dimanche 31 mars 2019


Miniatures éphémères


(Montagne Favard, Guyane, 23 mars)

Songe à la douceur des bois…

samedi 30 mars 2019


Mon église


(Réserve Trésor, Guyane, 23 mars)

Mon église est de feuilles et de bois
ni livres, ni lois,
grenouilles et cigales y sonnent les heures,
les capucins mènent la danse.

vendredi 29 mars 2019


Épilepsie


(Réserve Trésor, Guyane, 23 mars)

Quelques neurones s’affolent, un râle, le corps se raidit, s’agite, il perd connaissance.
Cela arrive parfois au petit matin. Un bout de vie qui échappe.
Le bois, les chevaux, les chats, l’apaisent.
Au creux de cet arbre, il y dormirait en paix.

jeudi 28 mars 2019


Le sable est doux entre les doigts


(Kourou, Guyane, 27 mars)

Cyprien  a ôté ses chaussures et sa chemise, il s’est accroupi à l’ombre des cocotiers. Il ramasse de petites poignées de sable qu’il fait couler entre ses doigts. Le sable est doux. Les nuages vont en cortège, les enfants jouent, le vent balance les palmes. Cyprien est libre, infiniment libre, personne ne l’attend, le sable est doux entre ses doigts.
Cyprien fixe un point à l’horizon, deux traits sombres, un point fixe dans sa mémoire, les îles du Salut, le bagne où son père a crevé les fers aux pieds. Son père a crevé pour avoir refusé de rentrer dans le rang. On est comme ça depuis toujours dans la famille de Cyprien, on ne supporte pas l’injustice et la norme absurde, on le dit, on se bat.
À soixante ans passés, Cyprien ne compte plus les coups de matraque et les soirées la voix cassée d’avoir tant gueulé.
Le sable est doux, Cyprien goûte ce moment ouvert au vent. Plus il fixe les îles au loin, plus il pense à son père. Vient alors ce sentiment que la liberté n’est qu’illusion tandis que dans le monde entier l’étau se resserre.
Pourtant le sable est si doux entre ses doigts.

mercredi 27 mars 2019


Ébène


(N1, entre Macouria et Kourou, Guyane, 6h30)

Rick est paumé sur le bord de la route.
Le soleil sur la savane a un goût de rhum.
Il sent sur la langue la piqûre du hameçon,
un baiser l’a dépouillé, un baiser l’a fracassé.
Il s’est échoué sur une plage d’ébène,
il s’est planté dans le sable noir et brûlant,
il s’est offert à la mante sombre,
elle l’a rejeté sur le bord de la route.

mardi 26 mars 2019


La Mue


(Rorota, Guyane, 17 mars)

Corsetée serrée, soies et dentelles rouges et noires, bottines à talons vert-émeraude, chapeau à rubans sur chignon royal, boucles de nacres et collier de perle, Eugénie de Saintonge avait embarqué sur le trois mats La Valentine le vingt et un mars 1870 vers la Guyane.
Pour rien au monde elle aurait laisser partir seul son mari, officier de marine, nommé gouverneur à Cayenne. Pour rien au monde elle aurait abandonné ses étoffes et ses parures. Il avait fallu porter quinze malles à sa suite.
Déjà au bout de quelques jours de grand large, son chignon vacillait, le corset s’était relâché d’un cran. Subrepticement la mue s’amorçait.
Accoudée au bastingage, Eugénie regardait l’océan, sombre et mouvant. Qu’allait-elle trouver là-bas. Elle avait peur. Elle ignorait que bientôt elle irait sans corset, pieds nus, ses tenues abandonnées sur le plancher telles les exuvies de cigales.

lundi 25 mars 2019


Ce dont les morts ont besoin


 (Régina, Guyane, 22 mars)

Vendredi dernier je jouais à Régina. Arrivé en avance comme souvent, je suis allé visiter le cimetière du village, juste en face de l’école. J’aime les cimetières, tant d’histoires y sommeillent.
Devant cette tombe de guingois carrelée de blanc et noir, je pensais à un joueur d’échec ou de dames n’ayant rien fait d’autre dans sa  vie que de jouer, incapable de marcher droit, titubant jusque dans la mort.
Une femme est entrée dans le cimetière, de long cheveux gris, la peau tannée par le soleil, un tatouage coloré sur un bras. Elle portait une touque et un parapluie. Elle s’est arrêtée près d’une tombe de terre. Elle a posé sa touque, elle a ôté une fleur fanée plantée dans la terre fraîche, elle s’est assise sur le bidon, elle a ouvert le parapluie pour se protéger du soleil, elle a allumé une cigarette et décapsulé une bouteille de bière, puis elle a parlé au défunt, tranquillement, buvant à petite gorgées, aspirant quelques bouffées de tabac.
Je voyais bouger ses lèvres, je ne l’entendais pas, je l’observais discrètement, marchant silencieusement entre les tombes. Il n’était bien sûr pas question de la photographier, ni de de la déranger. Cette femme me bouleversait, elle semblait tellement paisible, elle parlait à une présence évidente. Je me disais que ce mort avait la chance d’avoir été aimé si fort que jamais la conversation ne s'arrêterait. Tant d’autres autour semblaient avoir été abandonnés. Nous ignorons ce dont les morts ont besoin, peut-être n’ont-ils plus besoin de rien, peut-être pas, peut-être ont-il seulement besoin que jamais ne cesse cet échange, ce flux qui circule d’un monde à l’autre.
Je me suis assis à l’ombre sur un banc à l’entrée du cimetière, j’ai sorti un petit carnet et j'ai commencé à écrire cette scène.
La femme a planté la bouteille par le goulot dans la terre.  Je ne l’ai pas vu faire, je ne sais pas si la bouteille était vide ou à moitié pleine, j’ai seulement vu les bouteilles renversées, et le regard plein de celle qui venait de boire un verre avec son compagnon.
Elle a replié son parapluie, s’est levée, a repris son bidon et s’en est allée. Elle m’avait vu, bien sûr, elle avait senti que je l’observais. En passant devant le banc où j’étais assis, elle me dit: "Vous visitez les cimetières?" Et nous avons parlé, je lui ai dit mon émotion, je lui ai raconté pourquoi j’étais là aujourd’hui à Régina. Elle m’a alors parlé du défunt, son compagnon, disparu il y a deux mois, un poète, connu ici en Guyane, Dgé Oussour, un écrivain et voyageur qui s’était arrêté ici, "pris" par le pays, ils vivaient dans la forêt loin de tout depuis trente-cinq ans. Nous avons parlé de mémoire, d’attention, et d’écriture, nous avons parlé du village, de Narcisse et de Christophe, que j’ai rencontrés quelques années plutôt, elle m’a donné le numéro de téléphone d’un ami susceptible de me guider en forêt, je lui ai parlé de ces histoires que j’écris chaque jour.
Puis nous nous sommes quittés, j’avais une autre histoire a raconter aux enfants de Régina, on m’attendait à l’école.
J’ignore le prénom de cette femme, mais le soir j’ai repris la route empli de cette rencontre.


dimanche 24 mars 2019


Miniatures éphémères


(Rémire-Montjoly, Guyane, 17 mars)

Sur le bananier
être ou ne pas être?

samedi 23 mars 2019


Mots d'amour


 (Réserve Trésor, Guyane)

Les murs de la case de Joséphine étaient couverts de dessins tracés au charbon de bois.
C’étaient les mots d’amour de Nestor dont la seule école avait été la grande forêt.


(Montagne Favard, Guyane)

vendredi 22 mars 2019


Madame


(Macouria, Guyane)

La sueur coule entre les deux seins, au bas du dos, madame s’évente, éventail de papier japonais, du papier léger des voyages dont elle rêve, du papier coloré au pastel de sa délicatesse,
un fin papier qui ignore le mensonge, madame a chaud, madame ne dort pas, madame s’évente, se dit que cela passera bien un jour, bouffée soudaine au creux du lit qui devient rivière, madame s’écarte, monsieur attend, monsieur a tout son temps, monsieur aime madame, et le temps  n’y fera rien, monsieur aimera toujours madame.

jeudi 21 mars 2019


Sous le ventilateur
(Montsinery, Guyane, 16 mars)

Quand tu ne bouges pas sous le ventilateur
les Doors ne sont pas très loin
Aguirre traine dans les parages
la 317ième section est en chemin
ta vie tient à pas grand chose
la sueur coule sur le papier blanc
petites auréoles entre les mots d’amour
tu te fais ton cinéma
caïd à Las Piedras
t’en pinces pour une blonde
qui t’a mangé le cœur

mercredi 20 mars 2019


Un Haïku de Richard Brautigan


(Montsinery, Guyane, 16 mars)

 Lettre d’amour d’un mathématicien
Ma petite catastrophe…

(in les Haïkus de Richard Brautigan)

mardi 19 mars 2019


Dans la peau


(Montsinery, Guyane, 16 mars)

Il n’est que 20h, j’ai les yeux qui piquent, le dos qui bougonne, et la tête vide.
La saison des pluies tarde à venir, les eaux sont basses, et  je peine à dérouler ma pensée.
Je retrouve la Guyane où je viens parfois y jouer des spectacles dans les écoles depuis une douzaine d’années. Je joue plusieurs fois par jour. Parfois le vent emporte le décor, d’autre fois c’est la pluie qui frappe la tôle du carbet, me rendant inaudible. Il fait chaud. Après le spectacle, le costume est trempé, la voix devient plus rauque.
Aujourd’hui, j’ai joué trois fois, devant vingt et une classes de maternelle et primaire. Il viendra bien un jour ou je n’en aurai plus la force. Mais tous ces visages réjouis me  renversent, m’offrent de leur jeunesse.
Et puis il y a la forêt où je file dès que je ne joue pas, cette douce pieuvre qui m’a choppé un matin il y a douze ans. C’était près de Sinnamary, sur la piste Saint-Elie. On m’avait dit ne t’aventure pas seul en forêt. Mais j’étais comme un môme, il me fallait y goûter, seul.
Jamais je n’oublierai l’instant où j’ai quitté la piste pour m’enfoncer dans le sous bois sur un étroit layon. La moiteur soudaine, les sons inconnus, la peur, l’excitation, l’émoi d’une première fois.
Et puis il y a les baraques de tôle rouillée, les pistes défoncées, les épaves de voitures mangées par la végétation, ce parfum de bout du monde où les grands arbres se rient de nos échecs.
Et les fleuves, et les rivières qui portent nos désirs, loin au plus profond des bois.
Il est 20h30, le corps se détend après avoir parlé. Pas de balade en forêt aujourd’hui, mais dire combien je l’aime, combien j’aime ce pays. Je l’aime avec ses cloaques et ses sourires, avec ses histoires et ses mystères. Je l’ai dans la peau.

lundi 18 mars 2019


Tout l'or du monde


(Cacao, Guyane, 15 mars)

Il y a tout l’or du monde dans cette goutte d’eau.

dimanche 17 mars 2019

samedi 16 mars 2019


À l'angle de la rue Lalouette et de la rue Cayaté


(Cayenne, Guyane)

Des murs fatigués au dessus d’une boutique de souvenirs. Je sens une présence à la fenêtre du deuxième étage. Une présence fébrile. Celle d’un homme venu à Cayenne poser des charpentes métalliques. Un homme venu pour quelques mois après avoir abandonné sa famille et qui trois ans plus tard est toujours là, mangé par le pays. L’homme est édenté, sec comme une canne. C’est samedi, il ne travaille pas, il fume cigarette sur cigarette près du ventilateur. Il se tient à quelques centimètres de la fenêtre. Il murmure. Il parle à ses enfants.
Juste après avoir photographié le bâtiment, je sens une main sur l’épaule. je me retourne, il n’y a personne. Je reconnais la maison face à la boutique. Il y a trois ans (Billet du 14mars 2016), je me suis arrêté exactement au même endroit.


vendredi 15 mars 2019


La cloche


(Cacao, Guyane)

Arthur était très grand et ne connaissait que neuf mots, bonjour, poubelle, papillon, papa, cul,
pluie, froid, bois, bleu. On l’avait mis à la cloche. Il avait sa chaise. Au début et à la fin des cérémonies, il n’avait qu’à se lever et tendre le bras pour sonner. Le père lui donnait quelques sous. Sonner la cloche et regarder les papillons, ainsi vivait Arthur.
Arthur était très grand et atteint du syndrome de Gilles de la Tourette. Quand il sonnait, ses tics disparaissaient.
Enfant, il fut la risée de ses camarades. On lui piquait sa casquette, on lui mettait des grenouilles dans ses poches, du sable dans son sandwich. Puis on s’était lassé, on avait fini par le laisser regarder les papillons, puis plus tard sonner la cloche de l’église.
Seul Antonin ne s’était jamais lassé, il l’avait harcelé toute sa vie durant, à l’insu de tous.
Arthur et Antonin avait vieilli ainsi, l’un souffrant en silence, l’autre jouissant en silence.
Et puis un jour Antonin mourut. On l’enterra un mardi.
Personne ne comprit pourquoi Arthur sonna aussi longtemps ce jour là.

jeudi 14 mars 2019


Bleu


(Matoury, Guyane, Dendrobate tinctorius, dite Dendrobate à tapirer, 13 mars)

J’ai trouvé une grenouille à qui me confier.
Elle est toxique
mais elle si jolie.

mercredi 13 mars 2019


Lacets


(Matoury, Guyane)

Un jour j’ai su lacer mes souliers tout seul. De belles boucles, avec un double nœud. Ça tenait bien. J’étais devenu grand. Je me souviens de ma mère assise dans le canapé rouge, me regardant faire. J’étais fier.
Un autre jour, bien plus tard, il m’a fallu lacer les chaussures de mon père.
Je marche seul dans la forêt. Elle m’enserre voluptueusement. Je pense à tous ces moments qui font grandir.

mardi 12 mars 2019



B. Paradis


(Guise, Aisne, 7avril 2018)

Elle ne lui avait pas donné de nom, juste un numéro, le 244. La première fois, elle l’avait appelé une nuit sans lune, une nuit de brume. Rick s’était réveillé en sursaut, ne sachant plus où il était, comme chaque fois qu’il rentre de voyage. Il n’avait pas reconnu cette voix, elle avait la douceur de la soie roulée au bout des doigts, avec parfois un infime grain de sable. Elle lui avait parlé de lui, elle semblait le connaître, très bien. Elle lui avait dit qu’elle aussi aimait les arbres et la pluie chaude qui goutte sur la nuque. Elle lui avait dit qu’elle venait d’un pays au parfum de menthe et de lait caillé. Elle lui avait dit combien elle aimait l’amour, ses pétales et ses épines. Elle lui avait dit qu’elle aimait voir se lever le soleil en écoutant les oiseaux, qu’elle aimait le bruit de l’eau dans les gouttières  et du vent dans les haubans. Elle lui avait parlé des coquelicots, des oiseaux de proie qui veillent sur le bord des routes, de la lune dans les buissons, des pierres qui roulent, des roseaux qui penchent et du caillou dans la chaussure. Elle lui avait parlé du père qui ne dit rien, de la mère qui rit aux éclats. Elle lui avait parlé de la tête posée sur la poitrine comme une île sur son océan. Elle lui avait parlé des jours sans savoir quoi faire ni de ses mains ni de ses mots. Elle lui avait parlé du silence et des marées, des étreintes et des regards, de la caresse d’un cil, des lèvres dans le cou, d’une étoffe qui s’envole.
Elle avait parlé, sans jamais dire son nom, elle avait parlé plusieurs nuits de suite, sa voix avait le goût du meilleur des whiskies, le goût de la terre et d’un nuage solitaire, le goût des saisons et de l’infini.
Elle lui avait dit viens, porte 244, au Familistère de Guise.
Il était venu, porte 244, au Familistère de Guise. Il avait vu son nom sur la porte, son cœur s’était emballé.
Il n’avait pas osé frapper, il était longtemps resté immobile devant la porte, le cœur battant, l’oreille tendue.
Il n’avait pas osé frapper, il était reparti sans faire de bruit, avec celle qu’il avait imaginée, certain ainsi de ne jamais la perdre.

lundi 11 mars 2019


Deux bracelets


(Venise, Grand Canal, 28 janvier 2018)

Elle portait au poignet droit deux bracelets, l’un d’ivoire, l’autre de jade qui tintaient lorsqu’elle se coiffait avant qu’il vienne, qui tintaient lorsqu’elle agitait le bras à son départ.

dimanche 10 mars 2019


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 9 mars)

Les passagers du vol 777 à destination de la Grande Garabagne 
sont priés de se présenter porte 7.

samedi 9 mars 2019



Makeda


 (Vaucresson, 31août 2018)

C’est un soir sans visage, un soir sans pétales, Rick a tout foiré; il a cramé son manteau d’astrakan, il a perdu ses clés au fond d’un étang en voulant choper la lune. Il a l’air d’un chat mouillé qui attend sa mère, un chat enroué qui ne sait plus miauler ni ronronner.
Alors il ne bouge plus, il laisse venir, il ferme les yeux, sa tête lentement se balance, son cœur appelle la reine de Saba. Il laisse venir, Makeda sera là avant minuit.

vendredi 8 mars 2019


Le chant de la tulipe


(Vaucresson)

L’étreinte au petit matin
la valise ouverte
le chant de la tulipe
il va falloir partir

jeudi 7 mars 2019


Bestiaire


(Puybrun, Lot, 14 février)

J’ai vu une salamandre dans l’abreuvoir
j’ai vu une chauve-souris derrière un volet de bois
j’ai vu un tatou cabassou sur une piste de latérite
j’ai vu un dromadaire dans une pépinière
j’ai vu une grenouille dans la cuvette des WC
j’ai vu un grand cerf au milieu du sentier
j’ai vu un paresseux sur le goudron brûlant
j’ai vu les ibis rouges au couchant
j’ai vu un sanglier solitaire au milieu d’un champ
j’ai vu un hérisson le museau coincé dans un pot de yaourt
j’ai vu un pic-vert à bout de force
j’ai vu un renard traverser ma rue
j’ai vu un lama dans la vallée de Chevreuse
j’ai vu une tortue dans le jardin de Sylvie
à Lelin-Lapujolle j’ai vu un chat blanc dans les tournesols
à Pouydraguin j’ai vu une biche dans les maïs
j’ai vu une girafe à la fenêtre
j’ai  vu un crapaud dans le caniveau
j’ai vu une écrevisse dans le ruisseau
j’ai vu  un pic-bœuf sur un zébu
j’ai vu un cochon au bout d’une laisse
j’ai vu un crocodile dans la baignoire
j’ai vu un sapajou dans mon panier
j’ai vu un iguane en haut d’un arbre
j’ai vu un rouge-gorge dans mon jardin
et puis des pies, des mésanges et des perruches
j’ai vu un pigeon sur la tête d’un homme
j’ai vu homme sur le dos d’un âne

mercredi 6 mars 2019


Rage


(Saint-Valéry-sur-Somme, 30 novembre 2016)

Le vent du large avait chassé les mouches qui dansaient sur le ventre gonflé de la vache crevée au milieu du champ. Le couchant exaltait le rouge  de la rouille sur le silo et les épaves. Une corde pendait aux poutrelles du hangar.
Voilà ce que j’ai vu ce jour là, de retour vers Saint-Valéry-sur-Somme après une belle journée sur la plage du Hourdel. J’avais ramassé quelques galets, fait quelques photos, le phare, un bateau de pêche avec sa traine de mouettes, quelques embarcations au sec.
Et là, devant cette ferme abandonnée, rage et désespoir m’envahissaient, comme ce soir encore après avoir vu un paysan au bout du rouleau pleurer devant son père et son grand-père.

mardi 5 mars 2019



Les Jours


(Meilhards, Corrèze, 20 février)

Il y a des jours où la boue colle aux semelles
il y en d’autres où l’on voit voler les vaches
il y a des jours où on a le regard chassieux
il y en a d’autres où toutes les filles sont belles
il y a des jours où l’on a besoin d’Arnica
il y en a d’autres où l’on frétille comme un alevin
et puis il y a un jour où c’est fini
un jour où on perd la main
un jour où l’on décolle 
sans faire de bruit
et sans soucis
aussi léger
qu’une fourmi

lundi 4 mars 2019


Le bon métier


(Vayrac, Lot, 13 février)

C’était son premier boulot. Terrasser un hectare de pré imbibé d’eau en bordure de route aux commandes d’une tractopelle JCB3CX  flambant neuve. Au cours de sa formation on lui avait parlé des canalisations et des lignes enfouies, des vestiges archéologiques mis à nu, des éboulements, des dangers liés aux intempéries, on lui avait parlé du bruit, de la poussière et des vibrations. Mais jamais on ne lui avait dit ce qu’il fallait faire si une cigogne baguée prenait tranquillement possession du chantier.
Martin avait coupé le moteur de l’engin. Il regardait l’oiseau avancer lentement, piquer l’herbe humide de son long bec. La cigogne l’ignorait totalement, elle faisait ce qu’elle avait à faire, sans se poser de questions. Martin, lui, se demandait s’il avait choisi le bon métier.

dimanche 3 mars 2019

samedi 2 mars 2019


Coureur des bois


(Eyburie, Corrèze, 19 février)

Enfant j’étais Davy Crockett coiffé d’une toque en peau de lapin, j’étais le dernier des Mohicans un couteau de plastique à la ceinture et quelques plumes dans les cheveux. Je courais les bois entre le bac à sable et la cage à écureuil. Ma chambre était le nouveau continent, mon lit une frégate ou un canoë.
Dans ce chaos de bois je me souviens de ces aventures, je me souviens de ces forêts, avec la certitude d’y avoir vécu.

vendredi 1 mars 2019


L'oiseau

 
(Jaiskibel, Espagne, 25 juillet 2018)

l’homme s’était endormi dans l’herbe rase en bordure du sentier des douaniers. Une ombre passant sur son visage à intervalles réguliers l’a réveillé. Un grand oiseau tournait au dessus de lui, passant parfois très près, à un jet de pierre. L’oiseau planait, majestueux, dessinant des cercles dont l’homme était le centre.
L’homme regardait l’oiseau, il distinguait son bec, ses serres, il se sentait infiniment fragile.
L’homme a bougé une main lentement. L’oiseau s’est élevé, élargissant les cercles, de plus en plus haut.
L’homme s’est alors détendu et a repris sa route plus léger. L’oiseau était juste venu nettoyer son ciel.