Une Parure
Léo croyait aux miracles. Il avait grandi sur les berges du Lot dans une modeste ferme de pierre rouge. Leurs seuls bijoux étaient là, tout autour, posés sur les feuilles et les fleurs, libellules et papillons, zygoptères et lépidoptères.
Il avait à peine six ans quand sa mère perdit l’usage de ses jambes. Une bêtise. Un barreau de l’échelle qui menait au grenier à foin s’était rompu. Elle n’était pas tombée de bien haut, deux mètres à peine, mais à plat sur le dos, se brisant la colonne vertébrale. Elle avait dit à son homme: viens vite dans le foin mon amour, je t’y attends et elle avait filé. S’aimer dans le grenier à foin, c’était leur fantaisie, s’aimer comme deux amants qui se cachent. Lui, l’homme, le père savait que l’un des barreaux était vermoulu, il avait prévu de le remplacer après la traite. Il n’a pas eu le temps de la prévenir, elle est partie trop vite. Il ne se l’est jamais pardonné.
C’est ainsi que Léo dut prendre soin de sa mère tandis que le père était aux champs.
Un jour, une idée commença à germer dans sa petite tête. S’il trouvait des pierres aux couleurs de ces Demoiselles, légères, minuscules, qui se posaient dans la prairie comme de vifs traits de pinceaux, il en ferait un bijou serti dans du cuir et l’offrirait à sa mère. Il était convaincu que si la couleur des pierres était parfaitement identique à celle des insectes, sa mère petit à petit, s’allègerait et remarcherait.
Elle n’a jamais remarché, mais elle a vu son fils se passionner pour les pierres, parcourir le monde en quête de gemmes, devenir un bijoutier réputé. Léo pouvait alors subvenir aux besoins de ses vieux parents.
La mère partit la première, paisiblement. Jamais, non, jamais elle n’avait reproché à son homme sa négligence. Il n’avaient pas cessé de s’aimer, bien sur il ne pouvaient plus se retrouver dans le grenier à foin, elle ne pouvait plus le serrer entre ses jambes, mais ils s’étaient trouvés bien d’autres fantaisies.
Dans ses derniers instants, le père avait raconté à Léo les jeux du grenier, le barreau vermoulu, ce poids qu’il cachait bien au fond de sa poche, l’amour qui malgré tout ne les avait jamais quittés.
Léo en fut bouleversé. La nuit suivante il conçut l’un des plus beaux joyaux de sa carrière. Une parure qui fit sensation.
Une grande actrice, éprise de liberté, en fit l’acquisition et la porta lors de la remise des césars.
Elle fut consacrée meilleure actrice pour le film « La vieille qui marchait dans la mer ». Léo était là.
L’actrice ressemblait à sa mère, Jeanne.
(Canilhac, Lozère, 26 juillet)
Whaouh...quelles justesse et subtilité...
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