lundi 2 mai 2016


La Fontaine


Il boit, les mains en coupelle, à la fontaine Alfred De Vigny. L'eau est fraîche, elle éclabousse son sac, un vieux Lafuma en toile, posé sur le pavé. Il ferme les yeux quelques secondes. Sentir l'eau dans la gorge, le long de l'oesophage, détendre les muscles durcis par la marche, remuer les orteils dans les godillots de cuir craquelé,  et ouvrir un peu plus, trois boutons, la chemise collée au dos par la sueur. Il se redresse, passe sa main humide sur sa nuque et sur son front et, les yeux plissés, regardent les montagnes au loin. La neige descend bien bas pour la saison, la traversée sera difficile. Dès les premiers coteaux, il se taillera un bâton.
Il se penche pour boire à nouveau. Le nom du poète gravé dans la pierre blonde lui rappelle l’école. Il en a retenu peu de choses, mais il se souvient de ce poème, Le Cor:  « J’aime le son du cor, le soir, au fond des bois… » Tout en buvant, il cherche dans ses souvenirs. Il y avait une biche aux abois, des troupeaux épars sur les hauteurs et Roland  expirant à Roncevaux. Il y  avait aussi l’empereur Charlemagne inquiet pour son neveu. Soudain, il se sent observé. Il se relève et voit cet homme en bleu un peu plus loin adossé à la balustrade de pierre. L’homme le regarde fixement. Ce regard, ces sourcils noirs, épais, on dirait…
 Il reconnait alors Simon. Ils étaient les meilleurs amis du monde. Ils étaient côte à côte dans la classe et à huit ans faisaient des cadavres exquis et pouffaient sous le pupitre. À l’approche des grandes vacances, quand la récréation durait toute la journée, il restaient des heures dans le bac à sable, jouant avec leurs petits soldats, tandis que tout autour les autres garçons couraient dans la cour en hurlant. Après l’école, ils ne se quittaient pas et allaient goûter chez l’un ou chez l’autre en se racontant les voyages qu’ils feraient quand ils seraient grands.
Et puis un jour Simon n’est plus venu à l’école. Il lui avait laissé ce mot énigmatique: «  On ne peut plus rester ici. Mais  on se reverra, je le sais, c’est comme ça. J’aurais surement beaucoup de chose à te raconter. Ne t’inquiète pas. Ton ami, Simon. »
Ce n’est que bien plus tard qu’il comprit que Simon et sa famille avait du fuir.
Longtemps il était resté sans amis, jouant seul avec ses petites figurines, écrivant des histoires inachevées. Et puis il avait fini par oublier Simon
Et là, Boulevard des Pyrénées à Pau, il lui semblait soudain que le cor retentissait dans toute la ville, jusqu'aux montagnes là bas. Simon était là, en chair et en os, à deux pas de la fontaine….

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