vendredi 24 juin 2016


Lassitude


Derrière les volets entrouverts Lucien est étendu les bras en croix sur son vieux lit en bois. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, corpulent, à la barbe dure. Il fait chaud; la sueur lui colle le dos au drap et tache le maillot de corps sur la poitrine. L’ongle du pouce de son pied droit est noir. Une maladresse et une bûche qui lui écrase le pied. Il est de plus en plus maladroit et étourdi ces derniers temps. Le dernier orage de grêle a sans doute criblé ses fruitiers, il n’a même pas été voir les dégâts.
Cet après midi, c’est la fête de la brebis à Réquista. Il faut faire un effort, se lever, mettre un vêtement propre et aller où il y'a du monde.
Les orages, la loi travail, les anglais, Daesh, la radio grésille, il n’écoute plus, c’est comme la poussière qui s’accumule depuis trop longtemps.
Il est si las. Il faut bouger.
Il faudrait juste une femme dans cette grande maison. Une femme, et pourquoi pas des enfants. Ouvrir les volets et laisser entrer la lumière.  Des pas dans l’escalier, l’eau qui coule et une voix douce.
Il faut bouger. À 20h il y a diner dansant à Réquista. Il ne mangera pas grand chose, comme chaque fois. Il regardera, il attendra. Osera-t-il?
Il faut bouger.
Il lui semble peser trois tonnes. Il regarde son pied, l’ongle noir. Allez mon vieux…
C’est à ce moment là qu’arrive Batman, son vieux bâtard noir avec des taches blanches autour des yeux et sur la poitrine. Batman se dresse, pose ses pattes de devant sur les montants du lit et se met à lécher le pied de Lucien en  gémissant.
Oui, oui, mon Batman, j’y vais…

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