vendredi 28 juin 2019



Giuseppe


 (Mana, Guyane, 4 avril) 

Le manoa del dorado, c’est là qu’il vient boire et manger. Il aime cette bâtisse un peu bancale, il en aurait bien fait sa maison pour y nicher ses folies. Giuseppe est un baratineur, où n’a-t-il pas été, qui n’a-t-il pas connu, c’est un annuaire, un palace cinq étoiles, un moulin à prières, un faussaire magnifique, Giuseppe ignore le silence. Il raconte qu’on l’a trouvé au fond d’un puits enveloppé dans un linge blanc, il avait à peine quelques jours, au fond d’un puits sec, le silence absolu, pas même un suintement. Remonté au plein jour, il n’avait cessé de babiller.
Sa langue est comme la corde qui retient le seau, si elle lâche, le seau tombe. Il raconte que c’est une tornade qui l’a arraché aux bras de sa mère et l’a précipité dans le puits. Il raconte qu’il a eu sept mères, celle qui l’a mis au monde, celle qui l’a remonté du puits, celle qui lui a appris à lire, celle qui lui a enseigné l’amour, celle qui lui a donné un rein, celle qui l’a fait rire pour la première fois, celle qu’il a vue vieillir.
On ne sait plus très bien d’où il vient. Sa peau semble parfois changer de couleur.
Aujourd’hui Giuseppe est seul dans le grand bar-restaurant. Tout est en désordre, Giuseppe danse entre les chaises. Il est pieds nus, la plante du pied noire de crasse, parfois il tape le bois du talon en prononçant un prénom, il penche la tête, comme si pendant quelques secondes il tentait de comprendre, puis il éclate d’un grand rire.
Giuseppe fait beaucoup de bruit, mais c’est comme ça qu’on l’aime.

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