jeudi 30 juin 2016


Départ


Clément a mis son costume du dimanche, veste et pantalon de grosse toile noire, chemise de lin blanc, épaisses chaussettes de laine et galoches. Son sac était  prêt depuis hier soir. Il y a juste rajouté ce qu’il restait de pain et de fromage, enveloppé dans un torchon. Il est parti à l’aube, sans un bruit. Il est monté jusqu’à l’arbre, vite; il a vingt cinq ans et des jambes de coureur des bois.
Là-haut il a longtemps regardé sa maison au creux du vallon. Il a sorti son couteau et s’apprêtait à graver la date sur l’écorce, le 29 mai 1884. Mais au moment de piquer le tronc, il a trouvé cela ridicule, alors il a relevé son couteau et a fait quelques gestes dans le vide devant lui, comme s’il voulait découper de petits bouts de paysage pour les emporter avec lui en plus de l’entêtant parfum de la terre mouillée.
Puis il est parti en sifflotant  sur la route d’Albi. Albi, Montauban, Agen, Marmande et enfin Bordeaux. Et là, il s’embarquera pour l’Argentine, comme tant d’autres du pays d’Olt, et il ne reviendra pas, il en est sûr…

mercredi 29 juin 2016


Un Jardin de Roses


Son jardin déborde sur la rue. Il n’y a pas de clôture. Il n’y a jamais eu de clôture.
Chaque matin Martine ouvre grand la fenêtre, regarde le ciel, puis ses roses. Et avant de prendre son petit déjeuner, elle sort à petits pas saluer son jardin. Elle marche tout doucement. Il faut être prudente sur les trois marches qui descendent sur la rue, il n’y a pas de rampe, juste des rosiers de part et d’autre. Martine à les rides d’une femme qui a beaucoup ri et bien vécu.
Armée de son sécateur et de son petit râteau elle taille, elle nettoie, elle prend son temps. Ses gestes sont lents, précis. Parfois elle colle son nez à la rose et ne bouge plus. Elle ferme les yeux, son visage se détend. Le parfum pénètre profondément, charriant avec lui des bribes de souvenirs.
Ses roses préférées sont la rose Téquila et la Cuisse de Nymphe Émue…

mardi 28 juin 2016


Dehors


Il ne sait plus depuis combien de temps il vit dehors, trébuchant sur le pavé. Il vient de s’endormir, vautré sur la pierre, en pensant à la maison de son enfance…

lundi 27 juin 2016


Mousses et Lichens


Les mousses et lichens sur l’écorce des arbres permettent au marcheur de s’orienter. Mais à les regarder de très près on s’y égare avec joie…

dimanche 26 juin 2016

Miniatures éphémères
Petits Métiers
Le Lustreur


 
Le Lustreur. Sa tâche est de lustrer les ailes des papillons après la pluie (ici un Adela Australis). ce métier requiert diverses compétences: savoir grimper aux tiges, garder l’équilibre en prenant soin de ne pas endommager les pistils, douceur et dextérité pour manier chiffons et pinceaux, ne pas craindre de s’accrocher aux plumes des oiseaux où à la laine des moutons pour se déplacer, et prendre garde aux vents violents et à la langue des brebis…


Ici, un Échiquier Ibérique qui prend son envol après lustrage. Il est particulèrement apprecié des lustreurs qui parfois s'autorisent avant le travail une partie de dames avec des graines de lin rouge et la complicité du nymphalidé.

samedi 25 juin 2016


Manèges  

 
 Quand Ghislain a acquis son premier manège, il était fier. C’était il y a trente ans. Son manège était le plus petit des fêtes foraines mais c’était son manège, alors il se plantait sur le rebord du plateau et il haranguait les passants avec une voix puissante. C’est la voiture bleue que les gamins préféraient. Ghislain imitait les commentateurs des 24h du Mans tandis que sa femme actionnait le pompon. Franky, son fils, lui aussi préférait la voiture bleue.
Aujourd’hui Ghislain est fatigué.  Il possède aussi un stand de tir, ça ça marche bien. Le petit manège ne fait plus rêver les enfants.
Franky a dix huit ans, c’est lui qui actionne le manège. Personne ne vient. Il s’en fout. Ça ne lui viendrait pas à l’idée de monter sur la plateforme et gueuler comme le faisait son père. Il passe ses journées a échanger des vidéos avec son pote Kevin à Rodez.
Le manège est à vendre, 5000,00 €.


Henri a travaillé des années comme serveur au Grand Café, place de la cité à Rodez.  En vingt ans il n’a pris de vacances qu’une seule fois. Dix jours pour aller écouter Johnny à Végas avec Michelle.
 Il y'a un vinyl avec un autographe derrière le bar. Son bar. Vingt ans d’économies. Avec Michelle ils ont bossé dur pour la déco. Ses potes disent que chez lui il suffit d’un verre pour un tour de manège.
Chaque fois qu’Henri trouve un nouvel objet pour son bistrot, il le montre à Kévin, son fils. Mais Kévin s’en fout. Il ne pense qu’à se tirer de ce coin paumé. En attendant il passe ses journées à échanger des vidéos avec son pote Franky qui est parti à Bagnères-de-Bigorre.

vendredi 24 juin 2016


Lassitude


Derrière les volets entrouverts Lucien est étendu les bras en croix sur son vieux lit en bois. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, corpulent, à la barbe dure. Il fait chaud; la sueur lui colle le dos au drap et tache le maillot de corps sur la poitrine. L’ongle du pouce de son pied droit est noir. Une maladresse et une bûche qui lui écrase le pied. Il est de plus en plus maladroit et étourdi ces derniers temps. Le dernier orage de grêle a sans doute criblé ses fruitiers, il n’a même pas été voir les dégâts.
Cet après midi, c’est la fête de la brebis à Réquista. Il faut faire un effort, se lever, mettre un vêtement propre et aller où il y'a du monde.
Les orages, la loi travail, les anglais, Daesh, la radio grésille, il n’écoute plus, c’est comme la poussière qui s’accumule depuis trop longtemps.
Il est si las. Il faut bouger.
Il faudrait juste une femme dans cette grande maison. Une femme, et pourquoi pas des enfants. Ouvrir les volets et laisser entrer la lumière.  Des pas dans l’escalier, l’eau qui coule et une voix douce.
Il faut bouger. À 20h il y a diner dansant à Réquista. Il ne mangera pas grand chose, comme chaque fois. Il regardera, il attendra. Osera-t-il?
Il faut bouger.
Il lui semble peser trois tonnes. Il regarde son pied, l’ongle noir. Allez mon vieux…
C’est à ce moment là qu’arrive Batman, son vieux bâtard noir avec des taches blanches autour des yeux et sur la poitrine. Batman se dresse, pose ses pattes de devant sur les montants du lit et se met à lécher le pied de Lucien en  gémissant.
Oui, oui, mon Batman, j’y vais…

jeudi 23 juin 2016


Papillons et Libellules



Henri est négociant en armes et articles de « protection ». Les produits du moment sont le Tonfa et la matraque télescopique. Les affaires marchent bien. Il vient de s’octroyer quelques jours de vacances sur les bords du Tarn. Dans sa grande bâtisse de pierre rouge luxueusement rénovée, Henri lit des romans d’espionnage et dès qu’il fait soleil  il se promène dans le parc. Il passe beaucoup de temps à regarder les oiseaux et les insectes. Ça le calme.
Depuis un petit moment il est immobile devant cette minuscule libellule aux yeux bleus.
Son jardinier, dont il ne retient jamais le prénom, vient de lui dire en passant: Chaque fois qu’un homme tombe nait un papillon où une libellule.
Henri est perplexe: Doit-il congédier son jardinier où le féliciter?

mercredi 22 juin 2016


Courbe  


Courbe*. Synonymes: courbure, arc, boucle, feston, spirale, arabesque, volute, ellipse, rond, cercle, ovale, cambrure, galbe, serpentin, virage, méandre, sinuosité, coude… Contraires: droite, un seul mot.
Je préfère définitivement la courbe à la droite.

*Source: Petit Robert

mardi 21 juin 2016



Les Portes


Je cours sur le sentier. Quand je passe devant de vieilles maisons de pierre, je suis saisi par le noir intense de ces ouvertures dans les portes closes. Je pense aux  reclus dont la peau a pâli derrière les murs, je pense aux enfants des placards, je pense aux femmes cloitrées, aux prisonniers entassés dans leurs geôles, je pense aux otages encagoulés pieds et mains liés. Ce noir, c’est aussi un silence assourdissant, une parole retournée vers le dedans, inaudible. Une langue qui s’assèche, des yeux qui se voilent et un corps qui se tasse…


lundi 20 juin 2016


Églises

 

Je viens de passer quelques jours sur les berges du Tarn. Albi, Ambialet, une cathédrale, sans doute l’une des plus belles, une église, une chapelle, celle du prieuré d’Ambialet, remarquable d’austérité. Je suis farouchement anticlérical, même si je crois en quelque chose que je ne pourrais jamais nommer. Une force, un lien…  Si les religions nous ont donné des guerres à tout va, elles nous ont aussi offert de merveilleux lieux de méditation.
J’habite près d’une église. Quand nous accompagnions nos enfants à l’école, nous passions devant. Un jour Mathilde, quatre ans, demande à sa mère, définitivement athée:  Ils font quoi là, les gens? Sa mère lui répond, après un instant d’hésitation: Ils viennent là pour réfléchir.
Quelques jours plus tard je reviens de l’école avec Mathilde et devant l’église elle me dit: Tu viens papa, on va réfléchir.
Si seulement…


dimanche 19 juin 2016


Miniatures éphémères
Le Rêve De L'Entomologiste


C’était un petit Capricorne. Ils se sont salués avec élégance et s’apprêtaient à échanger quelques mots, quand sa femme s’est penchée sur la fleur pour la cueillir et l’effeuiller. Il s’est réveillé à l’instant où les doigts immenses saisissaient la tige…

samedi 18 juin 2016


La Sardine du Salat



Les musiciens se sont tus, les derniers spectateurs sont partis, dans ma caravane je fais le compte des visages du jour. Aujourd’hui, à Mazères sur Salat a été dévoilée pour la première fois, après d’autres lectures et fantaisies, la légende de la Sardine du Salat. Je peux donc maintenant la publier afin qu’elle se propage.

La sardine du Salat n’est pas aussi grosse que celle qui boucha le port de Marseille, non.
mais elle existe, elle.
Elle se cache sous les herbes d’eau, dans les anfractuosités, se faufile entre les galets et ignore l’appât du pêcheur à la mouche. C’est qu’elle pense la sardine du Salat; pas comme la truite qui n’est bonne qu’à frétiller sur un air de Schubert. Elle réfléchit, elle ruse la sardine du Salat.
Darwin disait: c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Face à l’adversité, confrontée aux mille et une épreuves d’un long, très long voyage elle a développé une intelligence hors du commun.
On parle de l’intelligence des dauphins, des lamentins où des baleines mais que sait-on de celle de la sardine du Salat. Elle battrait aux échecs ces patauds aquatiques.
L’oeil vif, elle ne mesure pas plus de dix centimètres. Au repos ses écailles, en forme de losange, sont bleutées sur le dos, jaunes sur le ventre, mais comme le caméléon, elle a la particularité de changer de couleur comme de chemise. Sur l’ardoise elle sera noire, entre les algues elle sera verte, mettez la dans un bocal, placez le bocal devant la télévision, vous pourrez alors suivre le match sur son corps.
La sardine du Salat est musicienne, oh elle ne chante pas, elle n’a que faire de charmer les aventuriers, muette, et sage comme une carpe;  elle s’est essayée à la guitare, la nageoire en médiator, et a cessé quand elle s’est coincée dans les cordes. Pour les vents, c’est une autre histoire, c’est qu’il faut du… vent, et bien que notre sardine ne manque pas d’air, ce n’est tout de même qu’un poisson.  Elle joue du Lithophone, oui, c’est à dire qu’elle tape sur des galets. A la forme et la nature des pierres, instantanément elle sait quelles notes en sortiront, alors elle frappe avec sa queue. C’est ainsi qu’elle communique avec ses congénères.
Sa présence dans le Salat remonte à la renaissance. Une peinture à l’huile de l’illustre peintre Sandro Boticelli en fait état. Il ne s’agit pas de la fameuse Vénus qui repose dans une vulgaire coquille saint Jacques, mais d’un tableau absolument méconnu, peint lors d’un séjour du peintre à Saint Girons, où l’on y voit  une Vénus bien gironde chevauchant une sardine rouge de confusion.
En effet, si le paysage aquatique modifie la sardine, il en est de même de ses émotions. Le mélange paysage émotion crée d’extraordinaires palettes. Ainsi une sardine du Salat ému par un nénuphar prendra-t-elle de délicates teintes mauves. La sardine  à l’huile de Boticelli était donc d’un beau  rouge marbré de blanc et c’était bien une sardine du Salat, et non un misérable  poisson rouge, la forme en losange de ses écailles en faisant foi.
Mais d’où vient elle? Certains disent qu’une sardine de l’atlantique amoureuse folle d’un saumon téméraire l’aurait suivi jusqu’au sources du Salat. Mais une fois à destination le saumon indélicat l’aurait délaissée pour une saumonne à la bouche en coeur. La sardine éplorée n’aurait alors jamais regagné l’océan. Je ne crois guère à cette hypothèse car on sait bien que les chagrins d’amour dessèchent et le poisson séché n’est bon que dans l’assiette.
D’autres parlent d’une grosse sardine des Sargasses totalement stérile; L’animal en manque de maternité aurait alors suivi une bande de civelles - les civelles sont les petits des anguilles ( Vous savez sans doute que l’anguille est thalassotoque et catadrome… oui c’est à dire qu’elle se reproduit en mer , rejoint les cours d’eau où elle grandit gentiment puis regagne la mer), les civelles, que l’on nomme aussi pibale où montinette en Picardie( c’est d’ailleurs absolument délicieux, poêlée avec un doigt de vinaigre ) naissent  donc dans la mer des Sargasses puis portées par les courants rejoignent les côtes européennes et remontent les rivières - La sardine aurait donc suivi ces petits d’anguille jusqu’aux côtes françaises puis, passant à Bordeaux, remonté la Garonne tandis que croissaient les civelles. Les tenants de cette légende disent même qu’une crue aurait vidée les caves d’un grand cru du pays et que les mutations de la sardine serait due au rouge divin.
Cette hypothèse est tout aussi fantaisiste car comment une sardine stérile eut survécu jusqu’à nos jours. Quand aux mutations dues au rouge échappé des tonneaux, tout le monde sait que si l’alcool peut faciliter les rencontres, il affaiblit fortement les capacités reproductrices.
D’autres encore racontent que dans les larmes de la princesse Carmela de Bazano  il y avait une poussière qui devint sardine - Carméla de Bazano suite à un chagrin d’amour avait fui l’Espagne,
son pays, franchi les montagnes par le port de Salau et s’était écroulée épuisée et désespérée sur le versant français; neuf larmes coulèrent sur ses joues pâles, et une fée lui murmura:  « Tes  pleurs seront les sources d’une rivières où se baigneront les muscles de fer ». Ainsi, dit-on, naquit le Salat emportant dans ses eaux la poussière devenue sardine. Mais bon, je crois aux histoires d’amour, mais pas trop aux contes de fées.
La véritable histoire, la voici. C’était au moyen âge; le petit Childeric vivait en pays Basque. C’était un être d’une extrême sensibilité incapable de porter l’épée. Il adorait les animaux. Ses parents devaient se cacher lorsqu’ils préparait du gibier, Childeric ne supportait pas la vue du sang, et d’ailleurs ne mangeait jamais de viande. Bon, de toute façon c’était  très rare qu’il y ait de la viande à la maison car son père était pécheur et piètre chasseur. Mais Childeric ne supportait pas non plus de voir périr les poissons. Il se cachait pour pleurer. Il devint vite la risée du village et de ses  huit frères et surtout la honte de son père. Un jour, revenant de mer, son père avait violemment insisté pour qu’il l’aide à décharger le poisson. Childeric était au bord de la nausée. C’est à ce moment qu’il aperçut deux malheureuses sardines se débattant dans une flaque au fond de la barque. Il prit alors une décision qui allait bouleverser sa vie. Il poussa son père à la baye ( C’est bien là le seul geste de violence qu’il n’eut jamais eu), s’empara de son porro dont il remplaça le vin par de l’eau, y mit le couple de sardines, et partit vers la montagne sans se retourner. Il marcha des jours et des jours. Le soir, avant de s’endormir dans les creux des fossés, il sortait les sardines du porro et les  caressait en leur parlant, pas trop longtemps bien sur; il se nourrissait de plantes, herbes, racines et fruits qu’il partageait avec ses compagnons aquatique et mutiques. C’est au fil de ces tendres échanges et de cette nouvelle alimentation que les sardines mutèrent.
Comme disait Darwin, les voyages forment la jeunesse… Bref leurs écailles s’aiguisèrent et leur conversation s’enrichit, elles apprirent ainsi à frapper le verre de la carafe à la manière du morse  pour répondre à leur compagnon. Et enfin elles prirent goût à l’eau douce.
Childeric gravit des montagnes, franchit les crêtes, fit une pause à Bedous, s’égara dans les Baronnies, monta encore, redescendit . Le premier Avril de l’an 1216 il s’arrêta sur les berges du Salat pour se désaltérer. Quand il se pencha au dessus de l’eau, il aperçut entre les galets une pépite d’or. C’était un  signe. Il sut, alors lui Childeric le vilain petit canard d’une fratrie de huit, qu’il pouvait s’arrêter et se retourner. Il était maintenant suffisamment loin et en sécurité. Et c’est là qu’il devait redonner leur liberté à ses deux amies . Childeric relâcha les sardines dans le courant, non sans un dernier mot d’adieux. Au moment ou il vidait le porro, il aperçut plus loin sur la berge une magnifique jeune fille à la longue chevelure rousse qui peignait ses cheveux mouillés. Il la rejoint et lui raconta son histoire. La jeune femme  s’appelait Magnolia. A force de parler aux sardines, il savait très bien raconter des histoires. Ils se plurent immédiatement, se marièrent et ouvrirent une auberge où on y mangeait végétarien, buvait du bon vin et racontait des histoires.
Les sardines elles se plurent tant à Mazères qu’elles y restèrent, eurent beaucoup, beaucoup
d’enfants…

Nb: À l’auberge de Childeric et Magnolia, chaque premier avril on fêtait la sardine. Et comme bien entendu, il n’était pas question d’y manger du poisson, Magnolia confectionnait des sardines de papier que les convives avaient coutume de s’accrocher dans le dos….



vendredi 17 juin 2016


Encre de Chine


Cinq heures trente. J’ouvre la porte de ma cabane. À l’autre bout du monde un peintre penché sur sa table éclaircit du bout du doigt le dessin commencé la veille…

jeudi 16 juin 2016


E La Nave Va


 Un Rhinocéros enjambe le canal de panama. Un paquebot des messageries maritimes glisse sur l’eau. Sur le pont une femme retient son chapeau tandis que là haut accroché à la corne de l'animal un enfant lui fait un signe. Quand il sera grand il partira lui aussi pour l’Amérique du Sud. « E la nave va »…


mercredi 15 juin 2016

Une Petite Conversation


Ce n’est qu’un modeste chevreuil. Mais chaque fois que j’aperçois un animal sauvage, je suis comme un enfant, tout excité par cette rencontre.
C’était il y a une semaine, sur les hauteurs de Coupiac. Nous sommes restés longtemps face à face, le temps d’une petite conversation. Il n’a pas eu peur. Immédiatement il a vu que je n’étais pas chasseur. Il s’est approché, lentement, sans me quitter des yeux. Quand il fut à trois mètres de moi, il me demanda des nouvelles des hommes. Je fus d’abord surpris de son intérêt pour la race humaine, mais après tout, moi  aussi je m’intéressais bien à toutes sortes d’animaux.
Je répondis que les hommes marchaient sur la tête, se battaient comme des brutes et fermaient leurs portes. Je lui dis que je me sentais démuni, alors je marchais, regardais le ciel, les herbes et les pierres. Je lui dit que parfois je sentais monter en moi la violence, mais il l’avait bien vu je n’étais pas chasseur. Alors je me contentais d’aimer et de raconter des histoires, des histoires d’amour surtout, et de m’efforcer à ne jamais fermer ma porte.
C’est alors qu’un papillon s’est joint à nous, un Argus Bleu Céleste. Il nous confia que face à la brièveté de son passage sur terre, il n’allait pas en plus passer du temps à se bagarrer, si ce n’est en jouant. Et il alla chatouiller le nez du chevreuil. Le chevreuil résista un instant, puis éternua, chassant le papillon qui vint sur mon nez. À toi dit-il, tiendras-tu aussi longtemps que le chevreuil?
À peine quelques secondes et j’éternuais bruyamment à mon tour. Le chevreuil dit alors: hé bien Edward Lorenz avait raison, le battement d’aile d’un papillon peut déclencher une tornade! Je répliquait que la citation exacte était: « le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas? »
Le papillon, qui en savait bien plus qu’il n’en avait l’air, repris: oui, mais on ne cite jamais la suite de son discours: « Je mettrais cette question en perspective en avançant les deux propositions suivantes:  1- Si un seul battement d'ailes d'un papillon peut avoir pour effet le déclenchement d'une tornade, alors, il en va ainsi également de tous les battements précédents et subséquents de ses ailes, comme de ceux de millions d'autres papillons, pour ne pas mentionner les activités d'innombrables créatures plus puissantes, en particulier de notre propre espèce ;
2- Si le battement d'ailes d'un papillon peut déclencher une tornade, il peut aussi l’empêcher… »
Nous fûmes brusquement interrompus par une violente averse. Mes deux compagnons filèrent se mettre à l’abri dans les fourrés, me laissant seul, le front dégoulinant, en proie à de grandes questions…


mardi 14 juin 2016


Vers le jour

 
C’est une petite fille courant derrière son cerceau, minuscule silhouette là haut, qui me mène vers le jour. C’est elle aussi qui court après son ballon  dans le tableau de Vallotton…

         
                                                                                (Félix Vallotton,  Le Ballon)

lundi 13 juin 2016


Portraits


Félicie a écarté d’un doigt le rideau blanc de la lucarne, et a longtemps observé l’homme qui photographiait sa maison. Dès qu’elle s’est sentie repérée, elle s’est reculée dans l’ombre avec un petit rire malicieux. Elle en avait assez vu. Puis elle est descendue dans la pièce principale, elle a fait un peu de place sur la table de chêne, a pris ses crayons de couleurs et une feuille de papier Canson et a commencé à dessiner l’homme: Le front dégarni, qui brillait au soleil, les cheveux grisonnants, des lunettes aux montures bleutées, des traits fins, un très léger double menton (oh ça, ce n’est pas facile à dessiner) et un petit bouton sur le nez  (surement un homme qui se gratte), une chemise à fleurs, des fleurs rouges et vertes (c’est bien la couleur), un pantalon de toile large avec de grandes poches sur les cotés (lui, c’est un collectionneur) et des mocassins bateaux beiges et bleus. Il avait aussi une sacoche de cuir brune à l’épaule (celui-là n’est pas en vacances); elle a tout dessiné, le plus fidèlement possible. Puis au crayon noir  sur le dos de la feuille elle a écrit l’histoire de cette homme. Ensuite, avec une pince à linge elle a accroché le dessin  à un fil tendu en travers de la pièce.
Partout dans la maison il y a des portraits pendus à des fils.
Sa maison est dans la montée qui mène au château de Saint Laurent d’Olt. Elle a décoré sa façade dans le seul but d’attirer le regard et saisir ces vies passantes.
L’hiver, quand personne ne vient, elle parle à ces images qui habite sa maison
C'est ainsi que vit Félicie...

dimanche 12 juin 2016

Miniatures éphémères
Le Marcheur


                    Il lui faut les paysages les plus abrupts pour se délester de la violence des hommes...

Miniatures éphémères
Le Génie des Pissenlits

 
D’abord, on ne les voit pas. Quand s’approche un enfant, soudain ils sont là, au coeur des pissenlits. L’enfant cueille alors la belle aigrette et la souffle au nez d’un autre. Par le nez, les oreilles où la bouche le génie vole-au-vent s’infiltre et s’installe à demeure afin d’aider son hôte à ne jamais abandonner sa part d’enfance…


samedi 11 juin 2016


Beignets d'Acacia


 C’est à Morhlon Le Haut. La mère Michelle est une dame solitaire aux doigts noueux qui vit avec treize chats, tous roux. Elle monte jusqu’à l’église dans le brouillard pour y cueillir des fleurs d’acacia. Elle en fait des beignets parfumés qu’elle offre aux enfants qui ont peur d’elle…

vendredi 10 juin 2016


Un Arbre Creux


Dans la montée vers le prieuré d’Ambialet, je fais une pause auprès d’un vieil arbre creux.
C’est un monde qu’il m’offre…

jeudi 9 juin 2016


Légendes de Coupiac


Autrefois  vivait sur les hauteurs de Coupiac un paysan  analphabète et solitaire qui élevait quelques brebis et cultivait son potager avec amour. Joseph se levait avec le jour et se couchait quand il faisait trop noir pour travailler. Derrière sa porte cloutée, c’était une unique pièce noircie par les fumées, encombrée de grigris de bois, de plumes, de pierres et d’os. Il dormait dans un lit étroit aux montants métalliques sur un matelas de crin, sans drap, juste des couvertures. Son visage fin, ses grands yeux noirs qui semblaient s’étonner de tout, sa démarche souple et élégante contrastaient  avec le désordre de la pièce.
Le dimanche, il s’autorisait un verre d’absinthe chez Mr Verlaine, en bas du village.
Mr Verlaine y tenait seul un café. Sa femme l’avait quitté et son fils était parti en Argentine. Mr Verlaine soignait sa mélancolie dans les livres. Les murs du café en étaient couverts. Sur chaque table il y en avait un; chaque jour, il les changeait. Ses livres ne craignaient pas les taches de vin disait-il, ils sont fait pour vivre. Parfois il en ouvrait un et le lisait à la tablée, pas toujours très attentive.
Un jour une jeune femme de Toulouse, une entomologiste en quête de la Magicienne Dentelée - une espèce de sauterelle sans ailes extrêmement rare, il n’y a que des femelles qui se reproduisent par clonage - donc cette jeune femme, Jacqueline, sur un sentier pas très loin de chez Joseph, roula sur une pierre et se blessa à la cheville.
Joseph la secourut et la soigna avec un cataplasme de racine de Reponchon. Cette plante qui grimpe sur les haies est aussi nommée « l’herbe aux femmes battues », les femmes utilisant ses vertus médicinales pour soigner leurs plaies. Certains hommes prétendaient à l’inverse que les femmes s’en frictionnaient pour simuler des marques de coup…  Joseph ne fréquentait pas ces hommes là, et les plantes médicinales n’avaient aucun secret pour lui.
Joseph connaissait aussi tous les insectes de son territoire.  Certes il en ignorait les noms latins, mais appréciait leur beauté et leur singularité. Et surtout il savait où les trouver. Il promit à Jacqueline, si elle revenait par ici une fois son pied guéri, de la conduire à la Magicienne Dentelée.
Joseph porta Jacqueline en bas du village, jusque chez Mr Verlaine qui se chargea de trouver une voiture pour Toulouse.
Jacqueline ne revint pas, mais Joseph reçut depuis ce jour une lettre chaque semaine. Au début, il les laissait dans un coin, bien incapable de lire quoi que ce soit. Mais quand la pile de lettres eut la hauteur de son verre, il alla demander conseil à Mr Verlaine.
Mr Verlaine lut les lettres à Joseph. C’était Jacqueline, elle racontait ses jours à la ville, ses recherches au laboratoire, ses découvertes, sa nostalgie des chemins creux et des taillis, ses « obligations » professionnelles et familiales qui la tenait éloignée. Parfois c’était de longs poèmes qui enchantaient Joseph et Mr Verlaine rougissant de sa position.
Joseph décida alors d’apprendre à lire et à écrire.
Ainsi chaque matin à l’aube Joseph et Mr Verlaine se retrouvaient, avant que le café n’ouvre et que les brebis ne soient conduites au pré. Un jour Mr Verlaine montait chez Joseph, le lendemain c’était Joseph qui descendait au café.
Jacqueline ne revint jamais à Coupiac, mais Joseph et Mr Verlaine devinrent les meilleurs amis du monde, et surtout Joseph devint un grand poète dont Mr Verlaine lisait les vers à ses clients. Et ceux ci écoutaient avec un peu plus d’attention, car ils pouvaient mettre un visage sur le poète…


mercredi 8 juin 2016


Éveil 


                                                          Laisser se dissiper les brumes
                                                                   Ouvrir les yeux
                                                       Comme les fleurs s'ouvrent au jour
                                                                Et reprendre la route

mardi 7 juin 2016


Ménage


Lundi à Rodez. Le musée Soulages est fermé. À l’ombre trois jeunes gens regardent des images sur leurs portables. Quand notre fille, Mathilde, était à l’école maternelle, nous l’avions emmenée visiter une exposition de Soulages au musée d’art moderne de Paris. Il y avait ces noirs immenses qui capturent la  lumière. Quelques jours plus tard, l’institutrice de Mathilde demande à nous voir.  Elle s’inquiète. Mathilde ne cesse de peindre de gros traits noirs. Quand la maitresse lui demande ce qu’elle fait, Mathilde répond de sa petite voix sûre d’elle: Du ménage!
Sophie, ma compagne se rend à la convocation de l’institutrice. Celle-ci lui fait part de son inquiétude et demande s’il n’y a pas eu récemment un décès dans la famille. Sophie lui raconte alors notre journée au musée et l’entretien se conclut par un grand éclat de rire. Mathilde ne tentait que de reproduire avec joie ce qui l’avait impressionnée et sa mémoire d’enfant avait déformé légèrement le nom du peintre: Ménage…

lundi 6 juin 2016


Morsure


                                         Elle était si jolie dans sa robe bleue. Oh fatal baiser…

dimanche 5 juin 2016

Miniatures éphémères
Céanothes

 




Quand fleurissent les Céanothes, les hommes partent en mer, sur les routes ou en guerre. Alors elles attendent, tissent bleus et brindilles pour couvrir le vague à l’âme.
L’étranger portera nouvelles et réconfort.
Aux marées d’équinoxe ils reviendront avec des cadeaux, des histoires où des blessures.
Derrière les murs ce seront alors étreintes, rires et larmes.
Aux nouvelles floraisons ils repartiront, certains ne reviendront pas, les fleurs alors perdront leurs
couleurs.


                                                Le lit est bien trop vaste en leur absence


                                                               
                                                                   Rendez vous...


samedi 4 juin 2016


Rosée


 
                                                            L'univers à portée de main....
                     



Tendre rêveur, il  tente de capturer les gouttes de rosée, les semer sur le chemin, pour ne pas s’égarer...

vendredi 3 juin 2016



Sur la Route de Valence-D'Albigeois à Saint-Cirgue


Sur la route de Valence-D’Albigeois à Saint-Cirgue, Suzanne roule à toute allure sur son vieux vélo. Sa robe vole, sa peau est blanche. Elle a mis son rouge à lèvres Chanel, le n° 460 - Suzy-, son péféré. Denis, l’ingénieur de Paris, qui vient deux fois par mois pour les éoliennes, l’attend à  Ambialet, sur les bords du Tarn. Elle prie que l’averse ne la cueille pas. Elle transpire, ce n’est pas grave, Denis est fou de son odeur.  Après Saint Cirgue c’est une longue descente jusqu’à Ambialet, une descente ennivrante, une dangereuse descente. Elle la connait par coeur, elle pourrait presque fermer les yeux, le visage au vent, se laisser porter par le chuintement du vélo jusque  dans les bras de son amant…


jeudi 2 juin 2016



Errance


                                                            J'étais là... Je n'y suis plus...

mercredi 1 juin 2016


Berthe...


Berthe est née en 1923 à Laon d’un père féru d’histoire et d’une mère éleveuse de pékinois. À douze ans, poursuivant l’un des chiens de sa mère échappé du chenil, elle glissa sur le pavé mouillé et eu la jambe sectionnée par le tramway qui reliait la ville basse à la ville haute. Ses parents, toujours soucieux du mieux pour leur fille, lui firent tourner une jambe en bois d’Eucalyptus par le meilleur ébéniste du pays. Le pied solitaire parut alors immense à coté de l’extrémité de bois veiné et parfumé. Son père surnomma ainsi  sa fille adorée Berthe au grand pied lui souhaitant secrètement un royal destin.
À vingt ans  elle fit la connaissance de Pépin. Elle dégustait un Bourgogne en lisant Le Grand Meaulnes  au café restaurant Le Point du Jour quand elle le vit pour la première fois. C’était un petit homme fin, sans bras, au regard d’une infinie douceur.  Il entra, ôta sa chaussure droite, et de son pied nu, d’un geste d’une extraordinaire souplesse, il saisit son chapeau qu’il accrocha au perroquet; puis il s’assit à deux tables d’elle, commanda un café, et se mit à lire La Chartreuse de Parme en tournant les pages avec son pied.
Berthe était fascinée autant par ce regard que par cette agilité et ce pied si joli. Ils se revirent, leurs lectures changeaient, les tables se rapprochaient. Ils finirent par se retrouver à la même table parlant littérature. Ce jour là lorsqu’il se quittèrent Pépin fit à Berthe un  délicat baise main en prenant avec son pied  la main tendue.
Ils se marièrent quelques mois plus tard.  La cérémonie  fut magnifique, on applaudit lorsque Berthe enfila l’alliance au doigt de pied de Pépin. Bien sur le père de Berthe surnomma son gendre Pépin Le Bref, leur souhaitant à tous deux, toujours aussi secrètement, un impérial destin.
Ils eurent un fils, Charles, un sacré gaillard, qui fit carrière dans l’éducation national avant d’entrer en politique. Le grand père subissant alors les premières atteintes de la maladie d’Alzheimer surnomma son petit fils Charleville-Mezières, quel destin lui souhaitait-il, nul ne le sait.
Charleville-Mézière a maintenant cinquante huit ans et se prépare pour les présidentielles de 2017. Le grand père n’est plus, Pépin Le Bref a le pied qui tremble, et Berthe au Grand Pied ne voit plus très clair.
Et chaque nuit Berthe et Pépin s’endorment comme ils l’ont toujours fait, tête bêche, Pépin calé à la place de la jambe manquante les lèvres posées sur l’unique pied de Berthe et Berthe collant sa joue à la plante du pied droit de Pépin…