mardi 28 février 2017



Sur la Concha


Les frères Echepare trimballent leur sourire sur la Concha. Les clefs tintent dans les poches et les smartphones se dégainent aisément. Ils vendent, ils achètent, ils font la culbute, ils sont « en marche », ils sont dans le coup, ils font carrière et leur père en est fier.
Tandis que d’autres baissent les yeux sur leur passage, Sancho court pieds nus sur la plage en ramassant des coquillages, danse à cloche pied dans l’ombre des balustrades, raconte des histoires à qui veut l’entendre et sa mère en est fière.

(Saint-Sébastien, 15 février)

lundi 27 février 2017


L'Art et le Temps


Qui sont mes contemporains?- se demande Juan Gelman. Juan dit que parfois il croise des hommes qui sentent la peur, à Buenos Aires, Paris ou ailleurs, et il a la certitude que ces hommes là ne sont pas ses contemporains. Par contre, il y a mille ans, un Chinois écrivit un poème sur un gardien de chèvres qui est très loin de la femme qu'il aime, mais qui peut néanmoins entendre, dans la nuit au milieu de la neige, le bruit du peigne dans ses cheveux; et en lisant ce très vieux poème, Juan découvre que ces êtres, oui, ce poète, ce berger, cette femme, sont ses contemporains.
                                                        (Texte d'Eduardo Galeano dans le Livre des Étreintes, image prise sur une route  aux environs de Grenoble en décembre 2012)

dimanche 26 février 2017


Miniatures éphémères
Tentatives 


Quand les jonquilles pointent leur nez
Et que les crocus sortent de terre
Ce sont les premières tentatives
Il est temps de ne plus se taire
Mais au dégel les mots sont un peu rudes
Fouillis et maladroits
Il faudra attendre la rose et le muguet
Aux parfums plus marqués
Pour que la phrase s’assouplisse
Et que les tentatives aboutissent

samedi 25 février 2017


Le cadeau du jour


Une après-midi au jardin
Quelques graines d’érable
Coquillages du fond de mes poches
Écorce du bois de Saint-Cucufa
Ange ou pélikan
Le cadeau du jour

vendredi 24 février 2017


L'Avion Bleu


Le manège tournait. Sur l’avion bleu un enfant hurlait: Bam! Bam! Tatatatatatata! Sa mère regardait autour d’elle, gênée. Quand le manège s’est arrêté, elle a  proposé au gamin de monter sur un cheval, ou bien sur l’éléphant, mais il s’accrochait à l’avion hurlant de plus belle. Alors elle lui a dit avec la plus grande douceur: L’avion est bleu, on ne lâche pas de bombes d’un avion bleu . C’est pas vrai, a répondu le petit garçon, ceux qui ont tué Tarek, étaient bleus, je les ai vus!

(Saint-Sébastien, Espagne, 15 février)

jeudi 23 février 2017



"Suttree"


« Cher ami, maintenant qu’aux heures poudreuses et sans horloges de la ville les rues s’étirent sombres et fumantes dans le sillage des arroseuses, et maintenant que les ivrognes et les sans logis ont échoué à l’abri des murs dans des ruelles ou des terrains vagues, que les chats vont étiques et les épaules saillantes dans les sinistres environs, en ces couloirs de brique pavés ou laqués de suie où les ombres des fils électriques muent en harpe gothique les portes des caves, nul être ne marchera hormis toi. »
C’est la première phrase De Suttree de Cormac Mc Carthy. Ben à ouvert le livre à 12h05. C’était sa pause déjeuner. Ben est magasinier dans une supérette, chaque jour il regarnit les rayons et vérifie les étiquettes. C’est un boulot comme un autre, un boulot sans trop de responsabilités, un boulot facile, il n’y a pas à réfléchir, juste faire, et Ben fait vite. Après il musarde entre les rayons, il fait semblant de travailler. Souvent il s’amuse à plisser les yeux jusqu’à voir flou, alors le rayon des céréales peut devenir l’étagère d’une bibliothèque cosmopolite. Ce sont les livres que Ben aime par dessus tout. Il en a toujours un dans sa poche. Il les achète, les emprunte  ou les vole, et une fois terminés les laissent  là où il a lu la dernière phrase. Ben ne garde rien. Même ses lectures, il les oublie. Il peut lui arriver de relire un livre et de ne s’en apercevoir qu’à la fin après avoir parcouru les pages avec une sensation d’être déjà passé par ici. Ce qui compte c’est l’instant, quand la phrase se déploie, quand l’image apparait et qu’il s’y blottit. C’est tellement plus simple avec les livres. Quand ça ne va pas, il suffit de fermer le livre ou de sauter les pages. Là, il est libre, n’a rien à prouver à quiconque, il peut se taire, rire ou pleurer, personne ne dira rien. Dans les livres, il lui est tellement plus facile de trouver des frères, des sœurs, des amis, ou des fiancées. Quand il lit, c’est comme s’il hibernait, il ne bouge plus, son pouls ralentit, il n’a plus faim ni soif, il devient invisible.
Ben a ouvert Suttree à 12h05, il est 18h15, il va bientôt faire nuit. Page 299: « L’indien but le café à petites gorgées et le dévisagea de ses yeux noirs et sérieux par dessus le bord de la tasse. On m’a fichu en prison, dit-il. Quand? La semaine dernière, je sors tout juste. Pourquoi vous ont-ils ramassé? Vagabondage… »
Ben n’a pas vu passé l’aprés-midi, il ne cessera de lire que quand il n’y verra plus clair. Il se rendra compte alors qu’il n’a pas repris son travail, et que demain  il lui faudra trouver un nouveau boulot.

(Toulouse, 19 février)

mercredi 22 février 2017


À la Frontière


En revenant sur ses pas, des années plus tard, à la frontière, Miguel se souvient que c’est à ce point précis, quand la montée devient descente, qu’il a cessé de regarder derrière lui pour filer droit devant.

(Col d'Ibardin, Pays Basque, 18 février)

mardi 21 février 2017


Vidé


La lumière n’entre pas  dans la chambre de Guillermo. Personne  d’autre que lui n’entre dans sa chambre. Tout au plus quelques pigeons osent s’aventurer sur le rebord de la fenêtre, à la lisière de son antre. Ce matin ce sont eux qui l’ont réveillé, très tôt. Alors il s’est levé, il a tout rangé, il a lavé son linge, donné un coup de balai, s’est rasé de prés, en se disant qu’aujourd’hui il irait chercher du travail. Il s’est habillé, il lui restait un pantalon sans accroc et une chemise au col encore correct. Mais au moment de sortir, ses jambes semblaient ne plus vouloir le porter, alors il s’est recouché, vidé.

(Saint-Sébastien, Espagne, 15 février)

lundi 20 février 2017


Parenthèse Toulousaine


Hier soir, sur les bords de la Garonne, il y avait comme un air de printemps, un air d’orient  et un parfum d’orange. Il y avait là des couples de tous âges qui dansaient. Parmi eux un gros homme vêtu d’un large sweat vert et d’un panta-court, portant lunettes carrées, casquette à carreaux et tennis blanches, se mouvait avec la grâce d’un félin. De jeunes gens, assis tout le long des quais, discutaient, riaient, buvaient de la bière, jouaient de la guitare. L’avenir semblait radieux, l’insouciance était de mise et les voix résonnaient sur la pierre rose. Dans le jardin d’enfants, un père jouait avec son fils sur un bateau de bois monté sur ressorts. Plus loin un chien cherchait son maître, une jeune femme seule photographiait le soleil couchant, un homme lisait indifférent à tout, une dame âgée emmitouflée dans des couvertures écoutait avec ravissement un violoncelle et un ukulélé improviser ensemble.
Le fleuve semblait figé, le courant stoppé pour retenir cette joie.
Et au milieux de tous ces gens un vieux couple tendrement enlacé se murmurait des secrets à l’oreille…

(Toulouse, 19 février)

dimanche 19 février 2017

Miniatures éphémères
De quoi demain sera fait


Je ne sais pas de quoi demain sera fait
je sens bien l’odeur de roussi et les relents d’acrylique
mais ses yeux seront toujours bleus 
et nous referons le monde à la peinture à l’eau

samedi 18 février 2017


Au Bout du Compte


Au bout du compte on ne sera toujours qu’un petit bonhomme tout seul…

(Hendaye, 12 février)

vendredi 17 février 2017


Sur le Pont de Came


Sur le pont de Came, en passant la Bidouze
Ce matin, nous étions au moins douze
Moineau, pinson et martin
Rouge-gorge, pic-vert et serin
Loriot, grive et fauvette 
Pouillot véloce
 Un homme et un chat noir  

jeudi 16 février 2017


No Milk Today


Quand Amalia a étendu son linge ce matin, elle a tout de suite remarqué le scooter neuf de Gilberto, le serveur du bar d’à coté. Ses gestes sont alors devenus plus lents et elle s’est mise à fredonner No Milk Today. C’est venu comme ça, un courant d’air, un frisson, un appel.
Cela avait commencé par une folle chevauchée en scooter sur une route qui serpentait au milieux des blés blonds de la plaine d’Aragon. Les yeux fermés, elle s’agrippait à Paulo. Le vent tiède, les vibrations du moteur, le dos brulant du jeune homme sous la chemisette de coton et l’odeur de sa transpiration, abolissaient tout discernement. Puis ce fut des journées entières à laisser mains et bouches s’égarer tandis que tournait en boucle  le 45 tours No Milk Today des Herman’s Hermits sur un Teppaz Oscar dans l’ombre de la chambre ou flottait une forte odeur d’amour.
C’était il y'a longtemps, ils étaient légers comme les épis sous le vent et leurs rêves allaient bien au delà des mers.
Sa lessive accrochée, Amalia est restée encore quelques instants sur le balcon, puis elle est descendue au bar, a commandé un verre de porto à Gilberto en lui demandant s’il connaissait No Milk Today. Comme il ne connaissait pas, elle lui a chanté la chanson, en entier, avec sa belle voix rauque. Gilberto l’a applaudit et l’a embrassée sur la joue. Amalia, confuse, a alors payé son addition et regagné son minuscule appartement.
Maintenant elle attend Paulo, dans l’ombre de leur chambre. Paulo est bagagiste à l’aéroport de Fontarrabie, il rentre souvent tard. Peut-être feront-ils l’amour ce soir….

Herman's Hermits No Milk Today 1966 HQ - YouTube

https://www.youtube.com/watch?v=AuGWNshGM64

(Fontarrabie, 12 février)

mercredi 15 février 2017


Une image pour dix bon-points


Une image pour dix bon-points. Les bon-points étaient de la taille d’un ticket de cinéma, bleus ou verts, ornés d’arabesques autour de l’inscription « bon-point ». Les images était de la taille d’une carte de visite, et représentaient la campagne française. Les champs étaient verts, leurs pentes douces, des moutons ou des vaches paissaient tranquillement sous les yeux d’une bergère en jupe rouge, tablier noir et chemisier blanc. Au loin on apercevait un clocher.
 D’autres fois c’était un coq qui arborait fièrement ses couleurs devant quelques poules. Il y avait aussi une barrière de bois, une marre, de la paille et des pierres.
Parfois sur les routes, je suis saisi par la douceur d’un paysage et je pense à ces images. Plus qu’une récompense, sans doute étaient-elles une promesse de paix, le dessin de mes rêves d’enfant.

(Urepel, Pyrénées-Atlantiques, 14 février)

mardi 14 février 2017


Mon Amour


Elle a des lunettes rouges
Des chaussures rouges 
Et un chapeau rouge
Elle est pas poison
Ni chiffon
Ni grognon
Elle a le cheveu qui r’bique
Le regard qui pique
Et le pied hypnotique
Elle est ma moisson, ma mousson, mon poisson
Mon amour

lundi 13 février 2017


Felicidad


Un vieil homme aveugle, vêtu d’un long manteau noir, remonte lentement la ruelle. Sa main frôle les murs, s’attarde sur les portes. Devant l’une d’elles autrefois bleue, il s’arrête plus longuement. Ses doigts maigres caressent les ferrures, en explorent les contours puis suivent les veines du bois, tremblent sur les éclats de peinture et s’immobilisent soudain sur une lettre gravée.
Alors l’index en suit précisément le creux, le visage de l’homme s’illumine et celui ci pousse la porte en prononçant le doux nom de « Felicidad »…


(Fontarrabie, Espagne, 12 février)

dimanche 12 février 2017

Miniatures éphémères
Quand... 


Quand les derniers grands arbres seront tombés
Nous marcherons désorientés
Il ne nous restera que la couleur

samedi 11 février 2017


Au cœur de l'hiver


Au cœur de l’hiver, elle sera toujours là, la petite dame au chapeau rouge. Discrète et légère. Y-a t’il eu un jour où je n’ai pas pensé à elle?

(Vaucresson, 22 janvier)

vendredi 10 février 2017


Puzzle


Il y a des matins où l’on se sent comme un puzzle,  alors il ne faut pas trop se presser mais patiemment considérer chaque pièce, et attendre le soleil qui remettra un peu d’ordre.

(Miquéou, Landes, 8 février)

jeudi 9 février 2017


Grandir


Il vient  là noyer ses idées noires
Abandonner ses doutes aux baïnes
 Laver ses yeux aux embruns
Il vient petit et vouté
 Face au vent et aux vagues
Grandir et grandir encore

(Mimizan, Landes, 7 février)

mercredi 8 février 2017



Les Trois Couronnes


Ils étaient deux joyeux enfants qui chaque matin venaient se glisser dans le lit des parents. Chacun sa place, la fille entre le père et la mère, le fils du coté de la mère. On était calme quelques instants, le temps d’un câlin, le temps de goûter à la chaleur de ce lit grand comme un bateau. Puis c’était le chahut, on se grimpait dessus, on s’ébouriffait, on sautait, jusqu’à ce que les parents se lèvent. Alors on courait à la fenêtre pour faire comme papa qui chaque jour avant toute chose regardait les nuages et les oiseaux. On voyait au loin cette montagne, les Trois Couronnes.
Un jour, un chapeau de nuages parfaitement dessiné en couvrait le sommet. La fillette, qui était d’une curiosité sans limite, a dit: « je veux toucher les nuages! », en faisant  un geste  délicat avec la main. Alors ils sont partis tous les quatre . Ils ont grimpé sur les pentes herbeuses, entre les pierres et les crottes de mouton. Les enfants couraient, impatients. Ils couraient, loin devant. Soudain ils se sont retrouvés dans le brouillard, un brouillard si dense qu’on y voyait à peine. Ils se sont immobilisés. Derrière les parents leur criaient d’attendre. La gamine a pris la main de son petit  frère. Ils se regardaient un peu étonnés, à la fois inquiets et exaltés. Ils avaient fait bien plus que toucher le nuage, ils étaient dans le nuage.

mardi 7 février 2017


La Vague


(Socoa, 5 février) 

Le vent soufflait si fort que l’on tenait à peine debout ce dimanche à Socoa. Mais il y avait au cœur du tumulte la paix que trouve la main à caresser l’onyx.


(Camille Claudel, la Vague)

lundi 6 février 2017



Quand t'es un petit peu vieux


Quand t'es un petit peu vieux
Qu'il te reste plus que vingt ans 
Pour devenir un chanteur de rock
Quand la nostalgie te chatouille le cœur
Et que ta peau se tache
Tu roules un peu moins vite
Tu t'arrêtes plus souvent
Mais tu vas toujours droit devant
En disant je t'aime un peu plus souvent

(Eure, 11 octobre 2016)

dimanche 5 février 2017

samedi 4 février 2017


Un Trésor


Un jour quelqu’un m’a dit: « Tu vois, là bas, il y a un trésor, je ne sais pas ce que c’est, je ne sais pas pas comment on y va, mais j’en suis sûr , il y a un trésor. Veux tu m’accompagner? »
Je n’ai pas hésité une seconde.

(Fontarrabie, Espagne, 28 janvier)

vendredi 3 février 2017


Un Matin électrique


C’est un matin électrique où il est impossible de se coiffer.
Aucun cri, dans la cour de l’école, juste un infime grésillement.
Dans l’unique pièce éclairée une femme range des dessins d’enfants en chantant un blues profond.
C’est un chant créole qui parle de l’homme idéal.

(Tarnos, Landes, 1er février)

jeudi 2 février 2017


Sur la Pierre

 

C’est un gros rocher sur le bord du sentier, au dessus de Biriatou. Sur quelques centimètres carrés, il y a un médaillon au centre duquel un visage apparait à peine perceptible,  il y a une silhouette à la Gaston Chaissac et les vestiges d’une mosaïque romaine.
Les lichens dessinent sur la pierre les visages et les histoires de ceux qui deviennent particules à force de regarder.



mercredi 1 février 2017


Elko, Nevada


Une route toute droite avec des boules d’herbes sèches qui roulent dans le vent du sud, je roule vite, la radio à fond. Sophie m’attend, à Elko, Nevada. Je roule vite, trop vite et je crie je t’aime pour aller encore plus vite. Soudain le pneu avant gauche éclate et ma vieille Oldsmobile part en vrille sur le bas coté. Dans un nuage de terre sèche, la voiture bleue fait trois tonneaux avant de s’immobiliser les roues en l’air dans les buissons d’armoise.
Je ne bouge pas, tout est extraordinairement calme. Alors je me dit que ce n’est pas grave, ce n’est qu’un rêve, il suffit de se réveiller. J’ouvre les yeux, je suis sur la pente d’une montagne basque, le nez dans les genêts. Je m’étais endormi au cours d’une halte après plusieurs heures de marche solitaire. Avant de me relever, je dis une nouvelle fois je t’aime, à voix basse.

(Biriatou, Pyrénées Atlantiques, 31 janvier)