mercredi 30 septembre 2015


L'Eldorado


Le sosie de Johnny Cash jette un dernier regard sur la cuvette des wc de L’Eldorado dans laquelle il vient de jeter un paquet de Camel sans filtre à peine entamé. Dehors, il pleut des trombes. Son show à été perturbé, mais surtout le regard  de la petite serveuse brune en santiags l’a piqué au vif. Désormais il ne chantera plus en play back. Dès demain, il remplace les lettres jaunes sur sa R16 rouge, « Johnny Kash on the road », par « Bernard Leduc sur la route ». Bernard Leduc, c’est son vrai nom. Leduc, comme son père…



Là haut, derrière la fenêtre entre ouverte, Jennifer écoute un disque de Johnny Cash, « Johnny Cash at Folsom prison ». C’est son disque préféré. Sans doute à cause de son père, qu’elle n’a vu que deux fois, derrière les barreaux. la première fois, elle avait quatre ans, elle ne se souvient que de sa voix bizarre derrière l’épaisse vitre. la deuxième fois elle avait six ans, elle ne pouvait détacher son regard de son visage; ces rides en étoile autour des yeux légèrement plissés, des yeux verts, perçants; cette cicatrice horizontale sur la pommette gauche; ce sourire qui faisait une virgule au coin de la lèvre, encore à gauche, des lèvres parfaitement dessinées; cette barbe poivre et sel de quelques jours et ses cheveux très noirs et très courts. Son père. Quelques jours après cette visite, il s’est évadé. Une évasion spectaculaire, en hélicoptère. Les journaux en ont abondamment parlé. On ne l’a jamais retrouvé, elle ne l’a jamais revu. C’était il y a dix sept ans.
Jennifer écoute son disque préféré et repense à l’homme d’hier soir, Le sosie de Johnny Cash, qui est venu pour la fête de la saucisse. Quand elle l’a regardé droit dans les yeux, elle a bien cru qu’enfin elle quitterait cet endroit. Mais non, l’homme est reparti sans rien dire après le spectacle. Elle l’a entendu qui chantait à tue tête dans sa R16 rouge, lui qui avait chanté en playback toute la soirée…

mardi 29 septembre 2015


La douleur


Juste à coté, Michel s’est arrêté. Il est berger, il a cinquante six ans. L’arthrose le fait de plus en plus souffrir. Il se demande s’il pourra encore monter aux alpages l’été prochain. La beauté du bois calme sa douleur…

Collioure


Dans une rue étroite de Collioure, Charles s’est arrêté, pour souffler. Il a 92 ans. C’est pentu, Collioure, et Charles habite tout en haut. Chaque jour il descend boire son café crème avec un croissant au beurre chez Paco, face à la petite plage de galets, en lisant L’indépendant. Il lit tout, en commençant par la dernière page. Aujourd’hui, il a cessé sa lecture en plein milieu d’un article. On y parlait du Peintre Soulages et de Rodez. C’est un enfant qui courait en criant après un pigeon qui l’a interrompu. Pourquoi faut-il que toujours, les enfants courent après les pigeons ? s’est il dit, et puis il a repris sa lecture.
Maintenant il remonte. Il est là, hors champ, appuyé sur sa canne. Il fait une pause.  Le pommeau de sa canne est un superbe canard en ivoire. C’est un cadeau de ses amis musiciens qui l’accompagnaient sur les paquebots. Charles  était pianiste et ses amis facétieux. Maintenant il ne reste plus que lui et il a le souffle court. Il est arrêté là et regarde cette rue qu’il connaît par cœur. C’est drôle comme plus je vieillis, plus j’aime la couleur, se dit-il..

lundi 28 septembre 2015


Le pont


Le fleuve coule lentement. L'un dessine, l’autre écrit. Un inconnu, sur l’autre berge les photographie. Ils l’ignorent, mais à cet instant précis chacun d’entre eux pense exactement à la même chose…

Les pas dans la neige


Je marchais dans une forêt de la Sarthe. C’était l’hiver. Je pensais à elle. L’air était vif, les arbres parfaitement dessinés blanchis par le gel, la neige craquait. Je portais une veste de duvet bleue et cette tuque de fourrure qu’elle avait rapportée du Québec. Elle était partie longtemps. Elle avait parcouru les bois avec une indienne et quelques trappeurs autour de Natashquan puis elle était revenue. Cette fois ci , c’est moi qui était parti. Oh, pas si loin et juste pour quelques jours. Mais plus jamais je ne cesserais de partir et de revenir. Et chaque fois nos retrouvailles seraient plus intenses.
Trente cinq ans plus tard, sur ce sentier de Bourgogne, elle est à mes cotés, nous nous tenons la main. La couche de neige est trop fine pour craquer, mais je me souviens parfaitement du son de mes pas dans la neige dans cette forêt de la Sarthe…

dimanche 27 septembre 2015


Origines


Sur le port de Cayenne, juste à coté, hors champ, Justin est là, dos au mur. Hier soir, il a bu le reste de ses allocations. Sa tête est lourde. Il est temps qu’il parte. Ici, aucun avenir. Un vol d’ibis rouges passe au dessus du fleuve. Justin pense à son arrière grand père. Communard, celui ci est arrivé ici par la mer  en mille huit cent soixante treize avec des dizaines d’autres, chaines aux pieds. Il a résisté à la malaria et aux mauvais traitements. Libéré quelques années plus tard, on lui a attribué un petit lopin de terre avec interdiction de quitter la Guyane. Il a épousé une bushinenguée et a eu trois enfants. Le premier est mort à l’âge de quatre ans, le second était son grand père qui lui même a eu cinq enfants avec une métis kali’na. Justin ne sait rien du troisième, une fille, personne n’a pu lui dire ce qu’elle était devenue. Le père de Justin était le second de sa fratrie, trois filles et deux garçons dont un est mort poignardé par un chinois au cours d’une rixe dans un bar louche pour une soi-disant dette de jeu. Ce n’est  que tardivement que Justin s’est intéressé à ses origines, peu de temps avant la mort de son père. Celui ci, sentant sa mémoire défaillir, s’était mis à lui parler. Chaque jour, il racontait, l’arrière grand père, le bagne, les chinois, ses soeurs…
Parfois il s’embrouillait un peu, mais il fallait qu’il raconte et petit à petit Justin écoutait avec de plus en plus d’attention. Maintenant il n’est plus. Il ne reste qu’une photo jaunie où il pose fier la machette à la main, le fusil à l’épaule au sommet d’un inselberg, une photo qui sert de marque page à Justin. Justin n’a pas de travail, alors quand il ne boit pas il lit. Toujours les même livres, c’est difficile de s’en procurer par ici. Il les connait par coeur, comme les histoires de son père.
les ibis ont disparus au large de l’estuaire et Justin a pris une décision: demain il partira en métropole, sur les traces de son arrière grand père…

samedi 26 septembre 2015


Hauteurs


"Il nous faut la force des lys, des fougères , des mousses et des éphémères. Il nous faut la virilité des lacs et des rivières, la féminité des pierres, la sagesse du calme sinon du silence."
                                                                                                             Rick Bass  (Le livre de Yaak)

Lambeaux


Cela fait six mois qu’il est parti. Elle ne sort plus. Elle passe ses journées seule dans le grand lit aux montants de métal blancs, là, derrière, Le visage tourné vers le mur, les yeux grands ouverts. Les draps  sont froids et rêches. Une main posée sur le bas ventre, de l’autre elle gratte mécaniquement la tapisserie ornée de motifs champêtres . Le papier crisse sous l’ongle trop long, de minuscules lambeaux tombent sur le parquet de chêne…

vendredi 25 septembre 2015

Le Rêve


Nestor est facteur. Il vient de passer, dans sa nouvelle voiture jaune. Il a trente cinq ans et parle peu. Les mots et lui n’ont jamais fait bon ménage. Et maintenant il en transporte des centaines!
Dyslexique, l’école lui fut un calvaire. Son père l’avait rêvé professeur des écoles, ingénieur à l’aérospatiale ou directeur de la poste. Mais non, il a tout juste réussi l’examen pour être facteur et encore avec un petit bakchich pour l’examinateur, comme cela se fait parfois par ici. Au moins il conduit  bien, ça on ne peut pas lui enlever. Même quand il pleut, il n’a pas son pareil pour se sortir des ornières. Lui, il aurait aimé être pianiste de bar. Pianiste de bar à l’hôtel Mercure, prés des plages. Passer ses soirées à jouer en regardant tourner les jolies robes, souriant aux habitués,
son verre de whisky posé sur le coin du piano. Mais non, un piano, ici! Il a tout de même réussi à se bricoler un banjo avec une vieille boîte aux lettres, un bout de bois dur, et des câbles de freins.
Il en joue le soir, tard, seul dans sa chambre. Nestor ne dort pas très bien. Souvent il fait ce rêve:
Des centaines de boîtes aux lettres le poursuivent sur la piste en hurlant et le traitant d’incapable…

Le mécanicien et le surfeur


Tout au fond de l'image, au cœur du paquebot, le mécanicien philippin ne pense qu'à rentrer chez lui et ne plus bouger. Le surfeur, devant, ne rêve que de voyages. Les deux se rencontreront un jour...

Le mécanicien


Tout au fond, loin dans l’image, il y a un homme qui trime au coeur du cargo. Ce mécanicien vient des philippines. il aime son métier. Seul avec ses machines. Sa salopette est couverte de graisse. Le bruit est lancinant. Il pense au petit hydravion de plastique blanc qu’il a acheté pour son fils lors de sa dernière escale…                                                                  ( Photo de Arnaud Carbonnier)

jeudi 24 septembre 2015


La vieille dame


Juste là, devant, hors champ, il y a une vieille dame distinguée, vêtue d'une robe à fleurs. Elle porte un petit chapeau de paille orné d'un ruban jaune, dans sa main droite un cabas, à son bras gauche un parapluie made in china fermé. Elle est immobile. Elle regarde à droite, à gauche, devant, derrière, immobile. Son front se ride, son œil se trouble, elle ne sait plus où elle est....

                                                                                                              (Photo de Wim Wenders)

Ostie


Hors champ, sur un ponton de bois, un homme photographie sa femme. Le vent dans ses cheveux blonds, son col relevé et ses lunettes rouges lui donne des airs de starlette. Aujourd’hui à Ostie, la pluie est joyeuse...
Nina aux Îles du Salut


Nous sommes aux îles du Salut, sur l'île Royale. Nina se tient là devant hors champ. Elle est brésilienne. Elle est arrivée en Guyane il y a déjà quelques années, clandestinement. Elle est vêtue d'une robe légère bleue nuit, avec des franges. Elle tient son fils, Paolo, six ans, par la main. De temps en temps Paolo lâche la main de sa mère pour jouer avec les franges de rayonne. C'est agréable. C'est l'italien qui les a menés jusqu'ici, avec la navette de Kourou. Il y avaient d'abord les français, les métros, puis il y a eu les russes et maintenant les italiens. Ils viennent tous pour les fusées. Quand ils en font décoller, on vient sur la colline, avec le piquenique, et on regarde. Il y a du monde, on parle fort. Ca ne dure pas longtemps le décollage, Paolo dit que c'est comme une étoile filante mais à l'envers. C’est bien tous ces gens réunis là. . Après on va se coucher et quelques jours plus tard les ingénieurs retournent dans leur pays. Il y en a bien qui restent plus longtemps, mais ceux-là, ils sont en famille. 
Avec l'italien c'est bien, il a la peau douce et il sent bon. Eau Sauvage, c'est son après rasage. Non seulement ça sent bon mais Nina aime l'image sur la boîte avec Corto Maltese et le nom du parfum écrit, elle l'a vue la première fois qu'elle est venue dans son hôtel, c'est lui qui lui a parlé du marin sur la boîte. Et puis l'italien, il veut bien emmener Paolo quand ils partent en promenade. Aujourd'hui les îles du salut, le bateau, le restaurant, en dessert elle a pris une pêche Melba! L'italien est resté au restaurant fumer un cigare, Nina et Paolo sont partis marcher un peu. 
Et elle se tient là maintenant, la main de son fils dans la sienne. Elle regarde cet ancien chemin pavé de grosses pierres qui monte vers les vestiges du bagne. Elle pense à son fils, son avenir, et serre sa main un peu plus fort...

mercredi 23 septembre 2015


L'homme à la BMW


Hors champ, un homme marche sur le sable. A grandes enjambées. Il trace de grands cercles. Chaussures à la main, costume sombre, cravate dénouée. Sa voiture, un break BMW noir s'est ensablée, un peu plus loin à droite du bâtiment . Le téléphone de la cabine sonne. La sonnerie se fait de plus en plus insistante. L'homme ne répond pas. C'est pourtant lui qui a donné le numéro.
Non, il se taira. Il trace toujours ces cercles sur le sable, tête baissée. La mer monte...


Sticky Fingers


Sur les quais du Ria del Nervion, à Bilbao, Esteban court . Son t-shirt bleu turquoise est trempé. Il tient fort contre lui un disque des Rolling Stones, Sticky Fingers, avec sur la pochette une braguette qu’on peut ouvrir. Il vient de le voler. Il n’est plus très loin du pied de la tour. Il a déjà semé les deux vigiles, mais il reste cet homme de la garde civil qui a pris le relais. Esteban a quinze ans. Il sent bien que l’homme derrière lui, à l’étroit dans son uniforme, commence à s’essouffler. Dés qu’il atteindra les escaliers, il sera sauvé, le policier ne pourra pas tenir le rythme…
La petite fille au cerf volant


                                                   Toutes ces traces de pas dans le sable.
                                 Un jour la petite fille sortira de l’image, grandira, s’envolera.
                                                            La plage sera toujours là…

mardi 22 septembre 2015

Bilbao


 Calle de Bidebarietta à Bilbao , Rick Delaveine se tient là, face au numéro 6, adossé à la vitrine d’une boutique d’articles de fêtes. C’est la «semana grande » à Bilbao. Toute la semaine on chante, on danse, on boit, un foulard bleu autour du cou. Rick est venu pour un concert au musée Guggenheim. Il est batteur. Cet après midi, après avoir fait les balances, il est monté au troisième étage voir l’exposition Basquiat. Couleurs, signes, révolte, rythme bien sûr, tout cela le réjouit.  Et d’en haut, en se penchant un peu, il  pouvait voir la scène sur laquelle il jouera ce soir, le piano, la contrebasse, sa batterie, minuscules avec au dessus ces immenses structures blanches aux courbes douces qui lui évoque les rideaux derrière lesquels se cachent les enfants. Ensuite il est allé s’acheter une veste  chez Francisco de Larracoechea, calle Sombréria. Chaque fois qu’il va à Bilbao, il passe chez Francisco, les tissus y sont délicats et la vendeuse lui rappelle une amie peintre. Rick aime les rituels, il est très maniaque, même si les explosions de Basquiat le ravissent.
Cette année, il a choisi une veste soie et cachemire vert pâle, à rayures croisées corail et brunes. Il la portera pour le concert. Et là maintenant, devant le numéro 6, il hésite. Ce verre, au pied de la porte, le dérange. Il n’est pas sûr que ce soit une bonne idée de revenir voir Carmen…
Vingt minute que Rick hésite, les doigts tapotant sur ses cuisses, pile sur le pli de son pantalon d’alpaga. Il lève juste les yeux de temps en temps, au cas où les rideaux bougeraient…

Le cauchemar




Sur la plage d’Awala Yalimapo, une tortue luth vient de pondre, juste là à droite, hors champ,  là où le sable a été retourné.  Maintenant, épuisée, elle regagne la mer, lentement. Un peu plus loin Ludivine regarde, figée. Ludivine travaille pour le CNRS, elle doit marquer les tortues, pour leur comptage et leur protection. Celle ci lui échappe. Ludivine est tétanisée par une terreur enfantine qui rejaillit là, sur le sable encore tiède. Elle avait six ans. Avec sa cousine, elles avaient regardé un DVD de L’Histoire Sans Fin. Dans ce film un enfant voyage sur le dos d’un dragon. Une scène l’avait terrorisée: un cheval était avalé, petit à petit, par de sombres marécages. Ludivine en avait fait des cauchemars durant des nuits et des nuits. Sa mère avait beau chaque soir la réconforter, les cauchemars revenaient.
Elle pensait en avoir fini, mais non, voilà que ceux ci réapparaissent. Elle a chaud, le coeur qui palpite et une soudaine envie de pleurer, là bas, toute seule à l’autre bout du monde. Il faut qu’elle fasse quelque chose. La tortue, elle, est enfin parvenue jusqu’à la mer, et s’éloigne, tranquille…

lundi 21 septembre 2015


Sous l'arbre




Homme n°1 -  C’est comme ça.
Homme n° 2 - Oui, mais bon…
L’enfant        - Une fois deux deux, deux fois deux quatre,  trois fois deux six, quatre fois deux huit,
                       cinq fois deux dix…
Homme n°1  - Arrêtes!
L’enfant        -  …………….. (seules ses lèvres bougent)……
Homme n°2  - Quand même, faudrait pas…
Homme n°1  -  Et si, faut bien ça.
Homme n°2  -  Tu crois vraiment que…
Homme n°1  -  Marcellin  a fait pareil, Victor et Antoine aussi.
Homme n°2  -  Après tout, si tu le dis…
L’homme sur la balançoire -   Mais qu’est ce qu’ils sont cons.
Homme n°1  - Qu’est ce que tu dis?
L’homme sur la balançoire - Rien….
Homme n°2  -  T’es sur que…
Homme n°1  -  Oui.
L’enfant        -   Trois fois trois neuf, quatre fois trois douze, cinq fois trois quinze, six fois trois dix
                         huit, sept fois trois vingt et un…( elle continue à voix basse)…                          
Homme n°2 - Alors, si tu le dis.

On n'entend plus que le bruit des grillons et le murmure de l’Enfant…

Le Sculpteur



Cette image, juste en face du MK2 Beaubourg. Je viens de voir « Nous viendrons en amis » d’Hubert Sauper.
Entre l’homme  et le graffiti, je ne puis que voir sur le gris du trottoir cette tête d’or renversée de Brancusi...

Les voix




La voix de son père était trop forte, la voix de sa mère trop aiguë, celle de son grand père trop rauque, la voix de son instituteur de CM2 cassante, celles de ses soeurs stridentes, la voix du psychologue mielleuse, celle de Joséphine cruelle.
Il n’y a qu’à la radio que les voix sont rondes et douces. Surtout celle de la météo marine, chaque jour en fin d’après midi. A cet instant seulement, il retire les mains de ses oreilles…

Sur les berges du lac d'Orédon



A deux mille mètres, sur les berges du lac d’Orédon, le voyageur étendu dans l’herbe, juste à droite, hors champ, songe à tout ce dont il a fallu se défaire pour arriver jusqu’ici. Il songe à ceux qui l’ont nourri, croisés au hasard de toutes ces années. Il songe aux livres qui l’ont mis en mouvement, l’un des premiers fut Vingt mille lieux sous les mers, l’un des derniers, le livre de Yaak. de Rick Bass. Il songe à son père, en bas dans la vallée, immobile.
Il vient de boire quelques gorgées d’eau fraiche. Il tient une pierre dans sa main droite, une pierre brune veinée de blanc qu’il fait délicatement rouler entre ses doigts. Il songe… et il sait qu’il n’en aura jamais fini…

dimanche 20 septembre 2015

Voyage en Ibérie



Cette photo se trouve à la page soixante trois d’un livre de Jean Dieuzaide, Voyage en Ibérie. La couverture est rouge, avec la photo d’une femme au regard droit, un gros bébé accroché à son sein gonflé jaillissant d’une robe à volants fleuris. En arrière plan, d’autres femmes, toutes riant vers l’objectif.
C’est le premier beau livre que j’achetai. C’était dans une librairie du quartier latin, j’avais vingt deux ans et je venais d’emménager dans mon premier appartement…                                                                

Le retour



Un petit homme maigre, au front dégarni, le dos légèrement vouté, s’en va, hors champ, loin du fleuve. Un piroguier saramaka l’a déposé là, au pied de cet arbre. Cet homme c’est Edgar Maufrais. Il a regardé longuement la pirogue rouge et jaune s’éloigner puis a fait demi tour, les yeux trop secs pour pleurer. Cela fait douze ans qu’il cherche son fils, en vain. Maintenant, il rentre.
Marie Rose, sa femme, l’attend…

La Bâche


                                                                   

Un peu plus loin, hors champ, un homme attend. Appuyé contre un mur il fume une camel sans filtre. Sa jambe droite est repliée, pied à plat contre le mur décrépi. Ses chaussures sont en imitation croco noires et blanches, il porte une veste pied de poule en laine bleue sur un marcel gris. Il attend. Depuis longtemps. Depuis toujours. Sous la bâche bleue, c'est sa voiture.
Un jour, il ôtera la bâche....                                                                     (Photo de Wim Wenders)
Le Ponton


                                                                 

Là bas sur le ponton, un homme, et une femme, plus jeune. L’homme imite la démarche de son vieux père. la jeune femme rit aux éclats. L’orage tourne…

samedi 19 septembre 2015


Igor à Mazères

                                                 
Demain, il y a fête à l’usine Rizla +. Igor est étendu dans sa minuscule caravane rouge. Il est torse nu et porte un caleçon à pois noirs. Il fait chaud, la sueur  perle sur son front dégarni. Sa voiture, un Break Subaru bleu d’occasion, est garée un peu plus loin, hors champ. Il a choisi cette voiture car c’était celle d’un personnage d’un roman de Jim Harrison , Dalva, Sorcier, où Légende d’automne…Il ne sait plus lequel, Igor lit beaucoup.
Partout où il va, il hante les bibliothèques, les bibiloquètes comme disait l’étonnante petite fille d’un ami français. Maintenant elle est archéologue et vit à Rome. Il repassera forcément par là, il y est déjà passé, pour un congrès de voyants. C’est calme ce soir, tout est prêt pour demain.
Il y a une quinzaine d’années, ici, les machines se sont tues et les huit cents ouvriers ont été congédiés. Igor espère qu’il y aura du monde demain. Il lit l’avenir dans le papier froissé…