lundi 30 novembre 2020

 

Lumière d'automne

(Forêt de Marly, Yvelines, 29 novembre, 15h)

Les dernières feuilles attrapent la lumière

Je me réjouis de bientôt être grand-père

dimanche 29 novembre 2020

 

Miniatures éphémères

(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 21 septembre, 17h)

Vertige de l’amour

samedi 28 novembre 2020


Pffft...

(Marnes-la-Coquette, 27 novembre, 14h 50)

La  fillette refuse obstinément de tenir la main de sa mère. Elle marche devant, faisant parfois tourner sa jolie jupe écossaise. Devant le grand arbre, elle s’arrête, elle regarde la plus haute branche, elle défait le nœud de soie bleue qui tient ses cheveux, elle secoue la tête, elle se met sur la pointe des pieds, elle s’étire, s’étire, et, les yeux fixés sur le majestueux platane, elle fait: pffft…

vendredi 27 novembre 2020

 

Les vieux indiens


(Marnes-la-Coquette, 15h 10)


Au dessus de la barque, les arbres d’une rive à l’autre se touchent du bout des doigts comme s’ils avaient été peints par Michel-Ange.

Deux vieux indiens  vont sur la berge. L’un traine les pieds pour entendre le frottement des feuilles, l’autre les lève bien haut pour entendre résonner  la terre.

Ils reviennent là où ils ont pêché leur premier brochet, là où ils ont fait pacte d’amitié, là où ils se sont choisi leurs noms, Genoux Écorchés et Vol au Vent.

Ils montent dans la frêle embarcation. Vol au Vent plus lourd que Genoux Écorchés la fait dangereusement pencher.

Une fois la barque stabilisée, ils ne bougent plus.

Immobiles. Ils savent que ce n’est qu’en restant absolument immobiles, jusqu’à se faire oublier de l’eau, qu’ils pourront naviguer sur le bleu du ciel.

jeudi 26 novembre 2020

 

La cinquième fois

(Sur la route entre Saint-Romain et Moissagel, Tarn-et-Garonne, 7 août, 21h05)

Deux œuf durs, c’était leur diner. Les coquilles émiettées tombaient à leurs pieds tandis qu’ils épluchaient lentement leur repas en regardant s’approcher la nuit.

Le père avait tapé l’œuf contre sa tête pour briser la coque, comme il faisait chaque fois pour amuser son fils. Le gamin avait voulu l’imiter mais n’avait pas osé taper trop fort.

Alors le père avait pris l’œuf et l’avait lui-même cassé sur la tête du gosse qui avait grimacé hésitant entre rire et pleurer. Et il avait ri, il était grand maintenant, il avait le droit d’accompagner son père la nuit  en haut des collines.


- Papa, elle vient vite la nuit.

- Ce soir, oui. mais c’est pas toujours comme ça. Des fois elle vient tout doucement comme une mère qui  vient te bercer, elle peut venir tranquille quand ton cœur ne fait pas de vagues.

- Y fait des vagues ton cœur?

- Oui, de drôles de vagues dans tous les sens, faut que ça se calme, faut attendre… Mange ton œuf  doucement, sinon tu vas t’étouffer.

- J’ai un petit peu peur… J’ai des vagues moi aussi?

- Peut-être, et même des moutons...

- J’aime bien les moutons…


 Le père éclate de rire et manque lui-même de s’étouffer avec le jaune d’œuf qu’il recrache en toussant.


- T’es un sacré toi, tu m’a fait cracher mes vagues… Tu vois l’arbre là-bas, il y avait une grange avant. Une fois j’y ai dormi avec ta mère.

- T’es déjà venu là?

- Oui, je reviens souvent où je suis venu…

- Pourquoi?

- Pourquoi quoi?

- Pourquoi tu reviens où t’es déjà venu?

- Parce que… La première fois… Je vais au pas de la charrue, qui trace son sillon… la deuxième fois… je vais, le regard comme la main du semeur… la troisième fois… je vois ce qui  change et ce qui ne change pas… la quatrième fois je ne suis pas seul…

- C’est la quatrième fois que tu viens là?

- Non, la cinquième fois.

mercredi 25 novembre 2020


Un jour je serai danseuse

(Pour Sabaline) 

(Sur le Maroni entre Saint-Jean et Apatou, Guyane,  31 mars 2019)


Elle a dix ans.

Les cheveux comme du sable caressé par le vent.

C’est une fille du fleuve.

Elle dit à l’arbre:

Un jour j’aurai les jambes assez grandes pour traverser le fleuve.

Un jour j’aurai les bras assez longs pour embrasser le monde.

Un jour je serai danseuse.

Je danserai l’eau qui tape sur les pierres rondes de Saut Hermina.

Je danserai l’eau qui tape et ruisselle  sur la feuille de bananier.

Je danserai l’eau qui tape sur le  toit du carbet de papa.

Je danserai l’eau qui coule dans mes yeux quand quelqu’un s’en va.


mardi 24 novembre 2020

 

Un trèfle à quatre feuilles

(Vaucresson, 23 novembre, 16h 50)

Pour changer le cours des choses

un petit homme de bric et de broc

s’en va cahin-caha 

cueillir un trèfle à quatre feuilles

lundi 23 novembre 2020

 

Au silence du temps

(Pour Hervé)

(Abbaye Saint-Pierre, Moissac, Tarn-et-Garonne, 8 août, 10h 45)

Au premier soleil par dessus les murs

la fermeture éclair glisse lentement

lentement j’ouvre mon cœur

au cèdre qui dit « Le bleu de la question* »

au cèdre qui jamais ne ploie

aux pierres sillonnées par les pluies

aux pierres conteuses de nos vies

lentement j’ouvre mon cœur

au silence du temps


(*Poème de Salah Stétié)

dimanche 22 novembre 2020

 

Miniatures éphémères

(Vaucresson, 14 novembre, 12h 45)

Entre parenthèses

samedi 21 novembre 2020

 

Les vautours

(Parc de Saint-Cloud, Hauts-de-Seine, 11h 15) 

Les enfants se cachent derrière les arbres, 

jouent à se faire peur avec le bois mort, 

construisent des cabanes pour y habiter toute la vie, 

les amoureux se font des lits de feuilles mortes, 

les chiens se promènent, 

les vieux cherchent le soleil, 

et les vautours tournent, tournent…

vendredi 20 novembre 2020

 

L'endormi

(Vaucresson, 11h 20)

Un coin de bibliothèque. Les livres vont et viennent, le bouquet dans le vase varie suivant les saisons. Le soleil s’y pose avant midi de novembre à décembre. Un coin de paysage familier toujours changeant*.

Le dormeur sur sa paillasse vient de l’île de Gorée, en face de Dakar  au Sénégal. Gorée, île mémoire de la traite négrière. Je me souviens du jeune homme qui m’a vendu la statuette sur le port.

Nous étions là, Sophie, mes parents et mes sœurs avec leurs maris. Nous nous étions réunis à Dakar, là où mes parents vécurent quelques années, là où ma sœur ainée et moi sommes nés.

C’était en 1992, j’avais quitté le Sénégal à l’âge de deux ans, je revenais pour la première fois en Afrique 35 ans plus tard.

Lorsque l’avion atterrit à Dakar, j’aperçus sur le tarmac une silhouette dégingandée, aux formes rendues troubles par la chaleur qui montait de la piste, une silhouette qui allait nonchalante, indifférente au vacarme de l’appareil. Je ressentis immédiatement quelque chose de familier. J’ai déjà parlé sur ce blog* de ce moment, sans doute est ce à cause de l’extraordinaire surprise de reconnaître une terre dont je n’avais aucun souvenir. Je suis maintenant convaincu que nous sommes définitivement marqué par la terre sur laquelle nous avons fait nos premiers pas, aussi brefs furent-ils.

Cette terre est sèche d’un brun clair, légèrement rouge, comme le bois de l’étagère, sur laquelle un jeune homme dort sous les regards bienveillants d’un cinéaste et d’une tendre et romantique polonaise. 

Le soleil tourne, les rayons arrivent au visage de l’endormi après lui avoir effleuré les pieds et  le ventre. Le jeune homme ouvre alors les yeux, s’assoit sur le rebord de sa couche,  me regarde, me dévisage, comme si, à son tour, il était surpris de me reconnaître. Et il me parle de mon père…


*post du 25 décembre 2018

*post du 6 juillet 2016

jeudi 19 novembre 2020

 

Poivre et sel

(Vaucresson, 17h 35)

Le plus loin que je puisse voir en me penchant à la fenêtre

les nuages montent

là-bas sur la colline salière et moulin à poivre pour saupoudrer le temps

mercredi 18 novembre 2020

 

La cibiche

(Marnes-la-Coquette, 13 novembre, 15h 50)

Assis sur un banc au bord de l’étang un vieil homme roule la cigarette qu’on veut lui interdire.

D’une blague de cuir noir posée sur ses genoux, il sort quelques brins qu’il dispose méticuleusement sur la fine feuille de papier. La cigarette ne sera pas trop épaisse, il faut économiser le précieux tabac qui lui coupe la faim et lui allège la tête. Il roule longuement sa clope entre ses doigts, jusqu’à ce que le cylindre soit parfait. Il passe sa langue sur la bande gommée du papier, un aller et retour, puis il y a ce discret mouvement de lèvres sous la moustache jaunie, comme s’il appréciait le collant de la feuille. Il arrache les minuscules brins qui dépassent, tapote le bout de la cibiche sur le dos de sa main gauche, la regarde puis la glisse entre ses lèvres. Il ne l’allume pas, il reste longtemps ainsi les yeux clos, le temps qu’il faudrait à la cigarette pour se consumer. Puis il l’écrase entre ses doigts, laisse le tabac brun se mêler à la terre, et déchire le papier en tout petits morceaux, enfin il renverse la tête en arrière avec un intense sourire de satisfaction.

Sur l’autre berge, une jeune femme  qui l’observait depuis un bon moment dissimulée derrière un arbre hoche tendrement la tête de gauche à droite.

mardi 17 novembre 2020


Le vitrail 

(Orval, Belgique, 9 novembre 2019)

Il ne restait que des murs noircis.

Henri avait dit:

Regardez, déjà un maître verrier anonyme a rhabillé les ruines!

Alors toute la communauté s’était mise au travail.

lundi 16 novembre 2020

 

Soif de paysage

(Landévennec, Finistère, 8 septembre 2019)

J’avais soif. Soif de paysage. La gorge sèche, un fourmillement au bout des doigts, une démangeaison dans le dos, à la naissance des ailes.

J’ai descendu la Grande Rue, j’ai pris la rue de la Folie, puis la sente du Bois des Dames entre les maisons bourgeoises et les jardins clos, jusqu’au bois du Butard. Là, j’ai évité la boue en marchant sur le tapis de feuilles jaunes, j’ai cherché le ciel entre les arbres. Il était uniformément gris, le gris d’un manteau de vieux. Il y eut un temps où aucun homme n’allait sans chapeau, où il suffisait de baisser légèrement la tête pour se dissimuler dans l’ombre du rebord de feutre, où à l’inverse, d’un geste discret soulever le couvre-chef en guise de salut. C’était le temps de mon grand-père qui souvent venait dans ces bois ramasser des champignons.

Je suis rentré par l’avenue Clarisse, puis l’avenue Le Nôtre, le long du golf du Haras Lupin, éclairé soudain par un tardif rayon de soleil. Je montai sur un muret pour goûter ce début de paysage, malgré tout trop artificiel pour étancher ma soif.

Le soir venait, le ciel s’ouvrait enfin, les arbres sur mon chemin jonglant avec la lumière.

Mais c’est de l’immensité qu’il me fallait, une plaine à bisons, un horizon à cent quatre vingt degrés et des routes dont on ne voit pas le bout.

Arrivé à la maison je suis monté tout en haut regarder le ciel par la fenêtre de toit. Il rougissait sur les toits des maisons, mais je ne voyais toujours pas assez loin.

La nuit  était venue, j’avais toujours aussi soif. 

En fouillant dans d’anciennes images, j’ai retrouvé celle-ci où l’eau et le ciel sont mêlés, où l’horizon lui-même a disparu, je l’ai longtemps regardée, j’ai aimé m’y perdre avant d’aller dormir.

Je me suis alors souvenu qu’il y avait chez mon grand-père un petit tableau représentant un berger et ses moutons au sommet d’une colline, et un paysage qui se perd au loin dans les brumes.

dimanche 15 novembre 2020

 

Miniatures éphémères

(Vaucresson, 31 octobre, 11h 10)

Route d’automne

samedi 14 novembre 2020

 

Une fleur à cueillir

(Vaucresson, 16h 55)

Églantine de la Rochelle n’était jamais sortie sans une fleur au chapeau.

Un intense rouge à lèvre et une fleur à cueillir.

Elle était venue de l’Illinois pour chanter le blues sur des parquets lustrés.

À quatre vingt seize ans elle ne quittait plus sa chambre.

Sa seule exigence était que sa fenêtre soit toujours fleurie.

Le passant levait les yeux, elle le saluait alors en souriant.

vendredi 13 novembre 2020

 

Les voleurs

(Marnes-la-Coquette, Hauts-de-Seine, 16h)

Oh non, je ne suis pas un ange. Ni un oiseau.

Pourtant je vole.

Personne ne le sait.

Je suis cordonnier. Je cache bien mon jeu. Qui pourrait imaginer qu’un spécialiste de la chaussure s’envole au moindre prétexte.

Je vole, oui, mais je reste chaussé et habillé, je ne suis pas un ange, juste un cordonnier.

J’ai mon heure, je reste discret, je sors par la fenêtre quand Sophie et les enfants dorment à poings fermés. 

Les enfants apprendront un jour, quand ils seront grand, quand ils se feront une idée sur la nature humaine, quand ils choisiront leur camp.

Pour l’instant ils apprennent à réparer les chaussures.

Je sors la nuit. Il suffit que je me concentre et je m’élève sans effort.

Souvent je me pose sur une branche au dessus de l’étang. Je regarde la lune vibrer dans l’eau.

Il arrive qu’une chouette ou un écureuil me tienne compagnie. Nous regardons ensemble la lune vibrer dans l’eau en croquant des noisettes. Nous parlons peu, aucun de nous ne parle la même langue, nous nous regardons, nous nous frottons le poil, ou la plume, nous soupirons, nous faisons de petits hm hm.

Au printemps dernier j’ai fait quelques escapades diurnes. Le monde était à l’arrêt, les gens cloîtrés, je pouvais voler en toute discrétion.

J’ai fait connaissance d’autres oiseaux. Nous nous étonnions du silence.

Nous sommes à nouveau confinés, mais le monde n’est pas à l’arrêt cette fois ci. 

C’est trop risqué de voler au soleil. Pourtant je prendrais volontiers l’air en plein jour, la boutique est fermée, la chaussure n’est pas considérée comme essentielle. Comme si tout le monde volait!

Lors de mes sorties, je dois voler de plus en plus haut. Ils ont installé partout des caméras de surveillance. Heureusement elles ne regardent qu’en bas.

Il y a deux jours j’ai rencontré un  autre voleur, dans le séquoia au dessus du cinéma.

Vu l’heure et la hauteur de la branche il n’y avait aucun doute sur nos capacités respectives.

Il s’appelle Henri, il est peintre. Il m’a raconté que parfois, la nuit, il repeint le haut des immeubles en bleu. Les gens mettent très longtemps à s’en rendre compte, ils ne lèvent plus la tête.

Henri m’a affirmé que nous n’étions pas les seuls à voler le soir venu, nous étions de plus en plus nombreux. Un jour nous n’aurons plus à nous cacher.

Je me suis dit qu’il était temps de dévoiler ce secret à Sophie. C’est la seule chose que je ne lui ai jamais dite depuis notre mariage.

La nuit dernière, dès qu’elle s’est endormie je me suis envolé. Ni Henri dans le séquoia, ni l’écureuil dans le platane n’étaient là. Je suis rentré beaucoup plus tôt que prévu.

Sophie n’était pas dans le lit. 

J’ai attendu.

Et soudain je l’ai vue arriver en volant par la fenêtre.

jeudi 12 novembre 2020


Miniatures éphémères

À la recherche du temps perdu

(Vaucresson , 24 mars, 29 mars, 30 mars, 1er avril, 4 avril, 8 avril, 18 avril, 6 mai)









 

mercredi 11 novembre 2020

 

Résumé

(Le Tréport, Seine-Maritime, 30 septembre, 21h 10)

Le manège ne tourne plus

le théâtre est fermé

la lumière reste allumée 

et la bourse tourne à plein pot

mardi 10 novembre 2020

 

Cochon pendu

(Vaucresson, 9 novembre, 16h 10)

Rick fait le cochon pendu.

Quand il a le cœur à l’envers, quand il a perdu au jeu, quand il a des idées noires, quand la goutte l’empêche de marcher, quand il a envie de cogner, il se pend par les jambes.

Il fait ça depuis toujours. Lorsqu’il était enfant, il y avait au fond du jardin un grand portique vert un peu rouillé auquel étaient accrochés une balançoire, une corde à nœuds et un trapèze.  Contrairement aux autres enfants, il ignorait la balançoire. Ça balançait déjà suffisamment en dedans de lui. À la moindre contrariété, que ce soient des moqueries, un désaccord familial, un chagrin trop lourd, il se pendait au trapèze la tête à l’envers et restait ainsi jusqu’à ce que l’afflux de trop de sang lui donne la migraine. Il était plus aisé de parler dans cette position, de se défaire du trop plein. Les mots s’en allaient vers le ciel plutôt que de tomber sur ses chaussures.

Le vieux Rick est contrarié. Cette fois ci il ne sait pas bien pourquoi. Comme s’il habitait une vieille maison où toute la plomberie se mettrait à fuir. Chaque brèche colmatée, une autre réapparaitrait. Il n’est plus très sûr d’être fait pour ce monde là. 

Le vieux Rick fait le cochon pendu à la barre de bois tenue par deux épaisses cordes de chanvre nouées à une solide branche du noisetier. Les arbres lancent des nuages pour attraper les perruches, les maisons se penchent les yeux grands ouverts, les feuilles mortes montent vers lui, son cœur se remet à l’endroit et le voisin qui est un râleur invétéré marche sur la tête en battant des bras.

Rick fait le cochon pendu et ça va mieux.

Il salue le voisin et l’invite à se pendre à ses côtés, la barre est assez longue.

lundi 9 novembre 2020

 

La maladie de Marc


(Vaucresson, 16h 20)


Tout le monde parlait de la Covid.

Personne ne parlait de la maladie de Marc.

Personne d’autre n’était atteint de la maladie de Marc.

Marc était un cas unique. On ne le prenait pas au sérieux.

Marc ne distinguait pas les visages humains, aucun.

Il voyait des fleurs, des cous surmontés de fleurs.

Des fleurs qui palpitaient en parlant, enroulant et déroulant leurs pétales.

Des fleurs qui savaient être douces, piquantes ou provocantes.

Des fleurs en guise de têtes, des fleurs connues ou inconnues.

Hommes ou femmes, robes ou costumes trois pièces,

au col, toujours une fleur, 

une grande fleur dont un baiser rendrait fou.

Personne ne parlait de la maladie de Marc.

L’hiver approchait, Marc verrait les visages se flétrir aux grands froids.

Marc craignait l’hiver.

Il aurait voulu confier sa peur au docteur.

Mais on ne parlait que de la Covid.

samedi 7 novembre 2020

 


Miniatures éphémères

(Vaucresson, Chou romanesco, 5 novembre, 11h 20)

Songe sur le chou

 

Joseph et Alice

L'heure du lait

(Bareille, Ariège, auteur et date inconnus, la femme est  Anna, la grand-mère de Joseph, la ferme était encore ainsi lorsque j’étais enfant)


J’ai dix ans. Je suis immobile sur le pas de la porte, un pot à lait en fer blanc dans la main. Dehors ça sent la vache et le foin, dedans ça sent la suie et les œufs frits. Une bande de chats roux lapent le lait frais dans une écuelle posée à l’extérieur sur la terre battue. Je n’ai jamais vu un animal dans cette pièce sombre où vivent Joseph et Alice. Sans doute n’ont-ils pas le droit d’entrer, ni les chiens, ni les chats. C’est leur seule interdiction, sinon ils vont où ils veulent. Souvent la nuit, j’entends les aboiements qui résonnent loin dans la montagne.

Les braises luisent dans la grande cheminée surplombée d’un long linteau de bois noirci, éclairent le tabouret posé là, à l’intérieur du cadre, suffisamment loin du foyer pour ne pas être mangé par les flammes, le même tabouret que celui que Joseph utilise pour la traite.

Joseph vient de traire, il a fini sa journée. Alice non. Elle doit  servir Joseph qui trône au centre de la salle, attablé devant son assiette, une miche de pain et son porron de vin, une carafe au bec en forme de cône qu’il tête pour boire, Joseph qui trône son couteau à la main, l’œil vif et le sourire chantant. Il est gros, un embonpoint ferme et joyeux, la peau tannée et cuivrée. Le béret rejeté en arrière laisse apparaître une marque blanche sur son front et quelques cheveux raides collés par la crasse et la sueur. Il porte les mêmes trois épaisseurs qu’il gardera toute la semaine, une veste de travail bleue ou grise tachée, rapiécée, une chemise de flanelle à carreaux, et un maillot de corps. C’est lui qui mange le premier, c’est lui qui parle, Alice ne fait qu’acquiescer.

J’ai dix ans, j’attends sur le pas de la porte qu’Alice ait servi Joseph, puis qu’elle vienne remplir mon pot d’un litre de lait frais qui sent l’étable. Le grand seau et l’entonnoir sont près de la cheminée, là où Alice se tient quand elle fait à manger. 

Joseph me parle, il blague. Il aime quand nous venons, mes sœurs ou moi. Joseph et Alice n’ont pas d’enfant. Ils n’en auront jamais.

Joseph blague et Alice est debout derrière lui, les mains posées sur le dossier de la chaise. Elle sourit, elle acquiesce, toujours, c’est comme ça.

Alice a les joues rouges et des lunettes. C’est elle aussi qui tient les comptes, alors il faut des lunettes. Elle porte une blouse à petits carreaux, sans manches. C’est l’été, la saison où elle tient la fourche tandis que lui conduit le tracteur. Ses bras aussi sont rouges.

Au centre de la pièce, au dessus de la grande table de bois brut,  pour éclairer la scène il n’y a qu’une ampoule nue pendue au plafond à côté d’un tortillon de papier tue-mouche.

Je suis là immobile. Je m’imprègne de ce clair-obscur, de ces odeurs fortes. De temps en temps je jette un coup d’œil vers le sombre escalier qui monte à l’étage, là où ils dorment. Je voudrais tant savoir comment c’est là-haut. J’ai toujours aimer savoir comment les gens dorment, après tout nous passons une grande partie de notre vie à dormir. Maintenant, des années plus tard, je me demande si la tendresse avait un peu de place là-haut.

Mais à dix ans je n’ai que la curiosité d’un môme qui se demande ce qui se cache  là où c’est noir, un môme qui se sent ici chez lui, alors qu’il ne vient pas de ce monde là, un môme fasciné par une scène dont à cet instant il fait partie et dont il ressent pourtant sans pouvoir la nommer une profonde injustice.


vendredi 6 novembre 2020

 

Un fruit mûr

(Amiens,  Somme, 29 septembre, 16h)

Parfois je rêve en noir et blanc.

C’est qu’il n’y a que deux alternatives,

avancer ou reculer.

Alors j’avance avec la gourmandise d’un ver qui creuse dans un fruit mûr.

Suinte sur les parois du tunnel le parfum d’une terre que mon corps reconnaît.

C’est une terre qui s’accroche aux semelles, 

se dépose sur les planchers des maisons quand elle sèche,

une terre pour les grands arbres, une terre de démesure,

une terre de courses folles et de caches au sein des fougères.

J’avance dans le noir profond, mes yeux s’agrandissent.

Il y a une plaine qui se heurte aux montagnes,

des trainées de brumes qui s’accrochent  aux pics,

un chemin en lacets et des arbres tordus par le vent.

De l’autre côté il y a la mer, des galets qui chantent,

qui disent que ce n’est jamais fini.

Apparaît une forêt aussi dense que l’intérieur du fruit.

Plus je creuse, plus c’est chaud et doux,

une caresse ancienne que je croyais n’avoir jamais connue,

une main posée sur l’enfant qui n’est pas encore né,

une tendresse inouïe propice à toutes les réconciliations.

jeudi 5 novembre 2020

 

Une fleur

(Vaucresson, 11h)

Il n’ y a qu’une fleur, une seule ce matin au jardin pour nous abreuver,

une rose solitaire à qui j’accorde tout mon temps.

mercredi 4 novembre 2020

 

Le pendule de Newton

(Mazères-sur-Salat, Haute-Garonne, 15 octobre, 18h 10)

C’est un pays de rien où les pères ont baissé les bras.

Sid, Luc et Anton sont nés en été, tous les trois, quand il y a les fanions bleus, jaunes, rouges et verts en travers des rues, quand les gorges et les jambes des filles sont nues, quand on cueille les fruits murs haut dans les arbres, quand on oublie un peu qu’il n’y a plus de boulot.

Ils ont des têtes de soleil, tous les trois, des soleils qui n’en font qu’à leur tête.

La vieille usine, le long de la rivière qui bouillonne, est leur royaume. Il n’y a que des chiens errants et le vieux Charles qui boite à cause de sa jambe comme une patte d’éléphant, le vieux Charles qui entasse tout et n’importe quoi dans un hangar fermé à double tour, le maître des rebuts.

Les garçons l’aiment bien. Parfois il les laisse entrer dans le hangar et choisir ce qui leur plait.

Un jour ils sont sortis avec un énorme crocodile de carton sur lequel  on pouvait encore lire en lettres rouges délavées: La plus grande exposition de reptiles vivants. Ils l’ont balancé dans la rivière en gueulant: 

«Amazone, Amazone!»

Ils viennent là depuis que les mères ont cessé de leur demander s’ils avaient des leçons en rentrant de l’école, depuis que les pères ont cessé de répondre à leurs questions.  Ils ont vite compris que personne ne répondrait, qu’il fallait qu’ils trouvent  eux-mêmes. À trois c’est plus facile.

Depuis la grande maladie, même l’instituteur ne répond plus, il dit qu’il ne sait plus, il a l’air triste.

Sid, Luc et Anton sont arrivés ce matin à l’école avec un pendule de Newton à cinq billes trouvé chez Charles. Ça cause d’énergie a dit Charles, il a aussi parlé de mouvement perpétuel. Les trois amis se sont dit que ça plairait à l’instituteur, que ça le dériderait, qu’on pourrait faire plein d’expériences. Mais l’instituteur a  eu l’air encore plus triste et leur a demandé de sortir car il n’avaient pas leurs masques.

Alors ils sont retournés à l’usine. Ils ont coupé les fils qui retenait les billes de plomb sur le pendule.

Quand une vitre de l’un des bâtiments désaffectés reflète leur image, ils lancent une bille de toutes leurs forces, le verre éclate et les garçons gueulent: «Nous ne serons pas  ce que vous voulez que nous soyons!»

Et le verre brisé renvoie du soleil dans tous les sens.

mardi 3 novembre 2020

 

C'est ma maison

(Vaucresson, 13h 30)

Une étable en Ariège, c’est ma maison

un arbre en Corrèze, c’est ma maison

une vague à Hendaye, c’est ma maison

une épave sur le Maroni, c’est ma maison

un jardin à Vaucresson, c’est ma maison

les bras de Sophie, c’est ma maison

le regard d’une inconnue, c’est ma maison

le cœur d’un spectateur, c’est ma maison

la route, c’est ma maison

un poème, c’est ma maison

le bouquet sur la table, c’est ma maison

lundi 2 novembre 2020

 

Un enfant silencieux

(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 4 octobre, 16h 45)

C’est un enfant, un enfant silencieux, il sera toujours un enfant, il ne l’a pas décidé, c’est ainsi

c’est à cause du soleil et de l’humus, à cause des arbres, des racines sous la terre.

Il suit la piste des bêtes, il noue des bouts de ficelle, il fait marcher ses doigts sur le bois, il ne détourne pas les yeux devant la charogne.

Il a appris une langue, celle de son père et de sa mère, la seule qu’il connaisse. Avec, il parle, sans arrêt, ses mots sont un vent léger qui ne fait qu’agiter les fougères, un vent qui bourdonne dans la cheminée, un vent qui marque le sable, un vent qui efface, qui souffle sur la plaie comme le fait la mère. Il parle sans arrêt, mais ce n’est que du vent, ça ne va pas sous la terre, il le sait, quand bien même il parlerait toutes les langues ça n’ira pas sous la terre. Il faut taper du pied, il faut parler plus fort, plus grave surtout, il le sait, la voix de la grand mère devenue grave va au fond du ventre. Battre la mesure, descendre d’une octave ou deux, pour faire parler son silence.

Il peut rester des heures aux portes des terriers, attendre que quelqu’un sorte, pour le saluer.

Mon cœur est un terrier, c’est ce qu’il se dit quand il suit la trace au milieu des sapins, mon cœur est un terrier et je suis un enfant silencieux.

dimanche 1 novembre 2020

 

Miniatures éphémères

(Tulle, Corrèze, 28 octobre, 9h 35)

Le goût de la pluie