jeudi 30 novembre 2023


Le parfum des pins

(Vaucresson, 17h 40)

Un jour, j’ai pris un gars en stop.

C’était il y a longtemps , je roulais en R 16. Une R 16 TX grise. L’ancienne voiture de mon père.

Le gars avait les ongles noirs et le col élimé.

J’allais vers l’ouest, vers la mer.

Il m’a dit: Laissez moi là où vous ne verrez plus une seule maison…

Nous avons longtemps roulé en silence. Il y avait toujours une maison quelque part dans le paysage.

Puis il a parlé, à nouveau: Ça ne vous dérange pas si j’ouvre la vitre?

Non, ai-je répondu, j’aime quand il y a de l’air.

Moi aussi. Vitres électriques, le luxe… R 16 TX….Mon père avait la même voiture… Verte.

Ben ça! Celle ci c’était celle de mon père. Il me l’a donnée.

Moi le mien, il ne m’a pas donné grand-chose, ou plutôt si, un sale désir, une envie de….

Il s’est tu. Il regardait défiler les arbres, les champs et les maisons.

Putain! Y a toujours quelqu’un quelque part dans ce pays!

Si vous voulez un endroit sans aucune habitation, il va falloir que je me détourne de ma route.

Vous feriez ça?

Pourquoi pas, j’aime l’imprévu.

Nous avons roulé encore quelques heures.  Puis nous nous sommes arrêtés sur un chemin de sable au milieu des pins. Il y avait bien une demi heure que nous n’avions pas vu une seule maison.

C’est bien là… Merci, m’a-t’il dit en descendant.

Puis il s’est retourné, et a rajouté en se penchant à la portière:

Vous savez j’aurai pu vous…Enfin, c’est pas…Je m’appelle Jean… Je me suis échappé… D’un roman noir…

Et il a disparu entre les pins et les fougères.Je suis resté là comme un con à écouter le bruissement du vent à la cime des arbres. Jamais je n’avais remarqué à quel point le parfum des pins était puissant. 

mercredi 29 novembre 2023


Quel bazar!

(Chaumont-sur-Loire, 18 septembre, 13h)

Nativité de porcelaine couchée dans les greniers du château.

Le soleil monte et tourne, trouve un passage, éveille les visages.

Puis ce seront les corps, alors l’enfant se lèvera et sortira du cadre.

Il ira alentour toucher, goûter, heurter, tirer, froisser, lancer, frapper, mouiller.

Et la mère, mains jointes, s’exclamera: Mon dieu quel bazar!

Partagée entre admiration et réprobation. 

mardi 28 novembre 2023


Le Chant du Sel 

(Chaumont-sur-Loire, 17 septembre, 18h 05)

Le Chant du Sel

C’est un jardin résilient

Composé de plantes halophiles

Un jardin bleu où chantent les grenouilles

Les bois flottés et leur reflet sont comme les membres écorchés de monstres antédiluviens

Ou bien aliens échoués sur une plage du futur

Un jardin couvert de verre qui fertilise l’imaginaire

Il y a des oiseaux de grande envergure au bec long et pointu

Il y a des batraciens revêtus de feuille d’or

Quand on se penche sur l’eau verte, c’est l’enfant que l’on voit

Ou bien le vieillard


Le Chant du Sel, jardin conçu par Félix de Rosen, Eric Futerfas et Bruno Derozier pour le festival des jardins de Chaumont-sur-Loire

lundi 27 novembre 2023


Ce n'est rien... 

(Hendaye, 21 novembre, 11h 55)

J’ai fait cette photo un jour de tempête.

On ne voit pas la mer déchainée au delà de la dune.

Les herbes ploient sous le vent, le ciel est noir.

Une timide lumière éclaire les ganivelles de bois gris.

Personne. Des traces sur le chemin de sable: canne et petit pas.

Pointillé de trous profonds, chaussures lourdes, l’appui est nécessaire.

Un vieillard gravit la dune en boitant puis disparait de l’autre côté.

Épais manteau et chapeau noir.

Je ne l’ai pas vu, seulement imaginé.

Quelques jours plus tard j’écoute une émission radiophonique sur Léon Blum.

Sa femme Jeanne le décrit allant appuyé sur sa canne dans le jardin.

Dans ses derniers instant il murmure à Jeanne:

Ce n’est rien, n’aie pas peur.

dimanche 26 novembre 2023


Miniatures éphémères

(Hendaye, 18 novembre, 16h 25)

Chevaucher le poisson borgne 

samedi 25 novembre 2023


Grands-Parents

(Buxerolles, 17h 45)

Aujourd’hui nous avons livré des pizzas dans tout le quartier

Nous avons réparé vingt fois le lampadaire avec la nacelle

Nous avons préparé le repas pour tous les travailleurs du coin

Nous avons coupé, scié, raboté, tondu, soufflé, tapé

Nous avons répondu cinq cent fois à la question pourquoi

Nous avons lu un livre, puis un autre, et à nouveau les mêmes, encore et encore

Nous avons fait l’andouille et le moulin dans les feuilles mortes

Enfin nous avons posé la lune pleine en sol sur une portée de lignes électriques

Première note d’une berceuse pour un petit fils qui mène ses grands parents par le bout du nez 

vendredi 24 novembre 2023

jeudi 23 novembre 2023


Un petit tableau 

(Musée de la Chasse et de la nature, Paris 3 ième, 5 novembre, 11h 45)

C’est un petit tableau découvert dans ce magnifique cabinet de curiosités qu’est le musée de la chasse et de la nature. Je n’en ai pas trouvé l’auteur.

C’est une image  dans laquelle immédiatement je me fonds.

La solitude y est habitée. La cabane y est peuplée de rêves. Les peurs y sont joyeuses, presque farceuses. 

Et il  y a ce mystère qui relie l’enfant, l’homme et le vieillard. Un mélange de trouille et d’excitation.

L’appel de l’inconnu, une quête qui guide une vie.

mercredi 22 novembre 2023


Après la tempête 

(Hendaye, 8h 35)

La tempête s’est tue

Le ciel est plus doux

La mer est toute froissée

La plage est couverte de bois flottés

Le calme après la tempête

C’est ainsi 

Depuis la nuit des temps

mardi 21 novembre 2023


Il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages 

(Hendaye, 8h 10)

Les mouettes et les oiseaux migrateurs portés sans effort.

Les pêcheurs et les surfeurs restent au port.

La mer et le ciel dans un shaker.

Quelqu’un prépare un cocktail des plus euphorisant.

Je vais le nez au vent.

Il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages.

C’est le titre d’un film de Michel Audiard.

La première phrase qui me vient en regardant là-haut.

L’ivresse sans doute.

lundi 20 novembre 2023


Une main

(Abbaye de Trois-Fontaines, Marne, 8 novembre, 12h 30)

Une sculpture de pierre dans un parc ancien.

Deux personnages côte à côte. 

Deux jeunes gens. À l’un il manque une partie du visage. De l’autre il ne reste que les jambes et une main.

Une main posée sur la cuisse de son voisin.

Une main qui maintenant vit détachée, coupée, indépendante, comme un poulpe amoureux.

Elle est mémoire.

Mémoire des mains amies dont la chaleur perce l’étoffe, mémoire des étreintes discrètes qui réconfortent, mémoire des mains qui s’approchent quand les mots font défaut.

Quand le temps aura fini d’user la pierre, il ne restera qu’elle. 

dimanche 19 novembre 2023


Miniatures éphémères

(Hendaye, 18 novembre, 16h 20)

Point d’exclamation 

samedi 18 novembre 2023


Miniatures éphémères


(Hendaye, 16h)

Faire le mur et songer à la douceur des choses 

vendredi 17 novembre 2023


Soudain le soleil

(Hendaye, 10h)

Ciel malmené, étranglé, déchiré

Soudain le soleil comme un solo de saxophone

Et le berger danse avec son chien 

jeudi 16 novembre 2023


La Joconde du Canal 

(Bar-le-Duc, Meuse, 7 novembre,18h 05)

La ville était déserte, d’une pâleur d’anémiée.

Je regardais les façades délabrées au dessus du canal des usines.

Une main tenant une cigarette est apparue entre deux volets de ferraille.

Une promesse de vie, une promesse d’histoire derrière les murs sales.

Je me suis attardé, j’ai deviné les doigts tapotant la cigarette sans se soucier de ce que deviendraient les cendres.

Puis c’est une femme tout entière qui s’est penchée à la fenêtre.

Une femme blonde à la beauté mélancolique.

Elle m’a vu la regarder, m’a fait un signe de la main. 

Elle avait le sourire de la Joconde. Une Joconde blonde au dessus du canal des usines.

Elle était à elle seule toutes les amoureuses qui attendent tandis que l’eau coule sous les ponts.

mercredi 15 novembre 2023


Hendaye

(Hendaye, 18h 50)

La nuit vient.

Une brume légère tamise les lumières du Cap Figuier

J’arrive à Hendaye.

Je me glisse dans le paysage comme on rejoint son lit. 

mardi 14 novembre 2023


Rencontre

(Jardin Albert Kahn, Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine, 10 novembre, 16h 45)

Feuille d’érable et fougère

Rouge, jaune et vert

Joie d’une rencontre 

lundi 13 novembre 2023


Trois-Fontaines

(Abbaye de Trois-Fontaines, Marne, 8 novembre, 12h 50)

La forêt de Trois-Fontaines. Aux confins de la Champagne et du Barrois.

Nous cherchons l’or des bois.

Nous trouvons un parc peuplé de statues moussues et démembrées, gardé par un magnolia de cent dix ans.

Et ce qu’il reste de l’Abbaye de Trois-Fontaines. Blocs de pierres effondrés adossés aux arbres.

Nous sommes seuls. Nous ignorons tout de ces lieux. Les pierres sont muettes.

Seuls parlent les arbres comme ils le font si bien dans le vent d’automne.

Je repense à l’abbaye d’Orval, en forêt ardennaise, où nous avions créé un spectacle à l’été 2021.

Je songe à ces hommes en robe qui s’en allaient de part le monde la foi collée aux semelles.

Quelques jours plus tard je découvre que ce sont des moines partis de Trois-Fontaines qui ont repris l’abbaye d’Orval en 1132.

Je repense alors à mes compagnons de scène, dont deux ont depuis disparu, et à leur foi de conteur collée au cœur. 

dimanche 12 novembre 2023

samedi 11 novembre 2023

vendredi 10 novembre 2023



(Jardin Albert-Kahn, Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine, 16h 50)

Carpe diem 

jeudi 9 novembre 2023


Les chiens errants

(Awala-Yalimapo, Guyane, 4 juin, 16h 50)

Le pêcheur d’Awala n’a qu’une vague idée de ce qui se passe à l’autre bout du monde.

Mais voyant les chiens errants fouler à marée basse la mélancolie de sa plage, se regarder en grondant, chasser l’intrus, repartir en bande déterrer les œufs de tortue, il sait bien que partout la haine et la misère ont la dent dure.

 

mercredi 8 novembre 2023


La terre

(Trois-Fontaines L’Abbaye, Marne, 12h 45)

En terre de Meuse

Une mère et son enfant s’en vont penchés par le vent retrouver le père

Maman, attends moi, mes bottes sont lourdes de terre

C’est la terre que travaille ton père

Oui mais ça colle aux bottes 

mardi 7 novembre 2023


Le mur de la prison

(Maison d’arrêt de Bar-le-Duc, Meuse,15h 40)

Le dos de son manteau est usé par la pierre.

Il a le regard d’un chien de fourrière

Détenu de longue peine relâché un lundi

Il n’est pas allé bien loin

La vie dehors est difficile

Le temps ne l’a pas attendu

Il vient chaque jour s’adosser au mur de la prison

Pour regarder le ciel 

lundi 6 novembre 2023


La nuit vient

(Vaucresson, 18h 10)

La nuit vient trop vite

On voudrait la retenir

Mais elle file entre les doigts 

dimanche 5 novembre 2023


Miniatures éphémères

(Vaucresson, 7 septembre 2021, 17h 25)

Quand on a que l’amour… 

samedi 4 novembre 2023


Grenouilles

(Chaumont-sur-Loire, 17 septembre, 17h 05)

À tant nous aimer, nous avions oublié de manger

Elle portait une robe bleue et son ventre gargouillait

Elle était si jolie 

vendredi 3 novembre 2023


Le vieux chêne

(Forêt de Marly, Yvelines, 11h 25)

Le vieux chêne, déjà rongé de l’intérieur, n’a pas résisté au coup de vent.

Il continuera de nourrir des milliers d’insectes xylophages.

Bienvenue à cette nouvelle créature de mon bestiaire enchanté. 

jeudi 2 novembre 2023


Dessins

(Forêt de Rambouillet, 1er novembre, 16h 10)

Se perdre dans les lignes des branches

N’y trouver rien d’autre que la paix 

mercredi 1 novembre 2023


Même les morts ont le blues

(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 14h 45)

1er novembre.

Entre averses et éclaircies.

C’est en forêt que je vais visiter mes morts.

Ils sont tous là, posés sur l’or des feuilles et le noir des branches.

Immobiles, chagrins, recroquevillés, les bras enserrant les genoux.

L’automne est si sombre, me disent-il, nous n’avons pas le cœur à danser.

Je ne sais pas quoi répondre. Il n’y a pas de réponse.

Me revient alors une phrase lue ce matin dans l’interview d’une célèbre actrice:

S’amuser avec son fils à jouer une loutre pendant deux heures dans une chambre, ça éloigne de la brutalité du monde. 

À peine ces quelques mots prononcés, j’entends claquer les mâchoires, et vois ce beau monde d’outre tombe sauter des arbres et courir de flaque en flaque en m’invitant à imiter la loutre.

Ça ne dure pas, mais pendant quelques secondes la forêt frémit.