dimanche 31 décembre 2017

samedi 30 décembre 2017


Noël


(Travaillan, Vaucluse, 28 décembre)

La dernière fois que Basile a regardé par la fenêtre, c’était  il y a trois jours. Martine, l’aide à domicile, venait de partir en congé pour les fêtes. Il faisait beau. La lumière ourlait de blanc le bois des vignes, les cyprès se tenaient droit, les nuages s’attardaient. Sur les lignes à haute tension, les balises brillaient.
Basile tourne le dos à la fenêtre, il regarde sa vieille épouse affalée sur le canapé devant la télé. Dans la pièce sombre aucune guirlande, pas de sapin, rien; un feu dans la cheminée, le canapé et la télé, éteinte.
Il remet une bûche dans le feu, il s’assoit aux côtés de Blanche.
Sur le vieux buffet il y a quelques santons sur du papier de soie, un Jésus sans tête, le bétail et  les rois mages couchés dans une boite de carton. Depuis une semaine, plusieurs fois par jour Blanche range la crèche pour la réinstaller quelques instants plus tard. Elle ne sait plus trop où elle en est, qui va venir, s’il faut préparer quelque chose. Basile a renoncé à lui répéter que personne ne viendra, que Noël était hier, qu’on est en 2017, bientôt en 2018 et que le frigo est plein des plats préparés par Martine. Il a renoncé à tant d’autres choses.
Basile prend la main de Blanche. Elle chantonne, des chants de Noël. C’est tout ce qui surnage dans sa mémoire recouverte par les sables, des chants, toutes sortes de chants.
Basile ferme les yeux en se demandant jusqu’à quand il aura la force de regarder vieillir sa Blanche.

vendredi 29 décembre 2017




(Mousseaux-sur-Seine, Yvelines, 15 octobre)

Dans un arbre mort
Un nid de frelon
Le monde s’agite

jeudi 28 décembre 2017


Il savait qu'il avait marché longtemps


(Cloître de la basilique San-Giovanni, Rome, 10 avril)

Il ne souvenait que de la maison de son enfance, un lit de bois dans un coin, un édredon rouge, les aspérités du mur qu’il caressait lorsqu’il ne pouvait dormir, les épines de l’acacia du jardin, et l’oeil de verre que sa grand mère portait en pendentif.
Il savait qu’il avait marché longtemps, qu’il avait plu puis fait soleil, un soleil brulant. II avait eu soif, il avait eu peur, il y avait eu les vagues, il y avait eu la neige et puis plus rien.

mercredi 27 décembre 2017


Une vieille dame


(Hendaye, 25 décembre)

Une vieille dame marche au bord de l’eau. Elle est nus pieds, le pantalon relevé. Sa peau est blanche tachetée de brun. Quand une vague un peu plus grosse l’éclabousse, elle frissonne de plaisir. L’eau est froide. Elle s’arrête, regarde au loin, regarde le ciel, et sautille en riant comme si elle voulait rattraper ses ailes.

mardi 26 décembre 2017


Générations


(Hendaye, 24 décembre)

Après un dernier adieux à mon père au large d’Hendaye, je suis saisi par la beauté du paysage. Jamais je ne l’avais vu sous cet angle. Me vient l’image de mon fils enfant jouant dans sa chambre avec un château fort de carton.

lundi 25 décembre 2017


Quelques traces dans le ciel


(Hendaye, 24 décembre)

Dimanche 24 décembre 10h30. Port de Hendaye. 
Mer belle, Vent d’est 1 à 2 Beaufort, température extérieur 9°.
Nous prenons la mer pour y disperser les cendres de mon père.
Quelques traces dans le ciel.

dimanche 24 décembre 2017

samedi 23 décembre 2017



Un bateau posé sur les herbes


(Pointe d'Agon, Manche, 23 novembre)

Dans un bateau posé sur les herbes, un enfant dormait les poings serrés.
Quand le vent du désert s’est levé, l’enfant a ouvert les yeux.
L’embarcation s’est envolée, elle s’est envolée si haut qu’on eût dit un oiseau.
L’enfant a desserré les poings, il  a regardé en bas, de Dakar à  Cayenne, il a regardé la mer, les montagnes et les routes.
Il a fait trois fois le tour de la terre avant de se poser dans un jardin au pied d’un érable rouge. L’enfant n’était plus un enfant, une femme aux yeux bleus l’attendait.
Assise dans une chaise longue, elle lisait un livre qui parlait d’un homme sans nom.

vendredi 22 décembre 2017


Papiers déchirés


(Paris,  Rue des Quatre Fils, 3ième)

J’étais parti en ville acheter quelques cadeaux, participer à cette belle fête consumériste. Hélas, aucune guirlande, aucune vitrine, ne trouvait grâce à mes yeux. Je n’avais d’attention que pour les murs décrépis, les papiers déchirés et les visages défaits accrochés au bords des trottoirs.

jeudi 21 décembre 2017


Remonter la pente


(Tulle, 18 décembre)

Un chat qui miaule, une initiale sur un mur, un visage dans une tache, un reflet sur le métal, il lui faut s’accrocher au moindre détail pour remonter la pente.

mercredi 20 décembre 2017


Mon petit amour


(Uzerche, Corrèze)

Il est huit heures. Un homme avec de grands yeux, un petit chapeau sur la tête, un petit manteau sur le dos, un petit cadeau dans la main attend le train de huit heures vingt. Il fait froid. Il n’y a personne. Il frissonne un peu, piétine un peu, chantonne un peu, trottine un peu, tremblote un peu mais tient fermement son petit cadeau. Elle pourrait s’appeler Éliette, Élise, Élisabeth ou Éléonore, il l’appelle juste mon petit amour. Sera-t-elle là pour l’accueillir, à l’autre bout?

mardi 19 décembre 2017


C'est bien de partir


(Tulle, 18 décembre)

Longtemps, Monsieur Pierre est resté à la fenêtre. Il a regardé tomber la pluie, il a regardé le vent pousser les nuages, il a regardé le soleil allumer le mur. Il s’est dit alors qu’il était temps de partir. Il s’est dirigé vers la sortie. Oooh! ils ont oublié de fermer la porte à clé aujourd’hui. Il a descendu les escaliers, il a pris la rue de l’Abbé Lair, il a salué les jeunes gens qui sortaient du collège, puis il s’est arrêté près d’un carré d’herbe pour souffler un peu. Il s’est vu alors tout petit, si petit, dans une goutte de pluie, au bout d’une branche. Il s’est dit : c’est bien de partir.

lundi 18 décembre 2017


Le pompon


(Tulle, 16 décembre) 

Dom s’est glissé  sous la bâche de plastique transparente, il a posé son sac à dos sur le siège du vaisseau spatial, puis s’est allongé aux pieds de Mickey. Il y a  la place pour son grand corps fatigué, il faudra  juste qu’il replie les jambes. Ici il aura moins froid, on ne le verra pas.
Il se souvient du manège où sa grand-mère l’emmenait enfant. Il n’y avait que des avions, des camions, des autos et des motos. C’était le camion de pompier qu’il préférait. Le patron, un homme chauve, avec les sourcils qui se rejoignent, lui faisait un peu peur. L’homme riait aux éclats lorsqu’il balançait le pompon. Jamais Dom n’avait pu l’attraper, jamais.
Au moment de s’endormir, Dom sent quelque chose sous sa main. C’est le pompon qui s’est décroché et qui est resté là au sol. Dom le prend, le regarde, le sert contre lui, et s’endort en se disant que la chance va peut-être tourner.

dimanche 17 décembre 2017


Miniatures éphémères
Merveille du Pérou


(Travaillan, Vaucluse, 21 Juillet)

La joie d’ouvrir un livre au crépuscule quand s’ouvre la Belle de nuit (ou Merveille du Pérou), et de le refermer au matin après en avoir extrait le suc.

samedi 16 décembre 2017


Pour un amour


 (Étang de Sainte Perine, Forêt de Compiegne, Oise, 23 août)

 À l’étranger, elle demande: Tu es venu ici pour un amour? Il répond: Je suis venu au monde pour un amour.

vendredi 15 décembre 2017


Un balcon


 (Tulle, minuit)

Ce soir il n’y a rien d’autre à voir qu’un balcon amarré aux flancs du théâtre où j’attends que tu paraisses pour voguer jusqu’à moi.

jeudi 14 décembre 2017


La gaieté des gouttes de pluie


(Tulle, Corrèze)

Par la fenêtre du théâtre, un calendrier de l’après. Par les volets ouverts, les questions fondent dans la bouche comme un chocolat parfumé. La mort, la peur, la confiance. Faire confiance, se réconcilier avec l’humanité pour se réconcilier avec la mort. Seul, oui, mais avec les autres, tous, vivants et morts.
Sur le toit du théâtre la pluie tombe drue, une pluie tropicale qui couvre les voix, une pluie qui heurte l’ardoise avec une telle violence qu’elle pourrait effrayer, faire songer au naufrage, et pourtant je l’aime sans réserve cette pluie qui me porte aux confins des grands fleuves.
Et si c’était cela le chant de la faucheuse, la gaieté des gouttes de pluie?

mercredi 13 décembre 2017


Un Projet


(Paon du jour sur Budleia, Balloy, Seine et Marne, 24 août)

Me voilà à Tulle, comme à  Uzerche il y a  trois mois, sur les traces d’anciens spectacles qui me donnèrent la force, en route pour une aventure où temps et âge seraient abolis; il y sera question des maisons des vieux, de la mort, de l’institution, de ce qui se fait et ne se fait pas, de qui se dit et ne se dit pas. Je serai Monsieur Pierre, le vieux à la mémoire éclatée qui scintille comme un arbre de Noël, il y aura Coralie qui prend soin de Monsieur Pierre et des autres, qui a beaucoup, beaucoup de travail, il y aura Aristide qui veille sur la maison, Aristide qui vient du Burkina Faso, où ça ne se passe pas du tout, mais alors pas du tout comme ça, et Monsieur Stéphane qui vient pour le théâtre, pour les mots, pour écouter et jouer aux cowboys avec Monsieur Pierre.
Et puis Marie-Pierre, Pierre, Philippe et Joao pour accompagner nos facéties. Nous parlons, nous jouons; nous écoutons les vieux, les aides soignantes. Il ne s’agit pas là que de théâtre. J’ai parfois la sensation de me préparer en bonne compagnie pour l’après. Où bien s’agit-il là de ce qu’est le théâtre, dans son origine, au plus près de nos questions. Nous tâcherons d’être aussi légers que le paon du jour pour porter nos existences.
Au cours d’une de ces nombreuses conversations, Aristide nous dit un jour: « Chez nous, on dit que vieillir est un projet »
La nuit sera douce.

mardi 12 décembre 2017


Le lobe


(Tulle, Corrèze) 

Il avait suffi d’une lettre en moins et d’un verre de trop pour qu’il fasse demi tour et parcourt sept cent kilomètres pour lui mordiller l’oreille.

lundi 11 décembre 2017


Trois indiens


(Tulle, Corrèze)

A minuit j’étais encore à la fenêtre cherchant une histoire avec quelques lumignons, des hauts talons et un gangster quand j’aperçus sur l’eau verte trois indiens dans un canoë chuchotant comme trois enfants qui s’apprêtent à jouer un mauvais tour. Je sus alors que j’étais à la maison.

dimanche 10 décembre 2017


Miniatures éphémères
Anémones


À la brutalité des hommes, je préfère la douceur des anémones.

samedi 9 décembre 2017


"On est bien peu de chose..."


(Vaucresson)

Il s’appelle Henri, 
il n’y a personne pour prononcer son nom,
recroquevillé sous de sales couvertures 
il s’endort sur un trottoir
à quelques pas des Champs Elysées
en murmurant une chanson de Françoise Hardy.
Il s’endort, pour ne plus se réveiller.

vendredi 8 décembre 2017


Paysan


(Normandie, sur l’A84 entre Avranches et Villedieu-les-Poêles, 20 novembre)

Parcourant la campagne avant l’hiver, souvent, je vois ces hommes seuls qui marchent à pas lents sur leur terre. Ils ont garé leur fourgonnette blanche, sale, en bordure du champ. Ils portent des bottes de caoutchouc, des combinaisons vertes et parfois tiennent un bâton. Ils observent le terrain, s’agenouillent, ramassent une poignée de terre, ils vont sur un autre rythme que les voitures qui filent sur la route.
Je pense à Joseph. Lui ne possédait pas sa terre. La ferme se trouvait dans un petit village d’Ariège. Joseph n’a jamais porté de combinaison de travail, il était vêtu d’un maillot de corps, une chemise à carreaux en flanelle, une veste bleu-gris délavée, et un béret noir. Il n’y a que les dimanches où il était vêtu différemment.  Quand il trayait les vaches, à la main, il chaussait des sabots de bois avant  d’entrer dans l’étable. Les seules concessions qu’il fit à la modernité furent une voiture, un pick-up 203 qu’il gardera toute sa vie, et un tracteur. Quand on l’interrogeait sur sa façon de faire, il disait je fais comme ça parce que mon père faisait comme ça.
Avec sa femme Alice, ils n’ont pas eu d’enfant. La ferme a tout simplement cessé de vivre, comme beaucoup. Le village est maintenant un village sans bouse sur les routes, sans mouches, sans poules, sans chiens errants.

jeudi 7 décembre 2017


Kogarashi, karõshi, komorebi


(Paris, 18ième)

Kogarashi, karõshi, komorebi, ces trois mots tournent en boucle dans la tête de Catherine. Depuis huit heures ce soir, elle va de la chambre à la fenêtre de l’entrée, de la fenêtre à la chambre, de la chambre à la fenêtre… On parlait à la radio de ces mots japonais qui n’existent pas ici. Kogarashi pour dire le vent froid qui annonce l’arrivée de l’hiver, karõshi pour dire la mort subite par surcharge de travail, komorebi pour dire la lumière du soleil qui passe entre les feuilles.
Il est onze heures et Colin n’est toujours pas rentré du bureau. Catherine va et vient. Kogarashi, Karõshi, komorebi… elle s’arrête à la fenêtre et se concentre sur le dernier mot, la lumière du soleil qui passe entre les feuilles.

mercredi 6 décembre 2017


Il serait peut-être temps


(Granville, Manche, 21 novembre)

Il y avait  une île où l’on se disait que l’on irait un jour. Les jours passent, on se le dit toujours, on n’y est jamais allé. Les jours passent, les noms de ceux qui ont rythmé notre temps, qu’on les aime ou non, font de plus en plus souvent la une des journaux. Il serait peut-être temps de prendre la mer.

mardi 5 décembre 2017


Une journée dans l'Oise


(Potager du Roi, Versailles, 20 octobre)

La route est boueuse, le ciel terne, la terre nue. Les quelques feuilles qui pendent  encore aux branches sont racornies, la rivière est figée dans la brume. Je traverse des villages déserts où des panneaux «à vendre» sont accrochés aux portes de maisons froides, où les derniers commerces ont baissé leurs rideaux de fer.
Et puis je joue dans une petite école où tout le monde est réuni, du plus petit au plus grand. Les joues sont rouges, les yeux brillent, il y a des rires et des soupirs.
Et puis il y a deux mésanges dans un arbuste qui picorent une boule de graisse placée là par une personne attentionnée.
Et puis il y a le papier peint toile de Jouy au mur de la chambre d’hôtel. Le même papier qui couvrait les murs du salon de cette grande maison dans la montagne où j’ai tant appris.
Il y avait une terrasse ombragée à l’arrière de la maison où l’on venait en été discrètement faire sa toilette dans des tubs de zinc. La vision de la femme que j’aime, dans l’encadrement de la porte  vitrée qui donnait sur la terrasse, sa peau blanche, le vert sombre des arbres, ses gestes d’une grâce infinie, l’eau qui coule, cette image est imprimée à jamais.
Et puis il y a sa voix, au téléphone. Elle me parle du manteau qu'elle coud, un manteau de toutes les couleurs.

lundi 4 décembre 2017



S'en remettre aux autres


(Port Racine, Manche, 22 novembre) 

C’est à Port Racine, le plus petit port de France dit-on. Isidore a rangé ses filets, ses nuits de veille, ses aurores, ses tempêtes, quelques baleines, son sextant, et ses flotteurs puis il a fermé la porte à clé. Il s’est assis sur le banc de bois, dos à la mer, contre la pierre froide, à bout de force. Il a regardé les barques échouées dans l’enceinte du port, les guindes tendues d’une digue à l’autre, les crabes qui couraient sur la vase.
Puis il est parti vers l’intérieur des terres, à pas lent, il est parti s’en remettre aux autres.

dimanche 3 décembre 2017

Miniatures éphémères
Lui parler encore


(Vaucresson, 22 octobre)

Au premier jour, il est venu avec un bouquet de  Lisianthus.
Ce fut un amour sans hiver, jusqu’à ce jour de décembre où il s’en est allé sans un bruit.
Ce jour là, il neigea sans discontinuer.
Il lui suffit maintenant  d’un rayon de soleil et de quelques fleurs pour lui parler encore.

samedi 2 décembre 2017


La route, toujours...


(Pointe d'Agon, Manche, 23 novembre)

 Je suis là, hors champ, immobile. C’est tout.

vendredi 1 décembre 2017


Première neige


(Barc, Eure)

Première neige ce matin en Normandie.
Je roule ma bosse comme le môme roule la neige. Il fabriquera son bonhomme, le fera rire ou pleurer, à sa guise, lui parlera, dansera autour, puis le verra fondre. Il n’en restera qu’une flaque, un reflet peut-être, puis plus rien.

jeudi 30 novembre 2017


La feuille


(Vaucresson, 19 novembre) 

Elle se ternira, se recroquevillera, se désagrégera puis disparaîtra. Mais à l’instant de sa chute, elle est la plus belle.

mercredi 29 novembre 2017


Ils passeront


(Granville, Manche, 21 novembre)

Ils gisent sur les rochers noirs, le corps offert aux oiseaux,
bras, mains et jambes ouverts de s‘être tant battus,
un peu de sable, quelques algues dans les cheveux,
les habits en lambeaux sur la peau gonflée.
Ils ont fui le feu par la mer, ils se sont heurtés à la pierre,
aux remparts érigés par leurs frères inquiets.
La marée pousse les corps aux falaises,
entasse contre la roche  la chair morte,
l’entasse jusqu’au faîte des murs.
Les derniers venus prendront appui sur les morts.
Ils passeront, malgré la pierre, malgré la peur,
ils passeront, c’est ainsi.

mardi 28 novembre 2017


Aller au bout


(Granville, Manche, 21 novembre)

Au bout des mondes, au bout des rêves, il y aura toujours quelqu'un à qui parler.

lundi 27 novembre 2017


Un Accroc


(Denneville, Manche, 23 novembre)

La première fois qu’il la vit, elle avait un accroc à sa robe qui laissait voir un bout de peau, un accroc dans le bas du dos. Il s’en souviendra toute sa vie.

dimanche 26 novembre 2017


Miniatures éphémères
_


 (Vaucresson, 19 novembre)

 Ce matin, une petite goutte de rosée m'a offert sa jeunesse.
(Jean-Marie Kerwich, L'ange qui boite, ed. Le temps qu'il fait)

samedi 25 novembre 2017


Black Friday


(Pointe d'Agon, Manche, 23 novembre)

Depuis quelques jours je vois  des messages s’afficher sur mon ordinateur,
Black Friday.
Aux États-Unis un employé d'un grand magasin est mort écrasé par la foule en délire à l’ouverture des portes.
Black Friday, absurdité.
Je n’ai besoin de rien d’autre que le vent, un bout de bois sur une plage déserte et un peu d’amour.

vendredi 24 novembre 2017



La Marelle


(Saint-Amand, Manche, 22 novembre)

Kassim s’est levé à contre-cœur ce matin. Collé au dos de sa jeune épouse, la main posée sur le ventre rond, il sentait battre les pieds et les poings du petit. Ce sera un garçon, le docteur l’a dit à l’échographie, son fils, leur fils. Il sera un peu noir un peu blanc, noir comme lui, blanc comme Élodie.  Son Élodie, mon pays lui dit-il quand il la serre dans ses bras. Son fils sera bien ici en Normandie, il aura un toit, il ira à l’école, il vivra en paix…
Kassim s’est détaché délicatement d’Élodie. Elle ne s’est pas réveillée, elle a fait  un drôle de petit bruit qui lui a rappelé les chiots du pays de son enfance.
Il doit retrouver Robert à l’école avant l’ouverture pour réparer une fuite sur le toit. Le soleil se lève à peine. Kassim se fait une règle d’être toujours en avance. Très en avance même, puisqu’ici il y a des horaires à respecter, et qu’il est incapable de courir après le temps. Alors il anticipe toujours d’une heure ou deux, il va tranquille.
Kassim vient d’arriver, Robert n’est pas encore là. Il entre dans la cour, le portail n’est jamais fermé à clé, il regarde le ciel, le toit de l’école, les ombres sur le sol. Il remarque une marelle peinte en blanc sur le bitume. Il ne l’avait jamais remarquée, pourtant il vient souvent bricoler ici. Il pose sa boite à outil et saute à cloche pied de case en case. Il saute de plus en plus vite, change de pied, chante les numéros des cases.
Ce soir il prendra un pot de peinture à l’atelier municipal,  pour peindre une marelle dans la cour de leur maison. À la place de Terre, il écrira Mali, à la place de Ciel, il écrira Normandie.

jeudi 23 novembre 2017



À la pointe d'Agon

 
A la pointe d’Agon, où la Sienne va à la mer, le vent souffle. 
Jojo a bu un coup, il va de travers sur le limon, 
il répète sa chanson qui dit qu’il ne faut pas s’arrêter,
il se dit qu’il y a des jours où on est vraiment bien tout seul.


 (Pointe d'Agon, Manche)

mercredi 22 novembre 2017


Revenir à la mer

 
(Granville, Manche, hier)

Parfois il sort du bois
Et revient à la mer
Pour voir plus loin.


(Omonville-la-Petite, Manche, aujourd'hui)

mardi 21 novembre 2017


Accroché


(Granville, Manche)

Accroché à son rocher,
 il ne désirait qu’une chose: 
voir le ciel chaque jour.

lundi 20 novembre 2017


Les nœuds


 (Heugueville-sur-Sienne, Manche) 

Il en connaissait des noeuds, Jean. Enfant, quand il gardait les moutons sur le marais, il passait ses journées à nouer des bouts de ficelle. Le noeud de Trilène, le noeud de Licou, le Tourniquet Espagnol, le noeud de Cul de Porc, le noeud de Brigand, le noeud de Touline, le noeud de Chaise, l’Élingue de Bidon… Son préféré c’était le noeud de Gabier de Zeppelin, un noeud pour joindre deux cordages, le premier qu’il a appris à son fils, puis à son petit fils.
Maintenant, il n’a plus de moutons à surveiller, personne n’a repris la ferme, ses enfants sont en ville et il ne s’y retrouve plus avec ses noeuds. Le seul qu’il sache faire sans hésiter c’est le noeud de pendu.

dimanche 19 novembre 2017


Miniatures éphémères
La beauté du désastre


Saisi par sa beauté, il ne réalisa qu’au dernier instant l’ampleur du désastre.


(Argiope Frelon, Balloy, Seine et Marne, 24 août)

samedi 18 novembre 2017


Un coup de dés...


(Mazères-sur-Salat, 18 juin 2016)

Igor n’a plus rien à dire ce soir, la roue des histoires a cessé de tourner. Il a tiré les rideaux et s’est couché tout habillé, comme il le faisait enfant pour être prêt avant tout le monde au petit matin. Entre tout ce qu’il répète et ce qu’il n’arrive pas à dire, il y a tout ce qu’il ignore. Demain à la première heure il reprend la route. Il a ouvert une carte, a lancé un dé. Il ira là où le dé s’est arrêté et y restera autant de jours qu’inscrits sur la face.

vendredi 17 novembre 2017


El Faro


(Cap du Figuier, Fontarrabie, Espagne, 1er novembre)

Rick tangue, à contre temps, un air de déjà vu dans la tête.
Il était arrivé seul au Cap du Figuier, il avait marché depuis l’hôtel, le Parador de Fontarrabie, profitant de cette belle journée d’automne. Sur le port, il avait échangé quelques mots avec des pêcheurs. Il parlait mal l’espagnol mais en aimait la musique, plus que ça cette langue lui provoquait un léger trouble dont il ignorait l’origine. Il se sentait bien, c’était une journée de relâche, la tournée avec son trio avait bien débuté et il était amoureux d’une contrebassiste qui devait les rejoindre à Bilbao. Ils s’était rencontrés dans l’escalier de l’immeuble de son ostéopathe. Elle montait avec sa contrebasse sur le dos, elle semblait toute petite sous l’instrument, il descendait, il avait du se plaquer contre le mur, elle avait dit « merci », il avait répondu  « je vous en prie madame Tortue », elle avait ri, et voilà.
Du port, il était monté jusqu’au cap d’un pas rapide. Il était en pleine forme, l’amour, sans doute.
Puis il avait emprunté le sentier des douaniers qui longe la côte. Il connaissait cet endroit, les couchers de soleil y sont splendides. Là, il avait pensé à son père, décédé depuis quelques mois.  Son visage lui apparaissait comme s’il était là, pas loin, apaisé, il était là et toute animosité ou incompréhension semblait avoir disparu. Oui, c’était une belle journée.
Le chemin descendait puis montait de crique en crique, Rick courait presque. La mer était calme, silencieuse, ce qui est rare sur cette côte habituée aux vagues. Au fond d’une crique il vit un homme qui empilait des pierres en équilibre. Il l’observa un long moment, immobile, ne voulant pas troubler sa concentration. C’est l’homme qui engagea la conversation. Il s’appelait Madison, Il avait une cinquantaine d’années, portait dreadlocks et barbe grisonnante, vivait au Nicaragua, voyageait beaucoup, pour le surf et les pierres. Pour gagner sa vie il lisait l’avenir, il tirait les cartes. Les deux hommes sympathisèrent immédiatement. Rick aussi était surfer à ses heures, même s’il était à soixante ans moins endurant. Son manager s’évertuait à mettre dans les contrats une clause sur les sports à risque que Rick n’avait jamais respectée. Le surf n’est pas un sport à risque lui disait-il, c’est un art de vivre.
Rick et Madison firent le chemin du retour ensemble. Il s’arrêtèrent boire un verre au bar El Faro. le bar était plein. Il parlèrent des tarots, Rick s’y était intéressé dans sa jeunesse, il avait assisté à des rencontres au quartier latin à Paris avec Alexandro Jodorowsky, maître de tarots. Souvent on lui avait tiré les cartes, lui même s’y était essayé sans grand succès. Les cartes l’avait parfois rassuré dans ses jeunes années. Madison lui proposa un tirage. Rick refusa, ce n’était plus l’avenir qui l’intéressait, il savait que de toute façon il mourrait et  sans doute dans pas si longtemps. Il avait 60 ans, 60 plus 20 ça fait 80, 10 de plus et c’était l’âge de son père et 20 c’est pas beaucoup par rapport à 60. Alors fallait surtout profiter. Par contre le passé l’intéressait de plus en plus, l’avant dont il percevait parfois des traces, ce qui parfois guidait sa musique et venait manifestement de bien plus loin que son enfance. Madison, lui son boulot c’était l’avenir, le passé aucun intérêt, il ne pouvait rien pour Rick. Les deux hommes se séparèrent en riant, passablement ivres. Madison trouva en la patronne du bar une proie parfaite pour ses exploits de voyant. Rick regagna son hôtel en titubant.
Le voilà qui tangue dans les rues étroites de Fontarrabie. Oui, il y a des trucs qu’il aimerait bien comprendre: pourquoi il aime tant boire du vin rouge en Espagne, pourquoi ces voix rauques le bouleversent… Une vie antérieur peut-être?

jeudi 16 novembre 2017


En compagnie de J.M.G. le Clézio


(Lac de Charpal, Lozère, 26 juillet)

Il  y avait un lac, des montagnes, un vieux couple qui dormait dans une 4L fourgonnette aménagée.
C’était aux environs de Gap, dans les Alpes. J’avais moi aussi une 4L fourgonnette, rouge, chargée du décor d’un spectacle que je jouais dans les écoles.
J’étais assis devant ma tente, une canadienne bleue, sur l’herbe sèche. La pente descendait jusqu’au lac, la vue portait loin, nous étions fin mai, la soirée était douce, j’avais 25 ans.
Je lisais « Désert » de J.M.G. Le Clézio. C’était le premier livre que je lisais de lui.
« Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient. » C’est la première phrase du livre. Il y a le paysage, puis les hommes.
Je fus happé par la grâce de ce moment, les mots de Le Clézio qui m’emportaient bien au delà des sommets, ces gens à quelques pas, qui préparaient leur bivouac après m’avoir salué, le paysage, la lumière qui baissait lentement.
J’ai lu jusqu’à  ce qu’il fasse trop sombre, puis j’ai dormi comme un bienheureux, avant de descendre au petit matin dans la vallée pour jouer mon spectacle.
Le Clézio n’a cessé de m’accompagner; l’homme autant que l’écrivain me touche.
En refermant son dernier livre, Alma, il me semble entendre à côté les pas furtifs de Dodo, l’un de ses personnages. Je repense à cet instant dans les Alpes en compagnie de l’auteur.
Sans doute s’inscrivait sur ces pentes herbeuses tout ce qui avait été et allait être.

mercredi 15 novembre 2017



2050


 (La Défense, 7 février 2016)

Ils ne marchent pas, ils glissent, 
Un léger chuintement sur le sol dur,
Leur tête est un triangle isocèle.
Ce n’est pas le vent entre les murs,
Ce sont eux qui murmurent,
HTML, XML, LaTeX, LilyPond…