mercredi 1 juin 2016


Berthe...


Berthe est née en 1923 à Laon d’un père féru d’histoire et d’une mère éleveuse de pékinois. À douze ans, poursuivant l’un des chiens de sa mère échappé du chenil, elle glissa sur le pavé mouillé et eu la jambe sectionnée par le tramway qui reliait la ville basse à la ville haute. Ses parents, toujours soucieux du mieux pour leur fille, lui firent tourner une jambe en bois d’Eucalyptus par le meilleur ébéniste du pays. Le pied solitaire parut alors immense à coté de l’extrémité de bois veiné et parfumé. Son père surnomma ainsi  sa fille adorée Berthe au grand pied lui souhaitant secrètement un royal destin.
À vingt ans  elle fit la connaissance de Pépin. Elle dégustait un Bourgogne en lisant Le Grand Meaulnes  au café restaurant Le Point du Jour quand elle le vit pour la première fois. C’était un petit homme fin, sans bras, au regard d’une infinie douceur.  Il entra, ôta sa chaussure droite, et de son pied nu, d’un geste d’une extraordinaire souplesse, il saisit son chapeau qu’il accrocha au perroquet; puis il s’assit à deux tables d’elle, commanda un café, et se mit à lire La Chartreuse de Parme en tournant les pages avec son pied.
Berthe était fascinée autant par ce regard que par cette agilité et ce pied si joli. Ils se revirent, leurs lectures changeaient, les tables se rapprochaient. Ils finirent par se retrouver à la même table parlant littérature. Ce jour là lorsqu’il se quittèrent Pépin fit à Berthe un  délicat baise main en prenant avec son pied  la main tendue.
Ils se marièrent quelques mois plus tard.  La cérémonie  fut magnifique, on applaudit lorsque Berthe enfila l’alliance au doigt de pied de Pépin. Bien sur le père de Berthe surnomma son gendre Pépin Le Bref, leur souhaitant à tous deux, toujours aussi secrètement, un impérial destin.
Ils eurent un fils, Charles, un sacré gaillard, qui fit carrière dans l’éducation national avant d’entrer en politique. Le grand père subissant alors les premières atteintes de la maladie d’Alzheimer surnomma son petit fils Charleville-Mezières, quel destin lui souhaitait-il, nul ne le sait.
Charleville-Mézière a maintenant cinquante huit ans et se prépare pour les présidentielles de 2017. Le grand père n’est plus, Pépin Le Bref a le pied qui tremble, et Berthe au Grand Pied ne voit plus très clair.
Et chaque nuit Berthe et Pépin s’endorment comme ils l’ont toujours fait, tête bêche, Pépin calé à la place de la jambe manquante les lèvres posées sur l’unique pied de Berthe et Berthe collant sa joue à la plante du pied droit de Pépin…

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