samedi 31 décembre 2016



Miniature éphémère
Pour l'an neuf



Si le poète se décourageait,
les feuilles tomberaient des arbres-
et leurs branches prendraient
le profil de potences.
Si le poète se décourageait,
les femmes enceintes 
ne donneraient plus la vie,
ne donneraient plus jamais la vie.
Mais de grâce et de misère, le poète,
de grâce et de misère,
meurt toujours, toujours,
avant de se décourager. 
  
                                              Nichita Stànescu  (Art poètique, poème extrait du recueil, les non-mots et autres poèmes, aux éditions Textuel)

vendredi 30 décembre 2016


Une meute de chiens rouges


Ouranos a lancé ses chiens rouges au secours d’Aphrodite mise à mal par Donald…

(Jonquières, Vaucluse, 29 décembre)

jeudi 29 décembre 2016


Comptine


Adèle perd la mémoire et ne sort plus. Ce matin, le vent est tombé et le soleil chauffe la façade de la vieille maison. Adèle a ouvert les volets en chantant. Elle s’est souvenue au réveil d’une comptine que répétait en boucle son petit frère: Chouette dit la mouche, je vole et je suis la seule à chier au plafond. Ils avaient des fous rires à n’en plus finir et le chien sautait autour d’eux en jappant.
Il fait beau aujourd’hui.
(La Martelière, Vaucluse)

mercredi 28 décembre 2016


Sophie


Depuis très longtemps, j'ai un petit penchant pour la fille aux chaussures rouges qui m'attend au bout du champ...
(Travaillan, Vaucluse)

mardi 27 décembre 2016


Les Ombres


Ici, à la tombée du jour, le ciel est rouge quand souffle le mistral. Il fait froid. Deux ombres furtives viennent de passer, un homme et un enfant, deux ombres qui marchaient vite, sans bruit.
C’est l’heure des fantômes, je scrute la nuit, je me souviens des nuits à la belle étoile, de la peur mêlée à la joie, de cet adolescent qui s’encanaillait sur les routes.
Et ce ne sont plus deux mais des dizaines de silhouettes qui avancent silencieusement, hommes femmes et enfants. Le hangar est fermé, un maitre chien fait sa ronde, le vent est fort. Les ombres filent vers le nord…

lundi 26 décembre 2016


Paterson


(Fécamp, 9 décembre)

« Quand on est enfant
on nous apprend qu’il y a trois dimensions,
la hauteur, la largeur et la profondeur,
comme une boite à chaussure.
Plus tard on apprend qu’il en existe une quatrième, le temps.
Puis on entend dire qu’il y en a cinq, six et peut-être sept.
J’abats du travail, 
je bois une bière au bar,
je regarde mon verre,
je suis content. »

C’est un poème écrit et lu par Paterson le personnage du dernier film de Jim Jarmush ( le véritable auteur des poèmes qui jalonnent ce merveilleux film est le poète américain Ron Padgett).
Tout dans ce film est d’une infinie délicatesse, le quotidien y est sans cesse transfiguré, ces images nous réjouissent et nous apaisent.
La poésie est un baume qui résiste au vent et à l’eau, l’amour est sève.

dimanche 25 décembre 2016

Miniatures éphémères
Noël




C’est un Noël sans neige,
 au jardin le lustreur est venu poser quelques gouttes de rosée
 sur l’érable du japon.

samedi 24 décembre 2016



À la maison

 
Dedans, le parfum du café chaud
Dehors le brouillard
Au sud, le jardin, thuya, houx et noisetiers
Au nord le village, ardoises et cheminées
Le silence du dimanche
Le  léger ronronnement de la chaudière
L’un contre l’autre
Nous regardons par la fenêtre


(Vaucresson, 18 décembre)

vendredi 23 décembre 2016


Bateau à vendre


Un marin édenté assis sur un casier chantait Le port de Tacoma. Il m’a dit: Y’a plus rien à pêcher, les phoques ont tout bouffé, j’te vends mon rafiot. Je lui ai répondu: j'ai acheté un manège à Bagnères de Bigorre, un autobus à Stockholm et une montgolfière à Saussetot-le-Mauxconduit,
alors pourquoi pas ton bateau, y m’reste des sous…

(le Hourdel, 30 novembre)

jeudi 22 décembre 2016


De Là-haut


Huit heures trente, Michel est à son poste, à trente mètres de haut. Le ciel va se dégager aujourd’hui, il n’a pas besoin d’écouter la radio, il le sent. Comme il a toujours su d’instinct quand un vent fort allait se lever, qu’il fallait mettre la grue en sécurité et descendre.
Il est bien là haut, dans sa bulle. Dix jours qu’il est sur ce chantier. De sa cabine il voit la cour de l’école de Christine, sa compagne, sa muse, sa perle. À dix heures, c’est la récréation, il peut voir Christine surveiller les gamins. De loin, c’est si beau, les mômes qui courent et Christine, minuscule qui papote avec ses collègues.
Mais de près, il sait bien que c’est autre chose. Christine est de plus en plus fatiguée, le soir elle lui raconte les cris incessants, les toux ininterrompues, le manque d’attention, les enfants autistes - il y en a un par classe cette année, et personne de compétent pour la soulager elle et ses collègues -. Elle lui raconte les parents qui ne viennent pas chercher leur enfant, alors il faut attendre, tard, parfois très tard, et en dernier recours prévenir la police municipale. Elle lui raconte les cas de conscience lorsqu’il faut faire un signalement, mais qu’on est pas très sûr. Elle lui raconte ses collègues qui craquent, sa directrice qui n’aspire plus qu’à une chose, partir à la retraite.
Bien sûr, elle lui raconte aussi la joie des minots lorsqu’on fête un anniversaire, ou qu’on leur offre un spectacle, celui qui s’accroche à sa jambe pour un câlin ou celle qui lui dit: t’es jolie maitresse ou encore celui qui lui offre un dessin avec deux soleils. Mais il voit bien qu’elle est à bout. Ils font de moins en moins souvent l’amour et parfois il la surprend l’œil humide. Quand il la questionne, elle lui dit, ça va, ça va aller, c’est la fin du premier trimestre, c’est la période, ça ira mieux après les vacances. Lui, il lui raconte ce qu’il voit de là haut, un monde où le ciel sans cesse se reflète dans les vitres de villes idéales, un monde flottant qui prend le vent tel le roseau, un monde où les hommes à leur juste dimension retrouvent paix et humilité.
Elle pourrait cesser de travailler, il gagne bien assez pour deux, et puis ils n’ont pas besoin de grand chose, leur amour prend tant de place. Mais non, pas question de laisser tomber, elle a sa fiérté, et il le comprend.
Alors il imagine la flèche de sa grue qui s’allonge jusque là-bas, une manœuvre, et Christine au bout du câble qui s’envole jusqu’à lui, l’embrasse tendrement, puis lentement redescend sous les applaudissements des enfants.

(Chelles, 16 décembre)

mercredi 21 décembre 2016


Trésors


Autrefois je ramassais sur les plages ces morceaux de verre polis par la mer. Humides, ils brillaient, bruns, bleus et verts. Dans leurs reflets, je voyais trinquer les marins et chanter les sirènes. Je les gardais précieusement dans de grands bocaux  fermés par un bouchon de liège.
Un jour je les ai vendus pour quelques centimes dans un vide grenier. Dans leurs vases clos, ils étaient devenus muets.
On n’en trouve plus maintenant, le verre est recyclé ou remplacé par des bouteilles de plastique sans reflet.
Je continue d’arpenter les grèves en quête de trésors, ce sont des bois, des galets percés, parfois des filets emmêlés aux couleurs vives. Ils me donnent des histoires et me parlent de gens que je ne connais pas mais qui sont comme des frères.
Sans doute le simple fait de chercher est déjà le début de ces histoires, sinon l’histoire elle même, celle d’un solitaire qui a mis tant de temps avant de parler et qui maintenant ne sait parfois plus s’arrêter. Celle d’un homme qui lorsqu’il lève les yeux tente d’écrire sur les lignes à l’horizon, comme sur un cahier d’écolier, ce qui est et ce qui fut.

(Baie de Somme, 30 novembre)

mardi 20 décembre 2016


Pirate


Souvent quand je joue dans les écoles, les enfants me demandent pourquoi j’ai un anneau à l’oreille. Je leur répond que je suis un pirate et que mon bateau m’attend amarré à la rive la plus proche.
La preuve en est ce bateau blanc sur le parking de l’hôtel de la Croisière, en pleine campagne à trente kilomètres de la mer. Ce matin dans la nuit froide, j’oublie mes courbatures. Je serai Achab où Rackham le Rouge et la journée sera belle…

(Louvetot, Seine-Maritime, 13 décembre)

lundi 19 décembre 2016


Hauteur


En équilibre, à l’extrême bord
Un frisson dans le bas du dos
Envisager l’envol

(Les Grandes Dalles, Seine-Maritime, 14 décembre)

dimanche 18 décembre 2016


Miniatures éphémères
La Belle au Bois Dormant


Je l'ai découverte ce matin, elle dormait depuis si longtemps...

samedi 17 décembre 2016



La Guerre des Leds


La guerre avait commencé il y'a longtemps. Les Durantin et les Jaspert habitait les uns en face des autres. Au temps où le cheval du laitier laissait chaque matin  un beau crottin sur la route, les deux grand-mères se levaient aux aurores et sortaient en robe de chambre pour ramasser le précieux engrais qui ferait de leurs hortensias les plus beaux de la rue. Un jour le butin fut trop maigre pour deux et les deux femmes s’écharpèrent à coup de pelle et de seau au milieu de la rue.
À dater de ce jour, l’inimitié entre les deux familles ne fit que croître.
Tout était prétexte à rivalité. Il y eut les robes des mères dont les coupes et les  couleurs redoublaient d’audace, il y eut les chignons des filles dont la hauteur proclamait le vainqueur, et les voitures customisées des fils dont les basses que crachaient les autoradios accablaient le voisinage qui assistait impuissant à cette lutte sans merci.
Les rivaux ne s’adressaient jamais la parole, et de chaque côté les parents entretenaient la légende afin que jamais leurs descendants ne manque d’ingéniosité  dans ce conflit de voisinage.
À Noël ce serait à celui qui afficherait les plus belles décorations. Mr Jaspert avait le dessus, il avait trouvé un fournisseur de leds particulièrement bien pourvu . Mr Durantin avait bien tenté une filature jusqu’au commerçant, mais Mr Jaspert s’en était rendu compte et l’avait semé dans les ruelles de Montfermeil.
Alors cette nuit Mr Durantin a décidé avec ses deux garçons d’aller sectionner les câbles d’alimentation des guirlandes des Jaspert.
Ils attendent, cagoulés, cisaille en main, trois heures du matin pour leur opération commando. Si, comme beaucoup d’hommes de son âge, Mr Jaspert se lève au milieu de la nuit pour aller pisser, à trois heures on pourra agir sans risque, il se sera rendormi.
Mais les Jaspert ont eu la même idée et Mr Jaspert et ses trois fils, vêtus de noir des pieds à la tête, maquillage commando sur le visage, attendent le bon moment tapis dérrière leur porte.
La nuit risque d’être chaude avenue des Sciences à Montfermeil.


vendredi 16 décembre 2016


Tout est paisible à Montfermeil


C’est une matinée paisible à Montfermeil, les boueux viennent de passer. Aujourd’hui c’était Georges et Moussa sur les marche-pieds. Lucien les a salués puis a repris sa petite marche matinale. Levé à six heures, un café au lait et une demi viennoise dans le ventre, il va jusqu’au 153, où habitent les Jacquemont, puis retourne tranquillement jusqu’à son pavillon.
Ce matin, en passant devant les volets encore fermés, il se souvient des calendriers de l’avent de son enfance, de l’impatience de découvrir l’image qui se cachait derrière chaque petite fenêtre de carton et il imagine ce qui se trame dans ces maisons endormies. Il se souvient de l’odeur du sapin qui perd ses épines et  de ses fouilles obstinées, n’épargnant aucun recoin de la maison, incapable d’attendre le jour de Noël pour découvrir ses cadeaux.
Tou est paisible à Montfermeil. Lucien se souvient de ce jour où l’on chantait  Mon Beau Sapin à l’école maternelle. Il faisait semblant, honteux de chanter faux.  Et maintenant il chante avec ses petits enfants. Il se souvient d’un Noël où il faisait si froid que tout était verglacé et les autos glissaient dans tous les sens. Lucien ne conduit plus, il marche où prend le bus.
Il se souvient de tous ces matins d’hiver où à peine réveillé il se précipitait à la fenêtre pour voir s’il n’avait pas neigé. La neige se fait bien rare de nos jours.
Ce matin Lucien a le souffle court. Il a bien entendu aux infos  que seules les voitures aux plaques paires pouvaient circuler. Pourtant, dans celles qui passent dans sa rue il y autant de paires et d’impaires. Il a aussi entendu parlé de la Syrie. Une jeune femme a pleuré à la fin de sa chronique.
Il a été ému, un instant il a vu s’éteindre les guirlandes et les maisons s’effondrer, puis tout est revenu dans l’ordre.
Tout est paisible à Montfermeil.

jeudi 15 décembre 2016


Danielle


J’avais tout juste vingt ans. Elle s’appelait Danielle, elle avait de grands yeux bleus et habitait une minuscule maison verte. Une allée de gravier bordée d’orties et de renoncules y menait. Nous y passions des nuits de haute mer, dans l’étroite chambre je découvrais le monde.
Elle est partie un jour pour l’Angleterre et nous nous sommes perdus de vue…

(Saint-Valery-en-Caux, 9 décembre)

mercredi 14 décembre 2016


la pêche du jour

 
la pêche du jour, ce sont quelques mots du parler cauchoi, spécifique à Yport: calimachon pour escargot, caucheuse pour chaussure, calinage pour temps d’orage avec éclair sans tonnerre, écho pour rebord rocheux, varva et varveu pour ressac, côtièe de breune pour nuage à l’horizon, déripette pour diarrhée, et enfin jouie pour pêche de jour.




(Yport, 13 décembre)

mardi 13 décembre 2016



La lune sur le dos


La lune sur le dos, il marche à pas lents sur le bord du monde. Il tient serré au fond de sa poche le mouchoir qui a essuyé ses larmes et qui au bout estompera le paysage.


(Ricarville, Seine-Maritime, 17h30, Pleine lune)

lundi 12 décembre 2016


Tati


 Vendredi, d’humeur joyeuse sur ce sentier de Geutteville-les-Grès, j’entamai un pas de deux avec cet arbre qui me faisait irrésistiblement penser à Jacques Tati.

dimanche 11 décembre 2016


Miniatures éphémères
Petits métiers
Les Séraphins

 
Les Séraphins savent agrémenter à l’infini les fruits défendus. Posés sur les épineux, chardons, rosiers ou églantiers, ils chantent l’amour à celles et ceux qui se piquent aux épines.
L’hiver, quand sur les chemins personne ne passe, alors leur visage s’efface.
Auprès des cynorhodons ils garderont quelques couleurs pour au printemps retrouver leur ferveur.


samedi 10 décembre 2016


Sur la route


Au crépuscule, se poser, là,
Au pied d’un arbre déployé
Comme  une carte routière.
Au premier chant, repartir.

(Entre Gueutteville-les-Grès et Pleine-Sève, Seine-Maritime, 9 novembre) 

vendredi 9 décembre 2016


Oiseau


Il y a soixante cinq millions d’années, il ne restait pratiquement plus que des oiseaux sur terre. Nous survivront-il?
                                                                 (Saint-Valery-en-Caux)

jeudi 8 décembre 2016


Aube et Peupliers

 
Aube et peupliers
Pinceaux et papier
Pour peindre la journée


(Trouville-la-Haule, Eure)

mercredi 7 décembre 2016


Te taquiner




Je marche seul sur le chemin côtier
 Toutes ces herbes que j’aurais pu cueillir pour te taquiner
 Si tu avais été à mes côtés


(Le Hourdel, 30 novembre)
                                                                                   




mardi 6 décembre 2016


Les Jours


Levé aux aurores, je vais, répétant mots et gestes, chaque jour. Et les aubes, les chemins et les visages font qu’il n’existe pas de journée ordinaire.

(Vassonville, Seine-Maritime)

lundi 5 décembre 2016


À la piscine

 
                                                                
                                                                (Dieppe, 1 décembre)
         
 Le soir tombe, le froid est vif, l’eau est chaude. Nadine s’étire autant qu’elle peut dans sa nage. La main va chercher loin devant, les pieds tendus  battent rapidement, le dos s’allonge, tous les trois temps la tête se tourne pour prendre l’air. Quand le bras sort de l’eau, elle sent la fraicheur. Elle garde le regard sur la ligne de fond pour ne pas dévier de sa trajectoire. Elle compte les longueurs. Elle s’en impose cinquante, chaque jeudi. Ce soir elle a une ligne d’eau pour elle toute seule. C’est mieux. Nadine nage vite et déteste être dans le sillage d’un autre nageur, d’autant plus s’il laisse derrière lui des effluves de parfum ou d’eau de toilette. Elle ne s’arrête pas. En bout de bassin elle fait  un demi tour rapide et se propulse en prenant appui sur le bord  avec ses pieds. À cet instant, pendant quelques secondes, elle cesse tout mouvement, et le corps tendu au maximum fend l’eau, puis le geste reprend, métronomique. Parfois des pensées la traversent et elle perd le compte . À la dix neuvième longueur elle s’est souvenue de l’affiche des messageries maritimes encadrée dans le bureau de son père, il y avait écrit en lettres rouges: LEVANT.EXTRÈME ORIENT AUSTRALASIE MADAGASCAR. Où en était-elle, vingt, vingt et un? quand elle hésite, elle opte pour le plus petit chiffre, ainsi si elle se trompe elle en aura fait plus et non moins. Elle a le goût de l’effort.
Mais à la vingt cinquième longueur, c’est une pensée plus tenace qui s’accroche tel un rémora, le visage défait de l’employée qu’elle a du licencier cet après midi pour faute grave. Elle a tardé, mais c’était inévitable, on ne pouvait pas mettre en danger l’entreprise, une blanchisserie industrielle. Son père aurait été fier de son attitude, c’est sûr.
Elle ne sait plus où elle en est. Les lunettes commencent à s’embuer et faire pression autour de ses yeux. Elle n’a plus d’énergie. Combien de longueurs, quarante, quarante cinq, combien d’employés quatre vingt trois jusqu’à ce matin. Peut-on échapper à ses origines?  Elle aurait pu ne pas… Elle aurait pu…. Et soudain elle accélère, change de rythme, une respiration tous les quatre temps, laisse le rémora au fond de la piscine, nage sans compter jusqu’a ce qu’elle sente son cœur s’emballer et sa tête se vider…
                                                                                                 

dimanche 4 décembre 2016

Miniatures éphémères
Barbe de Vieillard

 

 La Clématite Vigne Blanche, ou Barbe de Vieillard, ou Herbe aux Gueux, ou Bois de Pipe est une liane qui envahit les friches, les terrains vagues, et les bas cotés des voies ferrées.
Autrefois, il y avait près de chez moi un terrain vague clos de quatre murs que nous appelions Le Verger. Vers 10, 12 ans, nous étions assez grands pour sauter le mur et retrouver les plus âgés au centre du Verger. Nous devenions de petits hommes. Entourés de Bois de Pipe, nous fumions les lianes assis sur des banquettes de voiture défoncées en feuilletant des Lui froissés et nous parlions de nos exploits et de nos rêves pour l’avenir.
Je ne prêtais pas attention à ces boules cotonneuses, les fruits de la Clématite. Seules les tiges nous intéressaient.
Ce n’est que maintenant  que je découvre au cœur des fruits blancs et légers les traces de mon enfance.


samedi 3 décembre 2016


Constructeurs de routes


Ils construisaient des routes. Pendant des années Pierre et Jean se sont côtoyés dans les vapeurs de goudron, sur la terre gelée qui résiste, où dans les tranchées boueuses. Ils ont connu les aubes sales, le dos qui lâche, et les mains qui ne savent plus caresser.
Maintenant qu’ils sont à la retraite, ils se retrouvent deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, sur la digue au bout de la plage, à l’entrée du port de Dieppe. Ce sont les jours de piscine de leurs femmes. Elles ont bien tenté de les convaincre des bienfaits de l’aquagym, mais ce genre d’activité, ce n’est pas pour eux. Alors ils se préparent leur repas qu’il mettent dans leurs vieilles gamelles de métal émaillée qui les accompagnaient sur les chantiers, il choisissent une bonne bouteille de rouge, chacun son tour, et il se retrouvent là sur la digue.
Ils mangent et boivent tandis que le soleil descend. Ils parlent peu. Ils regardent la mer. De temps en temps un souvenir remonte, l’arrivée d’une nouvelle machine, un hiver exceptionnellement rigoureux où un été caniculaire, l’accident d’un camarade, les journées de grèves, un chef de chantier différent…
Et entre leurs souvenirs, il y a la mer et le ciel, vides, immenses…

vendredi 2 décembre 2016


Véga


 C’était le chaos, Il était temps de partir.  J’ai navigué le temps d’écrire l’histoire de chaque jour de ma vie. Mon vaisseau s’est écrasé sur la surface meuble de Véga. Quand je suis sorti, l’air était incroyablement frais et pur. J’étais soudain si jeune et j’avais devant moi tant à inventer…

jeudi 1 décembre 2016


Mes chers compatriotes


Après avoir traversé le pays, il cherchait un endroit pour enterrer ses illusions. La Pointe du Hourdel, un soir de novembre était le lieu idéal. Pas âme qui vive dans ce petit port déserté depuis que la baie s’ensable. Une impasse, un lieu de rendez vous manqués. En face du phare l’ombre d’un calvaire, sur les planches blanches d’une cabane de pécheur.
L’homme a laissé sa voiture, une voiture d’emprunt, plus discrète, et il va vers la mer . Les galets roulent et raisonnent sous ses  chaussures Berluti. Dans son pardessus fripé, il a des airs de Columbo.
Il  y a là sur un banc de sable à une cinquantaine de mètres de la plage de galets une colonie de phoques qui se prélassent dans la lumière déclinante.
Alors l’homme leur parle: « Mes chers compatriotes….. »
Et tandis qu’il parle son visage se détend. Et le soleil se couche…

mercredi 30 novembre 2016



La nuit a tout rangé


Quai Blavet, à Saint Valery-sur-Somme, un homme joue la berceuse de Brahms à la scie musicale, un autre, à petits pas, promène son chien, un troisième ouvre ses volets.
Le jour se lève, le sol est blanc de givre. La nuit a tout rangé…

mardi 29 novembre 2016


Un Dimanche à Giverny 

       
                                                                                                  (Giverny, 27 novembre)
Rien n’est là par hasard, calme et confusion, au bord de l’eau,
une femme en kimono, agenouillée, démêlent ses longs cheveux
très lentement.
C’est à Giverny, un dimanche de novembre. La maison et le jardin de Monet sont fermés.
J’ai trouvé ma place, une place discrète, au pied d’un arbre vêtu pour l’hiver.
Accroupi sous le gui, je ne bouge plus. Je pense à mon oncle, le peintre Pierre Igon.
Je suis Ling, le disciple de Wang Fo, le peintre de la nouvelle de Marguerite Yourcenar, et nous ramons sur la mer que Wang Fo vient de peindre…


                                                                                    (Pierre Igon, 2004)

lundi 28 novembre 2016


Vous qui veillez


C’est un dimanche d’automne
Les dernières feuilles 
Aux branches noires
Un dimanche immobile
À trois heures
Le brouillard était là
La lumière de la chambre
Allumée 
Tout le jour durant
C’est un de ces jours
Où l’on se retourne
Comme un gant
Pour voir
Ce qu’il y'a dedans
Les êtres chers y sont
Ils veillent
Foyers éloignés
Dans la brume
De l’un à l’autre
Des routes
Entre les collines
Vous qui veillez
 Je vous suis infiniment reconnaissant

dimanche 27 novembre 2016


Miniatures éphémères
Petits métiers


 
Le Messager
Tombé du ciel sur une plume de geai, pour donner des nouvelles de ceux qu’on aime...



Le Chasseur de vers
Il chante un air de bel canto à l’entrée de la galerie; le ver, charmé, s’extirpe de la pomme, à la merci du chasseur.

samedi 26 novembre 2016


Laisser faire


Renverser la table, noyer ses habitudes et prendre le large
Laisser faire la mer et la nuit

(Corniche Basque, 25 octobre)

vendredi 25 novembre 2016


Le Four

                                                                                               
                                                                                              ( D27, Eure, 24 novembre)

Jack a quitté les arènes de Pontonx en costume de scène. Un costume de cérémonie blanc acheté à bas pris dans une boutique de Barbès, retouché à la colle, et des pompes à six balles blanches et noires imitation croco.  C’était un joli contrat, il aurait de quoi tenir deux semaines. Animer le traditionnel repas des anciens, c’était dans ses cordes, quelques blagues, trois chansons et beaucoup de séduction. Il avait toujours plu aux vieilles dames; enfant, il les embobinait déjà pour quelques friandises.
Mais quand il est entré dans les arènes, il a eu un drôle de pressentiment en voyant cette plaque à la mémoire du sauteur Henri Duplat mort le 4 septembre 1972. La date de sa naissance, merde!
Il avait pas trop mal commencé en annonçant les convives avec des noms et des titres tous aussi fantaisistes les uns que les autres, ça rigolait un peu. Puis il a présenté l’entrée, un velouté de langoustine, par un hommage à la Demoiselle et aux petits croutons gonflés de joie. Les anciens ont applaudi et se sont jetés sur la soupe. Et là, silence. Le bruit des bouches et des cuillères sur les assiettes, quelques regards vers cet homme en blanc qui tente trois pas de danse entre les tables, les serveurs qui semblent glisser sur des patins, l’odeur du velouté de crustacé… Merde, ça aussi c’était un signe, Jack est allergique à la crevette et tout ce qui appartient à la même famille, dont bien sûr la langoustine qui n’est pas une petite langouste mais une cousine du homard.  Silence. Pas un seul jeu de mot ne lui vient. Il fredonne « Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés… », mais il a oublié la suite des paroles. Alors il raconte une histoire que lui a raconté Rachid l’année dernière au noël de la maison de retraite de Colombes, une histoire de Nasr Eddin Hodja. Personne ne rit. A-t-il loupé la chute? il la répète. Silence. Ses chaussures lui font mal aux pieds. Il lance sa bande son pour chanter « Trois petites Notes de Musiques », mais il loupe le début et court après le tempo. Il a très chaud.
Et tout à l’avenant. Soirée désastreuse. Au bout du rouleau, il a même essayé la blague de la pipe pingouin, une blague mimée, où le conteur fini le pantalon aux chevilles en se dandinant comme un pingouin. Rien, pas un rire, rien absolument rien.
Alors il a fui. Sans demander son reste. Il a roulé toute la nuit, répétant ses blagues pour comprendre ce qui avait foiré, chantant cinquante fois de suite ses chansons jusqu’à être sûr du tempo et de la justesse.
Au matin il était à Poitier, le soir en normandie sur la D27.
 Il vient de s’arrêter pour faire le plein de sa vieille Mercedes achetée  d’occase à un violoniste  qui venait de perdre un bras.
Il est là, le pistolet de la pompe à la main, et ferme les yeux, le temps que le réservoir se remplisse. Il n’en peux plus, ce sont  quelques secondes de sommeil grapillées sur la route. Le réservoir est plein, il rouvre les yeux, regarde l'enseigne lumineuse, les nuages rouges, raccroche le pistolet et va payer. Dans la boutique il y a une grande brune qui a l’air de s’ennuyer ferme derrière le comptoir. Il lui lance: « Je suis un Élan de Sibérie qui a perdu le nord ».
Elle se marre…


                                                               (Pontonx-sur-L'Adour, Landes, 18 novembre)