mardi 31 mai 2016


Gros Mots


Les deux enfants marchaient devant moi dans une rue étroite de Villefranche- de- Rouergue.
C’était à celui qui dirait la plus énorme grossièreté. Quand je les ai dépassés, le plus petit venait de lancer un joyeux  « fils de pute! », ce n’était qu’un début. Mais en m’apercevant, le plus grand dit: « attention, y a un homme! » , «  Et alors, j’ai pas peur » répondit l’autre. «  Nan mais on a pas le droit de dire des gros mots. » Je les regardai en riant et les deux gamins s’engouffrèrent dans une ruelle déserte. Je continuais ma promenade, le coeur léger. À l’angle d’une autre ruelle je m’arrêtai pour photographier ce linge coloré qui séchait au dessus des fissures et des mousses. À l’instant où je déclenchais l’appareil, les deux gosses déboulèrent face à moi, tandis que raisonnait sur les vieux murs:  « Espèce de gros Gattaz! »…

lundi 30 mai 2016


Mystificateur


Trés jeune, j’étais déjà un mystificateur. Nous habitions de grands immeubles sous lesquels descendaient trois étages de caves. Un jour, j’avais une dizaine d’années, je conduisis un camarade plus jeune au troisième sous sol devant une porte ornée d’une tête de mort, un éclair et le mot danger en lettres noires. Une faible ampoule projetait nos ombres sur les murs  blancs de salpêtre. Il y avait dans l’air une odeur âcre. Le sol était couvert de fins graviers qui crissaient sous les pieds et les tuyaux qui couraient au plafond gargouillaient comme un ventre affamé.
Planté devant l’horrible porte, je regardai ma victime droit dans les yeux et lui dis: Je ne suis pas Pierre, je suis un extra terrestre glissé dans sa peau, je t’ai amené ici pour te dévorer, te disséquer, t’observer puis te dévorer… Le petit était terrorisé par cet énergumène en culotte courte qui roulait des yeux et levait les bras pour paraitre plus grand. Je ne cessais ce jeu idiot que lorsqu’il se mit à pleurer.
J’aurais pu devenir bourreau où serial killer, mais non, j’ai fait comédien…

dimanche 29 mai 2016


Miniatures éphémères
L'Eau et le Feu

 

                                                               Dangers et vertus...


samedi 28 mai 2016


Faits Divers


J’ai toujours lu les faits divers. Quand je voyage, chaque jour j’achète le journal local. J’y trouve des centaines de petites histoires peuplées de héros dérisoires. Parfois je découpe un article et le conserve précieusement comme un coquillage ou un caillou.
 C’est ainsi que j’ai appris la tragique histoire de l’homme qui voulait fabriquer le plus grand cerf-volant du monde. Il avait cousu une voile de plusieurs dizaines de mètres carré, dix fois la taille de cette voile de kite-surf. Une imposante foule était là pour admirer son oeuvre. C’est alors que le vent s’est levé et s’est engouffré sous la toile; un fil s’est enroulé autour de son pied et le cerf-volant est monté à une vitesse vertigineuse emportant l’homme aveuglé par ses rêves.
Quelques instants plus tard il s’écrasait au sol sous les yeux stupéfaits des spectateurs…

vendredi 27 mai 2016



À Nantes

 
Nantes le 26 mai.
Dans le ciel sombre un hélicoptère de la gendarmerie tourne au dessus de la ville paralysée.
Sur l’île aux machines un enfant danse devant une bête de fer et de bois.
Au même endroit en 1970 le grand père applaudissait devant le Johanna Van Der Merwe,  un sous marin construit pour l’Afrique du Sud aux chantiers Dubigeon, tandis que se brisait sur la coque grise une bouteille de Moët et Chandon.
Et le père court sur le pavé, les yeux irrités, un foulard sur le nez…


jeudi 26 mai 2016


À demeure



Sur le papier densité et légèreté. Un état dans lequel on voudrait rester, à demeure.
Laurence cultive son jardin, loin du tumulte. Et elle peint, herbes et fleurs, à la manière du poète japonais s’imprégnant de la lumière et de la matière pour en restituer dans le silence l’exacte sensation, et non le reflet. De ses herbes on perçoit le  bruissement, de ses fleurs, le parfum.

     ( Peinture Laurence Léger - acrylique et papier- expo jusqu’au 25 Juin galerie Matières d’art, 2 rue de Franche Comté 75003 Paris. http://lauleg6.wix.com/peintures )

mercredi 25 mai 2016


Où Dansent les Morts





Un hôtel, un silo,  une gare. Personne, les oiseaux se taisent.  Un lundi, midi au moi de mai. À Suippes, pas de carillon, un silence de plomb. Je me suis arrêté là sans doute à cause de mon attirance pour les fantômes et ces gris qui les réveillent.
Il y a d’abord tous ces morts de la grande guerre qui alourdissent la terre. Français, belges, russes, américains, allemands dont les esprits courent et tournent dans la grande plaine où les bombes  puis l’agriculture intensive ont détruit haies et forêts.
Il y a  les quatre caporaux de Souin, Théophile Maupas, Louis Lefoulon, Louis Girard et Lucien Lechat fusillés pour l’exemple le 17 mars 1915.
Il y a les disparus de Mourmelon. Ils étaient huit jeunes gens, on a retrouvé deux cadavres les autres se sont évaporés. L'adjudant Pierre Chanal fut accusé d’enlèvement, séquestration, viol et assassinat. Il s’est suicidé en prison, on n’en saura pas plus.
Et  tant d’autres anonymes qui glissent sur les flaques, s’échappent dans les nuées ou s’accrochent aux poteaux.
Et soudain je la vois là, garée au pied du silo, une Ford Mustang blanche à toit noir. Chantal est appuyée sur le capot et me regarde derrière ses grandes lunettes américaines roses en oeil de chat. Elle porte le même imperméable crème à grands boutons bleus qu’il y a quarante ans lorsque qu’elle m’avait pris en stop du coté d’Angoulème.  J’avais vingt ans, elle en avait cinquante. L’imper, le foulard de mousseline jaune, le chignon noir avec des anglaises qui encadrent son visage, c’est elle.
 La voiture avait brusquement freiné sur le bord de la route, la portière s’était ouverte violemment et une voix aigüe avait lancé: monte vite mon chou! j’étais monté dans ce cocon d’excentricité avec mes Pataugas, ma veste en velours, mon sac Lafuma, ma barbe et mes cheveux longs. Elle allait au Maroc et voulait m’emmener avec elle.
Elle m’avait raconté tant de choses, mais ce qui m’avait le plus marqué, c’est qu’elle voyait les morts et parlait avec eux…

mardi 24 mai 2016


À la Claire Fontaine


Sur le parking face au monument, le moteur d’un camion citerne blanc tourne au ralenti. Dans la cabine Jean  a le menton posé sur ses bras croisés sur le volant. Quand il circule sur la RD 977, il s’arrête toujours là entre Souain-Perthes-lès-Hurlus et Sommepy Tahure. On dit que les restes de son grand père repose ici, dans la crypte sous les trois soldats de bronze. On dit aussi dans sa famille que Jacques, le grand-père, est mort pas loin au pied d’un arbre en mai 1916. Il y avait encore des arbres en ce temps là. Il avait pris un éclats d’obus dans la poitrine. Il a rampé jusqu’au seul arbre encore entier, un chêne, il s’est adossé au tronc, a réajusté sa vareuse déchirée  et s’est recoiffé avec soin. Puis les deux mains posées sur sa blessure, il s’est mis à chanter avec le peu de souffle qu’il lui restait, À la Claire Fontaine. Il s’est éteint au dernier couplet. Le sang s’étalait en une grande tache sombre sur le bleu du tissu. C’est ce qu’on raconte dans sa famille.
Gilles, le père de Jean, n’a pas eu le temps de connaitre son propre père, mais il n’oubliera jamais que sa mère chantait À la Claire Fontaine quand le sommeil tardait à venir.
C’est ainsi que depuis ce jour dans sa famille on chante À la Claire Fontaine pour endormir les enfants.
Ce soir Jean sera de retour et chantera la chanson à sa petite Mathilde qui a des nuits difficiles…

lundi 23 mai 2016



 Sourire


                                             Quand t'es amoureux, la pluie, ça mouille pas...

dimanche 22 mai 2016


 Miniatures éphémères
Naufrage


 Hé oui, mon vieux, il va falloir démêler tout ça, ramasser les débris, faire le tri, recoller les morceaux et se remettre au boulot….

samedi 21 mai 2016


Nuit


                                        La lune est pleine et je veux partir dans le Wyoming…

vendredi 20 mai 2016


Ptéranodons


C'est un nid de ptéranodons. A l'aube petit Pierre y monte pour leur parler. C'est son oncle qui l'a construit, a posé les échelles et lui a appris comment approcher  les ptérosaures sans les effrayer...

jeudi 19 mai 2016



Loin du Tumulte


Loin du tumulte, je fais une pause sur une petite route des Baronnies, au dessus de Bagnères- de -Bigorre. Je pense à ma mère qui m’avait passé un savon lorsque à quinze ans j’étais rentré aphone de ma première manifestation. Je pense à mon oncle Pierre qui s’abstenait de parler politique, un peintre immense qui portait sur le monde un regard sans cesse émerveillé et bienveillant. C’est avec eux que j’ai fait mes première grandes marches en montagne. C’était en Ariège. Je devais avoir douze où treize ans. Nous nous désaltérions à la régalade aux goulot de gourdes de peaux emplie d’eau teintée de vin rouge. En cas de fatigue, nous avions droit à un sucre imbibé d’alcool de menthe Ricqlès et  au pique-nique c’était saucisse sèche et  Bethmale au lait cru.  Nous partions aux aurores et avions chacun notre bâton. J’étais chaussé de Pataugas de toile brune très vite trempées par la rosée. Nous montions au gouffre du Berger, un énorme trou au bord du sentier si profond que l’écho d’une pierre jetée s’y perdait ou aux prairies de Balaguères d’où s’ouvrait une vue sur de plus hauts sommets, ou encore à la carrière de marbre, une carrière désaffectée où juché sur des vestiges de machines rouillées je faisais résonner ma voix sur les parois de pierre verticales.
Je pense à ses marches légères tandis que m’assaillent comme les mouches en été autour des étables toutes ces images de violence qui envahissent les réseaux sociaux.
Je pense alors aussi à ce jour où sur le chemin de l’école j’avais trouvé un billet de cinq francs. Ma mère m’avait dit de le donner au policier qui faisait traverser les enfants devant l’école, celui qui l’avait perdu pourrait alors le récupérer; mais j’avais bien vu dans les yeux du policier et à sa façon de glisser le billet dans sa poche la belle aubaine. Je pense à ce jour où à dix huit ans dans un couloir de métro un flic m’avait plaqué contre le mur en m’insultant parce que je l’avais tutoyé alors que lui même m’avait tutoyé en m’arrêtant pour me demander mes papiers. Je pense à ce tabassage en règle par des membres du GUD simplement pour avoir élevé la voix contre leurs agissements.
Je ne suis qu’un petit homme, j’ai grandi ainsi sur les chemins, le nez au vent et les yeux grand ouverts. Je sais avec certitude dans quel monde je veux vivre. Je serais toujours du coté des indiens. Mais là, un petit sucre imbibé de Ricqlès ne me ferait pas de mal…

mercredi 18 mai 2016


Aube


 L’avancée des brumes sur les pentes réveille la mémoire. Ils vont à grandes enjambées, immenses et légers, ces fantômes qui m’ont donné le goût des aubes,  du parfum de la rosée et du chant des oiseaux…

mardi 17 mai 2016


Apesanteur

 
Quelques cordes de piano peintes, suspendues, c'est un geste, une danse. Le regard s'y pose sans aucune contrainte et se laisse joyeusement porter. L'air devient parfaitement transparent, on est en apesanteur et le souci se fond dans la couleur.



     Oeuvres de Colette Billaud. Cordes à piano, acrylique, et plexiglas. Elles n'ont pas encore de nom,  (calligraphiles, chemins des mouches, shibumiles...?).
Atelier portes ouvertes les 21 et 22 mai au 152 rue St Maur Paris 11ième

lundi 16 mai 2016

                                             
             
                                                                  Jack l'Éventreur
                                             
                                        

Ce matin Angèle est descendue au jardin. Elle a taillé le lierre, aligné les pierres, arraché les mauvaises herbes autour du groseillier à maquereaux et dégagé les fraisiers. Quand elle se penche trop, la tête lui tourne un peu, alors elle s’est assise sur le banc de bois juste là hors champ.
Elle pense à son homme. C’est lui qui ramenait les pierres quand ils partaient en promenade. Albert dit Jack l’Éventreur. Ils se sont connus sur un ring à la salle des fêtes de Forges les Eaux. Elle avait dansé avant le match de catch. Elles étaient cinq pom-pom girls, Martine, Joëlle,  Sophie, Jacqueline, et elle, cinq copines qui se marraient tout le temps et faisaient des ravages au village. Mini jupes rouges et blanches, nombril à l’air, petit haut moulant rouge, bottines blanches et pompons blancs, elle se  trémoussaient sous les hurlements  des hommes avinés.
Jack avait traversé la foule en rugissant, les bras levés. Il portait un slip de satin bordeaux, une cape bordeaux doublée de jaune, et un masque de latex bordeaux aussi. Angèle aimait tant ce rouge profond, la couleur des dahlias de sa grand mère et du porrò plein de son père.
Jack avait ôté son masque d’un geste solennel  et Angèle avait vacillé devant ses yeux verts et  son crâne parfaitement lisse et rond comme un galet poli par les eaux. L’adversaire, Randy Savage devenait soudain ridicule dans son slip mauve.
Ça c’était terminé à la buvette à parler fleurs et cailloux, puis sur la banquette arrière de la 404 d’Albert, également bordeaux.
Ils ont eu une chouette vie. Et puis un jour, la tête d’Albert qui avait pris un peu trop de coups a commencé à se débiner. Des pertes d’équilibre, de mémoire, des tremblements, jusqu’à ce qu’il n’arrive plus à empiler ses pierres, ni se souvenir d’où elles venaient.
Elle l’avait accompagné jusqu’à la fin. Dans ses derniers instants elle avait posé sa tête sur son large torse et l’avait longuement caressé en  égrenant les noms de ses adversaires les plus prestigieux: le Bourreau de Béthune, l’Ange Blanc, le Petit Prince, Zarak, Le Gitan, Karl von Hess, Kid Marcel, Scarface, Antonio Tejero, Jimmy Douglas, le Tatoué du Ring…Puis elle avait saisit son sexe inerte en murmurant:  « C'est moi… ».
Angèle est maintenant reposée, la tête ne lui tourne plus. Alors elle se lève du banc de bois usé, va cueillir une de ces grosses fleurs blanches et remonte à la maison boire son petit martini du dimanche…

dimanche 15 mai 2016


Miniatures éphémères
Fragilité d'un monde


Dans la transparence du jour, sur les plis des draps blancs, aux pieds de félins bienveillants, il se fait une certaine idée du monde. Précaire équilibre quand le vent se lève…

samedi 14 mai 2016


Caché


Je l’ai vu arriver de loin. Il s’arrêtait tous les dix mètres, s’asseyait sur le muret, intervertissait les cartons qu’il avait devant les yeux puis repartait. Il marchait doucement, poussant son caddie, le visage caché.
J’ai d’abord cru qu’il lisait en marchant, un plan, quelques mystérieux mantras, où  un de ces textes qu’on ne peut lâcher avant de l’avoir terminé.
Quand il s’est approché, j’ai vu qu’il se cachait , tout simplement, comme un enfant qui devient invisible la main devant les yeux.
Et il ne tirait pas son caddie mais le poussait devant lui, comme une protection supplémentaire.
Il avançait ainsi dans cette belle et douce matinée de mai, incapable d’affronter ce monde autrement…

vendredi 13 mai 2016


Graminées


La  Simca bleue s’était arrêtée en pleine campagne dans un chemin creux sur les hauteurs.
Ils avaient sauté de la voiture et sans prendre le temps de fermer les portières avaient dévalé la pente en riant. Elle portait une robe légère rouge à pois blancs qui lui arrivait juste en dessous des genoux, une robe qui tourne. Les cheveux noirs, un rouge à lèvres carmin qui contrastait avec la  blancheur de son visage, un rire puissant, elle était une reine au milieu de la prairie fleurie. Lui était vêtu d’un jean délavé à pattes d’éléphant, aussi moulant que sa chemise de satin vert pomme à grand col en pointe. C’était un espagnol élancé, le visage encadré de longues boucles brunes et de favoris épais. Ils couraient, elle riait tandis qu’il lui lançait de sa voix de stentor  tous les noms de fleurs et de constellations qu’il connaissait.
 En bas de la colline, ils se jetèrent dans l’herbe, et roulèrent enlacés écrasant fleurs et  graminées.
Soudain le bel espagnol fut saisi d'incessantes salves d’éternuements, ses yeux rougirent et  s’emplirent de larmes tandis qu’il lui semblait être assailli de milliers de microscopiques insectes urticant qui ne lui laisseraient aucun répit.
 Il lâcha sa belle désappointée et leur histoire en resta là…

jeudi 12 mai 2016


La Course


Il est tout émotionné le petit homme vouté qui passe sur le sentier. Demain il reviendra ici avec la médaille. Une médaille de métal doré avec trois coureurs gravés, trois coureurs côte à côte devant la haute cheminée de l’usine. Il la garde dans une grossière boite de bois, avec le ruban bleu blanc rouge que le maire lui avait passé autour du cou. C’était le marathon de Mazères. L’usine Rizla marchait encore plein pot. Il y avait du monde. Il portait le dossard n°17 et participait à la course des minimes, cinq kilomètres. Il avait gagné malgré ses petites jambes, un long torse et de petites jambes qui faisaient la risée de ses camarades; personne n’aurait misé sur lui et pourtant c’était bien lui le vainqueur. Il avait plu juste avant le départ, il se souvient de l’odeur de la route après la pluie, des guirlandes de fanions jaunes et rouges tendus entre les maisons, des crécelles que les plus petits agitaient le long du parcours, et des encouragements des mères toutes plus fières les unes que les autres de leurs rejetons.  Il savait que l’usine allait fermer. On tentait bien d’épargner les plus jeunes mais comment ne pas voir l’inquiétude et l’agitation des hommes depuis les premiers licenciements. Il avait dit à son père: « si je gagne la course, l’usine ne fermera pas ». Et il avait lancé toutes ses forces dans la bataille, une énergie folle, pour sauver un village, il était comme ça. Il avait gagné. Son père avait pleuré, il l’avait vu.
L’usine avait tenu quelques mois de plus, mais  elle avait tout de même fini par fermer.
Lui avait cessé de courir.
Mais toute sa vie, il n’eut de cesse de se lancer dans des gestes fous pour des causes perdues…

mercredi 11 mai 2016


À la Boulangerie


 C’est un beau gars le boulanger. Solange ne peut détacher ses yeux de ses grandes mains qui lui tendent la baguette chaude. Puis elle regarde l’arrière boutique sombre, et le tableau où est écrit son nom. Elle pense à la merveilleuse nouvelle de Michel Tournier, Pierrot où les secrets de la nuit et se dit que Colombine aurait pu s’appeler Solange, ça aurait bien été comme nom.
Alors elle dit timidement au boulanger: « Vous savez,  je m’appelle Solange… »

mardi 10 mai 2016



Ciel et Souci


                                            Un ciel parfois peut enlever les rides au front…

lundi 9 mai 2016


 Grand Large



Il pleuvait quand il est rentré au port après soixante six jours de mer. La terre était chaude, les troènes en fleur et leur parfum entêtant. C’était le neuf mai. Son fils était né le quatre. Si peu de jours avant son retour. A peine débarqué, il avait couru jusqu’à la maison et étreint  sa femme avec son habituelle rudesse. Puis il avait pris le bébé dans ses bras, ouvert grand la fenêtre et tenant le petit bout d’homme vers le grand large, il avait dit: « regarde... »

dimanche 8 mai 2016


Miniatures éphémères
Rivages

 
                                                               Au milieux des éboulis
                                                                    Infinie patience



                                                             Dans les pas des géants

samedi 7 mai 2016



Métamorphoses

 

J’avais quinze ans. Je marchais  sac au dos par une nuit sans lune sur une petite route de montagne bordée d’arbres. C’était mon premier voyage solitaire, mes premières nuits à la belle étoile à calmer mes peurs auprès des chiens errants.
Il devait être deux heures du matin, une nuit chaude de Juin. J’avais roulé une bonne partie de la journée, pris en stop par un couple de vacanciers, puis un épicier dans sa camionnette Citroën grise, et enfin quatre militaires en permission qui m’avait laissé à Saint Girons à une heure du matin. Ma destination  était une maison à quinze kilomètre de là, sur les contreforts des montagnes. J’avais décidé de continuer à pied malgré la fatigue.
Ce fut une montée hallucinante. Le long de la route, dans le noir, les arbres étaient vivants. Ils tendaient leurs bras vers moi et murmuraient de sombres histoires. Je marchais au milieu de la chaussée, hors de portée de ces créatures. j’avançais rapidement, le coeur battant. Mais il y avait mêlée à la peur une délicieuse excitation, le bonheur intense de l’inconnu.
Arrivé dans cette grande maison vide, dont je savais où était cachée la clé, j’allais me calfeutrer tout en haut dans une petite chambre.
Je ris encore de ces frayeurs enfantines. Les arbres sont maintenant mes amis. Leurs métamorphoses, souvent féminines, maintenant me ravissent.
Ma seule crainte serait qu’ils disparaissent...



jeudi 5 mai 2016


La Beauté des Pièges


Mon dieu qu’elle était belle! Une robe d’un vert profond en rayonne souple et moulante, un décolleté vertigineux, des chaussures rouges à talons hauts, une épaisse natte noire qui glisse le long de la cambrure du dos, le visage sans fard, le front haut, deux petites rides verticales entre les sourcils, l’oeil sombre et déterminé, les lèvres entrouvertes en un léger sourire, et un collier de perles dont les reflets nacrés effleuraient la peau veloutée à la naissance des seins et captaient le regard. D’un subtil déhanchement, elle s’appuyait sur un poteau de bois blanc, un poteau planté là sur le bord du chemin, un poteau, sans fil, sans panneau, un poteau solitaire qui n’aurait été là que pour elle. D’un geste sensuel et à peine perceptible, elle caressait de temps en temps de ses longs doigts le bois veiné.
Je fus saisi instantanément, pétrifié en mon extrémité, aveuglé par l’éclat du collier et la perfection des courbes. Je me voyais  déjà rouler  les perles du bout des doigts sur le sein généreux, puis m’aventurer plus bas vers une perle de chair.
Je fus saisi définitivement. Elle ne m’a plus lâché. Elle me retient exsangue au fond de son antre. Quand à bout de force, je ne puis la satisfaire, elle m’abandonne pour d’autres proies, puis revient me prendre quand le sang est revenu.
Je ne sais combien de temps je pourrais tenir dans cette délicieuse agonie…

mercredi 4 mai 2016


Menace


Les oiseaux se sont tus. Le vent se lève, la mer frémit, la terre gronde. L’air est électrique.
Sarah court sur le sable fin. Ses pieds s’enfoncent, elle s’arrache, pressent la fureur à venir.
La mer ne tardera pas à devenir une bouche écumante. Elle a laissé sa canne et ses prises du jour au creux des rochers. Il y a tellement plus important que le manger. Il faut courir, rejoindre la cabane, emmener les enfants, et grimper sur la montagne…

mardi 3 mai 2016


Marcher


                                                            Dans la marche, le repos...

lundi 2 mai 2016


La Fontaine


Il boit, les mains en coupelle, à la fontaine Alfred De Vigny. L'eau est fraîche, elle éclabousse son sac, un vieux Lafuma en toile, posé sur le pavé. Il ferme les yeux quelques secondes. Sentir l'eau dans la gorge, le long de l'oesophage, détendre les muscles durcis par la marche, remuer les orteils dans les godillots de cuir craquelé,  et ouvrir un peu plus, trois boutons, la chemise collée au dos par la sueur. Il se redresse, passe sa main humide sur sa nuque et sur son front et, les yeux plissés, regardent les montagnes au loin. La neige descend bien bas pour la saison, la traversée sera difficile. Dès les premiers coteaux, il se taillera un bâton.
Il se penche pour boire à nouveau. Le nom du poète gravé dans la pierre blonde lui rappelle l’école. Il en a retenu peu de choses, mais il se souvient de ce poème, Le Cor:  « J’aime le son du cor, le soir, au fond des bois… » Tout en buvant, il cherche dans ses souvenirs. Il y avait une biche aux abois, des troupeaux épars sur les hauteurs et Roland  expirant à Roncevaux. Il y  avait aussi l’empereur Charlemagne inquiet pour son neveu. Soudain, il se sent observé. Il se relève et voit cet homme en bleu un peu plus loin adossé à la balustrade de pierre. L’homme le regarde fixement. Ce regard, ces sourcils noirs, épais, on dirait…
 Il reconnait alors Simon. Ils étaient les meilleurs amis du monde. Ils étaient côte à côte dans la classe et à huit ans faisaient des cadavres exquis et pouffaient sous le pupitre. À l’approche des grandes vacances, quand la récréation durait toute la journée, il restaient des heures dans le bac à sable, jouant avec leurs petits soldats, tandis que tout autour les autres garçons couraient dans la cour en hurlant. Après l’école, ils ne se quittaient pas et allaient goûter chez l’un ou chez l’autre en se racontant les voyages qu’ils feraient quand ils seraient grands.
Et puis un jour Simon n’est plus venu à l’école. Il lui avait laissé ce mot énigmatique: «  On ne peut plus rester ici. Mais  on se reverra, je le sais, c’est comme ça. J’aurais surement beaucoup de chose à te raconter. Ne t’inquiète pas. Ton ami, Simon. »
Ce n’est que bien plus tard qu’il comprit que Simon et sa famille avait du fuir.
Longtemps il était resté sans amis, jouant seul avec ses petites figurines, écrivant des histoires inachevées. Et puis il avait fini par oublier Simon
Et là, Boulevard des Pyrénées à Pau, il lui semblait soudain que le cor retentissait dans toute la ville, jusqu'aux montagnes là bas. Simon était là, en chair et en os, à deux pas de la fontaine….

dimanche 1 mai 2016


Miniatures éphémères
Aux confins



Led Zep.  Stearway to Heaven 
                                                         Le sable a cessé de couler
                                                Aux confins ils attendent l'un contre l'autre
                                             Que ce soit l’épée, les barbelés où les huissiers
                                                  La maladie, les saloperies où les bandits
                                                        Rien, jamais, ne les a séparés…





                                                     Mis au rebut dès son plus jeune âge
                                Il a appris à marcher seul, à parler aux pierres et aux oiseaux
                                                          Aux confins, aucune crainte
                                                Il en sera la vigie, et consolera les effrayés…