifique session de surf,  il était et reste un surfeur passionné, il se trouva nez à nez avec le vieil homme qui l’observait depuis déjà un long moment, tout en caressant le petit chien. Il ne put s’empêcher  de lui demander ce que celui ci retirait de leurs longs entretiens.
Alors le vieil homme sourit, le désigna de sa main déformée, lui, son corps ruisselant dans la lumière, et dit: ça.

dimanche 25 octobre 2015



 le Fleuve


Une belle fin d’après midi sur les berges du Maroni, le fleuve le plus envoutant de Guyane. Je me sens aspiré, avec l'intense désir de remonter jusqu'à la source, loin, très loin au coeur de l'Amazonie, de remonter comme, vieillissant, on remonte le cours de sa vie. Alors le long des berges de ce fleuve, tantôt nonchalant, tantôt impétueux, nous salueraient tous ceux que l'on a croisés, que l’on a aimés, que l'on a admirés, mais aussi  ceux que nous avons ignorés et auxquels il est encore temps d’adresser un signe…


Ma gueule


                                        « Quoi ma gueule… qu’est-c’ qu’elle a ma gueule
                                                           Quelque chos’ qui n’va pas
                                                           Ell’ ne te revient pas
                                                           Oh je sais que tu n’as rien dit
                                                           C’est ton oeuil que je prends au mot
                                                           Souvent un seul regard suffit
                                                           Pour vous planter mieux qu’un couteau… »

                                                                                      (Paroles de Gilles Thibaut,
                                                                                            musique de Philippe Bretonnière)
                                                                   

 Le Pélican



C’est dimanche. Félix a emmené Colette au parc des oiseaux à Villars les Dombes. Félix aime le chant des oiseaux. Félix et Colette travaillent à la succursale Citroën de Miribel. Elle est comptable, lui mécano. Chaque soir, ils s’attardent dans les toilettes, elle devant la glace, se remaquillant avant de quitter son travail, et lui au dessus du lavabo, lavant et relavant ses mains jusqu’à ce qu’il ne reste plus une trace de graisse. Chacun attend que l’autre parle, dise ne serait ce qu’une banalité, pour commencer. Après trois mois d’hésitation, vendredi soir, dans un effort surhumain, Félix s’est tourné vers Colette et lui a demandé si elle aimait les oiseaux. Il était rouge. Colette a souri et a dit oui. Elle était rouge. Après un long silence, il l’a invité à l’accompagner dimanche à Villars les Dombes. Elle a à nouveau dit oui et c’est lui qui a souri.
Et maintenant, ils sont là, côte à côte, ils regardent le pélican depuis déjà un bon moment, et Félix ne cesse de se demander comment et à quel moment prendre Colette dans ses bras…

samedi 24 octobre 2015


Fondations


 Hors champ se tient le père. Il est fier de sa femme, de son fils, de sa voiture, de son métier. Il ne se doute pas que tout ce qui fait cet enfant qui caresse la main de sa mère, lui semblera de plus en plus mystérieux. Ils vieilliront étrangers l’un à l’autre. Et pourtant dans cette image, il y a tout ce dont est fait le fils: l’estuaire, la route, le navire, la lumière, les fleurs, le ciel, la femme… Et c’est le père qui fait cette image.                          
                                                                                         (Photo de Paul Carrive)

Le Père


Hors champ, un homme âgé. Il porte une casquette claire, des lunettes de soleil, des Rayban à grosses montures, un pull en laine bleue sur une chemisette à petit carreaux; sa braguette est ouverte. Appuyé sur son déambulateur, il regarde son fils qui regarde la mer. Sa vue est trouble. le temps est calme. Il voudrait poser la main sur l’épaule de son fils. Quelque chose l’en empêche. Il ne sait pas quoi. Il n’a jamais su…  
                                                                             (Image d'Arnaud Carbonnier)

vendredi 23 octobre 2015


 Le pécheur


Je suis seul, absolument seul, dans cet hôtel humide au pied du piton de la Fournaise, à La Réunion. Sur la petite terrasse, je  ne sais plus si ce sont les embruns où la pluie qui mouille mon visage. Une demi heure que je suis là, dans cette lumière crépusculaire, à regarder cet homme.
Je le regarde comme un frère…

 Blues


La nuit vient de tomber. Dehors, il bruine. Ils ne sont plus que deux , hors champ, dans ce café restaurant. Au bout du bar, à droite, une femme en manteau léopard, grossièrement maquillée, les cheveux mouillés. Elle regarde fixement son verre de blanc en passant son doigt sur le rebord taché de rouge à lèvres.
A gauche, assis à une table, un jeune homme. Dix huit ans à peine, cheveux longs, bouclés, vêtu d’une veste de surplus militaire. Sur la table, quelques feuilles de papier froissées, un stylo, un livre, Les Chants de Maldoror, une tasse de café et un paquet de gauloises sans filtre.
La femme et le jeune homme ne bougent quasiment pas. Caméléons. On pourrait presque entendre leurs respirations. Chaque son reste suspendu, tandis qu’à l’extérieur, le bruit des voitures sur la chaussée humide rythme la nuit.
Ils voudraient que le temps s’étire, se distorde, s’évapore, ils voudraient chacun disparaitre dans la couleur.  Ils  voudraient  ne plus jamais rentrer chez eux…

jeudi 22 octobre 2015


Innocence


Juste là, hors champ, sur la berge du Maroni, Marcellin attend. C’est l’un des meilleurs piroguiers d’Apatou. Il attends les trois brésiliennes qu’il doit convoyer jusqu’au camp des orpailleurs. Le gasoil  est déjà chargé, ainsi que les armes cachées dans un sac étanche au fond de la pirogue. Sans ces extras, Marcellin n’aurait jamais pu se payer ce moteur Yamaha 50 cv. Une occasion, mais un bon moteur, rapide et sûr. Il l’a acheté à Pierre, un bon prix. Pierre est un ami, guide sur le Maroni.
Pierre n’est pas au courant des activités illégales de Marcellin, il ne vaut mieux pas.
Marcellin est un grand gaillard, un boni, d’une trentaine d’années. les filles ne devraient pas tarder.
Il regarde les enfants en mâchonnant une brindille. les deux garçons sont ses fils, Georges et Stéfan, la fille, Charline, c’est celle de sa voisine.
Marcellin regarde les enfants, et soudain il sent une boule dans sa gorge. Ses yeux se voilent devant tant d’innocence…

Chaleur à Mana


Il fait chaud à Mana. L’homme en rouge regarde l’homme en vert qui vient de croiser le regard de l’homme en blanc. Tous les trois sont  amoureux de Caroline, la postière haïtienne. Ici, tout le monde se connait…

mercredi 21 octobre 2015


Taches


Karim s’est arrêté, juste là devant, hors champ. Il est essoufflé. Tout le régiment est parti à six heures ce matin pour deux jours d’entrainement en montagne. Ils sont divisés en trois groupes : les rouges, les bleus et les jaunes. Karim est un rouge, t-shirt rouge, treillis, rangers, sac à dos lourdement chargé, tout l’attirail du parfait soldat. Il s’est engagé il y a quelques semaines à peine. C’est passé tout juste, il a eu un peu de mal avec les QCM. Karim a dix neuf ans et n’avait jamais quitté sa cité. Alors là, il traine, il profite. La montée est rude mais c’est beau la montagne. Le peloton,  plus haut, continue de marcher. Karim se souvient de ces feuilles tachées d’encre qu’il pliait et cachait dans ses poches pour éviter les foudres de l’instituteur. Quand il les retrouvait et les dépliait quelques jours plus tard, il riait. Et aujourd’hui, à mille cinq cent mètres au dessus de Bagnères de Bigorre, le sergent qui appelle ce trainard arrêté là bas, face au lac, ne comprend pas pourquoi le jeune homme rit aux éclats…

 Hiroshima


Au dernier étage des ce massif bâtiment clair, Yoshi Satomi vient d'ouvrir la fenêtre. L'air est doux ce matin. Les trois premiers boutons de sa chemisette de nylon blanc sont défaits. La nuit a été longue, mais fructueuse. L'ultime trait de ses plans tracé, ses calculs vérifiés pour la énième fois, il s'est levé de sa table à dessin avec la certitude d'avoir enfin trouvé la solution. Deux ans qu'il travaille sur cette tour . Elle s'érigera place Kamya-cho, sécurisée par des éléments antisismiques révolutionnaires. Plus belle que les tours de Manhattan. Sans doute pas si haute, mais plus belle. Son dos souffre légèrement de ces longues nuits voûté sur sa table d'architecte en hêtre patiné, mais son visage est détendu, parfaitement détendu. Une profonde joie l'étreint. Cette nuit il restera à la maison. Il est huit heure ce matin à Hiroshima. Le 6 août 1945. Il marquera la date sur les premières pierres. Le ciel est dégagé. Il reste là , à la fenêtre, la tête légèrement penchée en arrière, les yeux clos. Yoshi se laisse aller, attentif au moindre bruit, le tramway qui grince en bas, le vent sur les papiers, l'avion là haut....

mardi 20 octobre 2015


Rivières


                                                   J’ai appris à lire en suivant les rivières
                                     A l’ombre des grands arbres, nous nous sommes aimés
                                              Dans les cieux maintenant le rire des enfants
                                                        Et le courant pour porter les mots

Les lettres


Juste là, devant, hors champ le carbet de Jean. Jean est là, légèrement fiévreux, assis à une petite table de palissandre. Il peut rester là des heures. Alors, d’un geste lent, répétitif, il caresse le bois, il en reconnait la texture, il en distingue le parfum parmi les milliers d’effluves tropicales.
 Aujourd’hui il doit écrire aux administrations, répondre à leurs demandes pressantes. Il ne pensait pourtant pas qu’on irait le chercher jusque là. Sur la table un stylo, un bic jaune, le moins cher, et un cahier . Difficile de garder du papier dans ses régions trop humides, mais un voyageur de passage lui a laissé quelques carnets pour le remercier de ses histoires contées aux cours de leurs promenades.
Mais Jean ne peut pas. Déjà à ses pieds gisent des  dizaines de feuilles froissées, en boule. Madame, monsieur, monsieur l’inspecteur, monsieur le représentant de … Jean reste immobile. Il ne touche même plus au stylo. Il ne bouge plus, fasciné par cette femme là bas, immobile elle aussi, qui semble attendre. Non, Jean n’y arrivera pas. La seule chose qu’il sache écrire, ce sont des lettres d’amour…

lundi 19 octobre 2015


 Accident


L’homme sur le pont est sorti de l’hôpital il y a quelques jours. Un minuscule vaisseau a éclaté dans son cerveau. Il a fallu réapprendre à marcher, réapprendre à dire les mots, faire rouler la langue. Ensuite il a fallu réorganiser la pensée, ne plus dire un mot pour un autre même si cela faisait rire l’infirmier quand une pomme était un rappeur, une assiette un rappeur, un chevreuil un rappeur et ainsi de suite, ce mot rappeur comblant les trous.
Maintenant, ça va mieux. Il peut répondre aux questions sans passer pour un dadaïste aviné et il a laissé sa canne. Chaque jour il fait plusieurs fois le tour de cet étang. En compagnie des oiseaux, le corps reprend des forces, a l’ombre du feuillage la mémoire retrouve ses chemins…

 La marée


Les fils attendent la marée haute. Hors champ, la mère les regarde. Elle aime leurs dos.
Plus loin, à la maison, le père, sur son fauteuil, immobile, les lèvres closes, le regard fixe, attends…

dimanche 18 octobre 2015


 Le train de onze heures


Elle était rousse. Cent fois il a cru voir son visage dans le flot de passagers que déversait le train de onze heures. Vingt minute plus tard, le quai est désert, et il est là, refusant l'évidence..

 La foule


Hors champ, au pied du pilier, à droite sous l’horloge, Lucien est assis par terre, le dos contre la pierre. Il porte une vareuse gris bleue, sale, élimée. Ses chaussures, bien trop grandes, n’ont plus de lacets. Les yeux écarquillés il regarde passer les voyageurs. Il ne demande rien. Il voudrait juste leur dire qu’à l’intérieur de lui, il y a une foule, grouillante, qui ne le laisse jamais en paix. Il regarde chaque passant, fixement. Invisible, il est invisible. Et la foule en dedans qui jamais ne se tait. Et lui qui voudrait dire. Mais rien ne sort. Juste une larme, une seule, coule sur son visage noir de crasse…

samedi 17 octobre 2015



 Return to Forever


« Return to forever », Chick Corea, Stanley Clarke, Al Di Meola, Lenny White… la musique tourne dans la tête de l’homme qui marche, pieds nus, un vieux sac sur le dos, sur le bord de la piste, hors champ. Parfois il s’arrête et danse sur la terre rouge. Le vent, la musique, ses talons qui frappent et s’enfoncent dans le sol. L’homme se dit qu’un jour il sera musicien. Sa peau est tannée par le soleil, ses cheveux et sa barbe sont poivre et sel. L’homme vient de fêter ses soixante ans…

 la Horde Sauvage 


Quand nous étions enfants, des hauteurs d’un terrain vague, cachés dans les fourrés, nous lancions des pétards sur les trains venant de Saint Lazare. Ces pétards étaient faits d’un mélange de poudre et de graviers enveloppé dans un petit papier rouge. Le choc les faisait éclater. On les appelait des bombes algériennes, nous les achetions chez le quincailler du bas quartier. Le long de la voie ferrée, nous exultions, nous étions la Horde sauvage en culottes courtes. Le bruit des trains couvrait nos cris et sans doute  aussi l’impact des pétards. Les voyageurs eux ne se rendaient compte de rien tandis que nous hurlions.
Et nous n’avions absolument aucune conscience de l’origine du nom de ces pétards…

vendredi 16 octobre 2015


Hommage


L’homme à l’arrière porte une fine moustache, des lunettes rondes à montures d’écaille. Son costume est froissé.
- Conduisez moi hors de la ville.
- Où? répond le chauffeur impassible.
- Hors de la ville , là où il n’y a plus rien.
- Comment ça rien, il y a toujours quelque chose.

- Là ou il n’y a plus un seul bâtiment, des champs, rien que des champs.

- Des champs, des champs… de maïs, de blé..?

- De blé, des champs de blé, jaunes….                                             (Photo de Saul Leiter)

Félicie


Félicie monte à petits pas.  Elle est vêtue de la robe de lin  jaune vif que lui a offerte sa petite fille. Elle a délaissé ses éternelles blouses à carreaux. Elle n’est qu’à mi chemin de l’église.
Il faut qu’elle se dépêche, le curé part à midi. Elle presse le pas, son coeur cogne. Elle doit y arriver. Aujourd’hui, elle a décidé de tout dire…

Luisa


Ce matin quand Luisa a pris le train de sept heures pour Ostie, le ciel était clair. Elle s’est vêtue d’une robe légère, la bleue, à pois, que Marcello aime bien. Marcello travaille au même restaurant. Elle sert, lui est barman. Parfois il jongle avec le shaker et les citrons, ça la fait rire. La journée a été calme, peu de monde, nous sommes en fin de saison, et tous les deux se sont beaucoup regardés.
 Dans le train du retour, à dix huit heures, il y avait un jeune roumain qui jouait de l’accordéon. Il jouait divinement bien et son sourire brûlait. Le ciel s’est couvert, le temps du trajet, et juste avant le terminus, une pluie drue s’est abattue sur le train. Le jeune homme a enveloppé son accordéon dans son sweat bleu avant de descendre. Luisa le regardait, fascinée. Elle l’a suivi.
 La pluie a vite cessé mais sa robe est trempée. Elle grelotte. Le jeune homme s’est arrêté sur cette colline qui surplombe Rome. Il vient souvent dormir dans ce parc. Luisa est derrière lui, elle l’observe. Il pose l’accordéon. Un dernier son, un seul , dissonant. Elle désire ardemment se coller contre le dos de cette silhouette à contre jour, qui se fond dans le noir de l’image. Pourquoi faut-il que je tombe sans cesse amoureuse, se dit elle…

jeudi 15 octobre 2015


Le pikolet


Tony se tient debout  le front contre la cloison de bois, juste derrière la cage de son pikolet. Il a les bras le long du corps, les yeux fermés. Il se concentre sur sa respiration. La voix trop forte de son père s’estompe, les grimaces de sa mère avinée s’effacent.
Son pikolet peut chanter cinquante fois de suite en six minutes, il peut gagner le prochain concours.
Dans l’ombre de la maison en ruine, Tony sent son coeur enfin se calmer et son visage se détendre. L’oiseau pépie joyeusement….

Rouge


Antonin s’est assoupi dans cette épave. Il a chassé toute la nuit. Il dort, les mains tachées de sang, la dépouille d’un tatou à ses cotés. L’animal n’est pas bien gros mais il en tirera bien quelques euros de Félicia. Elle les cuisine pour les touristes. Antonin a treize ans et ne va plus à l’école. Sa respiration est régulière. Il rêve. Dans son rêve son frère ainé, pompier à Paris, le fait monter sur la grande échelle de son camion pour regarder la ville…

mercredi 14 octobre 2015


La girafe


L’expression « peigner la girafe » viendrait d’un gardien du jardin des plantes où arriva la première girafe en 1827. Alors que ses supérieurs lui reprochaient son inactivité chronique, il répondit : « Je peignait la girafe »…
En cet automne 2013, le gardien du zoo de Lyon  est amoureux. Elle s’appelle Sophie. II chante et la girafe danse…

La libellule


Charles est livreur d’appareils électroménagers. Des années qu’il parcourt le même secteur, aux alentours de Toulouse. Chaque matin, il enfile le blouson rouge et jaune aux couleurs de la marque. Au début, il n’était pas très à l’aise avec ces tons vifs, lui c’était plutôt des bruns, gris, discrets qui lui convenaient. Et puis il s’y est habitué. Avec le temps…
Son visage a changé, il est devenu d’une infini banalité. Chaque fois qu’il se présente à un nouveau client, celui ci lui dit: vous me rappelez untel où untel…Il est tout le monde, où personne. Il livre.
A douze heures trente, Charles s’est arrêté au bord de ce ruisseau pour manger son jambon gruyère sans beurre préparé à la hâte à six heures ce matin. C’est curieux, jamais il n’était passé par là. Pourtant toutes ces routes, ces chemins, il les connait par coeur. Mais là, non. Il est quatorze heures. Il a ôté son blouson, ses chaussures et les pieds dans l’eau il observe cette libellule. Il ne bouge plus, il regarde. Il a déjà raté son premier rendez vous de l’après midi. Quinze heures, il est toujours là, il a juste changé de position pour ne pas s’ankyloser. Son estomac gargouille, il frissonne, ses muscles se dénouent, les senteurs se font plus précises et son oeil lui semble d’une acuité extraordinaire. la libellule s’est envolé pour se poser un peu plus loin, une autre est venue, d’herbe en herbe, jusqu’à lui. Ce soir, il rend la camionnette et la tenue qui va avec…

mardi 13 octobre 2015


4L


Ils voulaient voir les montagnes. Un soir, ils sont partis, lui et les deux femmes qu’il aimait le plus au monde. Un aller et retour de Paris aux Pyrénées en deux jours. Il avait emprunté la 4L d’un ami.
A l’aller, ils avaient crevé deux fois de suite. Il se revoit, la nuit, marchant sur la route en faisant rouler la roue devant lui, tandis que les deux jeunes femmes dormaient dans la voiture. la voiture était blanche, c’était le printemps.
 L’une des deux femmes est toujours à ses cotés, trente cinq ans plus tard. L’autre, déjà s’éloignait. Ils ne se touchaient plus. Parfois il la ramenait, ivre, des bars de Montparnasse. Elle refusait de rentrer, il se battaient sur le trottoir. Ils n’avaient que vingt ans. Elle dessinait des ronds avec une petite silhouette à l’intérieur et lui disait: c’est moi. Elle s’éloignait mais avait besoin de lui, et il ne pouvait se résoudre à l’abandonner.
 Ces deux jours en montagne furent merveilleux. Ils avaient marché une journée, jusqu’aux pâturages. Là haut, elles avaient ri de ses facéties. Puis ils sont rentrés. Toute la nuit sur la route, ils avaient chanté, joué à ni oui ni non, pour se tenir éveillés. Quelques temps plus tard, la première venaient s’installer chez lui. Maintenant, c’est aussi chez elle. Ils ont vieillis, mais se taquinent et s’embrassent toujours aussi tendrement. La deuxième a disparu. Depuis cette escapade en montagne, il ne l’a plus jamais revue.
Aujourd’hui, des années après, il s’arrête au bord de ce chemin au bout du monde et se demande
ce qu’elle est devenue…

Edgar Maufrais


Hors champ, à quelques mètres, aux pied de cet arbre géant, Edgar Maufrais s’est arrêté..Depuis des mois il cherche son fils Raymond, disparu au coeur de la forêt guyanaise. Son regard ne peut se détacher de ces quelques feuilles qui accrochent la lumière…

Oiseaux


C’était un rouge gorge, Txantxangorri en basque. Je somnolais mal installé dans une fourgonnette au fond d’une impasse face à un terrain vague couvert de détritus, dans la banlieue du Havre, à l’aube. Soudain en bordure du terrain l’oiseau est venu se poser sur un buisson, dans un rayon de soleil. En l’espace d’un instant tout devenait merveilleux…
Des années plus tard, à cinq mille kilomètres, l’oiseau est jaune et l’émerveillement toujours aussi vif…

lundi 12 octobre 2015


La roue


Sur la droite, hors champ, un homme seul. Son visage est profondément ridé, ses cheveux blancs noués en queue de cheval. 70, 80 ans impossible de savoir. Il porte un pantalon de grosse toile brune et des chaussures de chantier usées. Il regarde la roue. Longtemps... Bleue, la nacelle était bleue! Il sourit, cueille une pâquerette à ses pieds et fait demi tour...
                                                                                                (Photo Wim Wenders)

Le gardien de musée


C’est le centre social qui lui a trouvé cette place au musée d’art contemporain de Grenoble. André se tient bien droit dans son costume bleu marine. Son travail consiste essentiellement à demander aux visiteurs de ranger leurs appareils photo. Parfois il y a de drôles de gens qui photographient autre chose que les tableaux. Il les laisse faire. L’artiste exposé s’appelle Philippe Cognée. Quand André est arrivé la première fois, ça l’a fait rire. Avec un nom pareil c'est pas étonnant de peindre des trucs un peu bizarres. Et puis à force de les regarder ces trucs un peu bizarres, il s’est rendu compte que ça lui faisait quelque chose, ça le serrait en dedans, mais c’était agréable. Ca lui faisait la même chose que quand il regarde Nicole endormie sur les draps froissés ou quand il regarde la neige sur les montagnes où il a grandi…

dimanche 11 octobre 2015


Les chercheurs d'or


Juste là, devant, hors champ, une voiture de marque française rouge est arrêtée. Pedro a vingt ans et un sourire à faire tomber les vieilles dames, Bernardo a soixante ans et une gueule de guerrier invaincu. Pedro faisait le gigolo, Bernardo vendait des billets de loterie. Un jour, une réalisatrice française de cinéma, les a croisés dans une rue de Salvador. Pedro était assis sur une marche, à l’entrée d’une boutique de téléphones portables, Bernardo déambulait, ses billets autour du cou. Ils ne se connaissaient pas. La jeune femme a immédiatement aimé leurs visages et les a embauchés pour un tout petit rôle,  mais décisif, dans son film. C’était un road movie qui partait de Valparaiso pour remonter jusqu’à Salvador, au Brésil. A la fin du film, Pedro et Bernardo, circulant dans une voiture rouge, découvraient le héros du film errant sur le bord de la route, totalement amnésique.
Le deux acteurs débutants ne devaient tourner qu’une journée. Ils se sont plus  et n’ont cessé de se parler entre les prises. En fin de journée, ils se sont regardés longuement, et dans un éclat de rire, ils ont décampé avec la voiture. Teresina, Belem, Macapa et maintenant Oiapoque . Six jours qu’il roulent et ils en ont encore a se dire. Ils vont laisser la voiture là, tout au nord du Brésil. A Oiapoque, il trouverons des armes, et tout ce qu’il faut pour l’orpaillage. Il n’auront plus qu’à passer en Guyane et pénétrer dans la forêt…

Les yeux noirs


Gabriel, dit Le Boiteux, se tient là, à droite, hors champ, debout, une épaule contre le mur, les mains croisées juste sous la ceinture, sa mauvaise jambe, la droite, légèrement repliée, le dessus du pied reposant à peine sur le sol derrière le pied gauche qui supporte tout son poids. Gabriel est piroguier, il transporte passagers et marchandises sur l’Oyapock, entre le Brésil et la Guyane. Chaque semaine, il vient voir la fille, là haut, au deuxième étage de l’hôtel Floresta. Il ignore son prénom. Chaque fois, il attend contre ce mur qu’elle apparaisse. Il sait alors qu’il va pouvoir monter. Mais il attend. Chaque fois. Une dizaine de minutes. Il la regarde, de loin. Ensuite, il y va.
Manuela aime bien Le Boiteux. Il ne dit jamais rien, et garde les yeux baissés. Il est rapide et un peu brusque, mais pas brutal. Ensuite il reste longtemps allongé à ses cotés. Il n’y a que dans cette position qu’il peut la regarder, les yeux dans les yeux. Dans ses  yeux noirs, elle y voit son propre visage.
Gabriel aime bien Manuela. Sa peau est douce et elle parle peu.  Souvent, sur le même ton, elle répète :  « c’est comme ça ». C’est tout. Quand allongé, il regarde ses yeux noirs, il y voit son propre visage…

samedi 10 octobre 2015


Le rebord des pierres


                                        Quand, vieillissant, le mouvement de la vie ralentit
                                                                    Prenons le temps
                                                         Comme nous le faisions enfants
                                                            D’observer la vie grouillante
                                           Au creux d’une ornière, sur le rebord des pierres
                                                         Où dans un carré d’herbe fleurie


Mon père


Quand il disait oui, je disais non. Nous n’étions jamais d’accord, et pourtant nous étions faits du même bois…

L'Îlet la Mère


Lorsque la fièvre, la peur où le chagrin l’ont affaibli, c’est là qu’il vient, sur l’îlet La Mère au large de Rémire, l’homme qui se redresse, le visage radieux, face à cet arbre…

vendredi 9 octobre 2015


Conversation


J'aime les garages fermés sur le bord des routes. Mon père , lui, aime les voitures modernes. La conversation n'est pas toujours facile...

Saint Loup sur Semousse


À Saint Loup sur Semousse, Monique, la toiletteuse aime les mains d'André, le boucher. A la folie. Dimanche ils iront écouter Paskal Karter, elle regardera André applaudir puis ils iront chez elle. Dans sa chambre il y a un grand lit à baldaquin recouvert de fausse fourrure jaune et un immense poster avec une horde de gnous.
La nuit entière, Monique s'abandonnera à la douce sauvagerie d'André, elle le sait insatiable, la nuit entière elle laissera ses mains s'emparer d'elle...