vendredi 26 avril 2024


La faux

(Travaillan, 28 décembre 2015, 14h 50)

L’ancêtre était mort aux champs, tombé raide dans les blés blonds, un filet de sang au coin de la bouche. On l’avait porté à quatre jusqu’à la ferme, il pesait comme un veau bon pour l’abattoir. Restaient les blé couchés par son grand corps et la faux aiguisée pour la journée.

On était revenu le lendemain ramasser la faux. On avait dit: La camarde  l’a oubliée, faut la ranger, plus y toucher, elle ne reviendra pas.

C’est ce que racontait le vieux et la vieille aux enfants. Faut pas y toucher. La faux restait crochée au fond du hangar, la lame rouillée.

Le vieux et la vieille ne pouvaient vivre l’un sans l’autre, ils en étaient à cent deux ans d’amour de rires et de labeur, ils ne marchaient plus très bien, ne voyaient plus très bien, et ne se lâchaient pas la main.

Le voisin bien intentionné qui ne connaissait pas les vieilles histoires a voulu aider. Il a rangé le hangar de fond en en comble, il a décroché la faux et l’a donnée au ferrailleur avec les vieux outils.

Les deux vieux ont trépassé le lendemain main dans la main. 

jeudi 25 avril 2024


Sur le Pont du Larivot

(Cayenne, Guyane, 23 avril 2023, 6h 05)

C’est la dèche, faut de la tôle pour refaire le toit et un parapluie pour la vieille. 

C’est la dèche, faut des sandales pour la gamine et un pneu pour le vélo. 

C’est la dèche mais sur le Pont du Larivot, il y a les potos et le soleil qui se lève.

Et si ça mord avant midi, il y aura de quoi bouffer.


 

mardi 23 avril 2024


La fuite

(Saül, Guyane, 14 mai 2023, 17h 05)

Tony * a encore tout grillé au jeu. Tout, absolument tout, son dernier costume, ses chaussures de luxe et ses trois dents en or.  En zozotant il a supplié qu’on lui laisse de quoi prendre un billet pour Saül, de quoi disparaitre de ces maudites tables de jeu. Il a juré sur la tête de sa mère qu’on ne le reverrait plus. Ta mère est morte, lui a dit Franck, elle aurait été vivante que tu l’aurais joué elle aussi! Je vous jure, je me casse, je prends un aller sans retour, je vais  noyer mon addiction dans la forêt primaire, implorait Tony. Ils ont cédé. Et Tony a pris le bimoteur pour Saül en chaussettes avec ses trois dents en moins. Saül, 80 habitants, au cœur de la forêt, uniquement accessible par les airs. Il n’était jamais aller là-bas. La première chose qu’il voit, c’est le minuscule casino au cœur du village. Vertiges, sueurs froides, démangeaisons, ça recommence. Heureusement c’était fermé, et bien fermé. Mais rien que ce mot, ça le chamboule, ça lui tord le ventre de désir, ça lui remue le bout des doigts. Alors il a pris ses jambes à son cou et a disparu dans la jungle. Le reverra-t-on un jour?

* Posts des 8 avril 2019  et 4 mars 2016

lundi 22 avril 2024


Les chiens errants

(Saint-Georges-de-l’Oyapock, Guyane, 24 mai 2023, 7h 10)

Six heures du matin à Saint-Georges-de-l’Oyapock, la brume libère les rues et les baraques, s’accroche encore au fleuve et aux grands bois. Le moteur de la première pirogue sonne l’Angelus.  En répons, un coq puis un enfant secoué. Le père est déjà saoul. Le rhum le ride et le déraisonne, il en a tant bu pour tenir tête. L’enfant se tait, c’est maintenant la mère qui chante et le père gémit. La mère chante pour l’enfant et pour le père, pour tous les enfants et pour tous les pères qui ne savent pas faire. Sa voix balance avec les palmes, va avec la brume, le long des rues, le long des lignes, le long des arbres, tape sur la tôle et les murs avec la lumière du matin.

S’avance alors une troupe de chiens errants, des chiens fauves, des chiens noirs, et des chiens blancs, ils encerclent la femme et l’enfant et leurs gorges accompagnent le chant de la consolation.

Nous étions hommes, nous étions orpailleurs, soldats, bucherons, ferronniers, nous avions des maitres, des colliers et des chaines, maintenant nous sommes morts. Nous sommes revenus chiens, chiens sans attaches, chiens libres de suivre qui nous voulons. Aujourd’hui nous sommes avec toi, femme de Saint-Georges! 

dimanche 21 avril 2024

samedi 20 avril 2024


Larguer les amarres

(Awala-Yalimapo, Guyane, 28 mai 2023, 13h 25)


Il attend la marée basse pour récupérer sa barque.

Ira-t-il pêcher toute la journée où larguera-t-il définitivement les amarres?

Il hésite…

vendredi 19 avril 2024


Ploc ploc

(Vaucresson, 18 janvier, 11h 35)

Il pleut. Depuis deux jours. Je ne dors pas. Ploc ploc, il y a une fuite quelque part. Je tourne et me retourne dans le lit. Ploc ploc. Et je me souviens de ce jour d’hiver à Natashquan. J’étais parti chasser à l’aube. La tempête m’avait surpris en plein bois à deux heures de la cabane. J’avais tourné en rond dans la mélasse. Ma chum s’était fait un sang d’encre. Après des heures j’ai retrouvé le chemin de chez nous. J’ai accroché mon manteau à la patère, et j’ai serré ma chum dans mes bras, longtemps. La neige sur le manteau fondait, ça faisait ploc ploc.

Ploc ploc….Maintenant je m’endors. 

jeudi 18 avril 2024


Cha va mieux

(Vaucresson, 17h 50)

Les chats errants du quartier apprécient notre jardin fleuri.

Notre voisin, le vétérinaire dit que leur prolifération est un problème.

Alors il met des pièges pour les capturer et les stériliser, des cages avec un appât et une trappe.

Ce matin j’ai trouvé au milieu des jacinthes et des tulipes un homme à tête de chat pris au piège.

Sa tête était coincé dans la cage, le corps bien trop gros pour y entrer.

Je l’ai aidé à se débarrasser de cet encombrant couvre-chef.

Il a ronronné et m’a dit : Cha va mieux, merci. 

mercredi 17 avril 2024


La rose des vents


 (Landévennec, Finistère, essais de projection des dessins d’A. Juliens sur les murs de l’ancienne abbaye pour le spectacle « Le Jour des Oiseaux », 1er septembre 2019, 22h 35)

Et la rose des vents se dressait dans la nuit
au dessus de nos cages
que trop longtemps nous avions cru fermées

mardi 16 avril 2024


Les artichauts

(Landévennec, Finistère, 3 septembre 2019, 6h 55)

Toute la journée il a désherbé les pieds d’artichaut.

Journée de vent, de grésil et d’arcs en ciel.

Journée de boue qui colle et de pluie qui claque.

Il est rentré fourbu, les ongles noirs et les doigts gourds.

D’un coup sec il a tiré les rideaux. 

Il s’est affalé sur son lit défait.

Il parle au fantôme de son chien.

Demain il faudra planter les patates et les tomates

Demain il faudra… Combien de temps vais-je tenir…

Il a à peine le temps de finir sa phrase qu’il s’endort.

Dehors le vent souffle des vagues sur les bâches.

La pluie redouble et les serres tremblent.

Le fantôme du chien court entre les lignes d’artichaut. 

lundi 15 avril 2024


Soie

(Arboretum de Chèvreloup, 21 mars, 16h 05)

C’était un roi ivre de débauche et de pouvoir  qui avait tissé une toile à la fragilité de ses humeurs, une toile effrayante mais pleine de trous qui rendaient insaisissable ce qu’il désirait le plus.

Il finit par s’y prendre les pieds et creva dans la soie. 

dimanche 14 avril 2024

 

Miniatures éphémères

(Vaucresson, 12 avril, 17h 35)


Sur les tulipes




samedi 13 avril 2024

 

Aux Marquises

(Poitiers, 31 mars, 17h 10)

Marin de pacotille, buveur invétéré, peintre du dimanche, estropié de l’amour, il dit à son chien qu’il reviendra couper le lierre et prolonger la fresque jusqu’aux îles Marquises.

vendredi 12 avril 2024

 

(Bois de Saint-Cucufa, Rueil-Malamison, 15h 35)

À la surface des choses

jeudi 11 avril 2024


Une autre voix

(Forêt de Rambouillet, 15 février, 15h)

Sur un sentier de sable blanc sous un chêne crochu il ne bougeait plus

Inquiet il avait fait demi tour au milieux des bois et revenait sur ses pas

Il avait perdu sa trace dissoute dans celles des autres hommes de la forêt

Il allait renoncer et s’écrouler de désespoir au pied du tronc rugueux

Quand il se dit pourquoi ne pas suivre d’autres traces que les miennes

Il reprit son chemin d’un pas plus leste chantant d’une autre voix que la sienne 

mercredi 10 avril 2024


Araignée crabe et Bourdon sur Lilas blanc

(Vaucresson, 8 avril, 15h 10)

Araignée crabe et Bourdon sur Lilas blanc

La Thomise variable ne lâche pas sa proie

Et le lilas sent si bon sous le soleil 

mardi 9 avril 2024


Une île

(Vaucresson, 18h 40)

Après l’averse, un rayon de soleil dans le jardin, le temps de sauter par la fenêtre, s’assoir à la table, et écrire l’histoire d’un temps de déluge où à la moindre éclaircie tous les voisins s’envolaient de chez eux pour se retrouver dans l’un des derniers jardins devenu une île.

dimanche 7 avril 2024

 

Miniatures éphémères

(Forêt de Rambouillet, 15 février, 14h 55)

Perplexité

samedi 6 avril 2024


Un vieil ami 

(Verger des Gallicourts, Rueil-Malmaison, 15h 20)

Il y a des arbres que l’on vient voir comme on rend visite à de vieux amis.

vendredi 5 avril 2024


Technicolor

(Burano, Italie, 24 janvier 2018, 14h 50)

Ce n’était pas sa coiffeuse habituelle.

Elle lui a fait un chignon années 60.

Alors quand elle est rentrée, il a dit:

Puisque c’est comme ça il nous faut du Technicolor,

une voiture rouge et tailler la route en Italie.

Leur voiture était bleue mais il y avait Pierrot le Fou à la télé.

Alors il a dit: On va regarder, on partira après. 

jeudi 4 avril 2024


Parce que nous sommes des hommes

(Poitiers,Vienne, 31 mars,17h 40)

Un père et son fils. Le petit commence tout juste à savoir lire. Ils viennent voir les chevaux dans la prairie au bord du Clain. L’enfant lit à haute voix la pancarte accrochée à la clôture: Ne pas nourrir les chevaux. Ça leur fait mal au ventre, dit le père, ils ont de l’herbe et du foin, ils n’ont pas besoin de pain dur. La prairie est à moitié inondée, les chevaux sont loin, en haut du champ. Quelques canards viennent se poser sur la marre. Le père et le fils suivent la route étroite entre les prés et la rivière en crue. L’eau est passée en dessous, seule une petite portion de route est impraticable.

Le paysage est chamboulé par la crue et les giboulées, les berges sont méconnaissables, l’eau est boueuse. Le père et le fils sont silencieux, un oiseau chante, l’orage n’est pas loin. Le père pense à l’Ukraine, à Gaza. Soudain le fils demande: Papa, pourquoi il y a toujours une guerre quelque part? Le père regarde son fils. Il est pourtant sûr de ne pas avoir pensé à haute voix. Il ne sait pas quoi dire. Ils se sont arrêtés. Le vent forcit, l’orage est plus près. Après un long silence, le père répond: Peut-être parce que nous sommes des hommes…

mercredi 3 avril 2024


Défi

(Poitiers, 31 mars, 16h 20)

On ne peut pas dire qu’il ait rangé la cabane, mais il a sorti les chaises et donné un coup de balai. Antoine ne passera pas le week-end de Pâques seul. Avec ses neveux, Chris et Zacharie, ils boiront des bières, regarderont couler le Clain en taquinant le goujon.

Ben non, ça ne c’est pas passé comme ça. Il a plu comme vache qui pisse, le Clain déborde et la cabane a les pieds mouillés.

La rivière est nerveuse, les deux mômes sentent l’orage, ça les excite, ça leur donne des airs de petits mecs qui en ont dans la culotte. 

Chris et Zacharie ont laissé tonton en plan. Ils sont allés à la passerelle pour plonger à poil dans l’eau glacée. Plonger chacun à son tour tandis que l’autre filme avec son portable. L’eau est profonde et le courant violent, ça, c’est du défi.

Antoine n’aime pas trop. Il a la trouille. Mais bon, c’est balaise quand même. Elle ne doit pas faire plus de sept degré la flotte.

Alors tonton Antoine a glandé toute l’après-midi à se faire du mouron pour ces deux salopiots d’ados. Et quand ils sont rentrés, frigorifiés, le poil encore humide, quand ils lui ont montré les vidéos où on les voit en slip sauter du haut de la passerelle dans le Clain bouillonnant, la quantité de like sur leur compte TikTok, Antoine à fait: Ouais, quand même! 

mardi 2 avril 2024


Démons

(Poitiers,Vienne, 31 mars, 17h10)

À l’ancienne station d’épuration

Il y a un banc

Pour les rendez-vous

Avec ses démons 

lundi 1 avril 2024


Le merle

Kazuo-Ōno 

(Buxerolles, 8h 20)

Un merle noir dans le poirier en fleur
Son œil noir cerclé de jaune, son bec jaune

Merle merle joyeux merle

Une comptine que nous chantions à nos enfants

Maintenant à notre petit fils

Nous regardons l’oiseau par la fenêtre

Il se cache, fait des manières, joue du dos et des ailes

Soudain une pose, dos rond, aile en éventail

Serait-ce une réincarnation de Kazuo-Ōno

En 1980 je l’ai vu danser à Nancy

Un immense danseur de Butô

Pour un hommage à La Argentina

Une autre grande figure de la danse

J’étais un tout jeune acteur

Kazuo-Ōno avait passé les 70 ans

J’apprenais en regardant

Le merle s’envole

J’esquisse un pas de danse, une arabesque

Notre petit fils se marre


dimanche 31 mars 2024


Miniatures éphémères

(Hendaye, 26 mars, 17h 30)

L’homme sans passé 

samedi 30 mars 2024


Aiguilles et fleurs

(Buxerolles, Vienne, 17h 50)

Deux grands arbres s’inclinent

Devant la maison du prince

Un pin maritime et un cerisier 

Leurs branches se mêlent

Aiguilles et fleurs 

Pour tricoter la vie 

vendredi 29 mars 2024


Le job*

(Île Seguin, Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine, 28 mars, 22h 20)

Le vieux rocker a fait le job. À 77 ans la voix est toujours là. Faut pas trop parler, c’est tout. Chanter, chanter Les Mains d’or,  Traffic, On the Road Again, Betty… Il a même serré quelques pinces qui se tendaient vers la scène. Elle aurait aimé être au premier rang, Nadine, voir le visage de son idole, voir ses larmes quand il chante Betty, et pourquoi pas prendre sa main. Mais elle était tout en haut, dans une salle de plus de 6000 places, elle ne voyait que ses cheveux blancs. De là haut tout semblait figé, autant écouter un disque. Pourtant elle y était. Elle a chanté  Les Mains d’Or reprise par toute la salle. Mais rien à faire, quand tu es tout au fond, ça ne t’enveloppe pas, ça ne vibre pas. Elle l’a payée chère sa place, c’était la sortie de l’année, elle s’est serrée la ceinture, elle en rêvait, ce gars là, il sait parler aux travailleurs. Un rappel, pas plus. C’est déjà pas mal après deux heures de concert. Elle est déçue, mais bon, elle y était.

À la fin elle a longtemps attendu que la foule s’écoule de la salle, jusqu’aux parkings, jusqu’à la bouche de métro. La salle est sur une île reliée à la ville par des passerelles. Quand elle est sortie, il n’y avait plus grand monde sur les passerelles. Elle s’est arrêtée en plein milieu. Elle a regardé la nuit, la grande salle qui s’avance comme un paquebot, un paquebot qui quitte un port d’Amérique du sud, avec à son bord un marin tatoué à la voix de velours, un gars qui lui a dit dans le creux de l’oreille qu’il reviendra un jour la chercher.

Ouais, le vieux rocker a fait le job. Ce gars là, il sait parler aux rêveurs aux mains usées.


* Concert de Bernard Lavilliers  à La Seine Musicale le 28/03. 

jeudi 28 mars 2024


Graines

(Hendaye, 26 mars, 17h 50)

Ils viennent de passer la frontière en douce, deux amis qui taillent la route depuis six mois, deux amis qui ont toujours fait face ensemble, deux amis nés à quelques jours d’intervalle, deux amis qui se sont fait la promesse de s’offrir la Tour Eiffel pour leur dix huit ans.

Ils se reposent au pied d’un palmier. L’arbre héberge à sa tête quelques fougères. Palmes et feuilles cohabitent, jouent avec le vent et la lumière.  Leur union apaise les deux amis. Ils se voient graines portés par le vent du sud jusqu’au sommet de la Tour Eiffel.

Si ce n’était les deux policiers qui viennent les contrôler, et leur demandent de les suivre. 

mercredi 27 mars 2024


Visite

(Hendaye, 26 mars, 18h 15)

La mer a l’œil noir.

Un cumulonimbus menace.

Loin, très loin.

Ce sera pour les hommes de pleine mer.

Quatre nuages plats rodent

Comme des soucoupes volantes.

Viendront-il un jour nous rendre visite

D’au-delà des mers, d’au delà de la terre

Ceux que nous représentons souvent de façon extravagante,

Grosse tête, grands yeux, doigts en spatule?

Existent-ils? À quoi ressemblent-ils?

Que diraient-ils de ces portraits fantasmés?

Que diraient-ils de nous? 

mardi 26 mars 2024


Chanson de marin

(Hendaye, 24 mars, 23h 12)

Sous une lune pleine enrobée de coton, un père berce son enfant. Il chante une chanson de marin. Une chanson qui dit les mères qui attendent, qui dit l’absence quand l’enfant tombe, qui dit la tempête et le soleil qui se lève sur l’océan assagi, qui dit le sel corrosif et l’amour qui résiste, qui dit la solitude et la fraternité. Les bras puissants du père sont la coque d’un navire. La mer est calme. L’enfant s’endort. La voix du père devient murmure, léger clapot contre les flancs du bateau. Il dépose l’enfant dans son lit, le borde, puis se retire sur la pointe des pieds.

Demain, il partira à l’aube. 

lundi 25 mars 2024


Couleurs

(Hendaye, 24 mars, 19h)

Au sortir de l’hiver

Un fort désir de couleurs 

dimanche 24 mars 2024


Miniatures éphémères

(Vaucresson, 22 mars, 9h 55)

Printemps suspendu 

samedi 23 mars 2024


Sur le parking désert de la gare de Limoges


(Limoges,  Haute-Vienne,12h 55)


Sur le  parking  désert de la gare de  Limoges un gars qui a bu parle à une pendule.

Il dit que c’est trop tard, il aurait pas du, c’est comme ça, ce qui est fait est fait, faut bien qu’il y en ait des comme lui, des qui ont la chance planquée au fond d’un trou, qui tiendront jamais debout quand il fait beau, des qui ont la langue accrochée à l’enfance, écorchée à l’enfance, qui ont les oreilles qui bourdonnent, des qui reniflent, et  qui ont le cœur jamais à l’heure. Faut bien qu’il y en ait pour dire aux mômes faut pas virer pareil, pour que celui qui est bien coiffé se dise comme ça va bien, faut bien qu’il y en ait pour les bonnes sœurs, pour les bon cœurs, pour les bavards, faut bien qu’il y en ait. C’est comme ça, c’est pas si pire, on est pareil toi et moi, on fait tic tac, on se répète, on sonne, on claironne et on nous regarde, de loin. On est à notre place.

 

vendredi 22 mars 2024


Fricassée d'escargots

(Vaucresson, 9h 45)

Un bouquet sur la table serait du plus belle effet.

Il est descendu au jardin cueillir des jonquilles pour ses invités.

Mais les escargots ont bouffé toutes les fleurs.

Alors il a ramassé les escargots.

Une fricassée d’escargots en persillade sera du plus belle effet. 

jeudi 21 mars 2024


Un vieil arbre noueux

(Arboretum de Chèvreloup, 15h 45)

Nous allons à Chèvreloup voir le vieux cerisier du japon en fleurs.

Nous allons à Chèvreloup comme à Hendaye  nous allons au bout de la digue, comme à Travaillan nous allons à l’Aygues, comme à Saint-Laurent-du-Maroni nous allons au débarcadère.

Nous allons vérifier l’état du monde, nous allons nous confier, nous allons éprouver notre amour aux branches fleuries, aux eaux vives, au soleil couchant.

Aujourd’hui à Chèvreloup le vieux cerisier croule sous les fleurs blanches. C’est la star du parc, on s’attroupe autour de lui, on le photographie, on irait presque lui demander un autographe tandis qu’il vous prend dans ses bras.

Alors nous nous éloignons, nous préférons la seule compagnie des arbres. Nous allons dans l’herbe spongieuse, il a tant plu ces derniers jours, nous allons vers des bosquets délaissés, les repères des bêtes et les nids à insectes.

Nous découvrons là un vieil arbre noueux, un géant hirsute avec l’humanité accrochée à son pied.Il semble avoir tout vu, tout entendu. Il nous regarde. Nous prenons notre temps. La beauté est là, dans ses branches cassées et son écorce boursoufflée. 

mercredi 20 mars 2024


Le grand arbre de la cour du Musée de la Vie Romantique

(Paris 9ième, 16 mars, 20h)

Cet hiver, le grand arbre de la cour du musée de la Vie Romantique a été élagué, son feuillage sera plus discret.

Aujourd’hui, c’est le printemps. Il fait nuit, le musée est fermé. Caroline a vu Jean fermer les portes et s’en aller. Il reviendra demain. Le musée ouvre à 10h. Juste avant d’éteindre la lumière, Caroline regarde la cour pavée où vont et viennent les ombres des amours d’antan.

Aux beaux jours, Georges Sand, Chopin, Sarah Bernard, Lamartine, Ary Scheffer, et bien d’autres sortiront la nuit réveiller leurs passions.

Cet été, Caroline sera aux premières loges. 

mardi 19 mars 2024


Une joyeuse conversation

(Forêt de Rambouillet, 17 février, 14h 50)

Au bord de l’étang l'ermite converse

Avec sa figure brouillée dans les nuages

Des poissons  volent de branche en branche

Des oiseaux et des avions  se croisent au fond de l’eau

lundi 18 mars 2024


Laisse venir la nuit

Une histoire d'Arthur et le Vieux 

(Dicy, Yonne, 10 mars, 19h 25)

Arthur et le Vieux sont montés sur la colline regarder se coucher le soleil.

Le ciel est clair, frangé de gris au nord tandis que du sud s’avance à fleur d’horizon un long et fin nuage noir.

Le soleil roule sur sur cette bande, se faufile derrière, et réapparait, cercle parfait entre le nuage et la terre.

Arthur tient fort la main du Vieux. Il voudrait saisir ce ballon rouge coincé une seconde à peine comme dans le bec d’un oiseau. Il n’en a jamais vu d’aussi gros, d’aussi beau. Et les ballons, ça le connait. On le croirait né avec un ballon dans les bras. Il me semblait bien qu’on jouait à la balle dans mon ventre, disait sa mère en riant, chaque matin ça shootait et dribblait en dedans.

Aux premier pas il tirait juste aussi bien du pied droit que du pied gauche. Foot, basket, rugby, buts, paniers ou poteaux, il passait des heures au terrain communal, il ne lâchait pas les grands d’une semelle. À trois ans il s’était déjà fait un nom.

Le nuage s’effiloche, l’oiseau relâche son étreinte, le ballon tombe et la terre sombre l’avale.

Le Vieux sent la main d’Arthur serrer un peu plus fort, un serrement de chagrin qu’on ne veut pas montrer, quand il ne reste dans le ciel que la trace rouge du désir du plus beau ballon du monde.

Alors le Vieux parle.

Laisse filer le soleil Arthur, il reviendra demain. Laisse venir la nuit, la nuit et ses trésors. Les arbres qui dansent, la chouette qui appelle et le chevreuil qui aboie. Tu entends les herbes qui bruissent? C’est la peur qui s’enfuie. Sens nos mains l’une dans l’autre comme elle se réchauffent. Regarde là haut, l’étoile polaire, c’est la première. Les autres vont venir, sans bruit, une à une. Puis ce sera  la grande ourse, le dragon, le petit lion… D’autres constellations à inventer dans un ciel bleu nuit bien plus grand que tous les terrains de foot du monde réunis.

Ecoute la terre qui frissonne et le ciel qui veille en silence. Vois la lune qui ce soir se repose sur le dos, la lune qui ne s’en fait pas, grosse une nuit, si fine une autre nuit. Regarde comme on est si petit et si grand en même temps, les pieds dans l’herbe humide qui chatouille, les cheveux qui s’accrochent aux étoiles.

Arthur regarde le Vieux. Il aime bien écouter le Vieux. Mais bon, peut-être qu’il faudrait se taire pour entendre la terre frémir. Et le Vieux il n’a plus beaucoup de cheveux pour s’accrocher aux étoiles, alors que lui il en a plein.

dimanche 17 mars 2024

samedi 16 mars 2024


Un clown

(Forêt communale de Saint-Roman-de-Malegarde, 13 mars, 16h 45)

Il avait un air patibulaire, le nez rouge, la casquette en arrière, une casquette Ricard, jaune et crasseuse, le fusil à l’épaule. Il m’a fait: Chut… Regarde le lièvre, là-bas, sous l’arbre mort, il sait que je fais semblant… Le fusil, c’est pour le look, comme la casquette… les Lapins et les oiseaux, ils le savent… Il n’est même pas chargé. J’aime bien le tenir, c’est tout. Tiens, essaye, prend le, comme ça,  fronce les sourcils, oui, c’est bien, t’as l’air d’un dur, mais c’est que pour les autres au village, les bêtes, elles, elles savent bien…

Les pins bruissaient dans le vent, ça sentait le thym et l’homme souriait, un drôle de sourire avec des dents en moins et un œil qui papillonne.

Il a rajouté: Je suis clown, ne le répète à personne… 

vendredi 15 mars 2024


Printemps précoce

(Piéride du navet sur la Crépide de Nîme, Travaillan, 13 mars, 12h 45)

Printemps précoce

Deux Piérides intrépides

Copulent sur la Crépide 

jeudi 14 mars 2024


Peau de zèbre

(Camaret-sur-Aigues, 18h 55)

L’air embaume de la Fausse Roquette qui blanchit les vignes.

Sophie, 15 ans, file sur son vélo route des Grands Prés.

Toutes ces fleurs blanches entre les lignes noires de la vigne, ce doit être beau de là haut, une peau de zèbre.

Elle accélère. S’en aller avec Aldo sur le dos d’un zèbre. 

Ce sera pour un autre jour. Elle a les joues en feu. Il faut qu’elle rentre avant la nuit. 

Son père n’est ni un poète ni un rigolo. 

mercredi 13 mars 2024


Ex fan des sixties

Petite baby doll...

(Forêt communale de Saint-Roman-de-Malegarde, Vaucluse, 18h)

Dans un ravin

Une DS enroulée autour d’un pin

Tôle rouillée prise dans le bois

Incrustée dans l’écorce

Une chanson de Serge Gainsbourg*


(Ex fan des sixties, chanson de Jane Birkin, Paroles et musique Serge Gainsbourg)