mardi 15 décembre 2015



Quand j'entends siffler le train


Il y a longtemps qu’il ne travaille plus, Maurice, le vieux garde barrière de Barberey saint Sulpice. Depuis qu’ils ont installé le tout automatique. Maurice était à deux ans de la retraite, alors il n’a pas cherché d’autre travail. On lui a laissé sa petite maison de brique, avec le potager attenant, le long de la voie ferrée. De toute façon qu’aurait-il fait, où serait-il allé?  Toute sa vie astreint à ne pas s’éloigner de son passage à niveau, il s’était inventé des doubles qui voyageaient. Tantôt, il était un cheminot qui conduisait la locomotive, impatient d’arriver au terminus pour y retrouver sa maitresse, tantôt il était un clandestin embarqué de nuit dans un wagon de marchandise, une autre fois un ingénieur en voyage d’affaire, ou Hercule Poirot enquêtant sur la ligne Paris - Montbéliard. Sans bouger, il avait été jusqu’à la fameuse gare internationale de Canfranc dans les Pyrénées  et jusqu’au lac Baïkal avec le transsibérien.
Il a eu une belle vie Maurice. Et puis il y avait Jeanine, sa femme qui adorait les fleurs. Elle n’est plus là, mais les fleurs sont toujours là. Et son fils Victor qui a réussi. Victor est pilote de ligne. Chaque fois qu’il vient voir Maurice, il met son uniforme. Alors Maurice ouvre une bonne bouteille de rouge, une de celles du cousin Hervé qu’on ouvre que pour les occasions, et tous les deux, ils passent un bon moment.
Mais dimanche dernier Maurice est tombé dans son potager. Impossible de se relever. Il a appelé longtemps avant que quelqu’un vienne. Il s’est retrouvé à l’hôpital, avec d’autres vieux. Victor est venu en urgence, il n’avait même pas mis son uniforme. Il a ramené Maurice chez lui. Mais ce n’est plus possible, Maurice ne peut plus rester seul…
Maurice a bien compris. Il a dit à Victor: je veux bien aller dans une maison de retraite,  mais à une seule condition, c’est que ma chambre donne sur une voie ferrée…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire