lundi 31 octobre 2016


As  de Pique


De bon matin en forêt de Rambouillet, j’ai fait un poker avec un chevreuil, un bouvreuil et un écureuil. Ils m’ont plumé. Je leur ai laissé mon pique-nique, mes lunettes et mon chapeau et leur ai dit à demain pour la revanche, j’aurai vos bois, vos poils et vos plumes.

dimanche 30 octobre 2016


Miniatures éphémères
Le Chant des Rivages




Le chant des rivages
Aux bouches closes échouées sur les plages
À ceux qui se cachent dans les creux
À ceux qui se perdent dans les plis
À ceux que la mer sépare
À ceux dont le cœur se lasse
À ceux qui n’ont pas d’image à glisser dans la poche
Avant que le corps ne se tasse

samedi 29 octobre 2016


Plume


Des mulets biens gras tournent sous les coques immobiles. Les haubans sont silencieux, le brouillard enserre la mer et les montagnes. Edmond est allongé sur sa couchette. Hier soir il a bu une bouteille de Vodka avec un vieux surfeur boiteux. Il a des aiguilles dans la tête et n’aspire qu’à se terrer dans sa coquille.  De toute façon, la voile est déchirée, le moteur est en panne et il n’a plus un rond. Il va passer l’hiver ici.
Il a de quoi lire pour six mois. Cet été une ravissante jeune femme vendait des livres d’occasion tous les jeudis sur la jetée face à la mer. Edmond n’est pas un grand lecteur, plutôt un homme d’action qui a traversé plus d’un océan, et puis les livres n’aiment pas l’eau. Mais subjugué par cette fille, Heloïse, c’est son nom, chaque jeudi de juillet et aout il a acheté des livres qui maintenant s’entassent dans l’étroite cabine. Alors il va tous les lire, et quand il aura terminé, il les rapportera à Héloïse.
Sans se lever, Edmond prend le premier livre à sa portée, Plume de Henri Michaux et ouvre une page au hasard:
« Dans un stupide moment de distraction, Plume marcha les pieds au plafond, au lieu de les garder à terre.
Hélas, quand il s’en est aperçu, il était trop tard.
Déjà paralysé par le sang aussitôt amassé, entassé dans sa tête, comme le fer dans un marteau, il ne savait plus quoi. Il était perdu. Avec épouvante, il voyait le lointain plancher, le fauteuil autrefois si accueillant, la pièce entière, étonnant abîme.
Comme il aurait voulu être dans une cuve pleine d'eau, dans un piège à loup, dans un coffre, dans un chauffe-bain en cuivre, plutôt que là, seul, sur ce plafond ridiculement désert et sans ressources d'où redescendre eût été, autant dire, se tuer.
Malheur ! Malheur toujours attaché au même… tandis que tant d’autres dans le monde entier continuaient à marcher tranquillement à terre, qui sûrement ne valaient pas beaucoup plus cher que lui.
 Si encore il avait pu entrer dans le plafond, y terminer en paix, quoique rapidement, sa triste vie… Mais les plafonds sont durs, et ne peuvent que vous « renvoyer », c’est le mot.
Pas de choix dans le malheur, on vous offre ce qui reste. Comme désespérément, il s’obstinait, taupe de plafond, une délégation du Bren Club partie à sa recherche, le trouva en levant la tête.
On le descendit alors, sans mot dire, par le moyen d’une échelle dressée.
On était gêné. On s’excusait auprès de lui. On accusait à tout hasard un organisateur absent. On flattait l’orgueil de Plume qui n’avait pas perdu courage, alors que tant d’autres, démoralisés, se fussent jetés dans le vide, et se fussent cassé bras et jambes et, davantage, car les plafonds dans ce pays sont hauts, datant presque tous de l’époque de la conquête espagnole.
Plume, sans répondre, se brossait les manches avec embarras. »
Soudain,  Edmond entend cogner sur le pont. Qui peut lui rendre visite, Heloïse, où le vieux surfeur, ce sont les seuls personnes qu’il connaisse ici. Il se lève et monte, sans lâcher son livre.
Ce n'est qu’une mouette.
                                                (Port de Sokoburu, Hendaye. Extrait: Plume au Plafond, H. Michaux)

vendredi 28 octobre 2016


Trois Frères

 
Sur la plage de Cenitz, ce sont trois frères qui s’entendent à merveille. L’un est myope et regarde les pierres, l’autre est presbyte et regarde au loin, le troisième voit très bien, il est dans l’eau et attend les vagues. Ce soir ils se raconteront tout ce qu’ils ont vu et s’inventeront d’autres frères et sœurs…
                                                                   

(Guéthary, 27 octobre)

jeudi 27 octobre 2016


En attendant


C’est un jeune homme mince portant dreads, barbe clairsemée, pantalons bouffants, sweat à capuche et chaussures de chantier. On lit dans ses grands yeux sombres une infinie naïveté.
C’est un jeune homme qui trace des courbes à l’infini quand le doute l’envahit, qui appelle la paix en bégayant à coups de feutre noir.
Si celui où celle qu’il attend arrive, il lui jouera du didgeridoo sous la lune et lui lira à haute voix Le Chant des Pistes de Bruce Chatwin.
Sans doute, il ou elle est arrivé, sinon le réverbère aurait été couvert de signes…

                                                            (Un parking, Saint-Jean-de-Luz, 26 octobre)

mercredi 26 octobre 2016


Une Ritournelle


Une ritournelle sur l’accordéon des falaises
Tenir la note juste
Pour dire au fils ce que la mer charrie
Equilibre précaire
Sur les sédiments de nos vies

(Corniche Basque, 25 octobre)

mardi 25 octobre 2016


Aéroport de Biarritz, 23h



Aéroport de Biarritz, 23h. Je sors du cinéma. J’ai mis les warnings et me suis arrêté sur le bord de la route. Adossé à la voiture - ce serait une Oldsmobil 442 - j’allume une cigarette. Claquement sec du Zippo. Une voiture approche, ralentit, puis accélère brusquement. Je m’appelle Bob Morane et j’ai douze ans.
Ce matin, à Malte un  petit avion s’est écrasé avec cinq agents secrets  à bord. Ils sont tous morts.
Ce n’était pas du cinéma.
Je remonte dans ma voiture, un Berlingo 2015. Il est tard, les yeux me piquent. Qu’est ce que je vais raconter aujourd’hui, une histoire d’espion à la démarche féline où l’histoire d’un vieil amoureux qui piquerait bien l’hélicoptère pour aller faire une surprise à sa douce qu’est pas tout près.
Le vieil amoureux, ça c’est pas du cinéma non plus, quant à conduire un hélicoptère…

lundi 24 octobre 2016


Un Banc de Pierre


  Le banc était froid et rugueux mais leur baiser intense et brûlant…

(Honfleur, 6 octobre)

dimanche 23 octobre 2016

Miniatures éphémères
Petits métiers
Aide-mémoires


 Les aide-mémoires accompagne les individus depuis leur naissance. Ils s’immiscent dans les interstices pour en tirer le fil quand la mémoire défaille. Féminins pour les hommes, masculins pour les femmes, ils doivent faire preuve de sang froid devant les détours obscurs de la pensée et prendre garde à ne pas se faire écraser auquel cas l’hôte n’aurait plus aucun recours face à l’amnésie galopante.

samedi 22 octobre 2016


Les Timides


C’est une technique connue chez les grands timides:  aller seul là où personne ne va mais où l’on est par contre tout à fait visible…
                                                                     (Baie du Mont-Saint-Michel, 18 octobre)

vendredi 21 octobre 2016


Un Prince


Ce matin il a récolté trois euros. Il a acheté une demi baguette et s’est offert un café au bar « le Refuge », juste en face de la station de métro Lamarck, une bonne station pour y faire la manche, l’entrée y est abritée et de plein pied.
Il a bu son café à petites gorgées et mâché son pain lentement. Plus tu prends de temps, plus ça profite. Puis il est descendu aux toilettes, pour chier, si ce matin son corps y consent, se laver au minuscule lavabo et se coiffer.
Le graffiti sur la porte n’était pas là hier. Brusquement lui revint le souvenir d’une autre vie où il fut un prince…

jeudi 20 octobre 2016


Chambre n°33


  Valframbert, 1er étage Chambre n°33, code n°940236, 13° Celsius extérieur, 21° intérieur. Température du corps 38°5, légère fièvre. Chiffre du jour: 5 kits de survie vendus, un abri anti atomique en commande. Commande non ferme, en attente d’autorisations. Objectif du jour non atteint. Courbe des ventes fléchissante. Augmentation de la pression artériel. Penser à ajuster le barème d’écart. Révision du véhicule à prévoir à 60000 km. Prendre rendez vous le 31 octobre,  plage disponible, coupler avec le dentiste pour un détartrage et blanchissage. Distance entre le garage et le cabinet dentaire, 450m, soit  5mn et 24s en marchant à 5km/h.
Sigismond a ensuite transmis son bilan quotidien à son manager, a écrit: il est tard, je t’aime à Catherine, puis a éteint ses trois écrans, portable professionnel, portable domicile et ordinateur.
Il s’est déshabillé, a soigneusement plié ses vêtements sur la chaise, s’est brossé les dents en regardant son corps pâle dans la glace, puis s’est glissé sous la couette synthétique et a éteint la lumière.
Il s’est endormi immédiatement, rêvant qu’il était une feuille jaunie par l’automne accrochée aux branches en compagnie de tant d’autres…

mercredi 19 octobre 2016


De Saint Jacques à Saint Michel


 Yoshi a quitté le japon après la catastrophe de Fukushima. Il est parti sur les chemins d’Europe y épuiser son chagrin. Marcher de Saint Jacques de Compostelle au Mont Saint Michel, deux mille et cent kilomètres. Ses parents avaient fait ce voyage, dans l’autre sens, il y a longtemps. Ils en avaient ramené une impressionnante quantité de photographies. Chaque route, chaque chemin, chaque maison d’hôtes, avait son cliché et son histoire et Yoshi ne s’en lassait pas.
Et les flots on emporté ses parents et tous leurs souvenirs. Alors il est parti. Pas à pas sur leurs traces, sans  jamais faire de photo, seulement éprouver le chemin, l’imprimer en lui, à l’encre indélébile.
Il  a marché deux mois et demi. Parfois, il lui semblait traverser une photo  prise par son père, comme sur ce chemin sec et les champs jaunes à perte de vue en Espagne, ou ce col des Pyrénées au lever du jour où il reconnut un rocher à la forme singulière. La précision de ses souvenirs le surprenait alors et le mettait en joie. Il s’allégeait.
Au début de l’automne, il est arrivé au Mont Saint Michel. la campagne Normande avait été telle que sur les images, paisible, avec ces carrés d’herbe entourés de haies, parsemés d’arbres posés comme des jouets, vaches et moutons y paissant, insouciants.
Il se sentait bien, apaisé. Il est entré dans la cité en souriant au gendarme qui lui demandait d’ouvrir son sac. Il y avait beaucoup de ses compatriotes l’œil rivé sur leur smartphone filmant tout; des groupes d’enfants aussi qui parlaient fort, espagnols, anglais, italiens; Toutes ces petites boutiques de souvenirs étaient bien jolies, on y vendait des peluches , des sabres, des boules à neige des vêtements de marin, des biscuits du coin et des caramels mous.
Plus il montait vers l’abbaye, moins il y avait de monde. Il gravissait les escaliers avec allégresse. Dans le cloître, il fut seul quelques instants  et comprit que l’on puisse passer sa vie dans de tels lieux.
Sur la plus haute terrasse, le vent soufflait fort. Yoshi fut saisi par la vue sur la baie. La marée était basse, le ciel s’était couvert et les vasières s’assombrissaient. Il sut alors qu’il n’en aurait jamais fini avec son chagrin, il fallait juste qu’il reste en mouvement pour l’apprivoiser.

mardi 18 octobre 2016


Le Mont-Saint-Michel


De quoi est faite cette silhouette inaltérable, se demande l’homme de papier qui se délite sous la pluie…

lundi 17 octobre 2016


Une Aube Incertaine


C’était une aube incertaine, où tout était envisageable. Il avait l’œil chassieux et les pieds en canard. Son pantalon trop long faisait des plis en accordéon, son pull était troué et il portait un cor de chasse à l’épaule. II m’a dit: « je m’appelle Nestor et je ne suis pas une métaphore, je ne suis pas  ton grand père non plus, même si je suis un petit peu mort;  je chasse  la brume et le souci, j’écoute les récits des pissenlits et je pose mes doigts sur le ciel. »
Je lui ai serré la main, elle était ferme et douce. Il sentait la terre et le tabac froid. Il m’ a dit encore: « Il faut se mettre loin pour regarder… ou près, parfois, dans les creux, dans les plis. »
 Puis il s’en est allé dans le brouillard. Un dernier reflet de la lueur du petit jour sur le cor, et il a disparu.
Alors je suis allé travailler, le cœur léger.
                                                                              (Campeaux, Calvados)

dimanche 16 octobre 2016


Miniatures éphémères
Amaryllis


Blanche Amaryllis ourlée d’ombre
La passion se déplisse
Aux prémices d’une journée sans entrave

samedi 15 octobre 2016


Insomnie

 

Il y a des nuits où le sommeil ne vient pas, sans que l’on sache pourquoi. Une sourde angoisse  nous incite à partir, vite et loin. Et on reste là à se tourner et se retourner sur les draps froissés…

vendredi 14 octobre 2016


Solitaire


Chaque matin au bistrot de Boisset les Prévanches, Jeff achète un ticket de Solitaire. Il gratte soigneusement avec une pièce les petits diamants blancs et souffle sur le papier pour disperser la gomme. Il ne gagne jamais, ou tout au plus deux euros, de quoi acheter un autre ticket qui lui sera perdant. Puis il boit son café calva en rêvant à ce qu’il ferait s’il gagnait un jour. Irait-il à Las Vegas voir les magiciens faire leur show, irait-il à Tahiti pour y être accueilli avec un collier de fleurs, prendrait-il un billet pour l’espace, pour la vue qu’on a de là haut,  ou tout simplement rachèterait-il l’usine où il a bossé toute sa vie pour y travailler de nouveau avec ses potes..?

jeudi 13 octobre 2016


le Chinois Corrézien


  Nous habitions Nazareth, en Corrèze. C’était notre voisin. Toute la journée, il restait assis sur un banc orienté au sud, devant chez lui. Le visage tanné et ridé, il était difficile de lui donner un âge, peut-être avait il dépassé les cent ans depuis bien longtemps, peut-être avait il trouvé le secret de l’éternité. Je l’appelais le Chinois Corrézien. Il était là dès le lever du jour, immobile, vêtu d’une veste et d’un pantalon de travail délavés, coiffé d’un béret plus gris que noir, les deux mains appuyées sur un bâton noueux. Il n’avait jamais quitté sa maison et son bout de terre, mais dans ses yeux se lisait le monde entier; Il ne parlait pas, mais son sourire en disait tant…

mercredi 12 octobre 2016


Opéra


Dans cette petite maison de Juaye Mondaye vit une cantatrice qui a chanté à Manaus, au Bolchoï ou à la Scala de Milan, une cantatrice qui pourrait couvrir Paris de toutes les fleurs qu’elle a reçues
Tant d’hommes et de femmes se sont pâmés à l’entendre, jusqu’à ce que sa voix lui échappe.
Ce furent d’abord quelques malheureux écarts qui laissèrent ses admirateurs stupéfaits, puis ce fut de plus en plus difficile de monter sur scène, et les rumeurs les plus folles coururent à son sujet. On la disait atteinte d’une maladie orpheline, ou sous la coupe d’un gourou malfaisant, ou sombrant dans une insondable dépression; on l’avait vue en larmes, on l’avait vue chauve, on l’avait vue saoule, on l’avait vue errant pieds nus à Manhattan.
Rien de tout ça. Elle avait juste trop donné aux vivants et sa voix s’était épuisée. Alors elle s’est retirée dans cette petite maison dont personne ne voulait, face à l’ancien cimetière de Juaye Mondaye.
Et chaque soir, quand vient la nuit, elle parait à la fenêtre, impeccablement coiffée, vêtue d’une robe de soie noire, un collier de perles d’Australie autour du cou. À la lumière des réverbères elle parait comme peinte par Vermeer.
Alors, du fragile filet de voix qu’il lui reste elle chante  tous les plus grands airs d’opéra, et les morts se lèvent et l’applaudissent en silence…

mardi 11 octobre 2016



Sur la Route d'Hacqueville


Sur la route d’Hacqueville, je me suis arrêté sur le bas côté et je suis resté là un long moment avec la sensation que les mouettes posées dans les sillons me nettoyaient le cerveau…

lundi 10 octobre 2016


La Nuit du Conte


Au Tapis Rouge, à Colombes, samedi soir, j’ai entendu l’histoire de l’escargot qui aura la joie d’arriver au sommet de l’arbre bien après l’oiseau mais au printemps, j’ai entendu l’histoire du riche commerçant de Lorient et de l’enfant neige, l’histoire du pet inventé afin que chacun connaisse sa vraie nature, l’histoire sans morale du roi lion qui dévore le copain zèbre de son fils en lui reprochant de jouer avec la nourriture, j’ai entendu parlé de la crotte qui, n’ayant pas la même consistance que l’épine, fait pourtant boiter pareil, j’ai entendu parler des indépendances et des jeux du perroquet,  j’ai entendu l’histoire du garçon qui échange une aiguille contre un poulet, j’ai entendu l’histoire de la fourmi qui tire la souris qui tire le chat qui tire le chien qui tire la fille qui tire le fis qui tire la mère qui tire le père qui tire la plante … Et j’ai entendu des enfants, leurs parents et grands parents répéter en chœur les mots des conteurs et frapper leurs mains au rythme du balafon, de la cora et des percussions.
Sur les tapis, bien après minuit, les enfants se sont endormis, tandis que les parents écoutent en souriant les voix adoucies des acteurs.
Et quand une mère épuisée veut quitter la salle avec sa fille profondément endormie, Rachid, le maitre de cérémonie, prend dans ses bras la fillette trop lourde, venant en aide à la jeune femme, avant de reprendre le cours des histoires.
Ce sont des soirées comme celle ci, simples, joyeuses  et profondes qui me donnent cette foi dans le théâtre et les histoires  qui m’anime depuis si longtemps.
( Festival Rumeurs Urbaines, la nuit du conte avec Rachid Akbal, François Moïse Bamba, Tougoumagni Diabaté, Cheik Omar Kouyate, Mélancolie Motte, Jeanine Qannari, Issiaka Sanago - sur la photo-)

dimanche 9 octobre 2016


Miniatures éphémères
À l'Ombre des Euphorbes


 Parcourant l’Afrique à la recherche du cimetière des éléphants, dans une oasis au cœur du désert, à l’ombre d’euphorbes géants, il a découvert la source des histoires. Dans les coquilles abandonnées sur le sable roulé par les vents depuis la nuit des temps, reposent les récits premiers…

samedi 8 octobre 2016


Bao


Pierre et Jean sont deux frères jumeaux, deux pêcheurs de Honfleur au visage buriné, deux pêcheurs au cœur dur, deux taiseux qui ignorent l’intérieur des terres. Les seuls larmes qu’ils aient jamais versées sont celles soufflées par les vents d’hiver sur leurs yeux plissés.
Et puis un jour ils ont croisé Bao, une jeune chinoise de passage. Elle faisait un selfie devant un vieux gréement baptisé La Petite Chine, ils déchargeaient leur pêche du jour à quelques pas.
Elle avait un léger rouge aux lèvres et souriait, belle de nuit s’ouvrant au crépuscule.
Ils ont chavirés, comprenant immédiatement que leurs deux cœurs étaient saisis.
C’est elle qui est allée vers eux, elle voulait les photographier. Ils ont dit oui en bougonnant , le palpitant sans dessus dessous.
Le soir, dans sa chambre d’hôtel, elle a longuement regardé la photo. Ces visages l’attiraient irrésistiblement, comme l’ont toujours attirée les lointains horizons.
Le lendemain elle est revenue sur le quai, au petit matin. Jean et Pierre s’apprêtaient à embarquer.
Elle leur a demandé dans un français approximatif s’ils pouvaient l’emmener pour la journée. Ils ont accepté sans même se concerter.
Elle est restée une semaine en leur compagnie. Ils ont appris quelques mots de chinois. Bao veut dire trésor. Il est pour certains plus facile de parler dans une langue étrangère.
Un jour de tempête, ils n’ont pas pris la mer, alors ils ont emmené Bao, à la chapelle Notre-Dame-De-Grâce, et là dans l’obscurité Pierre a pris la main de Bao et Bao a pris la main de Jean.
Mais pour Bao, deux hommes pour un seul cœur, deux hommes rugueux pour ce corps frêle, c’était trop, alors elle est partie vers d’autres continents.
Et Pierre et Jean sont allés planter trois roses dans le sable, et les mains dans les poches ils sont retournés au port sans un mot…

vendredi 7 octobre 2016



Le premier départ de Tonton Yves, pêcheur d'Islande


On habitait à six ou sept kilomètres de Paimpol. On est parti à pieds à deux heures du matin, pour embarquer vers quatre heures et quitter le port avec la marée. Il fait nuit noire. On entend la chouette. Je marche, en silence, mon père à coté, silencieux pareil, ma mère derrière. On marche. Fait froid. On marche. Et v’là qu’à une croisée, une silhouette nous rejoint. Et puis une autre. Et encore une autre. Et encore, à chaque nouveau croisement, des hommes nous rejoignent, parfois suivis des femmes, tous silencieux pareil. On marche. Toute une troupe, et moi quatorze ans, le plus petit. Je marche. Un coup j’ai peur, je rentre la tête dans les épaules, je baisse les yeux, un coup je m’redresse. Quelque chose qui se passe. L’impression de grandir, fier d’être avec ces hommes, comme si d’un coup mes épaules étaient à la hauteur de celles de mon père. je marche, fier, la nuit s’éclaircit. Je marche. Et puis derrière les femmes qui ralentissent, des mains qui se serrent.
On arrive en haut du bourg, là où y’a l’église. Y’a le vent qui souffle… Et de nouveau cette boule dans la gorge…
                            ( Chapelle Notre-Dame-De-Grâce, Honfleur, 5 octobre 2016, texte écrit en 2009 pour le spectacle "L'Islandais")

jeudi 6 octobre 2016



Les Bateaux

 
J’aime les bateaux pour leurs promesses, les arbres pour leur ombre et leurs racines et les maisons pour leurs portes et fenêtres que l’on peut ouvrir ou fermer selon l’humeur…


(Honfleur, 6 octobre 2016)                                                               

mercredi 5 octobre 2016


C'est l'enfance qui fend les idées noires


C’est l’enfance qui fend les idées noires
Un bâton taillé au canif
Pousse le bateau sur un bassin de lune
La corne du premier couteau s’est fendue
Un rêve est échoué sur le sable
Et passent les cargos rouillés
Dans la lumière du couchant
C’est l’enfance qui fend les idées noires

(Chapelle Notre-Dame-de-Grâce, Honfleur, 5 octobre)

mardi 4 octobre 2016


Chez Adèle


 Chaque jour Lucien vient déjeuner chez Adèle. Il a sa table réservée, la numéro trois juste en face du bar, sa serviette, qu’il noue soigneusement autour de son cou, et sa bouteille de rouge, un château Chinon qui lui fait la semaine. Son dentier ne tient plus très bien, alors il mange lentement en regardant Adèle allez et venir de la salle à la cuisine.
Adèle à la peau sèche et des poches sous les yeux. Quand ses jambes lui font mal, elle s’assoit quelques secondes à coté de Lucien et ils parlent du temps qu’il fait, de ceux qui sont partis et de ceux qui restent.
Aujourd’hui, Mardi, c’est oeuf mayonnaise, paupiette de veau et mousse au chocolat. La salle est  pleine et  Adèle se dépense sans compter; un petit mot pour chacun et un clin d’oeil à Lucien qui adore les paupiettes.
Lucien mâche avec soin tandis qu’Adèle va et vient…
                                                                                                 (Flers, 4 octobre 2016)

lundi 3 octobre 2016


Quand vient le soir


La journée entière il donne le change. Il tient sa tête haute, il regarde ses interlocuteurs droit dans les yeux et sourit quand il le faut. Alors quand vient le soir il peut bien pleurer un peu, relâcher le dos et baisser la tête…
                                                                                    (Pornic, 22 mars 2016)

dimanche 2 octobre 2016


Miniatures éphémères
Chambre Nuptiale


Dans le creux de l’oreille, il lui avait promis des châteaux en Espagne et  des étés sans fin,
 puis il l’avait longuement regardée droit dans les yeux avant de lui demander sa main,
cédant à la brûlure de son regard elle avait dit trois fois oui.
Les hautes falaises furent l’autel de leur union
 et la chambre nuptiale à la hauteur de leurs rêves inavouables…

samedi 1 octobre 2016


Châteaux de Sable


Sur toutes les plages du monde il y a des enfants qui font des trous, des remparts et des châteaux, des enfants qui dessinent sur le sable leurs prénoms, des cœurs et des fleurs, des enfants qui rêvent d’être grands et d’aller de l’autre coté de la mer.
Lui, ce n’était pas un enfant et il me semblait même très vieux  (sans doute parce que je n’avais qu’une dizaine d’année). Je l’attendais chaque nouvelles vacances sur la plage d’Hendaye, au Pays Basque. Il arrivait début septembre, alors que les familles bruyantes du mois d’aout avaient repris la route et que le vendeur de beignets avait ajouté dans son panier de savoureuses brochettes de raisins glacés au sucre.
Il venait à marée basse avec tout son attirail, seau, couteaux, pinceaux et cuillères et s’installait au pied des rochers sur le sable humide. Là il construisait un magnifique château  qui grimpait en escalier sur les premières pierres.  Fascinés, nous le regardions sculpter ce palais de sable aux multiples dômes et tourelles. Il travaillait la matinée entière et son oeuvre à peine achevée la mer remontée commençait à en lécher les fondations. Alors il grimpait un peu plus haut sur les rochers et regardait avec un sourire énigmatique les vagues détruire le château. Nous restions à ses cotés jusqu’à ce que la mer ait tout balayé.
Il ne faisait qu’un château. Un seul, mais chaque année au même moment, aux grandes marées, et chaque fois différent.
Je ne sais pas quand il a cessé de venir. Adolescent, je me désintéressai de ces jeux d’enfants et ne remarquai pas son absence. Comme la mer emportait ses sculptures, j’avais fait disparaitre mes jouets. Je voulais être grand. Ce fut chose faite lorsqu’un jour sur la plage un enfant me demanda l’heure en m’appelant Monsieur; j’avais tout juste quatorze ans et fut surpris et fier de m’entendre appeler ainsi.
Les livres prirent la place du train électrique, je fabriquais de curieux objets de bois, verres et os que j’accrochais au plafond et je faisais des photos avec un Brownie Flash Kodak carré.
Puis ce fut une nouvelle marée. A vingt ans je jetai tout, jusqu’à l’album photo, et découvrais d’autre jeux, sur scène.
Et maintenant, passé soixante ans, je m’invente à nouveaux d’autres jeux, des jeux faits de tous ceux que les marées ont emportés, des mots et des images en hommage à ceux qui jusqu’au bout font des châteaux de sable…