samedi 28 octobre 2017


L'oiseau


(Mont-saint-Michel, Manche, 18 octobre 2016)

L’oiseau s’est posé au sommet d’un des poteaux qui tiennent les câbles anti-hélicoptères. En dessous il y a des cages. Les barreaux sont épais, le sol est en gazon synthétique, un vert pâle. Dans la plus grande, il y a un terrain de basket, dans la deuxième, rien, dans la troisième quelques agrès de musculation. Une piste  circulaire couverte de détritus fait le tour des cages. Autour, ce sont de hauts murs gris percés de fenêtres carrées fermées par deux épaisseurs de grillage, l'une au maillage fin, l’autre aux simples barreaux verticaux. De fines bandes de tissus noués pendent d’une fenêtre à l’autre, comme les serpentins s’accrochent aux lustres et aux meubles renversés après la fête.
Parfois l’un de ces fils remonte, et on devine derrière la grille le geste du pécheur qui ramène sa prise, un mot, quelques billets, des clopes, un bout de shit.
L’oiseau ne bouge pas. Quelques centimètres au dessous de lui des pointes d’acier acérées entourent le mat. Juste en face,  derrière les grilles de sa fenêtre, Younous regarde l’oiseau.
Younous a la mâchoire douloureuse, un goût de sang dans la bouche. Il vient de se battre avec un autre détenu dans les couloirs au retour d’un atelier. Ils n’ont échangé que quelques coups avant que les surveillants ne les séparent, mais ici les coups font très mal.
Il ne lui restait que quelques mois à tirer, il avait tout bien fait jusqu’à maintenant, il avait participé aux ateliers artistiques, il s’était tenu à carreau, il restait discret pour éviter les embrouilles. Il se bouchait les oreilles avec de la mie de pain, ainsi il supportait mieux le béton nu qui résonne et rend fou, il n’entendait pas les insultes. Ce jour là, sa vigilance s’est relâchée, l’autre a gueulé si près que ça a pété, le corps a explosé sans la tête pour dire non. Voilà, il va en reprendre pour quelques mois, fini les aménagements de peine.
L’oiseau regarde Younous, Younous regarde l’oiseau. Aucun ne bouge. Younous ferme les yeux, le bruit de la ville, ce pourrait être celui de la mer. Younous essaie de retrouver le parfum du varech, il cherche, inspire profondément, serre les paupières. Aucune odeur ne vient, si ce n’est celle du métal. Quand il rouvre les yeux, l’oiseau s’est envolé.

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