vendredi 31 décembre 2021


Dernière image de l'année

(Vaucresson, 7h 50)

Nuages rouges

et la lune devant

pour la nouvelle année 

jeudi 30 décembre 2021


Champ de bataille



(Travaillan, 29 décembre, 11h 50)


Il ne reste plus grand chose de l’oiseau,

sur les herbes piétinées, sang et duvet.

Et au dessus du champ de bataille,

entre deux brins secs, une plume,

un drapeau blanc agité en vain.

Les chats mangent les oiseaux,

c’est ainsi. 

mercredi 29 décembre 2021


De quoi demain sera fait

(Travaillan, Vaucluse, 15h 50)

De la rouille dans le paysage

La terre qui colle aux bottes

Aux vignes dormantes

Je demande de quoi demain sera fait

C’est un oiseau qui répond

Une fauvette à tête noire

Elle chante 

mardi 28 décembre 2021


Arthur et le Vieux

Les poèmes dans les nuages 

(Travaillan, Vaucluse, 27 décembre, 17h)

Il avait plu toute la journée.

Arthur et le Vieux avaient regardé la pluie faire des trous dans les flaques en écoutant Serge Gainsbourg.

Ils avaient regardé dans la cheminée les flammes changer de couleurs.

Ils avaient fait des trucs et des machins, avec des clous, des cailloux, du bois, et de la peinture.

Aussi, ils étaient restés longtemps sans rien faire.

Enfin, presque, puisque chacun regardait comment l’autre s’y prenait pour ne rien faire.

En fin d’après-midi la pluie avait cessé. Quelques nappes de brume se posaient ici et là, sur les vignes et sur les champs.

Aussitôt ils étaient sortis.

Au bout du champ, derrière la maison, dans le flou du brouillard, Arthur avait vu le Vieux fouiller l’herbe de son bâton.


-Qu’est-ce que tu cherches?

-Des mots. Tu vois Arthur, là, c’est le mot humide, et là cheval et là, entre les feuilles mortes, le mot emprunte. Partout dans le monde des gens pensent, rêvent, souvent quand ils ne font rien, ou croient ne rien faire. Leurs pensées, leurs rêvent, s’échappent, montent dans les nuages qui passent, et les nuages s’en vont, parfois à l’autre bout du monde. Quand un nuage atterrit, les pensées et les rêves se déposent. On trouve les mots entre les pierres, les herbes et les racines. Quand on les ramasse, ça fait des poèmes.


Le Vieux avait fermé les yeux quelques secondes puis avait dit:


-Sur la terre humide

 Je galope vers toi

 Profonde 

 Est l’emprunte de mon cheval 


 Peut-être celui-ci vient-il de Mongolie?


Alors Arthur avait lui aussi fouillé l’herbe de son bâton.

Il avait trouvé les mots escargot, train, sac et zut.

Il avait fermé les yeux, longtemps, puis avait dit:


-Zut! Dit l’escargot

 Avec son sac sur le dos,

 J’ai encore raté mon train



lundi 27 décembre 2021


Sur le bord des rivières

(Travaillan, Vaucluse, 26 décembre, 15h 45)

À la chaleur des tons fauves des herbes sèches,

la douceur d’un geste, celui d’un homme qui se penche,

ramasse une pierre, la regarde, et la lisse du revers de sa manche.


Un geste tant de fois répété sur le bord des rivières,

des pierres ramassées pour construire des maisons,

ou simplement pour caler une porte que l’on veut garder ouverte. 

dimanche 26 décembre 2021

samedi 25 décembre 2021


Boule à neige

(Travaillan, Vaucluse, 16h 55)

Y a plus de quoi payer le chauffage, y a plus de quoi se rincer le gosier.

Seul devant la cheminée froide,  le chat sur les genoux, Henri s’engourdit.

Il est collé sur un banc au fond d’une boule à neige. C’est le calme plat.

Faudrait que quelqu’un s’amène, attrape la boule et la remue.

C’est sûr, il retrouverait sa jeunesse, 

du temps qu’il était un cador à l’usine de tomates. 

vendredi 24 décembre 2021


Dans le ciel, le Tibet 

(Hendaye, 29 octobre, 19h 15)

Il est 17h à Vaucresson.

Une brume épaisse se dépose sur le jardin, sur les arbres, sur les maisons.

Les lumières aux fenêtres palissent.

Je cherche un ciel dans mes souvenirs.

En voici un.

Éloignez vous de la photo, plissez les yeux, fixez le ciel. Vous êtes au Tibet.

Bon voyage.

jeudi 23 décembre 2021


Ernst

(Pont Mirabeau, Paris 15ième, 13 décembre, 18h05)

Ernst. 

Un prénom dont on aurait fauché des voyelles. 

Bancroche à la naissance puis une vie comme une photo sale.

Une vie avec des bouts en moins, une vie à ne pas savoir où se mettre.

Ernst, traduction de l’allemand: grave, sérieux.

Il avait essayé. Mais non. Était-ce un manque ou un trop de quelque chose?

Ce qu’il savait faire, après tant d’années?

Attraper la nuit, attraper la lune, ramasser des plumes, coller des mots et en faire des secrets.

C’est le 21 décembre, la nuit la plus longue.

Ernst est assis sur une grille qui crache la chaleur du métro.

La maraude du secours populaire vient de passer.

Ça va, ça va bien, je ne bouge pas, il me faut de l’air, vous comprenez?

Non, on ne comprend pas, mais on le laisse. À force, on le connait.

Ernst, celui qui a les yeux qui bougent sans cesse, celui qui n’est jamais bien loin de la Seine.

Ernst, l’homme qui porte trois manteaux hiver comme été.

Ernst, l’homme qui sourit qu’il fasse -10 ou + 30 degrés.

La nuit la plus longue, pas loin du Pont Mirabeau. 

Ernst sent les vibrations d’un train qui passe, en dessous.

Il se souvient d’un vieux poème.

Et nos amours, le deuxième vers.

Il boit au goulot, un rhum offert par une amazone.

Et sur la Tour Eiffel étêtée par la brume se posent tour à tour des visages.

Autant de visages que de compagnes et compagnons de route,

pour habiter la nuit la plus longue.

Ernst. 

mercredi 22 décembre 2021


Le Parloir des souhaits 

(Exposition Duy Anh Nhan Duc, Musée Guimet, Paris 16ième, 12h)

Le Parloir des souhaits

Quel est votre souhait? Voici le mien. J’aimerais que chacun prenne un instant pour se poser une question: À quoi tenez vous vous vraiment? Ce parloir préserve en son cœur une envolée de graines sauvages, comme autant de vœux à mettre en action. Ils étaient si puissants, nos rêves d’enfants. Ouvrez les yeux, souvenez vous….

                                                                                                 Duy Anh Nhan Duc


Nous sommes au dernier étage du musée Guimet, la rotonde.

Il y a là tant de légèreté, de douceur, de lumière.

C’est une ode au pissenlit, une ode à la nature, une ode à l’enfance.

Exposition hypnotique, on retient son souffle devant la fragilité des aigrettes qui cernent la pièce.

Une part de soi est immobile, la joue caressée par le geste de l’artiste, l’autre part s’échappe par la fenêtre, s’envole au dessus de la ville où vont et viennent les amoureux.

C’est une ode à l’amour.




(Photo n°3  Sophie Bernard-Carrive)

mardi 21 décembre 2021


Fin de journée

(Vaucresson, 17h20)


Par le Velux dessus le toit

je salue le grutier, là-bas, au loin

qui finit sa journée tandis que le ciel

dessine des promesses de voyages 

lundi 20 décembre 2021


Union....

(Eugi, Navarre, Espagne, 10 août, 15h)

Ongi Etorri

Bienvenue

Il avait hésité

Il avait fallu forcer le cadenas rouillé

Il y avait là une assemblée d’hommes et de femmes de gauche

Leurs cheveux, leurs barbes, leurs ongles avaient poussé

Ils se tenaient autour d’une table usée à force de ratures sur du papier trop fin

L’encre des plumes s’était épuisée

Ils ne parlaient plus

Ils se contentaient de hocher la tête de gauche à droite 

dimanche 19 décembre 2021


Miniatures éphémères

(Vaucresson, 18 décembre, 11h 55)

Méditation sur la mort 

samedi 18 décembre 2021


Porte bonheur

(Vaucresson, 11h 15)

La fleur fane inexorablement

elle se dessèche, se recroqueville 

sans rien céder de sa beauté

la voilà au soleil du matin

comme une mue de serpent

nouée en porte bonheur 

vendredi 17 décembre 2021


Johnny B.Goode

(Sur la N 4 entre Coole et Soudé, Marne, 17h)

Le ciel est clair, la route court.

Johnny B. Goode rentre à la maison.

Accrochée au rétroviseur

la photo de Rita se balance

dans son médaillon d’argent.

Sainte Rita, la sainte de l’impossible.

Go Johnny go go

Johnny B. Goode

appuie sur le champignon,`

la route s’en va vers la nuit. 

jeudi 16 décembre 2021


Un sac de riz 

(Strasbourg, Bas-Rhin, 16h 40)

C’est un tunnel qui passe sous l’autoroute,

près du cimetière militaire de Strasbourg.

C’est un passage vers un autre monde.

Non, on ne va pas au centre ville

où la foire de Noël bat son plein

dans des centaines de chalets identiques.

On s’en va bien plus loin, en Asie,

ou, pourquoi pas à Valparaiso.

On s’en va avec un sac de riz.

Sur chaque grain est inscrit un prénom.

On s’en va rendre visite, à tous,

vivants et morts,

tant qu’il est encore temps.

mercredi 15 décembre 2021

 

Atomic Bowl

(Amnéville, Moselle, 15h 50)

Le bras droit lance la boule, il se tend vers les quilles tandis que le buste pivote légèrement, le bras gauche vers l’arrière. Mais c’est surtout le mouvement de la jambe droite, la pointe du pied glissant sur le parquet derrière la jambe gauche, qui fascine  Kévin, l’instant, quand la boule touche la piste, où tout le corps d’Adèle est une  diagonale en suspension, une flèche qui transperce son cœur. Adèle ne bouge plus tandis que roule la boule, Kévin suit la trajectoire, penche la tête à l’inverse du corps d’Adèle comme s’il voulait retenir la silhouette de la jeune femme dans cet équilibre précaire, comme s’il voulait disparaître définitivement au croisement  de ces lignes et forces contradictoires qui lui semblent être l’expression la plus parfaite de la grâce.

Alors  quand la boule atteint son but, dans le fracas des quilles entrechoquées, Kévin gueule, il gueule son amour et son désir, il ose ce que le silence lui interdit, il gueule des mots de bucheron, des mots taillés dans le bois brut, des mots qui se perdent dans l’explosion des quilles.

Aucune quille n’est restée debout. Tandis que la machine les remet en place, Adèle se retourne, elle sourit.

L’a-t-elle entendu? Qu’a-t-elle entendu? C’est si difficile de dire je t’aime…

mardi 14 décembre 2021


Le funambule

(Vaucresson, 12 décembre, 12h 30)

On disait de lui qu’il ourlait le ciel.

Son corps s’ouvrait au cours de son ascension.

C’était un funambule adepte de grandes traversées.

C’est immobile, les pieds sur terre, qu’il rêvait son geste,

dans la contemplation des fleurs. 

lundi 13 décembre 2021


Adam

(Vaucresson, 10h 45)

Assemblage du jour

40 cm

bois flottés de Guyane et d’Hendaye

dent de taureau

plume de geai

os de poisson chat

fer 




dimanche 12 décembre 2021


Miniatures éphémères

(Buxerolles, Vienne, 28 février, 18h 20)

Écouter 

samedi 11 décembre 2021


Idéogramme

(Forêt de Rambouillet, 12 février, 16h 20)

Pour un rendez vous, choisir un arbre comme un idéogramme. 

vendredi 10 décembre 2021


Une fille qui s'ennuie

(Sur la D 933, Entre Châlons-en-Champagne et Montmirail, Marne, 13h 40)

À Bergères-les-Vertus, sur la D 933 dans la Marne, il y a une fille qui s’ennuie.

Elle regarde passer les camions.

Quand il n’y a pas de camions, elle regarde passer les oiseaux.

Quand il n’y a pas d’oiseaux elle regarde passer les fourmis.

Quand il n’ y a ni camions, ni oiseaux, ni fourmis, elle regarde la route toute droite,

qui s’en va loin, là-bas, tout au bout,

et elle s’ennuie un peu plus… 

jeudi 9 décembre 2021


Dans le ruisseau

(Quelque part dans la Somme, 3 novembre 2016)

Une main tient le pinceau, l’autre est derrière le dos.

Le geste est flottant sur le papier.

Maître Akeji utilise des pigments de sa confection.

Après avoir fait sécher la feuille au vent, il la trempe dans le ruisseau.

Est-ce là l’un de ses secrets, qui donne transparence à l’œuvre?


Ce ciel a-t-il été trempé dans le ruisseau?

C’est une vieille photo, prise sur la route, encore.

Je me souviens ce jour là avoir dormi au dessous d’une image du Grand Canyon.

Je n’ai pas encore l’âge de Maître Akeji, même si je m’en approche.

Je ne suis qu’un vieux marionnettiste qui depuis 43 ans joue le même spectacle.


Autrefois je sautais, je virevoltais, je plongeais, je chantais tête en bas, je riais les pieds au mur.

Maintenant je bouge moins, beaucoup moins.

Pourtant je vois dans le regard des enfants, que je saute, que je virevolte, que j’ai la tête en bas et les pieds aux murs.

Je n’ai pas encore la longue barbe de Maître Akeji.

C’est mon corps tout entier que je trempe dans le ruisseau. 

mercredi 8 décembre 2021


Picorer

(Exposition Écrire c’est dessiner, Centre Pompidou-Metz, 12h)

Aujourd’hui, galerie n°1 du Centre Pompidou-Metz, je picore de la beauté,

comme cet homme oiseau en quête de nourriture.



(À gauche de l’homme oiseau, manuscrit de Rilke non daté, signé de son avatar Malte Laurids Brigge, le petit reflet blanc dans la vitre est
Alighiero e Boetti écrivant à deux mains, l’image beaucoup plus grande est  en face.)




(Pierre Alechinsky, Sorti de la poche, encre de chine et aquarelle, 1992)



(Roland Barthes, Sans titre, encre sur papier à lettre)

 

mardi 7 décembre 2021


Sur le Parvis...

(Parvis des droits de l’homme, Metz, Moselle, 6 décembre, 14h 50)


Le ciel est pris dans les vitres,

les arbres sont pris dans la dalle,

la fuite est de béton,

et pourtant le vent souffle

la mémoire d’un paysage originel

où des pas s’inscrivent

sur une terre aride.

Et l’homme qui vient

est traversé par l’éclatant souvenir

de l’oasis de son enfance. 

lundi 6 décembre 2021


À 15h devant la gare de Metz

(Metz, Moselle, 15h)

À 15h devant la gare de Metz,

il y a un gars qui joue de l’accordéon.

Il a froid aux doigts et il n’y a que trois sous dans son pot.

Le visage collé au clavier, il se recroqueville sur son tabouret.

Il se replie dans son son instrument,

pour s’y réchauffer


À 15h devant la gare de Metz,

il y a une femme qui attend.

Une épingle coincée entre ses dents, elle remonte ses cheveux blancs en chignon.

À ses pieds trois cabas de plastique.

Son geste a la grâce d’une jeune fille,

une jeune fille amoureuse.


À 15h devant la gare de Metz,

il y a un homme qui regarde.

Il n’a rien d’autre à faire. Il regarde l’horloge.

Les mains dans les poches, il écoute la musique, Mon manège à moi c’est toi…

Les yeux plissés, il attend le moment,

le moment où la vieille dame et le musicien se regarderont. 

dimanche 5 décembre 2021


Miniatures éphémères

(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 8 septembre, 17h 10)

Dans la tourmente 

samedi 4 décembre 2021


Lucky Luke

(Carrière du Puy de Pauliac, Aubazines, Corrèze, 20 novembre, 8h 40)

L’homme qui tire plus vite que son ombre.

Depuis qu’il a remplacé sa cigarette par une brindille, Lucky Luke a des doutes.

Voilà des jours que chaque matin, face à la montagne léopard, il défie son ombre.

En vain... 

vendredi 3 décembre 2021


La vie qui passe

(Autoire, Lot, 7 novembre, 12h 30)

Elle écarte le rideau de dentelle du bout des doigts.

Un geste discret. Ne pas déranger la vie qui passe.

Un enfant court sur le trottoir.

Elle sourit. 

jeudi 2 décembre 2021


Les mésanges


(Aubazines, 22 novembre 8h 20)


Sergueï aurait pu être un voleur ou un assassin s’il n’y avait eu les mésanges.


(19 novembre, 9h 05)

mercredi 1 décembre 2021


Un cheval blanc


(Aubazines, 20 novembre, 8h 50)

C’est un cheval blanc.

Un cheval blanc qui attend que quelqu’un pose ses rêves sur son dos.

Alors, il bondira jusqu’aux plus hautes branches du grand arbre, 

et de là s’en ira par delà les mers jusqu’aux montagnes de l’ami américain,

dévalera la pente aussi blanche que son pelage, 

pour disparaître au grand galop là où le vent courbe les herbes sèches à l’infini. 

mardi 30 novembre 2021


La naissance du monde

(Feuille d’hortensia, Aubazines, 19 novembre, 17h)

C’est l’histoire du début, de la naissance du monde, qui est inscrite en braille sur le dessous d’une feuille, jusque dans les morsures et les brisures.



lundi 29 novembre 2021


C'est à cet instant

(Puy de Pauliac, Corrèze, 20 novembre, 8h 10)

C'est à cet instant,

Quand la lune attend que l’on détourne le regard

pour s’en aller,

Quand la pierre rougie au soleil levant palpite

comme un cœur sanguinolent,

c’est à cet instant

que chaque fois

tout est remis en question.

 

dimanche 28 novembre 2021


Miniatures éphémères

(Buxerolles, Vienne, 27 novembre, 16h 10)

Derniers mots

avant la chute  

samedi 27 novembre 2021


La Dame blanche



(Autoire, Lot, 7 novembre, 11h 30, 11h 35, 11h 50)

Ils avaient marché jusqu’au fond du vallon,  où le sentier se heurte à la falaise, où l’eau du Causse se jette joyeusement dans le vide, où la pierre est glissante, où le soleil se fait attendre.

Au pied de la cascade, le Vieux avait trempé ses mains dans l’eau froide, puis s’était aspergé le visage en fermant les yeux. Arthur l’avait  vu sourire, un sourire contagieux, un sourire comme un souvenir, un souvenir du temps où on ne sait rien.

Alors le Vieux avait dit:

J’écoute la Dame blanche, celle qui recueille les  histoires des hauts plateaux et les répand dans la vallée, celle qui enfante, arcboutée au rocher, celle qui nous nourrit et nous rafraîchit.

Elle me parle d’un temps où elle était capable d’écarter les montagnes, de creuser la route jusqu’à la  mer, d’un temps  où les êtres humains n’étaient pas encore là.

Elle est arrivée, silencieuse comme un nuage, à grandes enjambées sur une terre où il n’y avait que des pierres. Son ventre était énorme et ses jambes interminables.

Il y avait là sur un caillou une grenouille desséchée, une grenouille cramoisie qui paraissait aussi plate qu’un manuscrit, une grenouille à l’agonie qui ne trouvait plus ses mots.

Zut…zut…soif….murmurait le batracien.

La Dame blanche l’a prise dans ses mains et a posé ses lèvres sur sa bouche. Un long et tendre  baiser. La grenouille s’est regonflée, et s’en est allée à grands bonds sur les pierres sèches.

La Dame blanche a regardé autour d’elle ce paysage désolé, dont la seule pointe de joie était la tache verte qui bondissait de pierre en pierre.

Elle décida de faire son lit de ce pays. Elle creusa un large trou dans le sol et mit au monde des arbres, des bêtes et des hommes qu’elle se promit d’allaiter tant qu’elle en aurait la force.

C’est elle, Arthur, qui se dresse devant toi. 

Alors Arthur a plongé ses mains dans l’eau, s’est aspergé le visage en fermant les yeux, et le Vieux l’a vu sourire, un sourire contagieux, un sourire comme un souvenir, un souvenir d’un temps où on  sait beaucoup, beaucoup de choses.