dimanche 30 juin 2019

samedi 29 juin 2019


Madame la mort


(N 1 entre Macouria et Kourou, Guyane, 29 mars)

Miguel ne voit plus depuis une éternité. Il passe ses journées sur une chaise de métal, dos à la route, dans l’ombre, à l’entrée de sa bicoque. Il écoute les voitures, il devine leur marque, leur modèle, la façon de conduire du chauffeur. À l’oreille il distingue un problème dans le moteur. Le médecin a une Toyota Yaris qu’il pilote avec douceur, le facteur a une Renault Kangoo qu’il conduit sans ménagement, son cousin Francis  a un vieux 4x4 Ford Ranger avec un moteur qui hoquette, l’assistante sociale a une Twingo paresseuse.
Miguel sent ses forces diminuer de jour en jour, mais son oreille est toujours aussi aiguisée.
Il se demande comment viendra madame la mort, en voiture de luxe où dans une vieille guimbarde?

vendredi 28 juin 2019



Giuseppe


 (Mana, Guyane, 4 avril) 

Le manoa del dorado, c’est là qu’il vient boire et manger. Il aime cette bâtisse un peu bancale, il en aurait bien fait sa maison pour y nicher ses folies. Giuseppe est un baratineur, où n’a-t-il pas été, qui n’a-t-il pas connu, c’est un annuaire, un palace cinq étoiles, un moulin à prières, un faussaire magnifique, Giuseppe ignore le silence. Il raconte qu’on l’a trouvé au fond d’un puits enveloppé dans un linge blanc, il avait à peine quelques jours, au fond d’un puits sec, le silence absolu, pas même un suintement. Remonté au plein jour, il n’avait cessé de babiller.
Sa langue est comme la corde qui retient le seau, si elle lâche, le seau tombe. Il raconte que c’est une tornade qui l’a arraché aux bras de sa mère et l’a précipité dans le puits. Il raconte qu’il a eu sept mères, celle qui l’a mis au monde, celle qui l’a remonté du puits, celle qui lui a appris à lire, celle qui lui a enseigné l’amour, celle qui lui a donné un rein, celle qui l’a fait rire pour la première fois, celle qu’il a vue vieillir.
On ne sait plus très bien d’où il vient. Sa peau semble parfois changer de couleur.
Aujourd’hui Giuseppe est seul dans le grand bar-restaurant. Tout est en désordre, Giuseppe danse entre les chaises. Il est pieds nus, la plante du pied noire de crasse, parfois il tape le bois du talon en prononçant un prénom, il penche la tête, comme si pendant quelques secondes il tentait de comprendre, puis il éclate d’un grand rire.
Giuseppe fait beaucoup de bruit, mais c’est comme ça qu’on l’aime.

jeudi 27 juin 2019


Au débarcadère de Saint-Laurent


 (Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane, 2 avril)

Au débarcadère de Saint-Laurent les couchers de soleil ont un goût d’épices, de poivre et de safran, un goût de souvenirs d’avant, d’avant la naissance, un goût de voyages sans retour, un goût de sable, de bois et de métal.

mercredi 26 juin 2019


Le cor


(Venise, 23 janvier 2018)

Quand Marco aura de quoi se payer un moteur, il finira de retaper sa barque et il emmènera Rosetta voir le coucher du soleil sur Torcello. En attendant, il peint. Il n’y a pas grand monde  pour lui acheter sa peinture, de grands visages naïfs en aplats de couleurs. Les tableaux s’entassent dans son minuscule appartement. Il en a offert un à Rosetta. On y devine une femme au visage longiligne portant de longues boucles d’oreilles orange et turquoise. Rosetta tient un bistrot dans le Dorsoduro. Marco lui a dit:  « ça ira bien sur les murs du café ». Elle l’a à peine remercié, n’a pas accroché le tableau.
Ce n’est pas la première fois qu’une de ses toiles finit cachée dans un coin. Ce n’est pas grave, ça ne l’empêche pas de peindre, il ne peut pas s’en empêcher, il en a besoin, il doit dessiner ces visages qui hantent ses pensées.
Aujourd’hui il peint un homme grand, mince, torse nu, les os saillants, de grandes oreilles décollées, une barbe rousse, des yeux noirs et une casquette blanche. L’homme joue du cor. Marco a plus de difficulté à peindre le cor que le visage. Parfois il aimerait peindre les objets de façon si réalistes qu’ils se mettent à exister là sous ses yeux. Ainsi il pourrait peindre le moteur de son canot. Mais non, le réel échappe à sa main qui ne saisit que les vibrations des émotions.
En peignant, Marco parle au dessin, au musicien. Il s’excuse de lui fournir un cor aussi grossier, mais il sonne bien, lui dit-il. Il lui parle de Rosetta. Peut-être aime-t-elle la musique, plus que la peinture. Mille fois Marco reprend des détails sur l’instrument. La nuit venu il s’endort épuisé, son tableau inachevé. Avant de sombrer il se dit qu’il ne retournera voir Rosetta que lorsque il aura peint à l’homme à la casquette un instrument si parfait qu’on l’entendra sonner hors de la toile.

mardi 25 juin 2019


Un bruit minuscule


(Pivoine, Vaucresson, 23 juin)

Il est un peu fauché, mal coiffé, et sent des pieds.
J’aime l’opulence des pivoines, lui avait-elle dit.
Alors il a acheté un bouquet de pivoines. Rouges. Dix huit euros!
Elle n’est pas venue.
Les pivoines se sont ouvertes, chevauchement de pétales à foison.
Elles sont devenues roses, blanches, puis ivoire.
Une semaine est passée. C’est dimanche.
Les pétales tombent sur la table, un à un. Cela fait un bruit sourd, minuscule.
Il regarde les fleurs se défaire. Toute la journée. Il ne fait rien d’autre.
Un bruit minuscule.

lundi 24 juin 2019


Chrysler


(Forêt de Marly, Yvelines)

Fin de droits, cela sonne comme un glas. Et les dernières annonces du gouvernement sur le chômage lui noue les tripes. Quentin est à cran, encore une fois. Il faut qu’il sorte, qu’il court, qu’il gueule. Il enfile ses Nike, son short et son maillot aux couleurs du PSG, et fonce dans les bois. Il fait chaud, il transpire à grosses gouttes, les herbes hautes cinglent ses mollets, l’effort et le lourd parfum d’été chassent petit à petit les sombres pensées.
Le voici sous la voie ferrée. Il y a longtemps qu’il n’était pas passé par ici. Il s’arrête, essouflé. Son maillot est trempé. Une discrète odeur de shit flotte dans l’air, sans doute les jeunes gens qu’il a croisés il y a quelques instants, deux garçons et une fille qui chantaient « Balance ton quoi » D’Angèle, deux garçons et une fille qui se tenaient par la main et souriaient à l’avenir.
Quentin se souvient d’un morceau qu’il écoutait en boucle à dix huit ans, « Chrysler » de Dashiell Hedayat. Chrysler, il y a une Chrysler rose tout au fond de la cour, c’est là que je fais l’amour…
Quentin se souvient des nuits d’ivresses où l’on s’aimait sans savoir que quelques années plus tard il faudrait se méfier.
Quentin se souvient d’une scène du film Cabaret où Liza Minnelli pousse un long cri sous la voie ferrée au passage du métro.
Quentin attend que passe un train. Il ferme les yeux. Quand le tunnel tremble, il hurle à pleins poumons. Puis il repart à toute allure. Remonter le temps ou foncer dans le futur, qu’importe, filer et ne penser à rien.

dimanche 23 juin 2019

samedi 22 juin 2019


Je reviens demain


(D807 entre Lavergne et Gramat, Lot, 19 octobre 2018)

Dans la grange, il y a une Ford Mustang noire, pneus à plats. Quelqu’un a écrit d’un doigt sur le capot poussiéreux: « Je reviens demain ».

vendredi 21 juin 2019


Une danse minuscule


(Faux Jasmin, Vaucresson)

C’est une danse minuscule 
aux rayons de vingt heures
une danse qui sied à ma paresse
m’éloigne de la rumeur
c’est la douceur de l’inconnu
qui tient éveillé
quand le tumulte pousse à l’abandon
une histoire qui s’écrit
sur un grillage
entre deux jardins
quelques boucles 
pour dire de s’aimer 

jeudi 20 juin 2019



(Oloron-Sainte-Marie, Pyrénées Atlantiques, 29 mars 2018)

« Nous sommes tous des farceurs: nous survivons à nos problèmes. »

(Cioran, Syllogismes de l’amertume, l’escroc du gouffre)

mercredi 19 juin 2019


L'averse


(Rose trémière, Vaucresson)

Le vent vient de se lever. La porte bat. Alma s’ennuie. Allongée sur le lit, elle lit les Oiseaux de Tarjei Vesaas. Elle lit en diagonale, n’arrive pas à se concentrer. Parfois après avoir lu une page, n’ayant rien retenu, elle la relit immédiatement. Souvent elle change de position, le lit grince.
Elle pose le livre, remonte sa robe sur ses cuisses blanches marbrées par endroits de minuscules vaisseaux éclatés. Elle se caresse un instant, cesse aussitôt, reprend son livre.
Soudain l’orage éclate. Une violente averse s’abat sur la maison, fait ployer les roses trémières dans le jardin, stoppe les insectes volants dans leur élan. Alma se lève précipitamment, ferme la porte et les fenêtres. Les premières gouttes ont déjà mouillé le parquet de chêne. En quelques secondes la maison devient sombre. Alma regarde tomber la pluie, le ciel s’abandonne, Alma écoute la rumeur de l’eau qui claque, Alma frémit, l’eau coule sur la vitre, la gouttière déborde, un chat se terre dans un recoin.
Cela ne dure que quelques minutes. Le soleil revient, fier, les fleurs ont résisté, le chat s’en est allé.
Alma retourne à son livre et cette fois-ci ne le lâche plus:
« …
Dans le fossé boueux, il y avait des empruntes légères de pattes d’oiseaux, et puis quantité de petits picotis ronds et profonds dans la terre marécageuse. C’était la bécasse qui était passée par là. Les trous profonds avaient été faits par le bec de l’oiseau à la recherche de quelque chose de mangeable, et parfois c’étaient seulement de petits picotis: c’était son écriture.
Mattis se pencha et lut. Regarda les légères empruntes dansantes. L’oiseau est si léger, si beau, pensa-t-il. Mon oiseau marche si légèrement dans le marécage quand il est fatigué du ciel.
Tu es toi, voilà ce qui était écrit.
… » (ext: Les oiseaux de Tarjei Vesaas, traduction Régis Boyer, éditions Plein chant)

mardi 18 juin 2019


Les pièces


 (Sur une aire de repos, Autoroute A 20, entre Limoges et Paris, 15 juin)

Les pièces étaient posées là sur la table de pierre au bord de l’autoroute. Des pièces inutilisables.
Posées comme au fond des fontaines porte bonheur. Elles dessinaient les contours d’un département, Creuse ou Aveyron, un département à la vie dure, un département dépeuplé.
Mon premier réflexe fut de les ramasser. Quelle valeur, qu’en faire? L'ébauche d'un geste, aussitôt retenu. Elles semblaient me raconter autre chose, brillantes parmi les éclats de céramique.
Une poignée de pièces que l’on cache sous le matelas, qu’on oublie, que quelqu’un trouve des années plus tard. Une poignée de pièces quémandées sur les trottoirs. La monnaie que l’enfant à le droit de garder lorsqu’on l’envoie faire les courses. Les pièces que l’on glisse sans fin dans la machine à sous jusqu’à ce qu’elle ait tout mangé. Les pièces que l’on compte une  à une, le doigt sur le métal froid, à la fin du mois. Les pièces qui tintent dans la tire-lire du gamin. les pièces qui pèsent dans le tronc de fer blanc du quêteur de la croix rouge. Les pièces que l’on glisse dans une fente pour un cierge et quelques souhaits. Les pièces qu’on lance, à pile ou face, quand on ne sait pas choisir.
Plus je les regardais, plus le dessin d’une carte se précisait. La carte d’un pays où on ne peut aller qu'après s’être délesté de tout.

lundi 17 juin 2019


Les étoiles filantes


(Plage de Cenitz, Guéthary, 1er juin)

Elle avait toujours la tête un peu penchée.
C’est pour les étoiles filantes, disait-elle.



dimanche 16 juin 2019

samedi 15 juin 2019


Un ami


(Montreuil, Seine-Saint-Denis)

Un anniversaire, une lune pleine.
La lune est mon amie.
Mon ami est comme la lune.



vendredi 14 juin 2019


La vie


(Gramat, Lot, 13 juin)

Certains êtres sont comme ces feuilles dans la lumière, la vie palpite , infiniment présente, aucun filtre n’interrompt le flux. Ils sont à la marge, de côté, hors des chemins. Leur langue ignore la grammaire et l’orthographe, leur mémoire est capricieuse, leurs gestes incongrus. Souvent ils se balancent de façon régulière comme la feuille dans un courant d’air.
Ils semblent en connaître plus que nous sur la nature des choses.
Ce soir, ils se nommaient Patrick, Guy, Agnès, Adrien, Florence, Abdenour, Steven, Christophe. Sur la scène de Saint-Céré, ils étaient magnifiques dans leurs habits de noce.

jeudi 13 juin 2019


L'Orchis Bouc


( Orchis Bouc, Gramat, Lot)

"C'est assurément, de toutes nos orchidées indigènes, la plus remarquable, la plus fantastique, la plus stupéfiante. Si elle avait la taille des orchidées américaines, on pourrait affirmer qu'il n'existe pas de plante plus chimérique. Figurez-vous un thyrse, dans le genre de celui de la jacinthe, mais en plus haut. Il est symétriquement garni de fleurs hargneuses, à trois cornes, d'un blanc verdâtre pointillé de violet pâle. Le pétale inférieur, orné à sa naissance de caroncules bronzées, de moustaches mérovingiennes et de bubons lilas de mauvais augure, s'allonge interminablement, en forme de ruban tire-bouchonné de la couleur que prennent les noyés après un mois de séjour dans la rivière. De l'ensemble qui évoque l'idée des pires maladies et paraît s'épanouir dans on ne sait quel pays de cauchemars ironiques et de maléfices, se dégage une affreuse et puissante odeur de bouc empoisonnée qui se répand au loin et décèle la présence du monstre. »
C’est ainsi que Maurice Maeterlinck  décrivait l’orchis bouc. Pourtant, ce matin, dans un carré d’herbes où je cueillais quelques brins de lumière avant les répétitions, face à cette fleur que je découvrais, je n’y voyais nul maléfice, seulement quelques demoiselles discrètes qui m’invitaient à la légèreté. J’ignorais qu’au crépuscule elles exhalaient une horrible odeur de bouc.

mercredi 12 juin 2019


Marcel


(Saint-Céré, Lot, 11 juin)

Marcel est bien trop gros. Il y a longtemps qu’il ne sort plus. Il serait bien incapable de descendre et remonter les escaliers. Il va  de la télé à la fenêtre, trois mètres, du lit aux toilettes, cinq mètres, du fauteuil au frigidaire, six mètres cinquante. Rosalie lui apporte à manger, aujourd’hui de la saucisse sèche, du fricandeau, des lentilles aux petits oignons, du fromage de chèvre, du pain et des pèches, triple portion bien sûr.
Marcel s’est fait à cette vie de gros chat enfermé, il se prélasse, il attend sa pâtée, et ne refuse jamais une caresse. Rosalie a la main douce, elle sait y faire avec les solitaires.
Ce soir Marcel a bien mangé, Rosalie est restée un peu plus longtemps, le temps d’une chanson.
Marcel est à la fenêtre. Il grimace. Ce sont juste quelques mouvements de langue pour décrocher un morceau de viande coincé entre ses mauvaises dents.
Rosalie l’a embrassé avant de partir, c’est un bon jour, elle ne le fait pas toujours. La lumière est belle, une lumière d’orage. La pluie va tomber, couler sur la fenêtre, et tout deviendra flou. Pour l’instant , le ciel se retient, immobile. Quand lui se retient, il se tortille dans tous les sens. 
Les fenêtres en face sont bien nettes. Les volets fermés. Ça fait plusieurs jours qu’ils sont fermés. Il y a d’abord eu les volets blancs, deux jours après, les volets bruns. Soudain Marcel est inquiet.
Et si le village se vidait petit à petit, s’il ne restait plus que lui?
Il faudra attendre le lendemain, le retour de Rosalie pour que se calme le cœur fragile de Marcel.

mardi 11 juin 2019


Guy


(Marciac, Gers, 10 juin)

Guy a soixante et un ans. Il a les yeux grands ouverts vers le ciel mais ne voit pas. Il n’est pas très grand, se tient souvent les épaules remontées, les mains raides, doigts tendus. Il se souvient des bus de son enfance, des destinations, des numéros, des horaires, Il se souvient des machines de son père qui travaillait à la DDE, des marques, des modèles, des immatriculations, des numéros de série, quand je lui dit que je suis né le 27 juin 1955 il me dit que c’était un vendredi. Il écoute et retient tout, il est capable d’imiter tout le personnel du foyer. Après une imitation, il met ses mains raides sur son visage comme se cache un farceur pris en faute.  Guy ne connaît que deux chansons, « Elle descend de la montagne »  de Hugues Aufray et « Qui saura » de Mike Brandt.
Il chante Qui saura a cappella et c’est bouleversant.
Guy sera sur scène vendredi avec Steven (post du 22 mai), Adrien, Christophe, Abdenour, Agnès  Florence et Patrick. Guy jouera un prêtre qui unis les jeunes mariés, Adrien et Agnès. Il choisira parmi toutes les cérémonies auxquelles il a assisté, imprimées dans sa mémoire phénoménale, une voix et des mots, et il nous fera rire, et il chantera « Qui saura » et il nous fera pleurer.
Ils sont huit, ils arriveront en se tenant par l’épaule tandis que je jouerai une danse Chinoise à l’orgue de barbarie, leur nuit éclairée de mille feux. Ils feront théâtre, poésie, douceur et beauté.
Nous en avons tant besoin.

lundi 10 juin 2019


Une autre vie


(Mt Txindoki, Espagne, 8 juin)

Le souffle des chevaux
les sabots sur la pierre
une montagne aiguisée
comme une hache
une guitare qui soulève
de la poussière
les talons sur le bois
une arabesque de la main
un vin rouge râpeux
je suis né là bas
une autre fois
au sud c’est sûr
j’y ai vécu
une ride entre les yeux
j’étais une femme
une fleur aux cheveux
mains sur les hanches
j'osais comme jamais

dimanche 9 juin 2019


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 25 février)

En attendant les oiseaux


samedi 8 juin 2019


À l'ombre des hommes-bois


(Parc naturel d’Aralar, Larraitz, Espagne)

Miguel est devant. Une bonne paire de chaussures, un pochon de plastique avec un peu de pain et de fromage, un long bâton, il mène les juments et leur poulains aux pâtures. Une vingtaines de juments, presqu’autant de sonnailles différentes, et sept poulains. Son frère, Imanol, ferme la marche avec les chiens. Les deux frères ont vingt cinq et vingt trois ans et se ressemblent beaucoup. Le père dit de la mère qu’elle fait des copies.
De Larraitz, au pied du Txindoki, jusqu’aux prairies, il y a bien trois heures de marche. Ils sont partis à quinze heures, ils seront redescendus avant la nuit. Miguel connaît bien le sentier. Il y a juste un passage difficile, après les gros arbres; le sentier rétrécit et les pierres sont glissantes; il faut veiller aux poulains qui découvrent les chemins de montagne.
Là, avant que la pente ne devienne plus abrupte, il y a un point d’eau, à l’ombre des « hommes-bois ». C’est ainsi que leur grand-mère nommait ces arbres aux troncs épais et multiples, pas très hauts et recouverts de mousse.
Ils font une pause, les juments boivent, se bousculent, l’abreuvoir n’est pas plus grand qu’une baignoire, les chiens aboient, il faut remettre un peu d’ordre dans le troupeau, Imanol joue du bâton.
Miguel regarde les vieux arbres. Il pense à sa grand-mère qui avait sa façon à elle de parler des hommes. Il sent son cœur comme ce bois, un cœur difforme, énorme, un cœur débordant d’amour et incapable de choisir, un cœur qui puise à la moindre source pour en faire un fleuve.
Miguel pousse un cri, un cri joyeux et ferme, c’est lui le guide, il ne faut pas tarder, même si son cœur ne demande que ça.


vendredi 7 juin 2019


Le lait


(Parc naturel d’Aiako Harria, Espagne)

Quand le vieux Joseph a pris sa retraite, il a gardé une vache. Il a quitté la ferme pour s’installer définitivement dans sa petite maison ocre en bas du village.
Un potager, une vache, quelques poules, ce qu’il faut pour vivre.
Alice, sa femme, est très vite devenue impotente, muette, aphasique, incapable de marcher, elle qui avait tant donné au côté de Joseph. Une infirmière venait chaque jour pour les soins, petits moments où l’œil polisson de Joseph se réveillait.
Joseph n’avait rien dit à personne pour la vache,  de toute façon il n’y avait plus grand monde au village. Il la gardait dans un petit hangar attenant à la maison, la faisait paître alentour.
Chaque soir, assis sur le petit tabouret de bois à trois pieds, après avoir noué la queue de la vache à une de ses pattes, le front contre le ventre chaud de l’animal, un trayon dans chaque main, il faisait jaillir le lait, les jets blancs résonnant en rythme dans le seau de fer blanc.
Quelques gestes que faisaient son père et son grand-père, quelques gestes qui étaient sa raison d’être.
Et chaque matin il y avait du lait frais pour lui et sa vieille Alice qu’il fallait désormais faire boire.

jeudi 6 juin 2019


Dernière chance


(Île Royale, Guyane, 6 avril)

Quelqu’un a gratté deux lettres au dessus des roches noires.
Emporté par un ange, oh oui!
Entre l’île Royale et l’île Saint-Joseph
là où, pris par les flots, dévorés par les requins ont péri tant de bagnards tentant leur dernière chance.

mercredi 5 juin 2019


Quelques petites choses que je sais faire


(Hendaye, 31 mai)

Je ne sais pas faire grand chose
mais je sais me perdre dans un bouquet d’herbes folles
et écrire des mots d’amour sur le sable

mardi 4 juin 2019



Journée électorale


(Biarritz, 26 mai)

Faut venir là pour plus penser; l’océan boit, le poisson écoute.
Ce matin Nicolas avait la soupape qui sifflait et personne pour baisser le gaz. Édith lui a dit faut voter, c’est important l’Europe, c’est l’avenir de nos enfants. Lui, il n’ira pas, ils sont tous pareils, ils sont entre eux, ils manigancent, ils se refilent des enveloppes, ça sert à rien. Et puis ça puait le shit dans la chambre de son fils, alors les enfants, de toute façon ils font ce qu’ils veulent. La dessus sa fille s’en est mêlée, insoumis qu’elle a dit, insoumis, faut voter, tu as des devoirs papa. Ouais, et toi tu as fait les tiens, tu étais où hier soir! Vieux con, elle a balancé, et la porte a claqué. Alors il a dit a son fils, ça pue le shit, et le fils a dit non, lui, si, le fils non, lui si, putain on s’en sortira jamais. Édith a recommencé, faut voter, ce que tu veux mais tu votes, bon à gauche quand même, on a toujours été à gauche non. Ouais, toujours, et Chirac, et Macron? Mais là c’était pas pareil…. Tu m’emmerdes, si tu as des convictions, respecte les, et si tu changes d’avis assume. Et la porte a claqué, cette fois-ci le porte-manteau est tombé. C’est la cinquième fois en un mois qu’il tombe, la porte est creuse, les chevilles ne tiennent pas, Hé merde, ben oui, c’est creux! Il a pris sa canne et il a filé au vieux port. Il ronchonne sur la digue. Ça mord, il rejette le poisson à l’eau. Il ne va pas leur ramener de la friture en plus. C’est curieux, il n’y a personne aujourd’hui, ils sont où ses potes, ils sont allés voter? Peut-être bien qu’il va y aller quand même, parce que le poisson, la mer, tout ça…

lundi 3 juin 2019


Convergences


(Hendaye, 30 mai)

Adolescent timide et maladroit, souvent je me tenais à l’écart dans des tenues extravagantes, espérant secrètement que les regards convergeraient vers moi, que l’on viendrait à moi.
Je n’avais pas encore rencontré le Théâtre.

dimanche 2 juin 2019

samedi 1 juin 2019


Trois


(Plage de Cenitz, Guéthary, 21h45)

J’aime le chiffre trois
un deux trois
à trois tout est  possible
c’est toi c’est moi c’est l’imprévu
j’aime le mot bois
il rime avec trois
le répéter apaise nos soifs
nous offre une forêt
ventre fécond où il fait bon vivre
il faut trois bâtons
pour faire trois
beaucoup plus pour faire un toit
j’aime le mot toit
il fait chanter la pluie
il est notre balise
une terre promise
où il n’y a que toi moi et l’imprévu