mardi 31 octobre 2017


Le Rêve de Rick Delaveine


Elle portait un boa de plumes blanches, une robe fuseau bleue outremer et des boucles d’oreilles touareg. Elle  était arrivée dans une Chevrolet Impala cabriolet fuchsia conduite par un homme sans visage. Elle avait des cheveux de jais et des yeux de louve, elle marchait au ralenti, balançant ses longs bras avec désinvolture.
Dans la salle de réception du casino mauresque, Rick se balançait sur un cheval à bascule au milieux d’hommes en smoking qui dansaient avec des poupées russes. Rick avait quinze ans, le cheval était minuscule. Il se balançait au rythme d’un big band qui jouait Take Five sur une scène couverte d’or. Les musiciens en frac portaient des masques sénoufos, ils oscillaient de droite à gauche, leurs pieds chaussés de noir soulevaient la poussière d’or.
La femme avait marché jusqu’à Rick, posé sa main sur sa tête et l’avait longuement caressé. Ses doigts bougeaient au tempo de l’orchestre, elle regardait Rick dans les yeux et lui parlait en créole. Puis elle était sortie, elle avait marché jusqu’à la mer. Rick l’avait suivie, il l’avait vue trébucher sur un rocher, se relever avec élégance, avancer sur le sable en équilibre sur un rayon de lune, disparaître dans l’eau sombre.
Voilà le rêve qu’avait fait Rick la nuit de ses quinze ans. Il s’en souvient encore parfaitement  quarante cinq ans après. Le décor correspondait au détail près à la réalité.
Il avait dit à son père quelques jours plus tard qu’il deviendrait musicien, que rien ne le détournerait de cette vocation.
Depuis il écume les scènes du monde entier avec son trio. Sur les pochettes de disque son nom est  écrit en  bleu outremer.
En route pour Bilbao, il s’arrête à Hendaye, où tant de choses se sont passées. Le casino mauresque est toujours là, maintenant c’est une résidence chic avec des boutiques au rez-de-chaussée, les murs ne sont plus blancs mais gris.
Il revoit son rêve. Il refait le chemin, du casino au rocher. Le rocher est toujours là, une plume blanche mouillée y est accrochée.

lundi 30 octobre 2017



"Maman les p'tits bateaux..."


(Hendaye, Pyrénées-Atlantiques, 29 octobre)

 « Maman les p’tits bateaux… » C’est tout bête, quelques notes accrochées à l’horizon pour me souhaiter la bienvenue. Je reviens à ma plage.

dimanche 29 octobre 2017


Miniatures éphémères
Véronique


(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 4 octobre)

Elle s’appelait Véronique, on la disait toxique. On l’avait mise à l’écart.
C’est contagieux, file au fond des bois! lui avait-on dit.
Elle était partie sans un mot rejoindre les nuisibles et les amanites.
À certaines heures, le cueilleur qui marche dans le sous bois peut entendre une discrète mélodie.
C’est la voix de Véronique qui chaque automne vient de dessous les feuilles.

samedi 28 octobre 2017


L'oiseau


(Mont-saint-Michel, Manche, 18 octobre 2016)

L’oiseau s’est posé au sommet d’un des poteaux qui tiennent les câbles anti-hélicoptères. En dessous il y a des cages. Les barreaux sont épais, le sol est en gazon synthétique, un vert pâle. Dans la plus grande, il y a un terrain de basket, dans la deuxième, rien, dans la troisième quelques agrès de musculation. Une piste  circulaire couverte de détritus fait le tour des cages. Autour, ce sont de hauts murs gris percés de fenêtres carrées fermées par deux épaisseurs de grillage, l'une au maillage fin, l’autre aux simples barreaux verticaux. De fines bandes de tissus noués pendent d’une fenêtre à l’autre, comme les serpentins s’accrochent aux lustres et aux meubles renversés après la fête.
Parfois l’un de ces fils remonte, et on devine derrière la grille le geste du pécheur qui ramène sa prise, un mot, quelques billets, des clopes, un bout de shit.
L’oiseau ne bouge pas. Quelques centimètres au dessous de lui des pointes d’acier acérées entourent le mat. Juste en face,  derrière les grilles de sa fenêtre, Younous regarde l’oiseau.
Younous a la mâchoire douloureuse, un goût de sang dans la bouche. Il vient de se battre avec un autre détenu dans les couloirs au retour d’un atelier. Ils n’ont échangé que quelques coups avant que les surveillants ne les séparent, mais ici les coups font très mal.
Il ne lui restait que quelques mois à tirer, il avait tout bien fait jusqu’à maintenant, il avait participé aux ateliers artistiques, il s’était tenu à carreau, il restait discret pour éviter les embrouilles. Il se bouchait les oreilles avec de la mie de pain, ainsi il supportait mieux le béton nu qui résonne et rend fou, il n’entendait pas les insultes. Ce jour là, sa vigilance s’est relâchée, l’autre a gueulé si près que ça a pété, le corps a explosé sans la tête pour dire non. Voilà, il va en reprendre pour quelques mois, fini les aménagements de peine.
L’oiseau regarde Younous, Younous regarde l’oiseau. Aucun ne bouge. Younous ferme les yeux, le bruit de la ville, ce pourrait être celui de la mer. Younous essaie de retrouver le parfum du varech, il cherche, inspire profondément, serre les paupières. Aucune odeur ne vient, si ce n’est celle du métal. Quand il rouvre les yeux, l’oiseau s’est envolé.

vendredi 27 octobre 2017


Ce serait doux


(Ville-d’Avray, Hauts-de-Seine, 26 octobre)

La petite dame toute sèche qui marche en boitillant aimerait que ça se passe comme ça. Elle s’en irait en fredonnant sur le chemin et puis elle s’effacerait. Ce serait doux, la caresse des doigts du peintre sur le pastel, les doigts de son mari déjà parti.

jeudi 26 octobre 2017



Brouillard


(Vaucresson, Hauts-de-Seine)

Le brouillard s’accroche aux toits, Jeannine à les yeux qui collent. C’est jeudi, son étal est clairsemé. On achète peu de fleurs en semaine. Elle bougonne. Hier elle a reçu la réponse de la Caisse de Retraite concernant toutes ces années où  elle travaillait avec ses parents sur les marchés. Ça ne compte pas, que dalle. C’est sûr, elle ne faisait que jouer à la marchande.
Il va falloir qu’elle continue jusqu’à ce que ses mains lui fassent trop mal, jusqu’à ce que son camion rende l’âme. Après on verra…

mercredi 25 octobre 2017



Embellie


(Saint-Jean-de-Luz, Pyrénées Atlantiques, 14 janvier)

T. est un grand gaillard d’une quarantaine d’années. Il ne lui reste que quelques dents. Il est venu à l’atelier d’écriture pour voir, pour changer d’air. Il n’y a pas trop d’occasions à la maison d’arrêt. Il dit qu’il ne sait ni lire, ni écrire mais ce n’est pas tout a fait vrai, il écrit phonétiquement, avec des lettres bâtons, c’est suffisant pour dire ce qu’on a sur le cœur.
Hier, dans la conversation, il a prononcé le mot embellie. Je n’ai aucun souvenir de la phrase, seulement ce mot qui roulait sans heurt sur le béton nu, embellie

mardi 24 octobre 2017



Dans ma caboche


(L’atelier de l’ami Vincent à Armancourt, Oise, 24 août)

C’est peut-être bien comme ça dans ma caboche, une tête de bois innocente qui veille sur un atelier un peu foutraque. On y trouve un peu de tout, plus ou moins bien rangé, et ça carbure, ça mouline, ça ponce, ça polit, ça colle, ça scie, ça ramasse, ça remue, ça radote, ça rabote, ça rigole. Parfois  ça travaille le même bois pendant des jours, une obsession, un amour. D’autre fois la lumière s’éteint, on n’entend plus rien, flotte un léger parfum de sciure et de vernis.

lundi 23 octobre 2017


Demain je me barre


(Amsterdam, 29 octobre 2015)

Martin a  toujours dit qu’il partirait, qu’il se casserait, qu’il se tirerait, qu’il s’arracherait.
Il l’a  dit à son père, c’est lui qui s’est fait la malle, contre un platane. Il l’a dit à sa mère, c’est elle qui a pris la tangente  avec un américain, il l’a dit à sa frangine, c’est elle qui a mis les voiles vers Katmandou, il l’a dit à ses potes, il est resté tout seul.
Il ne peut pas, c’est comme ça, ça ne s’explique pas.
Il vient sur le port, il longe les quais, regarde les bateaux, se rêve en un putain de capitaine au long cours, mais jamais il ne mettra les bouts.
Il entend frapper sur la tôle, il se dit que peut-être…mais non, rien à faire, il ne comprend pas, Alors il reste là et répète à l’étranger accoudé au bar: demain je me barre, je lève l’ancre, je prends le large, je débarrasse le plancher.

dimanche 22 octobre 2017


Miniatures éphémères
Abandon


Après tant de nuits blanches, 
se laisser glisser au fond du lisianthus, 
goûter à la douceur du pistil.

samedi 21 octobre 2017


Cucurbitacées


(Potager du roi, Versailles, Yvelines, 20 octobre)

Chacune pensait être l’élue. Toutes s’étaient vues attribuer valets, robes et carrosses. Au bal du château ce fut un défilé de clones qui fit perdre la tête au prince. Peu avant minuit, dans un même élan les jeunes filles quittèrent le palais perdant l’une un soulier de verre, l’autre un soulier de vair, bref toutes un soulier. Le prince brisa les escarpins de verre sur la tête de son père, fourra les chaussons de vair dans la bouche de sa sœur et disparu dans la nuit. Dans les allées du château, ce fut un gigantesque embouteillage, minuit passa personne n’avait encore franchi les portes du parc, les cucurbitacées reprirent leurs formes originelles, les jeunes filles rentrèrent chez elles en boitillant, nues comme des vers, les hommes de la ville en furent bouleversés, les épouses se fâchèrent, partout des disputes éclatèrent, le royaume trembla sous les querelles, le roi désespéré se jeta du haut du donjon, la cour se dispersa par monts et par vaux.
Il ne resta au château que le jardinier, humble artisan qui parlait à ses courges. Il ne sut qui remercier de cette récolte miraculeuse, la fée, une débutante qui en avait un peu trop fait, s’était enfuie, effarée par l’ampleur du désastre.

vendredi 20 octobre 2017



Un Parfum


Ils avaient bu et dansé toute la nuit, puis s’étaient endormis à même le plancher, filles et garçons mêlés les uns contre les autres sous les couvertures. Ils avaient à peine dix huit ans, et ce printemps là tout était permis. Ils s’enivraient d’alcool, de marijuana, et des riffs de guitare de Jimi Hendrix. André et son ami Jean s’étaient effondrés tout habillés aux cotés d’une fille au parfum langoureux. Au petit matin, elle les avait caressés, tous les deux, en même temps. André avait joui très vite, la fille n’avait rien dit, elle avait ri, puis s’en était allée, laissant un foulard  de soie bleue imprégné de son parfum.
André avait gardé le carré de tissu jusqu’à ce que les fragrances disparaissent.
André a vieilli.  Il s’isole de plus en plus, l’hypocrisie, le cynisme et le puritanisme galopant ne sont pas à son goût. Ce matin il flâne dans le potager du roi, à Versailles, quand le parfum d’une jeune japonaise, à quelques pas de lui, le saisit. C’est ce parfum. Il se souvient de la ville, c’était à Aulnay-sous-Bois, il se souvient du retour en métro, le pantalon humide et taché, il se souvient du foulard, la couleur, les dessins, il se souvient de la silhouette de la fille, plutôt grande et forte, de son rire, mais ni de son nom, ni de son visage. Il se souvient de la fulgurance de sa jouissance ce matin là.
André sourit, la jeune femme le salut et lui demande s’il peut la prendre en photo devant le parterre fleuri. Elle lui montre comment actionner l’appareil, elle est très près. André ému photographie la jeune touriste en tremblant. Quand il rend l’appareil à la jeune fille, c’est lui qui la remercie mille fois. Il se souviendra de son visage.

jeudi 19 octobre 2017


À l'arbre mort


(Mousseaux-sur-Seine, Yvelines, 15 octobre)


A l’arbre mort qui s’érige en totem
Je confie ma peine
Pour les os blanchis sans sépultures
Pour les pluies qui hésitent et les joues qui se creusent
Pour les toits effondrés, les amours desséchés et la poussière
Un murmure, un frisson, le bois répond
La vie y niche dans un trou profond, un nid de frelons
Les insectes vont et viennent
J’entends les pas des hordes sur la pierre
Les cris de joie aux passages des cols
Les mains qui plongent dans l’eau claire
Le cri de l’enfant qui naît 
Le cri de l’enfant piqué par le frelon

mercredi 18 octobre 2017


On a rangé l'usine


(Mazères-sur-Salat, Haute-Garonne 29 août)

Sept heure trente, c’est à cette heure là qu’il embauchait. Tout est calme, net.
On a rangé l’usine, elle ne servira plus. Alain marche doucement, les mains dans les poches de son bleu de travail, un bleu propre, impeccablement repassé. Chez lui, c’est le foutoir, les papiers s’accumulent sur la table de la salle à manger, des papiers à remplir, à signer, pour quelques sous, pour la santé, pour l’électricité, pour la retraite, des déclarations, des renseignements, des demandes, des relances, des lettres avec de beaux logos en en-tête.
Au moins ici tout est bien rangé, se dit Alain en regardant le soleil se lever sur les bâtiments désaffectés.

mardi 17 octobre 2017



Mauvaise donne
ou
Bonne pioche


(Mousseaux-sur-Seine,15 octobre)

 Vladimir marche d’un pas vif, le soleil est déjà bas, il veut arriver avant la nuit. Il redoute l’obscurité des sous-bois.Vladimir est un citadin, un joueur, un flambeur, un coureur qui, fréquente sans crainte les tripots et les bordels mais tremble dans la nature sauvage.
Hier soir il a perdu gros au jeu et s’est fait rembarré sans ménagement, il a erré la nuit entière sur les pavés suintants et au petit matin s’est enfoncé dans la forêt à la lisière de la ville.
Il a marché longtemps, jusqu’à ce que les parfums, les bruissements, et les couleurs des bois chassent de son esprit toute autre pensée. Alors il a fait demi tour, se disant que demain sera un autre jour.
Vladimir se presse tandis que la futaie s’assombrit. Soudain il s’arrête net. Au milieu du sentier une feuille de bouleau pendue à un fil d’araignée tourne sur elle même. Vladimir regarde la feuille en suspension, un as de pique, se dit-il, un as de pique retourné, mauvais présage.

Fin pour les pessimistes, Mauvaise donne:
Lui revient alors le souvenir de la désastreuse soirée d’hier, ses pensées s’emballent, il n’entend pas le grand arbre mort qui craque puis tombe sur lui le tuant sur le coup.

Fin pour les optimistes, Bonne pioche:
À cet instant un grand arbre à moitié mort tombe en travers du chemin quelques pas devant lui. Bonne pioche.

lundi 16 octobre 2017


Le monde en grand


(Mousseaux,Yvelines, 15octobre)

La revoici, la dame au chapeau rouge  qui me mène par le bout du cœur et me fait voir le monde en grand.

dimanche 15 octobre 2017



Miniatures éphémères
Petits métiers
Le Piqueux


(Forêt de Rambouillet,  4 octobre)

Les piqueux viennent à l’automne vous asticoter et d’une pointe acérée vous remettre à votre place.

samedi 14 octobre 2017


La musique de la rue


(Paris, 8 juillet)

C’est la musique de la rue, des pensées qui se croisent, se frôlent, s’ignorent, se reconnaissent et disparaissent, des regards tournés vers l’intérieur, des oublis, des souvenirs, la sensation d’être déjà passé par là, d’avoir senti ce parfum, vu ce visage.
Un enfant parle dans un Talkie-Walkie, son père le suit quelques mètres derrière avec le second appareil, l’enfant dit: Allo, ici la lune… Une femme avec de grands yeux ronds marche à petits pas déséquilibrée vers l’avant, comme si elle n’allait jamais s’arrêter. Une fillette pousse une trottinette trop grande, trébuche et pleure. Un boucher passe avec une carcasse sur le dos. Un homme fume assis sur une borne d’incendie. Un militaire s’ennuie, la main posée sur son Famas. Deux jeunes filles parlent fort, le portable à la main. Trois hommes jouent aux dominos sur une table en ferraille.
Un amoureux attend son amoureuse, immobile comme un héron au coin d’une rue, dévisageant chaque passant.

Sur la crête


Je cours sur la crête, la vue porte loin devant, l’air est pur, l’esprit est libre, je suis sans âge. C’est la sensation que j’ai parfois sur scène, sans crainte, en équilibre sur la crête.

jeudi 12 octobre 2017


L'histoire de celui qui fendit en deux la tête du curé


(Piéride du chou sur Knautie des champs, Llo, Pyrénées orientales, 21 mai)

Jean était d’une discrétion exemplaire, aussi léger et silencieux que la piéride du chou. Atteint d’une forte myopie, il portait d’épaisses lunettes rondes. Cette infirmité l’avait rendu encore plus précautionneux, il passait totalement inaperçu et s’en portait très bien.
Un dimanche d’octobre, à la messe de onze heures quelques acariens vinrent lui chatouiller les narines. Jean se retint autant qu’il put tandis que se déchaînaient les microscopiques athropodes. Il finit par éternuer si violemment qu’il en perdit ses lunettes. Il était au premier rang, de façon à ne rien perdre du prêche du curé dont il appréciait autant la voix que la délicate gestuelle.  En cherchant ses lunettes il trébucha, heurta le grand crucifix de bois, qui tomba sur ce cher curé lui fendant le crâne en deux.
L’ histoire fit le tour du département, de la région, puis du pays entier. Quelqu’un bien plus au nord, écrivit qu’un terroriste avait fendu en deux le crâne d’un curé en pleine messe.
Jean ne supporta pas cette soudaine notoriété, il sombra dans l’alcool, et s’enferma définitivement dans sa petite maison. En passant par là on pouvait l’apercevoir à travers la vitre, il ressemblait à un de ces papillons cloué sous verre.

mercredi 11 octobre 2017



La Cheminée


(Mazères-sur-Salat, Haute-Garonne, 27 août)

L’usine a fermé il y a seize ans. On y fabriquait du papier à cigarette. Les machines se sont tues puis ont disparu. Les hommes ont lutté puis sont partis. La cheminée restait debout, froide mais debout, invincible avec son paratonnerre.
Des rêveurs, des poètes, des saltimbanques sont arrivés. Ils étaient deux, avec leur petite fille qui marchait à peine. L’usine a bruissé a nouveaux, les coup de marteaux, les grincements de la scie, les grésillements du fer à souder, les voix qui s’interpellaient dans cet espace vide.
Une maison est née, un théâtre est née.
Maintenant l’usine est le terrain de jeu de la petite fille qui a grandi, le linge sèche sur le toit, dans la cour, à la place des graviers, il y a un potager. Au rez-de-chaussé, il y a l’atelier de Henry -  je l’appelle Henry Vintage pour son aptitude à dénicher l’objet rare - et puis le théâtre où raisonne la voix et le violon de Délia. Là, entre l’atelier et le théâtre, ces deux artistes fabriquent des spectacles de marionnettes pour les tous petits et de temps en temps accueillent d’autres rêveurs, saltimbanques et poètes.
Vendredi soir je présenterai à Colombes dans les Hauts-de-Seine un spectacle musical conçu avec des textes de ce blog, des histoires d’hommes et de femmes  sur le bord, des destins en friche. Nous avons travaillé là, à l’usine, où la cheminée veille.
Là où il y a encore de grandes salles vides où chantent les fantômes quand la lumière passe par un carreau cassé.
C’était le bon endroit.

mardi 10 octobre 2017



L'innocence


(Forêt de Rambouillet, 4 octobre)

Il me faut la proximité de l’eau et des arbres,
le parfum de l’humus et le chant du ruisseau,
afin que se déposent les humeurs 
et revienne l’innocence.

lundi 9 octobre 2017


Les vieux clowns


(Uzerche, Corrèze, 6 septembre)

Il y a 29 ans , avec François Cervantes et la Cie L’Entreprise, nous avions crée ici à Uzerche un spectacle qui m’a profondément marqué et dont certains me parlent encore après tant d’années, le Venin des Histoires. Au début du spectacle nous étions cinq clowns sur un rond de gazon, cinq clowns là sur ce rond à ne rien faire, juste être là. Ce moment était très doux, très drôle, durait plus de dix minutes. Me revoilà  à Uzerche pour une nouvelle création, il  y sera question de vieux, des maisons de vieux. Autrefois ce cercle de bois n’existait pas. Je me dis qu’il a été fabriqué pour se raconter des histoires, pour que les vieux clowns viennent se retrouver, se donner des nouvelles du monde, boire des coups, se raconter des blagues, se taper dans le dos, s’échanger quelques nouvelles recettes pour entretenir notre grand jardin qui part un peu en vrille.

dimanche 8 octobre 2017


Miniatures éphémères
Le dernier bus



(Gambaiseuil, Yvelines, 4 octobre)

À l’arrêt Bois-Mandé du bus n° 33, Alice attend. Elle laisse passer un bus, un deuxième, un troisième, elle attend toute la journée, jusqu’à ce que passe le dernier, celui de sept heures, entre chien et loup, celui qui ne fait pas de boucle, celui qui disparaît dans la nuit.

samedi 7 octobre 2017


Le Vallon aux Perdrix


 (Feucherolles, Yvelines)

Les feuilles sèches bruissent sous le vent. Lulu renifle. Les tiges de maïs font deux fois sa taille.
Son père n’est pas près de le retrouver. Peut-être ne le cherchera-t-il même pas.
Le père frappe, la mère ne dit rien, les sœurs sont parties, Lullu déguste. Pour rien, des broutilles. C’est pas Lullu qui va pas droit, c’est le père. Ça a commencé quand les cerisiers ont gelé, puis quand l’ainée, Nicole, est partie avec un gars de la ville.
 Un jour, sa mère n’a plus embrassé personne, comme elle le faisait chaque matin, et à partir de là, ça a empiré. C’était en juillet, Lullu partait se cacher dans le bois derrière la ferme, le bois aux biches; il n’est pas rare d’en croiser une. Voir une biche le console, c’est comme ça. Même si ce n’est que quelques secondes, l’animal à peine entrevu fuyant dans les fourrés.
Quand les maïs ont été assez haut, il est venu s’y réfugier, c’était aussi une bonne cachette. Il y croisait plutôt des perdrix ou des faisans. Il appelait le champ, Le Vallon aux Perdrix. Quand  en le voyant sortir, sa mère lui demandait: où vas tu encore? Il répondait : au vallon aux perdrix! Il n’y a que lui qui savait de quoi il s’agissait.
Lullu renifle. Cette fois ci, il a eu très peur. Son père hurlait comme jamais.
Lullu cueille un épis avec quelques feuilles sèches. C’est un nouveau né ébouriffé qu’il berce, il le rassure. Il compte les grains sur son corps. Lui, il a un grain de beauté sur la poitrine, à gauche, un autre sur l’avant bras droit, et un sur la joue. Il en a peut-être dans le dos, mais il ne les voit pas, et il  n’y a pas grand monde pour lui compter les grains maintenant.
Lullu ne pleure plus, mais il est inquiet. Bientôt, on récoltera le maïs,  et dans le bois, les arbres perdront leurs feuilles. Où ira-t-il se cacher?

vendredi 6 octobre 2017


Dos à dos


(Gambaiseuil, Yvelines, 4 octobre)

Paulette et Jacques se tourne le dos depuis toujours. Ils dorment dans le même  lit, dos contre dos. Ils prennent leurs repas dos à dos, Paulette  tournée vers le nord, vers les toits d’ardoise et le grand séquoia, Jacques  tourné vers le sud, vers l’étang et le saule pleureur.  Quand Jacques travaille à son établi - il restaure les anciennes reliures de cuir - dans un fauteuil en rotin qui lui tourne le dos Paulette lit les livres rénovés. Ils aiment marcher seuls, quand l’un est tenté par un chemin, l’autre part à l’opposé.
Quand  à leur retour il se font face, c’est chaque fois une surprise. Ils se dévisagent, s’embrassent tendrement,  et se racontent leur promenade. Puis ils rentrent, côte à côte, en se tenant par la main, avant de reprendre leurs places, dos à dos.

jeudi 5 octobre 2017



Glyphosate


(Pierrefonds, Oise, 23 août)

C’est la fin de l’été. Jimmy est venu visiter le château de Pierrefonds avec ses parents. La seule chose qui intéresse Jimmy est l’épée de bois qu’il a vu dans la boutique au pied du château.
Tout le reste n’est que du blabla de guide. Il se verrait bien chevalier à l’assaut de la forteresse. Ses parents seraient les tyrans à mettre à terre.
Ceux ci  ont lu qu’il fallait éloigner les enfants des armes factices. Alors on veut bien entendre parler des batailles, mais pas d’épée ni de pistolet pour Jimmy.
Jimmy s’énerve, boude, il veut une épée. Hé bien non! et si nous allions faire un tour en pédalo sur l’étang, regarde Jimmy, comme la nature est belle…
Les voilà tous les trois au milieu des nénuphars. Jimmy ne dit rien, il rumine sa vengeance, il se remémore toute les insultes qu’il connait. À défaut d’épée, ce seront des mots. Il y a un mot qu’il entend beaucoup en ce moment, il sent bien que c’est un gros mot, Glyphosate, oui c’est bien ça comme insulte Glyphosate.
Alors quand ses parents s’extasient devant les canetons qui suivent leur mère, Jimmy leur hurle à l’oreille: Glyphosates!

mercredi 4 octobre 2017


À Gambaiseuil


(Gambaiseuil, Forêt de Rambouillet, Yvelines)

J’étais venu à Gambaiseuil chercher quelques champignons, j’ai trouvé flottant sur le ruisseau un vitrail, une noce, un bal, un camion de pompiers, un cercueil, trois canards, et un zouave.
Plus loin une vache Highland  broutait la lumière, un homme avec des gants blancs courait sur le sentier, une cavalière chantait sur un Alezan.
Cela faisait plusieurs jours que je n’avais pas quitté la ville, je goûtais chaque instant, il était temps.

mardi 3 octobre 2017



Voir apparaître le soleil


(Campeaux, Calvados, 17 octobre 2016)

Chaque jour, même le dimanche, Léonide se lève aux aurores. Voir apparaître le soleil le rassure. 

lundi 2 octobre 2017



Feuilles mortes


(Vaucresson)

Un enfant glisse avec précaution quelques feuilles mortes entre les pages d’un cahier,
Un homme  ratisse son jardin,  met le feu aux feuilles amassées,
Un autre homme, bien plus vieux, déchiffre les signes d’une feuille tombée à ses pieds.

dimanche 1 octobre 2017


Miniatures éphémères
Au commencement

 
Au commencement le monde était un jardin sans hommes ni bêtes.
De chaque fleur fanée naquit un homme, de chaque fruit gâté naquit une bête.


 (Vaucresson, 30 septembre)