jeudi 31 août 2017


Huit heures à Mazères


(Fontaine du Vallon, Hautes-alpes, 16 juillet)

Huit heures
L’eau dans la gouttière
Les pneus dans les rigoles
Le choc du tractopelle sur la pierre
Un gros pull et un ciel  gris
Une voix douce
Une valse au soleil
Un vieux qui commande un cercueil en bois qui danse

mercredi 30 août 2017


Polka


(L’Usine-Théâtre, Mazères-sur-Salat, 29 août)

Igor vient de Syldavie. il lit l’avenir dans le papier froissé, collectionne les cartes postales, et a lu tout Jim Harrison. Il dormait depuis deux ans dans sa minuscule caravane, je l’ai réveillé ce matin.  Nous avons bu un whisky pur malt, déplié  quelques cartes routières et parlé de la famille. Abel, Paul, Jacqueline, Angèle, Nadine, Martine, Sophie, Joelle, Albert, Bernard, Jennifer, Gilbert, Caroline, Colette, Francisco, Ginette, Thérèse, Assad, Nicolae, Ahmad, Joseph, Bastien, Timothée, Lucien, Jacob, Gabriel, Manuela, Gaston, Bao, Pierre, Jean, Georges, Jean-Pierre, René, Roselyne. Il m’a affirmé qu’ils seraient tous là  à la Toussaint pour danser la polka dans sa caravane.

mardi 29 août 2017


Au fond du théâtre


( L'Usine Théâtre, Mazères-sur-Salat)

 Au fond du théâtre, il y a une porte de bois peint. La peinture est écaillée, la poignée rouillée. Derrière, il y a un escalier de pierre. Les marches sont inégales, usées en leur centre. Là, la pierre est douce. Tout en haut, il y a mes nuits.

lundi 28 août 2017


Foudroyé


(Mazères-sur-Salat, Haute-Garonne, 27 août)

Le fils d’André m’a raconté cette histoire.
Un jour son père a été foudroyé dans une étable. Les chaînes ont flambé, le lait a tourné, les vaches  marquées au cou sont restées sonnées pendant trois jours après avoir dansé la danse de Saint Guy.  André fut soulevé au dessus du sol et propulsé hors de l’étable  vingt cinq mètres plus loin les cheveux en feu.
Depuis ce jour André est devenu un bon père, m’a dit Henry, le fils d’André.

dimanche 27 août 2017

Miniatures éphémères
Petits métiers
Le Souffleur


(Armancourt, Oise, 24 août)

 Dans le jardin de Vincent et Myriam, sur l’amarante queue de renard, il attend le soir, le souffleur, le préposé aux ors et velours, l’enlumineur de friches, le décapsuleur de glottes, le distillateur d’histoires. La nuit venue il glissera à l’oreille de l’artiste endormi de folles idées.

samedi 26 août 2017


Un rond dans l'eau


(Balloy, Seine-et-Marne, 24 août)

Les coquilles de limnées craquent sous ses pas. Elle s’arrête, trempe sa main dans l’eau, cela fait un rond, un petit bruit. Elle se retourne et me regarde. Que cet étang est beau!

vendredi 25 août 2017


Réincarnation


(Étang de Sainte Perine, Forêt de Compiegne, Oise, 23 août)

C’est une très vieille dame, née loin d’ici dans une contrée sauvage. Elle est seule désormais.  Elle vient souvent s’asseoir sur ce banc, avec quelques morceaux de pain sec qu’elle donne aux cygnes et aux canards. Elle nomme chacun du nom d’un de ses proches disparus. Elle croit en la réincarnation, on ne sait jamais. Après avoir distribué tout le vieux pain, elle plie soigneusement son sac plastique, et reste encore un moment là les yeux fermés. Elle écoute le bruissement des feuilles, le bourdonnement des insectes, le pépiement des oiseaux. Elle attend que la végétation se referme, l’engloutisse. Libellule, ce serait pas mal comme réincarnation, une libellule bleue, bleue turquoise, comme la pierre qu’elle porte au cou.

jeudi 24 août 2017


Freesias


Il y a un peu moins de quarante ans nous emménagions dans un minuscule deux pièces, dans le bas de Saint-Cloud, en bord de Seine. C’était notre première « maison ». Il y avait un petit marché au pied des immeubles. Le premier dimanche de notre vie commune, j’y achetai un bouquet de fleurs. Pour offrir où pour la maison? demande la fleuriste. Pour la maison. L’emballage ne sera alors que de papier Kraft. J’avais 24 ans. Pour la maison, trois mots délicieux.
C’était un bouquet de freesias, mauves. Je découvrais ce parfum sucré, une gourmandise. Je ne crois pas avoir acheté de fleurs avant ce jour, ni même les avoir regardées et senties comme je le fais à présent.
Dimanche dernier, au petit matin  je suis allé cherché ce bouquet de freesias jaunes et blancs au marché de Vaucresson.
Un parfum dont je ne me lasse pas. Sophie a souri en voyant les fleurs .
Voilà presque quarante ans que la maison est fleurie.

mercredi 23 août 2017


Un peu de rab


(Prieuré d’Aleyrac, Drôme, 25 juillet)

Une église en ruine, quelques croix sans dessus dessous, des tombes de guingois, une source miraculeuse, des noms évoquant une belle vie, au prieuré d’Aleyrac  la mort est joyeuse.
 Ils roulent au hasard, la fenêtre ouverte pour entendre les cigales, sentir le vent et la lavande.
Une flèche indique les vielles pierres, le chemin les mène à la source, une résurgence au pied des murs dans l’église ouverte au ciel. Il est écrit que l’eau qui coule à notre Dame La brune  y est miraculeuse, elle assurerait fécondité aux jeunes époux. Ce sont deux vieux amants, ils s’éclaboussent gaiement, ils se miraculent. Peut-être auront-ils un peu de rab?





mardi 22 août 2017


Saturne


(19 août)

Sur les berges de la Seine entre le pont de Saint-Cloud et le pont de Suresnes, côté bois de Boulogne. Un africain en survêtement est assis sur une pierre, un sac à ses pieds, son portable à la main. Il est immobile. Il regarde la barque qui se balance doucement quand passe une péniche. Un peu plus loin, à moitié cachées dans la végétation, il y a trois petites tentes plantées en cercle, de gros sacs plastiques pleins devant les entrées. Les promeneurs passent , à pied ou à vélo, sans prêter attention aux tentes et à l’homme.
L’homme est là depuis longtemps. Imperceptiblement la barque se balance.

lundi 21 août 2017


Hé merde!


(Fontarabie, Espagne, vue de Hendaye, 4 août)


Rick avait passé la soirée à Fontarabie  avec une brune explosive qui aimait les bagnoles et les motos. Ce soir là il portait une chemise hawaïenne avec des voitures et des palmiers, des voitures rouges, bleues, vertes et jaunes sur fond noir. La fille l’avait pris pour un fondu de mécanique, un as du volant, un Mozart du double débrayage, un expert du dérapage, un maestro du tête à queue.
Rick n’y connaît absolument rien en mécanique. Pour lui, l’automobile n’est qu’une question d’esthétique, un art de vivre. Rick est un artiste, il conduit au ralenti, il regarde, il sent. Il a fallu du temps pour construire la route, tracer l’itinéraire, dégager le passage, creuser, étaler la terre et le sable, poser l’asphalte, alors il faut du temps pour la suivre. Question de tempo, c’est pas pour rien qu’il est batteur.  Par exemple La route entre Fontarabie et Saint-Sébastien, sur le Jaiskibel, tu la fait au couchant à trente à l’heure dans une décapotable bleue, une Ford Mustang de 1966, la couleur pour la mer, les lignes pour la montagne. Une rythmique discrète aux balais derrière la trompette de Miles Davis.
La fille parlait à toute allure, ils en étaient à leur cinquième Mojito. Il donnait le change. Quand une fille lui plaît, il sait faire semblant. Il prenait des airs de Steeve Mc Queen. Bon, il est brun, un peu dégarni, mais il a un regard dit-on. La fille voulait bouger, elle commençait à sentir l’embrouille. Elle, ce qu’elle voulait, c’était rouler à cent à l’heure accrochée dans son dos sur une Kawasaki Ninja H2R, pas regarder les étoiles sur le sable allongée entre deux barques de pécheurs.
Alors quand il lui a dit qu’il n’avait ni voiture ni moto, que son hôtel était à Hendaye de l’autre coté de la Bidassoa, que le dernier bateau qui faisait la navette entre les deux villes était à une heure du matin, elle l’a planté là sur le quai; pas un baiser, rien, un tchao sifflé entre les lèvres, et elle a filé, son cul magnifique s’éloignant en roulant dans la nuit. Une composition dont il n’a pas trouvé le final qui se shunte tandis qu’il ne trouve plus la force de tenir ses baguettes. En eau de boudin dit-on.
Une fois dans sa chambre, il s’est endormi comme une masse. De toute façon, c’était pas plus mal, le lendemain il avait un rendez vous dans la matinée à Biarritz avec le directeur d’une grande maison de disque. Un juteux contrat à la clef, celui-ci avait eu vent d’une session exceptionnelle avec le Rick Delaveine Trio au festival de Marciac. Rick avait récupéré un enregistrement, pas de très grande qualité, mais on y percevait toute la force du groupe, mélange de joie, de dérision et de mélancolie avec quelques éclairs de sauvagerie au moment où l’on s’y attend le moins, et surtout ce petit quelque chose qui donne du chien, une légère imperfection qui fait qu’on se sent si proche.
La salle avait fini debout, il en avait laissé une chemise Pierre Cardin en soie.
Le réveille sonne.
Rick rêvait qu’il était avec la fille dans une Ford Mustang Bleue sur la route de Big Sur en Californie. C’est elle qui conduit. Ils roulent vite. Elle porte des gants de conduite en cuir beige. La route tourne, tourne, il ne se sent pas très bien, il lui demande de ralentir, elle rit, pose sa main sur sa cuisse, le caresse, il est tétanisé, elle roule de plus en plus vite, une main sur le volant, l’autre qui s’affaire sur sa cuisse, il ne sait plus s’il se sent bien ou mal. Il fixe le gant de cuir sur sa cuisse, incapable de la moindre réaction. Maintenant ils sont dans une chambre aux murs bleus.  Il est nu. Il bande.En face du lit, il y a un tableau de Pollock. Elle lui dit attends et disparait.
Il se réveille.
Il a mal au crâne, il est courbaturé, il bande toujours. Soudain il se souvient qu’il a oublié l’enregistrement dans la Ford Mustang. Il ne peut pas aller à son rendez vous sans cet enregistrement. Il faut qu’il retourne dans son rêve pour le récupérer. Il se rendort.
Quand il se réveille à nouveau, il est trop tard, il ne sera jamais à l’heure à son rendez vous.
Hé merde!

dimanche 20 août 2017


Miniatures éphémères
Mauvaise graine


Sa grand-mère le disait tombé d’une gousse de Glycine, mauvaise graine mais jolie fleur.

samedi 19 août 2017


Añoranza


( vers Coursan, Aude, 15 mai)

Il y a un homme accroupi au bord de la route, la tête dans les mains. Il porte un costume noir taché  de poussière blanche, un chapeau noir basculé sur l’arrière du crâne, des chaussures noires à bout pointu. Il a les ongles noirs. De la terre sous les ongles, de la terre dans ses poches, de la terre dans les revers du pantalon, une terre sèche. Il se balance d’avant en arrière, doucement, il chante. Sa voix est rauque, on ne sait pas s’il chante ou s’il compte. L’homme se redresse, passe une main sur son front. Il est tôt, la lumière claque sur les coquelicots. L’homme pleure, une larme, une seule, de son œil noir.

vendredi 18 août 2017


- Sénégal -


(Melanargia  galathea, Demi-Dœuil, Léoncel, Drôme, 19 juillet)

Je suis né dans un pays où les femmes portent des robes en ailes de papillon
et tiennent le monde en équilibre sur leur tête.

jeudi 17 août 2017


De ma fenêtre...


( La Rhune, vue d'Hendaye, Pyrénées-Atlantiques, 6 août)

De ma fenêtre 
J’ai vu la lune prendre son élan sur la Rhune.
Je me suis souvenu  d’un de mes premiers livres.
Joachim Quelque Chose grimpait jusqu’à la lune 
en équilibre sur un rayon.
Je me suis souvenu d’un tableau posé dans une pièce abandonnée.
La toile était percée, un diable rouge jouait au Bilboquet.
Je me suis souvenu avoir dévalé le sentier de la Chapelle des Izards
avec Anne qui s’en est allée bien trop tôt.
Je me suis souvenu avoir couru à toutes jambes avec Gilles et Jean-Philippe
sur les pentes de Bareille.
Je me suis souvenu du Piton des Neiges, des pierres qui roulent,
d’une autre folle descente.
Je me suis souvenu de toutes les fois où j’ai dit je t’aime,
de toutes les fois où je me suis perdu.
Je me suis souvenu  de la griffure des ronces, du souffle court sur les sentiers , 
de la joie aux sommets.
Je me suis souvenu de toutes les fois où j’ai dit: regarde!
à Sophie, Mathilde et Nils.
Je me suis souvenu des nuits agités et des tempêtes,
quand la lune pleine attire les eaux,
éclaire ce qui se cache
et remue le cœur.
De ma fenêtre j’ai vu la lune pleine,
la marée était haute.

mercredi 16 août 2017


Ainsi va...


(Laurier Rose, Travaillan, Vaucluse, 23 juillet)

Il y a tant de douceur dans l’ourlet naissant des pétales qui annonce la fin de la fleur.
Ainsi va…

mardi 15 août 2017


Quelque part dans le monde...


 (Pont-de-Barret, 25 juillet)

Elle dit que l’arbre tient la maison, que ses fruits sont aussi savoureux que les couilles de son homme, elle chasse les rabat-joie à coup de balai, accueille les excentriques à coup de gnôle, de la prune maison à 70°. Elle a cinq chats dont un borgne et un albinos, quand elle n’a personne a qui parler elle leur lit des poèmes de Richard Brautigan.:

« Quelque part dans le monde
un homme hurle de douleur

Quelque part dans le monde
une femme est assise
sous un bel arbre vert
et elle écosse des petits pois,
et elle ne pense qu’à 
de belles choses,
comme des cascades, des arc-en-ciel
ou des petits pois. »


                                     (R. Brautigan)

lundi 14 août 2017


Se perdre


(Le Gour-Noir, Corrèze, 11 Août)

Le village était désert, abandonné. Personne à qui demander son chemin. Il est descendu de sa voiture, une 404 bordeaux, et il a demandé à son ombre prise dans les phares jaunes ce qu’elle pensait de tout ça…

dimanche 13 août 2017


Miniatures éphémères
Sous l'érable du japon


 Elle avait attendu si longtemps son amoureux sous l’érable du japon que sa robe finit par en prendre la couleur.

samedi 12 août 2017


Le Garage


(Mirabel-aux-Baronnies, Drôme, 17 juillet)


Il avait un léger vague à l’âme
Un cliquetis dans le cœur
Le sourire écaillé
Et plus de pression sous les pieds

Il s’est arrêté chez L’homme
À Mirabel-aux-Baronnies
A bu quelques verres
Avec le garagiste

Il est reparti plein pot
Les cheveux en pétard
Le palpitant à fond
Et le sourire à neuf


Du foin pour l'hiver


(La Montagne, Hautes Alpes, 17 juillet)

Dévaler la pente
Rouler les souvenirs
Du foin pour l’hiver

jeudi 10 août 2017


L'Amour des Arts


(la Touraine, A. calder) 

 « Un mobile est un poème qui danse avec l’allégresse de la vie et de ses surprises »
Alexandre Calder

« Il en est pour moi de la peinture, comme de la poésie pour ce troubadour du XI ème siècle:
… « Mon poème est fait, je ne sais pas sur quoi, 
Je le transmettrai à celui 
Qui le transmettra par quelqu’un d’autre 
Là bas vers l’Anjou,
Pour qu’il me transmette de son étui la contre-clé »
(la contre-clé, c’est la deuxième clé qu’il faut avoir pour ouvrir. Avec une seule, rien ne s’ouvre). »
Pierre Soulages 

C’était le 27 juillet , une halte à Rodez au musée Soulages qui accueille une exposition Calder.
Nous y étions à l’ouverture, bénéficiant de salles quasiment désertes. Un moment de grâce. Légèreté des cieux avec Calder face à la densité de la terre avec Soulages. Me vient l’image d’un derviche tourneur.
Ce n’est que quelques jours plus tard que j’ai remarqué mon reflet dans le bleu de la gravure de Soulages. L’appareil photo disparait, ne reste que la main, la main d’un derviche, une main qui remercie, une main qui fouille le mystère de la couleur.
Cette gravure plait particulèrement à Sophie, qui m’accompagne depuis si longtemps, avec qui nous partageons ce même amour des arts. Cette main est une invitation à nous y perdre un peu plus, au plus profond du bleu. Tant de choses encore à découvrir.
Nous sommes arrivés à Rodez par des chemins de traverse. La veille nous avons rendu visite à des amis artistes, l’un à Pont-de-Barret dans la Drôme, Bertrand Boulanger, constructeur, bricoleur de génie, dont les objets de fer et de bois ont la puissance des sculptures africaines  et des kachinas amérindiens, l’autre à Dieulefit, Christiane Vielle, magnifique graveur qui donne à voir le geste dans ses encres, une oeuvre qui allie puissance et délicatesse, qui apaise, appelle à la méditation, envisage les traces comme les origines, en lien profond avec la nature, l’essence de la nature, la géologie, les mouvement tectoniques. Calder en écho à Bertrand, Soulages en écho à Christiane.
D’un artiste à l’autre, par de petites routes,  parcourant des paysages sans cesse différents, au grès du vent, nous allons , deux silhouettes reliées, un mobile.



( Gravure de P. Soulages)

mercredi 9 août 2017


Cadeau


(Hendaye, 6 août)

Emballer la plage de papier cadeau, l’offrir à mon père désormais  incapable de venir jusqu’ici.

mardi 8 août 2017


Des copains


(Saint-Cloud, Hauts-de-Seine, 2 juillet)


Youssouph est venu un peu tôt, il n’y a personne encore au boulodrome. Youssouph est nouveau dans le quartier, il aimerait bien se faire des copains. Il a acheté un jeu de trois boules Obut Match+ et une casquette jaune.
 On ne voit pas souvent de noirs sur les terrains de pétanque, et pourtant c’est un sénégalais, Fara Ndiaye, qui a gagné au Star Master Pétanque en mars à Pattaya en Thaïlande. Il a même battu le record du monde de tir de précision il y a quelques années. Fara vient de Dakar, comme lui. Alors il n’y a pas de raison qu’on ne veuille pas de lui.
Jusque là tout c’est bien passé:  Il a trouvé un boulot de plongeur dans un grand restaurant sur les bords de Seine, une chambre avec un lavabo, douche et WC sur le palier, et sa carte de séjour « salarié » a été validée pour trois ans.
Le mois dernier il est venu au boulodrome, pour voir, il n’habite pas loin. Un gars avec une casquette jaune délavée l’a salué, un gars sans âge qui parlait comme un chien qui s’ébroue. Même en tirant il parlait. Il a suffi d’un quart d’heure pour que Youssouph sache tout de lui, le montant de son allocation chômage, le tour de poitrine de sa femme, la maladie de sa mère, les métiers de ses enfants, le frigo à changer, ses douleurs au gros orteil, son âge, sa marque de boules préférée. Il s’appelle Roger, est né et a vécu dans le quartier.
Youssouph sait ce qu’il veut, mais il est timide, très timide. Il laisse les gens venir à lui. Cétait un bon début.
Chaque mois Youssouph envoie cent cinquante euros de son salaire à ses vieux parents  au Sénégal, le montant du jeu de trois boules Match +. Ce mois ci les parents n’auront rien, il leur a expliqué pourquoi, la mère a compris.
Avant de revenir au boulodrome, Youssouph s’est entrainé tout seul au bois de Boulogne, en face , de l’autre coté de la Seine. Pointer, tirer, pointer, tirer. Il a trouvé un coin tranquille, une minuscule clairière. C’est là qu’il a fait la connaissance de Yolanda, mais ça c’est une autre histoire, l’histoire du timide qui à force de laisser les gens venir à lui, en a vu du monde.
Ce dimanche, Youssouph se sent prêt. Il attend, un peu nerveux, que les joueurs arrivent. En général ils viennent vers seize heures, après la sieste. Il espère que Roger sera là, ça facilitera le contact.
Encore faudra-t-il qu'ils soient un nombre impair, il sera alors sans doute le bienvenu pour une doublette ou une triplette.
Il a sorti les boules de leur étui, il les soupèse, les passe d’une main à l’autre. Il sait que s’il assure, il gagnera une bande de potes.

lundi 7 août 2017



Gourmandise


(Hendaye, 6 août)

Il y avait toutes sortes de couleurs, du blanc au noir en passant par le bleu turquoise et le fuchsia.
Barbe à papa, panna cotta, carambar, coquelicot de Nemours, croky choc, kraky nuts, violette, réglisse, vanille de Papouasie, tout ça, tout ça. Une boule, deux ou trois, en pot ou en cornet.  Mais ce que voulait le petit Nils, c’était une boule, une seule, blanche, dans un grand cornet, parfum Lune.

dimanche 6 août 2017


Miniatures éphémères
Au hasard


Aller au hasard, d’un pas tranquille, où personne ne nous attend.

samedi 5 août 2017



C'est Là


(Hendaye, Pyrénées-Atlantiques, 4 août)

 Ici, j’ai surfé pour la première fois.
J’ai attendu des heures assis sur le muret de pierre.
J’attendais les vagues, le dos tourné aux passants.
Je lisais la mer, attentif au moindre frémissement annonciateur.
Ici, des inconnues se sont assises à mes côtés.
C’était l’été, les corps se déliaient.
Ici, j’ai parlé pendant des heures avec un vieil homme,
J’apprenais que le monde était bien plus vaste qu’on ne voulait le dire.
Ici, j’ai marché sur le sable face au vent, ma douce Sophie collée dans mon dos,
Ses pas dans les miens, pour se protéger.
Ici, j’ai fait des châteaux de sable, des batailles de boules de sable,
J’ai tenu les mains de mes enfants dans les vagues.
Ici, j’ai surfé avec mon fils et mes neveux qui me suivaient comme des petits canards.
Hier la mer était forte, j’ai surfé aux aurores
Puis j’ai tenu la main de ma mère de quatre vingt douze ans dans les vagues.

vendredi 4 août 2017


Petites mouches de rien


Voilà plus d’une heure que Madame sonne Josiane avec sa cloche à poignée, une poignée en loupe de buis sculptée par Monsieur, une poignée aux multiples usages a susurré Monsieur aux naïves oreilles de Josiane. Madame est alitée, Monsieur s’est absenté, Josiane est étendue dans la prairie. Madame secoue la cloche de plus en plus faiblement, il lui reste juste assez de force pour pester contre Josiane. Il faut qu’elle aille à la selle, mais elle est trop faible pour se lever seule.
Que Madame se démerde! Dans la prairie Josiane observe les petites mouches de rien sur les petites fleurs de rien.

(Sur le sentier du pic de Bure, Hautes-Alpes, 16 juillet)

jeudi 3 août 2017



Une Parure


 Léo croyait aux miracles. Il avait grandi sur les berges du Lot dans une modeste ferme de pierre rouge. Leurs seuls bijoux étaient là, tout autour, posés sur les feuilles et les fleurs, libellules et papillons, zygoptères et lépidoptères.
Il avait à peine six ans quand sa mère perdit l’usage de ses jambes. Une bêtise. Un barreau de l’échelle qui menait au grenier à foin s’était rompu. Elle n’était pas tombée de bien haut, deux mètres à peine, mais à plat sur le dos, se brisant la colonne vertébrale. Elle avait dit à son homme: viens vite dans le foin mon amour, je t’y attends et elle avait filé. S’aimer dans le grenier à foin, c’était leur fantaisie, s’aimer comme deux amants qui se cachent. Lui, l’homme, le père savait que l’un des barreaux était vermoulu, il avait prévu de le remplacer après la traite. Il n’a pas eu le temps de la prévenir, elle est partie trop vite. Il ne se l’est jamais pardonné.
C’est ainsi que Léo dut prendre soin de sa mère tandis que le père était aux champs.
Un jour, une idée commença à germer dans sa petite tête. S’il trouvait des pierres aux couleurs de ces Demoiselles, légères, minuscules, qui se posaient dans la prairie comme de vifs traits de pinceaux, il en ferait un bijou serti dans du cuir et l’offrirait à sa mère. Il était convaincu que si la couleur des pierres était parfaitement identique à celle des insectes, sa mère petit à petit, s’allègerait et remarcherait.
Elle n’a jamais remarché, mais elle a vu son fils se passionner pour les pierres, parcourir le monde en quête de gemmes, devenir un bijoutier réputé. Léo pouvait alors subvenir aux besoins de ses vieux parents.
La mère partit la première, paisiblement. Jamais, non, jamais elle n’avait reproché à son homme sa négligence. Il n’avaient pas cessé de s’aimer, bien sur il ne pouvaient plus se retrouver dans le grenier à foin, elle ne pouvait plus le serrer entre ses jambes, mais ils s’étaient trouvés bien d’autres fantaisies.
Dans ses derniers instants, le père avait raconté à Léo  les jeux du grenier, le barreau vermoulu, ce poids qu’il cachait bien au fond de sa poche, l’amour qui malgré tout ne les avait jamais quittés.
Léo en fut bouleversé. La nuit suivante il conçut l’un des plus beaux joyaux de sa carrière. Une parure qui fit sensation.
Une grande actrice, éprise de liberté, en fit l’acquisition et la porta lors de la remise des césars.
Elle fut consacrée meilleure actrice pour le film « La vieille qui marchait dans la mer ». Léo était là.
L’actrice ressemblait à sa mère, Jeanne.

(Canilhac, Lozère, 26 juillet)

mercredi 2 août 2017


Tenir Debout


(Bidart, Pyrénées-Atlantiques, 1er aout)

J’avais dix ans, mon oncle François me prêtait son immense planche blanche. Je la portais sur la tête, j’avais les bras bien trop courts. J’en sens encore le poids sur le sommet de mon crâne. nous surfions sur la Bidassoa, entre Hendaye et Fontarabie. Une vague magnifique roulait dans l’embouchure. Les digues ont été rallongées, les fonds dragués, la vague a disparue.
La liberté, l’exitation, la peur, la peur qui précède l’instant du départ ou de l’impact, une peur délicieuse, très proche du trac de l’acteur, une peur qui fait place à la joie dés que l’on est debout sur la planche et que l’on fait corps avec la vague, je sentais déjà que tout cela ne me lâcherait plus. Quelque chose de l’ordre de la sauvagerie de l’enfance, du désir autant que de l’abandon, du jeu le plus pur.
J’avais douze ou treize ans, mon père revint un jour avec une planche toute neuve, un des derniers modèles de chez Barland. Une planche grise et blanche. Mon père prit soin de dire qu’elle était pour toute la famille, mais très vite je me l’appropriais. Lui ne tenait même pas allongé dessus, et mes sœurs  ne montrèrent guère d’intérêt pour l’objet. Jamais mon père ne me fit autant plaisir que ce jour là. Je sens encore ce bouillonnement intérieur, mon corps entier souriait à la vue de la planche.
J’ai eu depuis d’autres planches dont je prenais bien soin. Je me souviens de tous les mauvais coups comme de toutes les plus belles vagues, du premier tube à Hendaye, de frayeurs à Guéthary, de sessions jusqu’à la nuit à Bidart. Ma nouvelle planche est verte.
L’esprit du surf n’est plus tout à fait le même, le business, l’agressivité (cette fameuse niaque dont on vous dit qu’elle est indispensable pour réussir), les spots sont surpeuplés, mais je ne renonce pas. Il m’arrive encore, à l’aube, ou au crépuscule, ou en hiver d’être seul dans l’eau, et chaque fois ces moments sont suffisamment forts pour s’imprimer dans ma mémoire.
Bien sur le corps n’a plus vingt ans, on manque de souffle, on est un peu rouillé, mais quand la vague vous porte on a  dix ans et on gueule comme un môme.
Si après un dîner au moment de partir quelqu’un me parle de surf, une demi heure plus tard nous sommes toujours sur le pas de la porte.
Il y a deux ans , début août, les vagues étaient magnifiques. Un mauvais mal de dos m’empêchait de surfer. Je trépignais. Alors je me suis mis à écrire ces histoires, ces souvenirs, ces sensations à partir de photos. Le mal de dos est parti, je suis retourné à l’eau. Je n’ai pas cessé d’écrire. J’étais pris. Je regarde les images, les paysages, les visages, comme la mer. Je lis d’abord. Je laisse venir. Comme la vague, les idées, les personnages, les souvenirs arrivent parfois immédiatement, d’autre fois après une longue attente. Il suffit alors de se laisser faire, c’est la vague qui décide.
Je surf, je joue, j’écris, je marche, il me semble n’avoir toujours fait qu’une seule et même chose.
Une quête d’équilibre, tenir debout, tout simplement.

mardi 1 août 2017



Disparitions


(Travaillan, Vaucluse, 26 décembre 2016)

Relire les nouvelles de Sam Shepard en écoutant la BO de  « Ascenseur pour l’échafaud »

Le Grenier


(Canilhac, Lozère, 26 juillet)

C’est là haut que ça se passe, à l’abri de la lumière du jour, dans un grenier auquel on accède par un grossier escalier de bois. La troisième marche est mal fixée, elle claque au passage, elle annonce le visiteur. L’escalier est raide, il faut se tenir à la rampe, du châtaigner, le bois est noir sur le dessus. Antoine monte une fois par jour, à dix huit heures trente, après son dîner, de l’ail et une goutte d’huile d’olive sur un morceau de pain, un bol de soupe agrémentée d’un demi verre de rouge et un peu de fromage. Chaque jour il monte. Que le jour ait été beau ou maussade, revigorant ou épuisant, qu’il n’ait vu personne ou bien tant de monde que les visages se mêlent, il monte. Il sait que le jour où il n’en aura plus la force, sa fin sera proche. Depuis quelques mois, de légers vertiges l’obligent à descendre à reculons, marche après marche, accroché à la rampe. Rien de grave a dit le docteur, c’est l’oreille interne. Il a rigolé. C’est sûr qu’il avait bien remarqué qu’il avait une oreille interne, il entend tant de choses qu’il est manifestement le seul à entendre. Il n’a pas osé demander au médecin si tout le monde avait une oreille interne, si ça leur faisait la même chose. En tout cas, il monte toujours.
 Il ne sait plus quand il est monté pour la première fois, peut-être vers quatorze, quinze ans, quand ça a commencé à parler du dedans.
Quand il était petit, il ne lui  était pas permis de monter là haut. Trop dangereux, la seule ouverture  sur l’extérieur, fermée par un panneau de bois, est au niveau du plancher. Il se contentait  de regarder le volet  d’en bas, du jardin, imaginant ce que recelait ce grenier interdit, des malles, de vieux vêtements du dimanche,  des épées, des fusils, de grands fusils, des journaux, des chapeaux, des pots, des outils rouillés, ébréchés, un renard empaillé, un édredons mité, une bassine de zinc, des lettres ficelées, une collection de bouchons, une table bancale, un buffet sans portes ni tiroirs, des boites à trésor, des toiles d’araignées, de grosses araignées, partout. Il se voyait alors ouvrir le volet pour s’échapper, sauter et s’écrabouiller dans le potager et il oubliait le grenier pour un ou deux jours seulement. Il n’y a rien de mieux qu’interdire un grenier pour en susciter le désir d’y monter.
C’est après une altercation avec son père qu’il est monté pour la première fois. Il ne se souvient plus très bien quel âge il avait, treize, quatorze ou quinze ans, mais il se souvient parfaitement du motif. C’était au verger, il avait voulu aider son père à greffer les poiriers, il s’y était mal pris, s’était coupé. Son père l’avait traité d’incapable. Il était rentré en trombe dans la maison, l’œil noir. Sans réfléchir, il était directement monté au grenier. Il y a encore sur la rampe les traces de sang de sa main tailladée.
La porte n’était pas fermée à clef, elle n’avait jamais été fermée à clef. le père était suffisamment sûr de son autorité.
Un peu de lumière filtrait par quelques fentes dans le volet  et des passages entre le mur et les solives. La pièce était vide, totalement vide. Il n’y avait que les toiles d’araignées accrochées à la charpente et une épaisse couche de poussière sur le plancher où apparaissaient parfaitement dessinées des traces d’oiseaux et de petits rongeurs.
Rien de tout ce qu’il avait imaginé pendant des années.
Antoine s’est assis au milieu  du grenier, il a commencé à parler en traçant de curieux signes dans la poussière. Il  a d’abord insulté son père, puis a  parlé de l’école, des camarades de classe, de ses sœurs, de la voisine qui a une jolie poitrine,  de tout et de rien. Au fur et à mesure qu’il parlait, il se calmait. Il a parlé jusqu’à ce qu’il sente la confiance revenir, jusqu’à ce qu’il se sente capable de regarder son père en face.
Depuis ce jour  chaque jour il monte. Il remplit le grenier. Des mots, rien que des mots.Au début, ce n’était que lui qui parlait, puis très vite, alors qu’il traçait des lignes du bout du doigt dans la poussière, d’autres voix sont venues, de l’intérieur, son oreille interne sans doute, alors il parle plus bas, plus aiguë, plus grave, change le rythme, il parle jusqu’ à ce que le silence se fasse  en dedans. Parfois il ne reste que quelques minutes, parfois il redescend après minuit.  Chaque fois il redescend en paix.