jeudi 31 décembre 2015



Il suffit d'un rien...


Parfois il suffit d’un rien, un mot, une image, un visage, une phrase volée au coin d’un bar où à l’étal d’un libraire, il suffit d’un rien pour changer aussitôt de direction et partir, loin…

mercredi 30 décembre 2015


Chômeur


Un mercredi après midi, devant l’ancienne bourse du travail de Bar sur Aube. Hors champ, la petite Lola tire son père par la manche. Ils sont seuls sur la place. Il fait froid. Paul ne travaille plus depuis six mois. Licenciement économique. Alors il peut s’occuper de Lola. C’est bien. Lola est en CP, elle commence à lire. Elle aime lire, elle lit tout ce qu’elle voit. Et là sur le mur elle ne comprend pas tout, alors elle voudrait que son père s’arrête et lui explique. Mais  Paul ne peut pas. Il ne dit rien et continue d’avancer en regardant droit devant…

mardi 29 décembre 2015



"Murmuration"


Ils sont des centaines  à chanter sur l’arbre blanc. A mon approche c’est un bruit de voile en plein vent et soudain ces dessins dans le ciel comme un cadeau de Noël…

(Murmuration est le terme anglais pour désigner ces surprenants vols d’étourneaux sansonnets)

lundi 28 décembre 2015



Alzheimer


 Elle s’accroche aux branches taillées de sa mémoire, la vieille femme échevelée qui  fait les cent pas  les yeux au ciel, dans la cour de la ferme…

dimanche 27 décembre 2015


Insouciance


            Sur les bords du lac, je suis chat. Tapi dans l’herbe je guette la mouche et le reflet…

samedi 26 décembre 2015



 Ahmad


Ahmad, le vieux marocain, vient de s’assoir juste là, hors champ, face au village. Ses mains sont douloureuses. Il a ôté ses gants, posé le gros sécateur et regarde ses mains noueuses. Quand il sera mort et enterré des sarments naitront au bout de ses doigts.
Il travaille depuis quarante ans pour la famille Plantevin sur les hauteurs de Cairanne. Il a connu le grand père, le père et maintenant le fils, le plus dur de la famille.
L’hiver est doux, le mistral ne souffle pas, la taille était un plaisir aujourd’hui.
Ahmad habite seul une petite maison de pierre sur les bords de l’Aygues. Chaque dimanche il retrouve ses amis chez Gégène à Travaillan.
Il l’aime bien ce pays. Il sait qu’il finira ici. Le bled est loin, loin derrière.
Il commence à sentir les cailloux sous ses fesses. Il va falloir se lever, redescendre, reprendre son vélomoteur et regagner sa modeste maison.
Oui, il est bien ici, et pourtant il sent bien que quelque chose a changé…

vendredi 25 décembre 2015



Champagne


Là bas, tout au fond de l’image, à Colombey les deux églises sous l’immense croix de Lorraine on vend des boules à neige à l’effigie du général De Gaulle. Plus prés dans ce village paisible, Rouvres les vignes, on vote à 67% front national.
 Nous sommes le vingt décembre, sur les hauteurs les rosiers fleurissent et l’on y travaille en chemise.
Il y a un siècle les vignerons se sont violemment battus pour  l’appellation de leur vin. Maintenant ils gèrent leurs exploitations à l’aide de logiciels informatiques et payent l’impôt sur la fortune. Dans le monde entier on boit du Champagne tandis que d’autres fuient sur les routes le ventre vide.
Cette après midi le marionnettiste donnera son spectacle dans la petite salle de la mairie. Les enfants délaisseront un instant leurs portables et tablettes, les femmes s’extasieront devant le dernier né, les hommes blagueront et le maire débonnaire chantera petit papa Noël à ses administrés.
Et le marionnettiste repartira avec une bouteille de Champagne. Ainsi va le monde…


Le Père Noël


25 décembre. Plus en avant, hors champ une antique Citroën BX est garée sur le bas côté. Le conducteur dort, affalé sur le volant. Il est habillé en père Noël. Il ronfle bruyamment. Amoureux fou de l'adjointe au maire du village, il a promis de venir à la salle des fêtes tenir ce rôle ingrat. Mais il est timide, très timide. Alors il a bu un verre, puis deux...maintenant il dort. La hotte pleine de confiseries s'est renversée à l'arrière de la voiture. La salle des fêtes n'est qu’à deux kilomètres....

mercredi 23 décembre 2015


Lucienne fait des claquettes


On ne vient plus beaucoup frapper à la porte du numéro 16 de la rue du général Vouillemont à Bar sur Aube. Lucienne est l’une des dernières du quartier. Ses amies ne sont plus là. Sa vue se trouble, sa mémoire se brouille, mais elle est toujours debout. Chaque soir avant que la nuit ne tombe, on entend de petits taptap tapatap tap qui battent le plancher. C’est Lucienne qui a chaussé ses vieilles chaussures ferrées et qui esquisse quelques pas de danse face à la photo de Jean  en uniforme qui trône sur la cheminée entre une boule à neige à l’effigie du général de Gaulle et une autre de la Vierge Marie.
A la fin de la guerre Lucienne était venue danser avec ses amies du club de claquettes pour les soldats de retour. C’est ainsi qu’elle a rencontré Jean. Ils n’ont pas perdu de temps. Il y avait si longtemps que les hommes se tenaient loin de la ville.
Chaque soir elle dansait pour lui. Les claquements joyeux des chaussures de Lucienne ont ragaillardi Jean.
Depuis elle n’a jamais cessé.
Jean est mort maintenant, mais Lucienne continue de battre le plancher, tandis que gagne le salpêtre…

mardi 22 décembre 2015


Sur la plage



Sur une plage du nord, elle erre sans horizon, courbée par le chagrin et soudain ce bois dressé  sous la percée de lumière. Le regard s’y accroche et le corps se redresse…

lundi 21 décembre 2015



Paraboles


Sur une petite route de l’Aube, je marchais, léger malgré le ciel bas, goutant l’espace et la solitude.
Je parlais tout seul, me délectant de quelques sottises et grossièretés. Soudain, au détour d’un virage, je tombais sur ces grandes oreilles blanches posées en plein champ. Je me taisais aussitôt. Ce tissu d’ondes parcourant l’espace, ces milliers de voix qui transitaient par ces paraboles devenaient palpables. Je pensais  alors que le monde n’est jamais celui que l’on croit…

dimanche 20 décembre 2015


Les temps modernes



Ils sont trois, un homme, une femme et un enfant. Ils ont les traits tirés. ils se tiennent par la main, fort. Ils marchent vite. En passant devant le manège, ils ont relevé la tête, tous les trois. L’enfant a pensé qu’il monterait bien dans la fusée, l’homme s’est dit qu’il partirait bien avec la moto, et la femme s’est juste imaginée à la place de la silhouette de bronze. Ils n’ont rien dit, ils ont à peine ralenti. Il faut se dépêcher, il y a de plus en plus de monde aux restos du coeur. Il est encore tôt, ils seront les premiers dans la file…

samedi 19 décembre 2015


Le Paranoïaque


                                 Ce matin, il lui semblait que même les murs lui en voulaient…

vendredi 18 décembre 2015



Une rencontre


Hier soir, sur le bord de la route, j’ai croisé Don Quichotte. Nous étions tous deux loin de chez nous, aux abords de la Forêt d’Orient. Nous avons sabré le champagne à Bouranton. Jusque tard dans la nuit, nous avons parlé de nos voyages et de nos amours, de nos victoires et de nos échecs. Nous avons bu plus que de raison, reconstruisant le monde à grands coups d’éventail.
Au matin, titubant, je regagnais ma petite chambre d’hôtel en chantant à tue tête une chanson de Jacques Brel. J’avais la tête qui cognait, la langue déliée et de bonnes résolutions en pagaille…

jeudi 17 décembre 2015



 Le lac de la Forêt d'Orient


Le lac de la Forêt d'Orient. Quel beau nom! En décembre on y vient cueillir le gui aux branches du vieux saule.
Il fait anormalement doux.
Une table m'attend, pour y étaler une carte ou écrire une chanson d'amour.

mercredi 16 décembre 2015



 L'arbre de Noël


Le vieux marionnettiste s’est arrêté sur le bord de la route. Il profite du silence et de la douceur des courbes avant d’affronter une horde de gamins et la rude concurrence du Père Noël local.

mardi 15 décembre 2015



Quand j'entends siffler le train


Il y a longtemps qu’il ne travaille plus, Maurice, le vieux garde barrière de Barberey saint Sulpice. Depuis qu’ils ont installé le tout automatique. Maurice était à deux ans de la retraite, alors il n’a pas cherché d’autre travail. On lui a laissé sa petite maison de brique, avec le potager attenant, le long de la voie ferrée. De toute façon qu’aurait-il fait, où serait-il allé?  Toute sa vie astreint à ne pas s’éloigner de son passage à niveau, il s’était inventé des doubles qui voyageaient. Tantôt, il était un cheminot qui conduisait la locomotive, impatient d’arriver au terminus pour y retrouver sa maitresse, tantôt il était un clandestin embarqué de nuit dans un wagon de marchandise, une autre fois un ingénieur en voyage d’affaire, ou Hercule Poirot enquêtant sur la ligne Paris - Montbéliard. Sans bouger, il avait été jusqu’à la fameuse gare internationale de Canfranc dans les Pyrénées  et jusqu’au lac Baïkal avec le transsibérien.
Il a eu une belle vie Maurice. Et puis il y avait Jeanine, sa femme qui adorait les fleurs. Elle n’est plus là, mais les fleurs sont toujours là. Et son fils Victor qui a réussi. Victor est pilote de ligne. Chaque fois qu’il vient voir Maurice, il met son uniforme. Alors Maurice ouvre une bonne bouteille de rouge, une de celles du cousin Hervé qu’on ouvre que pour les occasions, et tous les deux, ils passent un bon moment.
Mais dimanche dernier Maurice est tombé dans son potager. Impossible de se relever. Il a appelé longtemps avant que quelqu’un vienne. Il s’est retrouvé à l’hôpital, avec d’autres vieux. Victor est venu en urgence, il n’avait même pas mis son uniforme. Il a ramené Maurice chez lui. Mais ce n’est plus possible, Maurice ne peut plus rester seul…
Maurice a bien compris. Il a dit à Victor: je veux bien aller dans une maison de retraite,  mais à une seule condition, c’est que ma chambre donne sur une voie ferrée…

lundi 14 décembre 2015



 Sur la route de Montier à Brienne


                 Sur la route de Montier à Brienne, c’est un désir d’Amérique, un air d’harmonica,
                 c’est une femme adossée au hangar qui se recoiffe face au soleil couchant,
                 c’est un homme qui renoue son lacet sur le bord de la route,
                 c’est la der des ders, la minute décisive, entre chien et loup.

dimanche 13 décembre 2015



Une vieille demoiselle


Les librairies sont des havres de paix, des promesses de voyages, des îles au trésor.
Avant même de pousser la porte de celle ci, ces quelques mots de Gaston Chaissac accrochés au dessus des livres me mirent en joie.
Et je finis la journée accompagné d’une espiègle demoiselle…

samedi 12 décembre 2015


Vers l'Espagne



Nathalie se tient là, immobile , hors champ, à distance. Elle ne peut détacher son regard du guitariste. Elle vacille.
Il y a un mois, cet homme jouait à Avignon, place de l’Horloge. Nathalie était au milieu de la foule.
 La musique racontait l’Espagne, les chemins jaunes, les talons qui frappent, les robes à volants et les chapeaux noirs, le sang du vin et le sang du taureau, un goût âpre et puissant. C’était un soir, tard, elle est restée sans bouger jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne et que l’homme ait rangé sa guitare.
Puis elle est rentrée. Elle s’est allongée sur son lit, sans se déshabiller, ni même enlever ses chaussures. Elle n’a pas dormi.
Au matin, elle a changé l’eau des fleurs, puis rangé son petit appartement, parfaitement. Elle a glissé sa trousse de toilette et une chemise de nuit dans un sac, elle a posé les clefs du salon de coiffure  et de son appartement sur la table, puis elle est partie en laissant la porte ouverte.
Elle a marché jusqu’à la gare. Le premier train allait à Narbonne, alors elle est allée à Narbonne.
Puis elle a marché encore, longtemps, le long du canal du midi. Suivre l’eau et les platanes. Jusqu’à Toulouse. Tourner deux jours dans la ville rose écrasée par la chaleur. Chercher les rues où elle a vécue enfant, ne rien reconnaitre, reprendre un train vers l’océan. Elle est  descendue à Hendaye, au terminus, puis a continué sa route à pied vers l’Espagne.
Et là, à Bilbao, à nouveau cet homme blond et sa guitare. Elle ignore tout de lui et pourtant cette musique, si familière…

vendredi 11 décembre 2015


Colère


Virgile est assis là, hors champ, sur les feuilles sèches. Il est assis  en tailleur, les coudes posés sur les genoux, la tête dans ses mains.
Il est parti en claquant la porte, à peine vêtu,  chemise blanche et pantalon bleu. Il n’a même pas pris sa veste. La colère était trop violente.
 Il ne sent pas le froid. Juste le sang qui bat dans ses veines. La moindre de ses artères.
Il faut un peu de temps avant que tout se remette en ordre et qu’il puisse rentrer…

jeudi 10 décembre 2015



Manigances


Que manigancent-ils ces deux là? Etudient- ils un itinéraire vers des contrées lointaines à la rencontre d’un ermite éclairé, parcourent-ils des cartes en quête de zones blanches à explorer, élaborent-ils une stratégie électorale en vue d’élections prochaines ou bien sont-ils tout simplement en train de regarder une vidéo comique sur leur iphone…

mercredi 9 décembre 2015



 Petites voitures 


C’est l’hiver. Les nouvelles sont sombres. Il est monté sur la colline de la Bastille, au dessus de Grenoble, pour respirer. Là, hors champ, les pieds dans la neige, il se souvient combien il aimait jouer avec ses petites voitures, il se souvient des routes qu’il traçait et des villes joyeuses qu’il inventait…

mardi 8 décembre 2015


 La jetée


 
Sur la jetée, chaque soir un adolescent  marche, d’un bout à l’autre, vers l’ouest, aller et retour, puis vient s’assoir sur le muret, en haut d'un escalier qui se trouve pile entre ces deux images, hors champ. Il regarde la mer. Il est là. Tout peut advenir.

A marée haute, la plage disparait, l'escalier descend vers la mer, vers le nord.

Sur la jetée, chaque matin, à six heure, son grand père marche, vite, courbé vers l’avant, la canne à la main, les pieds en canard, les épaules légèrement en arrière. Il marche d’un bout à l’autre, vers l’est, aller et retour. Puis il vient s’assoir sur le muret, au même endroit. Il regarde la mer. Il a bien vécu.

Leur jetée, là où tout commence et où tout finit…



lundi 7 décembre 2015



Gueule de bois


                                                       Ce matin, lendemain d’élections,
                                                       dans le bois de Saint Cucufa,
                                                       je peine à voir un monstre débonnaire jailli de sous l’écorce…

dimanche 6 décembre 2015


 Manèges et cathédrales 



Hors champ, juste là, devant, se tient le petit Pierre. Il a huit ans. Il porte une culotte courte grise, du tissu gris qui gratte, et un polo bordeaux bien fermé au cou. Il regarde les pierres qui s’élèvent vers le ciel, puis les lumières du manège, et les gargouilles là haut, puis le cygne en bas. Son regard ne cesse d’aller et venir. Un peu de bleu sur les tuiles, une voiture bleue sur le manège, les rosaces immobiles et les lumières qui se mettront à tourner dès qu’il sera sur le cheval. Mais soudain son regard s’arrête sur la fenêtre à droite, au deuxième étage de l’immeuble. C’est là qu’habite Mme Vallée, son institutrice. Il l’aime beaucoup, elle a de jolies jambes. Vendredi matin, elle leur a parlé des cathédrales qui pouvaient se construire en plus d’un siècle. Et puis, le soir, juste avant de partir, elle leur a demandé de réfléchir pendant le week end au métier qu’ils voudraient faire plus tard.
Alors là, il hésite. Bâtisseur de cathédrales, c’est pas mal, et puis ça ferait plaisir à Mme Vallée.
Mais quand même, bâtisseur de manèges, c’est vachement mieux…

samedi 5 décembre 2015


Lignes



Hier, au couchant, la trajectoire d’une harde de sangliers croisait à l’exacte perpendiculaire une route de l’Aube sur laquelle je roulais à vive allure. La circulation était dense. La plaine tout autour, nue. La terre labourée, pas un un arbre à moins de cinq cent mètres et les silhouettes noires des bêtes qui se détachent sur le ciel jaune. Les bêtes sont passées, sans marquer le moindre arrêt. Et les voitures n’ont cessé de rouler. Aucun heurt. Comme  si la piste des sangliers n’était pas dans le même monde que la route et ses véhicules.
Ce matin, au levant, plus loin, sur cette route du Berry, je m’arrête, coupe le moteur et descend de la voiture. Juste pour écouter le silence et sentir l’air, comme j’aime le faire dès que je m’éloigne des grandes agglomérations. Le givre recouvre la terre. On perçoit seulement un léger grésillement dans les câbles électriques.  Des lignes, encore, des trajectoires, une toile sans cesse tissée et ce jaune intense où se perd la marche des pylônes.
jusqu’à quand notre inexorable course sera-t-elle source de beauté?

vendredi 4 décembre 2015


 Veille


Derriére la fenêtre une femme assise sur son lit coiffe ses longs cheveux blonds. Très lentement. Comme si elle voulait retenir le temps dans ses mèches. La tête légèrement penchée, rêveuse.
Elle est vêtue d’un kimono de soie rose bordé de fleurs bleues. Nue sous la soie. Il est tard. De temps en temps elle pose sa brosse et caresse son sein, juste au dessus du coeur, doucement. Elle a la chair de poule, le petit téton durcit et un fin sourire apparait sur son visage mélancolique.
A des kilomètres de là, au milieu des glaces, sous une minuscule tente,  un homme lisse sa barbe. la tête légèrement penchée, rêveur. Il est assis, enfoui dans un gros duvet rouge. De temps en temps,il passe sa main sur sa poitrine, au niveau du coeur, sous les multiples couches de vêtements. Il frissonne, le petit téton durcit, et un fin sourire se dessine sous sa barbe.
Les corps de l’homme et de la femme ont exactement la même inclinaison.
Il reste quarante cinq jours à l’homme pour atteindre le pôle, quarante cinq jours de froid et de blizzard, quarante cinq jour seul sur ses skis à tirer son traineau.
Quarante cinq jours avant qu’il ne la rejoigne, quarante cinq jours avant qu’il ne puisse tenir le petit sein chaud sous la soie…

jeudi 3 décembre 2015



 Gnossienne n°1



C’est bien calme cette après midi, dans la grande rue de Sens. René n’a vendu que trois crêpes et une gauffre. Il s’ennuie. Il aimerait bien que la marchande de chaussures de la boutique d’en face viennent plus tôt aujourd’hui. Elle vient tous les jours à seize heure précise  et commande une crêpe Nutella. Elle est un peu forte, toujours tirée à quatre épingles, arborant une magnifique mise en plis d’un blond pas très naturel. Elle s’appelle Jacqueline. Ce qui plait le plus à René, c’est qu’elle lui parle. Tandis qu’il prépare la crêpe, elle lui parle des derniers livres qu’elle a lus, de musique ou de peinture. Elle parle et ça lui fait du bien à René.
 Il a oublié depuis quand sa femme a cessé de parler. Dépression chronique a dit le médecin.
Il est quinze heures quarante cinq. Dans un quart d’heure Jacqueline viendra chercher sa crêpe. Quelle sera la couleur de son manteau aujourd’hui? hier il était bleu.
Et hier, elle lui a parlé d’Erik Satie, un compositeur, et d’un morceau, la Gnossienne n°1. Il n’avait jamais entendu ce mot. Alors le soir, une fois sa femme endormie, il a cherché sur internet. C’est bien internet, on vous parle d’un truc qu’on connait pas et  il suffit d’appuyer sur les boutons pour tout savoir. René s’est mis à l’ordinateur quand sa femme a commencé à sombrer. Pas facile au début, mais maintenant il sait bien s’en servir. On peut même écouter la musique. Alors, Gnossienne n°1, il a trouvé et il a écouté. Cent fois. Jamais il n’avait entendu ça. C’était comme s’il survolait au ralenti les paysages de son enfance, comme s’il tenait son coeur dans sa main. Les images défilaient et le coeur gonflait, jusqu’à s’échapper aussi léger qu’un ballon gonflé à l’hélium.
Il y a longtemps qu’il n’avait pas aussi bien dormi cette nuit là.
Il est quinze heure cinquante cinq. Plus que cinq minutes. Il va falloir qu’il dise à Jacqueline comment c’était, la Gnossienne n°1. La crêpe sera plus longue à préparer.
Une minute. Jacqueline vient d’enfiler son manteau. Son manteau jaune. C’est jeudi. C’est l’heure de sa crêpe, son petit bonheur du jour. Il faudra bien qu’un jour elle dise a René combien ses crêpes sont bonnes…

mercredi 2 décembre 2015


 L'envol



 L'homme sur le pont va au travail. De son petit appartement à son petit bureau, par le Jan Schaeferbrug. Chaque jour. Il est dessinateur industriel. En ce moment il dessine des pièces de moteur d’avion gros porteur. Mais quelque chose ne tourne pas rond. Deux fois cette semaine, son Rotring a dérapé sur le papier millimétré. Hier, pendant quelques secondes, il lui a semblé que son chef de projet parlait une langue inconnue.
Ce qu’il ignore encore, l’oiseau le sait. Dans quelques instants, dés qu’il sera hors champ, il s’envolera sur son vélo, comme les gamins dans le film de Spielberg, E.T.
 Et comme le héros de Selma Lagerlöf dans le Merveilleux Voyage de Nils Holgerson, il survolera un pays tout en champs et forêts. Le vert des herbes et des arbres, le bleu des rivières,  et plus une cheminée, plus une route. Le silence. Juste le chuintement des roues qui tournent dans le vide…

mardi 1 décembre 2015


 La route chante


Il neige sur le Dakota, il fait gris à Auxerre, je voudrais chanter une chanson de Lhasa à la fille au manteau bleu, avant qu’elle ne s’en aille…

lundi 30 novembre 2015


 A coté


De pâles étendards, des rêves d’enfants, cosmonautes et conquistadors, des images pour abolir le temps.
Enfant, je lisais Tout L’Univers, Tintin, et Jules Verne. Mon lit était l’univers entier. J’ai toujours lu allongé. Sans doute est ce une position propice à la grande évasion.  Il y avait les livres et BD autorisés, mais aussi le reste, le « vulgaire ». Les comics américains, Akim, Mandrake, Davy Crocket… Il étaient mes héros, mon shoot. Je m’approvisionnais à la librairie de la résidence ( une résidence c’est une cité, mais avec des bourgeois…). Ma technique était rodée. Je glissais dans un grand magazine - le journal de Mickey - tous les autres, plus petits, et je ne payais que le premier avec quelques pièces que j’avais fauché à ma mère.
Puis je consommais sur mon lit, un Tout L’Univers à portée de main, prêt à recouvrir l’objet du délit au cas mon père entrerait. Et je m’envolais, je gueulais, je bousculais tout autour de moi, rien ni personne ne me résistait. C’est ce monde que je choisissais plutôt que celui trop policé que l’on voulait pour moi. Regarder à coté, marcher à coté.
Des années plus tard, des années à parcourir d’autres routes que celles imaginées par un couple sans histoires, je me rends compte que si on ne m’ a pas montré ce qu’il y avait à coté, à la cave où au grenier, on ne m’ a jamais empêché d’y aller…

dimanche 29 novembre 2015



Mondes


Howard Phillips est un grand gaillard, hirsute et barbu toujours vêtu de la même salopette en jean délavé. Son vrai nom c’est Jon Peeters, mais à dix huit ans il n’a plus voulu d’un nom qu’il n’avait pas choisi. Il venait de lire « Démons et merveilles » de Howard Phillips Lovecraft. Bien sur, ce serait son nom!
Chaque dimanche, tôt le matin , H.P. sillonne les canaux d’Amsterdam avec son chat Schrödinger sur sa barque de bois et repêche les déchets du samedi soir, bouteilles, canettes et autres objets flottants.
Il passe là, hors champ, sur le Singel, qui longe l’arrière des boutiques du marché aux fleurs. Et ce matin, il repense à cet article qu’il vient de lire sur l’accélérateur de particules du CERN à Genève qui pourrait révéler des univers parallèles. Pfff… ça  fait bien longtemps qu’il sait lui…

samedi 28 novembre 2015


La peur


Balthazar a l’air si doux, presque mélancolique. Aldo, le dompteur se tient face à lui hors champ. Aldo est un homme mince, petit, le visage encadré de favoris grisonnants, un visage au couteau. Son apparente fragilité face à la puissance du tigre  a toujours été un atout pour le spectacle. L’homme et la bête se connaissent bien, sept ans qu’ils se côtoient. Un numéro au cordeau, jamais une incartade. Il y a deux jours, la foudre est tombée très près du chapiteau. Balthazar s’est énervé, a commencé à tourner en rond sur la piste, à lancer des coup de pattes en rugissant. Jamais il ne s‘était montré aussi menaçant. Aldo a du écourter le numéro. Qui a eu le plus peur ce jour là, Aldo où Balthazar? De retour dans sa cage l’animal s’est calmé. Aldo a mis un peu de temps avant de s’approcher et de le caresser. Depuis ce jour, Aldo ne dort pas très bien. Jamais le tigre ne l’avait regardé comme ça. Des images reviennent, qu’il croyait définitivement enfouies, des images sanglantes de son enfance pendant les années de plomb en Italie. Pourquoi?
Ils ont repris la route pour monter le chapiteau à Orgeval. Les orages ont cessé, le temps est au beau fixe. Ce soir, Aldo et Balthazar vont se retrouver sur la piste pour la première fois depuis l’orage.
Aldo regarde Balthazar, Balthazar regarde Aldo. S’il pouvait se parler!
Mais ce qui inquiète le plus Aldo, c’est que ce soir, il a peur d’avoir peur…

vendredi 27 novembre 2015



 Premier matin


 6h 30. La lune est encore là. Sylvain roule vite. Il chante à tue tête "La mer" de Charles Trenet. Il ne chante pas très juste. Ça fait rire Christelle, allongée derrière. Entre deux gémissements. Elle a mal. Les premières contractions ont commencé il y a un quart d'heure. La maternité est à une demi heure de route. Sylvain chante, Christelle crie. Si c'est une fille ce sera Luna, si c'est un garçon Christophe, le saint protecteur des automobilistes...

jeudi 26 novembre 2015


Les avions


Aujourd’hui, jeudi, comme chaque matin, Julien s’est arrêté prés de l’école pour regarder le soleil se lever. Il a garé son vélo contre le panneau triangulaire avec les deux petits bonshommes qui traversent et  a ôté la pince qui retenait le bas de son pantalon. Puis il a allumé sa pipe de bruyère bourrée d’un délicieux Amsterdamer avant de s’asseoir sur le  banc de pierre, là, hors champ, face à la campagne. Julien travaille aux services techniques de Richebourg, une petite commune des Yvelines. Il s’occupe de la voirie, de la salle de fêtes,  et de l’entretien de l’école. Ils sont trois, c’est lui qui chaque matin arrive le premier et ouvre le hangar municipal. Tous les jours, le même trajet, à vélo jusqu’au banc de pierre, puis à pied jusqu’au hangar. Tous les jours le même rituel, un quart d’heure sur le banc, pas plus. Le temps qu’il faut au jour pour apparaitre et au tabac pour se consumer. Le temps de voir un avion passer, un mince trait de pinceau dans le ciel. Alors, il choisit une destination lointaine. Valparaiso, Calgary, Denver, Tijuana, Ouagadougou, Le Caire, Papeete, Adelaïde, Yocohama…Et le soir, après sa journée de travail, il sort le globe terrestre de sa boite, et avec son petit fils, ils pointent la ville choisie et imaginent comment y vivent les gens. Parfois Gislaine, sa femme, se joint à eux. Ils rient beaucoup. Julien et Gislaine s’occupent de leur petit fils depuis que ses parents ont disparu. C’était un accident d’avion, on ne l’a jamais retrouvé, on en ignore la cause.
Julien sent la pierre froide à travers son pantalon. L’hiver approche. Aujourd’hui ce sera Bombay, un pays chaud, avec beaucoup de monde…

mercredi 25 novembre 2015


Sur le quai


RER A, petit matin, le parfum du café, premiers regards sur les nouvelles aux étals. On ne bouge plus. En face, sur l’autre quai, hors champ, un homme, coiffé d’un Setson, joue avec un yoyo. Il est d’une habileté extraordinaire. Une fillette le regarde, fixement. L’homme au yoyo ignore le chagrin. La fillette le sait…

 Matin


                                                                           Nuit agitée
                                                                          Aube lisse
                                                                   Au matin, faire son lit.

mardi 24 novembre 2015



 Par la fenêtre


Un pâle sourire, quelques mots à peine articulés  et le vieil homme s’est endormi sur son lit d’hôpital. En quelques jours son regard s’est vidé et sa mémoire s’est fissurée. Son fils est là à coté, il regarde par la fenêtre. Le ciel est bas, pas d’oiseaux, pas d’avions, du gris. Et un peu de rouge, en bas. Petit à petit son attention se fixe sur ce carré rouge, avec une minuscule fenêtre.
Une boite où serait enfermé tout ce que son père n’a jamais pu lui dire. Il suffirait de poser l’oeil sur la lucarne. A l’intérieur, l’Indochine, les soieries, les boys, le Mékong, le Sénégal, le port de Dakar, l’Algérie, la guerre, la Suède, les filles sur les trottoirs. Des bruits, des odeurs, des sentiments, des passions, des doutes, des découvertes, de la musique. Les lieux, les dates, il les connait. C’est avec les mots et les émotions que son père avait des difficultés, pas avec les chiffres.
Mais la boite rouge est trop loin maintenant, il ne saura rien du coeur du vieil homme. Après tout, ce n’est rien. Elle est belle cette boite, c’est cela qui compte. Et il y a quelques arbres autour. Lui le fils, il aime les arbres. Et puis son père lui a souri quand il est arrivé, alors…

lundi 23 novembre 2015



Le conteur


 Petit, il ne pouvait parler. Chaque fois les mots se bousculaient, cognaient, hésitaient, se heurtaient, le coeur palpitait, la peau picotait, il rougissait et transpirait.
Pourtant il fallait dire, répondre, demander,  où se défendre, lui où un autre. Mais rien de cohérent ne sortait. Il se renfermait, mutique, renfrogné, au pied d’un arbre, dans la cour de l’école.
La proximité du tronc, l’écorce, son odeur, le frémissement des feuilles, la lumière au travers, étaient sa consolation. Il restait là immobile à chaque récréation. Juste là, immobile. Respirer, sentir , écouter, regarder. Regarder les autres. A force de les observer, il sut tout d’eux, il pouvait les raconter du début à la fin. Parfois il se tournait face au tronc et il parlait. Il racontait la cour à l’arbre. Ca coulait entre ses lèvres, tout bas au début, puis de plus en plus fort.
Le premier qui s’est approché, c’est Paul, un petit avec de grandes oreilles. Il le regardait en souriant, il l’écoutait. Puis les autres sont venus, et il parlait de plus en plus fort, de plus en plus clair. Colette, la fille aux couettes pour qui il avait le béguin, n’en revenait pas. Le petit Jacques parlait! Il s’est retourné, et il a continué. Chacun avait son histoire, même le vieux Justin qui avec son gilet jaune fluo veillait sur le passage clouté devant l’école.
Il sut alors que s’il cessait de raconter, il ne parlerait plus…

dimanche 22 novembre 2015


 L'Andalou



C’est un hangar sur le port d’Amsterdam. Derrière la porte,  sur les murs des taches de couleurs, sur le sol des tubes d’acrylique écrasés, des châssis sans toiles, une chaise sans paille et un vieux parapluie de berger, un grand parapluie de toile bleue, délavée. Des toiles aussi, représentant des paysages urbains envahis par la végétation, ou, sur de petits formats, des détails d’habits de lumières. Et debout devant son chevalet, Manolo, l’andalou.
Il était banderillero. Un jour il s’est fait prendre par un taureau, un Miura à la robe brune. Grièvement blessé, il s’était juré de retourner dans l’arène. Quelques mois plus tard, hué par deux mille personnes, il fuyait  devant un autre Miura avant même d’avoir pu planter ses banderilles . Alors il est parti, loin, au nord, avec juste une valise et le parapluie de son père. Il ne pouvait croiser ses compatriotes sans appréhension. Il cherchait des emplois solitaires, de nuit, loin de la terre et des bêtes. A Paris, il a fait le ménage dans une tour de la Défense, seul, le soir dans ces dédales de bureaux déserts. Il vidait les corbeilles sans penser à rien. A Hambourg, il a été vigile sur les docks. C’était plus difficile, ils était deux. Il fallait parler un peu pendant les pauses entre les rondes.  Heureusement, son collègue était un polonais peu bavard. Un soir, ils ont surpris un jeune homme qui taguait les murs et les conteneurs aux pieds des grues. Le jeune homme peignait d’immenses coquelicots rouges vif. C’était si beau qu’ils l’ont laissé faire. Le lendemain, ils ont été virés.
Depuis ce jour Manolo peint et dessine, chaque jour. Au début c’était d’étranges visages, au feutre noir. Puis sont venues les couleurs, au pastel puis à l’acrylique. Des couleurs ternes, des murs, des autos, des visages pâles, des rues désertes. Et les rues ont commencé à se peupler, les couleurs à s’aviver.
Manolo à repris sa route. Il a trouvé un poste de gardien de nuit dans un parking à Amsterdam  et surtout cet atelier dans un hangar, sur les anciens docks.
Et Manolo est là, debout devant son chevalet, cambré, les jambes légèrement écartées. le geste suspendu, le pinceau dans sa main droite visant la toile.
Il sourit. Les couleurs  explosent sur la toile…

samedi 21 novembre 2015



 Le Grenouillologue


                                       "Le grenouillologue  est souvent le dernier couché"
                                                    Parole d'une herpétologue guyanaise

 Feuillage


                                                                 Poser l’image à plat
                                                    oublier les clous et tout ce qui s’ensuit
                                                                    alors seulement
                                                la beauté d’un homme abandonné au feuillage

vendredi 20 novembre 2015


Couleurs


                                   Les couleurs des bateaux, plutôt que celles des drapeaux
                                         Des chansons à boire, des chansons d’amour
                             En plein vent se balancer et s’enlacer, hisser les voiles blanches
                                          Abandonner nos peurs aux branches mortes
                                 Et dès l’hiver partir vers le sud,  où se posent les oiseaux

Noir



Il était tout près quand les hommes sont tombés. Alors ce bateau noir s’est posé dans sa mémoire.
Combien faudra-t-il de marées avant qu’il ne s’en aille, combien de jours avant que les fleurs et le ciel reprennent leur place…

jeudi 19 novembre 2015


 L'homme au scooter


Cet homme attend sa fiancée. C’est toujours là qu’il donne ses rendez vous. Sous cet arbre. Là où il s’était étendu, épuisé, après avoir traversé le fleuve, une nuit d’orage, fuyant le Surinam en guerre. C’était il y a quelques années. Aujourd’hui il a un scooter bleu. Un jour, ce sera  un pickup  Toyota blanc…


 La route


Une route en Guyane. Au milieu de nulle part.
Trois jeunes enfants viennent de traverser avant de disparaitre dans la forêt. Trois jeunes saramakas, nus. IIs portaient sur leur tête des bidons d’eau, en plastique bleu vif. L’ainé marchait devant, le plus petit derrière. Sur le bidon du premier était collée une page déchirée d’un album de Tintin: le trésor de Rackam le rouge ….

mercredi 18 novembre 2015


Doëlan



Michel est là, debout, hors champ, dans son petit jardin qui surplombe le port de Doëlan. Il est grand pour un breton, le dos légèrement vouté, une belle moustache blanche en guidon de vélo. Ce matin, il n’a pas allumé la télé, ni la radio. Il lui fallait respirer. Il a nettoyé son jardin, ratissé les graviers  et taillé les rosiers. Puis il s’est assis sur la chaise en osier, face à la mer. Cela ferait une jolie carte postale, une carte qu’on envoie quand tout va bien. Michel ne se sent pas très vaillant ce matin. Le petit bateau noir, là bas, c’est le sien. Ca lui fait du bien de le voir. Il en prend  bien soin même s'il prend de moins en moins souvent la mer.
Michel respire. L’air est doux. Il pense à son grand père qui partait pendant des mois pécher la morue en Islande. Pendant des mois, aucune nouvelle. Et à son retour, apprendre que l’un s’était marié, qu’un autre avait eu un fils ou une fille, mais aussi, et on avait pas été là, que d’autres avaient disparu…


 Debout


L’élagueur vient de passer. Le vieux marronnier projette insolemment son ombre, l’air de dire: je suis toujours debout…