Légendes de Coupiac
Autrefois vivait sur les hauteurs de Coupiac un paysan analphabète et solitaire qui élevait quelques brebis et cultivait son potager avec amour. Joseph se levait avec le jour et se couchait quand il faisait trop noir pour travailler. Derrière sa porte cloutée, c’était une unique pièce noircie par les fumées, encombrée de grigris de bois, de plumes, de pierres et d’os. Il dormait dans un lit étroit aux montants métalliques sur un matelas de crin, sans drap, juste des couvertures. Son visage fin, ses grands yeux noirs qui semblaient s’étonner de tout, sa démarche souple et élégante contrastaient avec le désordre de la pièce.
Le dimanche, il s’autorisait un verre d’absinthe chez Mr Verlaine, en bas du village.
Mr Verlaine y tenait seul un café. Sa femme l’avait quitté et son fils était parti en Argentine. Mr Verlaine soignait sa mélancolie dans les livres. Les murs du café en étaient couverts. Sur chaque table il y en avait un; chaque jour, il les changeait. Ses livres ne craignaient pas les taches de vin disait-il, ils sont fait pour vivre. Parfois il en ouvrait un et le lisait à la tablée, pas toujours très attentive.
Un jour une jeune femme de Toulouse, une entomologiste en quête de la Magicienne Dentelée - une espèce de sauterelle sans ailes extrêmement rare, il n’y a que des femelles qui se reproduisent par clonage - donc cette jeune femme, Jacqueline, sur un sentier pas très loin de chez Joseph, roula sur une pierre et se blessa à la cheville.
Joseph la secourut et la soigna avec un cataplasme de racine de Reponchon. Cette plante qui grimpe sur les haies est aussi nommée « l’herbe aux femmes battues », les femmes utilisant ses vertus médicinales pour soigner leurs plaies. Certains hommes prétendaient à l’inverse que les femmes s’en frictionnaient pour simuler des marques de coup… Joseph ne fréquentait pas ces hommes là, et les plantes médicinales n’avaient aucun secret pour lui.
Joseph connaissait aussi tous les insectes de son territoire. Certes il en ignorait les noms latins, mais appréciait leur beauté et leur singularité. Et surtout il savait où les trouver. Il promit à Jacqueline, si elle revenait par ici une fois son pied guéri, de la conduire à la Magicienne Dentelée.
Joseph porta Jacqueline en bas du village, jusque chez Mr Verlaine qui se chargea de trouver une voiture pour Toulouse.
Jacqueline ne revint pas, mais Joseph reçut depuis ce jour une lettre chaque semaine. Au début, il les laissait dans un coin, bien incapable de lire quoi que ce soit. Mais quand la pile de lettres eut la hauteur de son verre, il alla demander conseil à Mr Verlaine.
Mr Verlaine lut les lettres à Joseph. C’était Jacqueline, elle racontait ses jours à la ville, ses recherches au laboratoire, ses découvertes, sa nostalgie des chemins creux et des taillis, ses « obligations » professionnelles et familiales qui la tenait éloignée. Parfois c’était de longs poèmes qui enchantaient Joseph et Mr Verlaine rougissant de sa position.
Joseph décida alors d’apprendre à lire et à écrire.
Ainsi chaque matin à l’aube Joseph et Mr Verlaine se retrouvaient, avant que le café n’ouvre et que les brebis ne soient conduites au pré. Un jour Mr Verlaine montait chez Joseph, le lendemain c’était Joseph qui descendait au café.
Jacqueline ne revint jamais à Coupiac, mais Joseph et Mr Verlaine devinrent les meilleurs amis du monde, et surtout Joseph devint un grand poète dont Mr Verlaine lisait les vers à ses clients. Et ceux ci écoutaient avec un peu plus d’attention, car ils pouvaient mettre un visage sur le poète…
Bonjour
RépondreSupprimerCherchant quelques renseignements sur Coupiac, je lis votre si belle légende, accompagnée de la photo du café de monsieur Verlaine.
Si je vous contacte, c'est pour porter à votre connaissance l'existence d'un atelier d'écriture mensuel "L'agenda ironique", chaque mois, un participant proposant un thème.
Pour ce mois d'octobre 2017, le thème proposé est cette photo.
Votre texte convient tout à fait, bien sûr.
Si vous acceptiez de participer, vous pourriez faire connaitre ce texte sur le blog https://carnetsparesseux.wordpress.com/2017/09/30/cafe-verlaine-a-coupiac-agenda-ironique-doctobre/
Sinon, m'autorisez-vous à le faire connaitre, à cette adresse, en vous citant, bien sûr.
Merci de votre réponse
Bonjour
SupprimerMerci de votre lecture. Vous pouvez bien entendu faire connaitre ce texte sans omettre de citer les crédits texte et photo, et le lien vers mon blog. D'autre part ce texte fait partie d'un spectacle, Le Pas de la Tortue, crée cette année à partir de fictions de mon blog, dont une première présentation aura lieu le 13 octobre à Colombes pour le festival Rumeurs Urbaines.
Bien à vous.
Je vous remercie beaucoup. Pour les photos, en êtes-vous le créateur ?
SupprimerA bientôt de vous lire.
Je me renseigne sur ce festival.
Oui, toutes les photos non créditées sur ce blog sont de moi.
SupprimerBen ça alors ! Et vous ne connaissiez pas "notre" agenda ironique, c'est dingue ça ! Ou alors, facétie de notre Dodo des Carnets paresseux, lui, vous connaissait ! Saurons-nous le fin mot de l'histoire ? En tout cas, grâce à Jacou, je lis ce texte touchant et plein d'émotions. Bravo à vous.
RépondreSupprimerJe le confesse, j'avais découvert l'Hors Champ en suivant la piste "Verlaine/Coupiac" l'an dernier... et, par la même occasion, ce délicieux conte. Je note au passage que la photo de Pierre Carrive est bien meilleure que la mienne :)
SupprimerBien jolie découverte via le blog de Carnets paresseux. Y a t-il la possibilité de s'abonner ici?
RépondreSupprimerOui, mais je crois qu'il faut un compte blogger;
SupprimerBien à vous
Un peu de tristesse
RépondreSupprimerces deux parcours qui ne se rejoignent pas
mais dont la musique de l'un touche l'autre au point de le faire éclore.
J'aime beaucoup.
Bon jour,
RépondreSupprimerIl y a des rencontres comme des boutures, parfois cela prend et donne comme ici une belle amitié. :)
Max-Louis