jeudi 31 mars 2016


En Chier...


Joseph aime bien venir là le soir, au milieu des épaves. Ça sent la vase et la rouille. Il s’assoit sur la pierre  et regarde l’eau couler.
Il vient de Cruejouls, dans l’Aveyron. Il a travaillé aux houillères jusqu’à leur fermeture, en 1988. Dès  l’adolescence l’épreuve fut son bonheur. Il fallait trimer, le corps avait soif d’efforts. Quand les puits ont été condamnés, très vite le manque est venu.
Alors il a traversé l’atlantique et a débarqué en Guyane, pour l’or, et le bois. À nouveau il a trimé et son corps est devenu dur comme le Wacapou, un bois fréquent autour de Sinnamary où il a séjourné quelques temps.
Ses muscles durcissaient tandis que sa pensée s’allégeait, le mouvement était sa nourriture.
Puis il a vieilli, les articulations se sont rouillées. Cela a commencé par les doigts, ensuite les poignets et les chevilles. Bientôt on n'a plus voulu de lui en forêt et sur les chantiers.
Maintenant, le soir il vient là. Il passe d’abord chercher le poisson que Luis lui met chaque jour de coté pour son diner et il vient s’asseoir ici jusqu’à ce que la nuit et les moustiques le chasse.
Et là au bord du grand fleuve, un goût de métal dans la bouche, il se souvient combien il aimait en chier…

mercredi 30 mars 2016


Au Cinéma


Dans la ville de mon enfance, le cinéma s’appelait  Le Régent. On y allait en bande le jeudi après midi. Je me souviens avoir pleuré à chaudes larmes en regardant Le Docteur Jivago  tandis qu’au fond de la salle les autres garçons se lançaient des capotes anglaises gonflées.
Dans une autre ville, en bord de mer, où nous allions tous les étés, il y avait en ce temps là trois cinémas. Je me souviens d’une séance au  Ciné-Plage. On y jouait Le Gendarme de Saint Tropez. Je devais avoir une dizaine d’année, j’étais avec ma mère. Devant nous un couple d’amoureux qui s’embrassaient goulument cachait une partie de l’écran à ma mère. Lorsque celle ci tapa sur l’épaule du jeune homme lui intimant de cesser leurs ébats afin de ne plus obstruer sa vision, le jeune homme lui répondit d’une voix agressive "Vous êtes jalouse?". J’éprouvais alors un   mélange de gêne et d’amusement accentué par les images.
Il y avait cette autre salle, Le Casino, dans un bâtiment de style mauresque. Un soir, bien plus tard, mon amoureuse du moment se sentit mal devant une séquence de Salo où les 120 journées de Sodome et nous quittâmes précipitamment la salle. Je n’ai toujours pas vu ce film en entier et la jeune fille a disparu.
Je me souviens encore d’une soirée d’hiver dans une salle municipale où s’était arrêté un cinéma itinérant. C’était à Mens , en Isère. L’écran était un drap tendu qui faisait des plis. Je ne sais plus ce que nous y avons vu mais je me rappelle du froid mordant lors de notre retour à pied travers la campagne gelée.
Il  y eut  aussi ce jour où j’allais seul pour la première fois de ma banlieue à Paris en train jusqu’à Saint Lazare pour voir un film de grands, Le Clan des Siciliens. J’avais douze ans et quelques mois.
Et un peu plus tard, cette séance sur les Champs Elysées. Nous étions avec mon père et ma soeur ainée, c’était Satyricon de Fellini, je devais avoir treize ans et j’étais stupéfait par l’extrême sensualité de ces images. Le mystère est que mon père a toujours été d’une infini pudeur et la nudité l’incommodait. Je me suis toujours dit qu’il avait du se tromper de salle et n’avait rien osé dire.
Tant d’autres séances me reviennent comme celle ci avec ma grand mère et mes soeurs, avenue de l’Opéra, Les Enfants du Capitaine Grant. Les images de ce film d’aventures sont imprimées en moi.
Et encore Woodstock, dans une petite salle du quartier Latin. J’avais écarté le guidon de ma Peugeot 101 pour lui donner des airs d’Easy Rider et roulé huit kilomètres jusque là. J’ai du voir ce film une dizaine de fois. J’avais quinze ans et au delà de la musique je découvrais  qu’on pouvait librement s’aimer, se baigner nu dans les rivières, se rouler dans la boue  et danser du matin au soir.  Quelques mois plus tard je partais sac au dos sur les routes avec un sentiment de liberté inouï.
Enfin, dans quelques jours, je serais au  Balzac sur les Champs Élysées, à la fois dans la salle et sur l’écran. Le film y raconte la distance d’un père à son fils.
Tous ces films, toutes ses salles, ces moments de rêves mais aussi de vie.
Quand j’ai vu cet homme devant le cinéma de Pornic, je me suis dit qu’il avait l’horizon à portée de regard et pourtant il préférait se réfugier dans l’obscurité. Je me suis dit qu’il était plus facile de vivre par procuration.
Et puis tous ces souvenirs ont surgi, le fil d’une vie, sans procuration.
Là bas au bout de la rue, la voie est libre, l’horizon est ouvert, il suffit de prendre le large.
Et là, à coté, dans le noir, l’envers, l’intérieur, ici aussi la voie est libre, il suffit d’y plonger.
Plonger, prendre le large, plonger à nouveau, prendre le large….

mardi 29 mars 2016


La Patience du Marin



                                      Il y a un moment pour partir, et un moment pour revenir…

lundi 28 mars 2016


Le Funambule


Elle avait peur du noir. Alors elle s'est arrangée pour vivre sous les projecteurs. Puis la peur est revenu, subrepticement, s'insinuant dans les clairs obscurs et les nuits américaines, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus faire un pas.
Un jour elle l'a vu là haut sur son fil. Alors elle l'a suivi, de plus en plus loin, le regard vers l’avant, toujours, comme lui, le funambule, la peur loin derrière…

dimanche 27 mars 2016


Miniatures éphémères
Week-end Pascal


 Dimanche de Pâques. Elle a caché un oeuf  en chocolat dans le jardin, entre les jonquilles et les primevères pour son grand fils de vingt sept ans, ils ont apporté un Paris Brest pour quatre personnes et quelques oeufs  aux vieux parents, ils se sont ennuyés, ils ont fait la sieste, ils se sont ennuyés à nouveau, un geai s’est posé sur le cerisier, le soir est venu et tout alors devenait possible…


samedi 26 mars 2016


 Thalassa



Au Bout du Monde, Ingrid commence son incessant ballet les bras chargés de bocks de bière et de moules frites. La saison commence à peine et la salle est déjà pleine. Elle a choisi le bon endroit. D’ici l’automne, il passera forcément par ici, son marin de haute mer. Si c’est un américain, ils iront en Alaska pêcher le crabe, si c’est un chilien, ils rejoindront une équipe de Cholgeros , les pêcheurs de moules géantes de Patagonie, si c’est un canadien ils iront aux Îles de la Madeleine pêcher le homard  et si c’est un russe, ils boiront de la Vodka et pêcheront le saumon dans la péninsule de Kola.
En attendant, elle dévisage chaque client et le vendredi soir elle regarde Thalassa…

vendredi 25 mars 2016


Mr and Mrs Jones


Mr Jones pêche tandis que Mrs Jones ramasse des coquillages.
Mr Jones pédale tandis que Mrs Jones marche
Mr Jones regarde les matchs de rugby tandis que Mrs Jones peint des couchers de soleil
Mr Jones écrit tandis que Mrs Jones chante
Mr Jones écoute du jazz tandis que Mrs Jones lit des romans policier
Et chaque soir, Mr and Mrs Jones ne peuvent s’endormir l’un sans l’autre, l’un contre l’autre…

jeudi 24 mars 2016


Sonnerie aux morts


C’est à la télévision que j’ai entendu pour la première fois la sonnerie aux morts américaine. C’était  dans « L’Adieu aux armes » ou « Pour qui sonne Le glas »,  je ne sais plus. J’avais treize ans et ne pouvait retenir mes larmes. Toute la famille regardait le film et je veillais à ce que personne ne me voit pleurer.
Il y a deux jours j’ai fait cette photo. Elle était en couleur et me faisait penser à l’un des trois bleus de Joan Miro. Ce sont des peintures qui m’apaisent.
Il a suffi d’un click pour que cette image devienne noire et immédiatement j’ai entendu la sonnerie  aux mort.  Il m’était égal que l’on me voit pleurer…



mercredi 23 mars 2016


Respirer


Le petit homme qui se tient là, hors champ, à l’ombre d’un hangar à bateaux, se sent mieux. Ici tout est bien rangé, chaque chose à sa place, comme sur ses étagères.
 La journée avait mal commencé. Il y a d’abord eu les infos de huit heures, accablantes, puis une fuite de la machine à laver, la salle de bain inondée et sa femme qui glisse sur le carrelage et se brise le col du fémur, les pompiers arrivés en urgence qui accrochent sa voiture neuve avec leur camionnette et écrasent  le chat en repartant et enfin, avec ce départ précipité vers l’hôpital, la porte claquée, les clés et ses chaussures à l’intérieur.
Sa femme et sa voiture sont maintenant en de bonnes mains, le serrurier et le plombier sont passés et lui, il est là peinard dans ses pompes. Il regarde les bateaux bien alignés, inspire à grandes bouffées l’air du large et se dit qu’il y a bien pire ailleurs…

mardi 22 mars 2016


La Bernerie en Retz, le 22 Mars


La mer semble si calme à La Bernerie en Retz. S’il n’y avait le grincement des chaines de la balançoire, comme une plainte, comme le leitmotiv d’un film d’horreur…

lundi 21 mars 2016



À la tombée du jour



                                          Aux épaves , la douceur d’un ciel qui panse les plaies
                                          Aux solitaires, la mélancolie des grands fleuves
                                          Aux insomniaques, l’eau qui coule
                                          Laisser là nos courbatures et nos cauchemars
                                          Que le souci se dépose au creux du bois blanc
                                          Laisser agir le crépuscule…

dimanche 20 mars 2016


Printemps


Comme chaque matin Augustin et Marceline marchent à petits pas le long du canal. Ils se tiennent par la main, leurs pas sont à l’unisson et ils n’ont plus besoin de mots. Au fil des jours, les deux corps semblent de plus en plus frêles et leurs trajets raccourcissent.
Aujourd’hui c’est le printemps. Ils se sont arrêtés et regardent les cygnes s’ébattre. Imperceptiblement, leurs mains se serrent. Augustin se souvient des trois lattes du sommier brisées net lorsqu’ils se jetèrent sur le lit de ce petit hôtel de Chinon une après midi d’avril il y a trente ans. Marceline se souvient de la morsure des chardons lorsqu’ils s’étreignirent sauvagement dans un champ de l’Aubrac une après midi d’été il y a trente cinq ans.
Leurs doigts s’entrelacent, se caressent, puis se défont, les deux corps se rapprochent, Augustin effleurent les fesses de Marceline et Marceline glisse sa main dans la poche de pantalon d’Augustin. Et ils rient tandis que sur l’eau les plumes volent…

samedi 19 mars 2016


Versailles


Autrefois, les oies descendaient bien plus loin, vers d’autres continents. Autour du grand canal les chevaux battaient le pavé et des dames emperruquées papotaient au bord de l’eau.
Les têtes sont tombées, les robes à panier ont cessé de tourner et les jardins ont été laissés à l’abandon.
Puis à nouveau on a taillé les arbres et réouvert les perspectives. Des barques de bois  chargées de japonais allaient et venaient sur le canal, tandis que des familles versaillaises - cinq enfants, loden, jupes plissées, culottes courtes, cagoules à bordure dentelée pour les plus petits - s’y promenaient le dimanche. Les oies passaient toujours leur chemin.
Aujourd’hui les touristes tournent autour du canal en gyropode Segway, les barques sont en plastique, les familles se réduisent et les oies passent l’hiver ici.
Un jour, les têtes tomberont à nouveau, les perspectives se brouilleront et les oies sauvages de plus en plus nombreuses envahiront les lieux…

vendredi 18 mars 2016


Là-haut


Deux hommes. Ils sont partis du fond de la vallée, le front soucieux, un différent enfoui. On force le sourire. L’un parlait trop, l’autre pas. Dans la montée, ils ont accordé leurs rythmes, le long des lacets déroulé les mots. Parfois un arrêt, que le souffle et la pensée se posent, puis on  repart et les mots trouvent leur place, de plus en plus précise.
Après deux heures de marche, assis  côte à côte sur une pierre plate, le regard portant jusqu’en bas, ils partagent un bout de fromage et quelques fruits secs.
Là haut, on ne force plus le sourire et les rides aux fronts se sont effacées…

jeudi 17 mars 2016


Lavoir


                                                           Linge noirci par le chemin
                                                        Battu par le vent et les vagues
                                                                Lavé, essoré, vidé
                                                          Etendu sur la pierre brune
                                                            Aux rebords des traces
                                                          Comme on vient au lavoir
                                                               Je viens sur la plage

mercredi 16 mars 2016


"Je suis une mouche..."


On l’appelle Johnny Walker à cause de son goût immodéré pour le Whisky. Il a piloté des Canadairs au dessus des forêts de chênes- lièges, des avions épandeurs au dessus des rizières et survolé l’Alaska en Cessna C208 Caravan.
Il s’est arrêté ici, sur les bord de la Mana, à cause d’une brésilienne aux jambes interminables, à cause des fleuves naissant au fin fond de la brousse,  et à cause de la jungle mangeuse d’hommes.
Lors de sa première marche  en forêt, il eut la sensation de retourner dans le ventre de sa mère et il sut que plus jamais il ne pourrait se défaire de ce parfum de végétation en décomposition.
Ici, il se sent minuscule et terriblement vivant.
A soixante ans, il a claqué toutes ses économies pour une baraque de bois et de tôle au bord du fleuve, et pour ce petit avion, un cadeau pour Tina, sa brésilienne aux méandres vertigineuses.
Ils survoleront les rivières, caresseront la canopée et iront  là où elle voudra.
Il se tient là, hors champ, sur le pas de sa porte, les jambes légèrement écartées, torse nu, une tasse de café allongé au whisky dans une main, une Camel sans filtre dans l’autre. Il est grand, la moustache jaunie par la nicotine, les yeux clairs, une cicatrice sur la pommette droite.
Tina dort encore, bouleversante sous la moustiquaire.
Il regarde son avion, contemple son nouveau terrain de jeu en chantonnant: « je suis une mouche, posée sur sa bouche… »

mardi 15 mars 2016


 Derrière Les Volets


Au pays de la tôle et des barbelés, Franck joue les gros bras. C’est un as du couteau, un cador des rues qui creuse les pistes de latérite avec son gros 4x4. Le crâne lisse, avec, à la base, ce petit repli de graisse dans la nuque, une mâchoire carrée, une orchidée tatouée sur son épaule musclée, toujours vêtu d’un débardeur kaki et d’un treillis militaire, Franck est un métis improbable, chinois- wayana, que l’on craint dans les tripots clandestins.
Ce que personne ne sait, absolument personne, c’est que quand il est seul chez lui, derrière les volets verts toujours fermés, il s’habille d’une robe rouge, se coiffe d’un chapeau de paille orné d’une fleur blanche et chaussé de talons hauts, il arpente la maison en lisant à haute voix de la poésie…

lundi 14 mars 2016


Faillite


Une vie en faillite, des rêves enfuis, un homme est là, à quelques pas, à moitié nu, couché sur le bitume. Le rhum a brouillé sa vue, le crack lui a volé ses mots. Il n’a plus de nom et ne possède qu’un pantalon et un sac plastique dont il se couvre la tête quand il pleut.
Parfois il se redresse, appuyé sur un coude. Ses grands yeux vides implorent. Si quelqu’un s’arrête, peut-être lui parlera-t-il d’un chapiteaux de bois où tournent des chevaux blancs sur une piste de sable ou de Bernadette la trapéziste dont le ventre est dur comme du bois et pourtant si doux. Si quelqu’un s’arrête, peut-être lui parlera-t-il de prairies en pente où on se laisse rouler en riant ou du goût des raisins glacés au sucre croqués avec Jeanine sur une plage en été. Si quelqu’un s’arrête peut-être lui parlera-t-il d’un voilier blanc traçant sur l’océan une ligne d’amour ou de Colette en robe à fleurs rouges, de dos, sa valise à la main prête à s’embarquer dans le petit avion. Mais, jamais, personne ne s’arrête…

dimanche 13 mars 2016



Là...


                                                    Avec la marée, démêler les pensées…

samedi 12 mars 2016


Nulle Part


    Il y a des chemins qui ne mènent nulle part, des histoires sans issue et des nuits sans aube …

vendredi 11 mars 2016

Chien Noir, Chien Blanc


Il y eut d’abord cette chienne noire, Toune, la chienne de mon grand père qui , quand nous étions enfants, veillait le soir devant la porte de notre chambre lorsque nos parents sortaient.
Puis ce furent ces meutes de chiens errants qui nous suivaient lorsque nous traversions ces villages d’Ariège encore débordant de vie.
Et ce chien, un bâtard noir et blanc qui me tint compagnie une nuit entière, lorsqu’adolescent, à l’abri dans un fossé sur le bord de la route, la peur me tenait éveillé.
Aussi, Coquette, la chienne Labrador noire de la bien nommée Félicie, qui veillait sur nos enfants dans ce hameau de Corrèze en lisière de forêt où nous avions fait escale.
Et encore ces meutes de chiens errants, innombrables, dans une zone industrielle de Saint Denis de la Réunion, première image d’un long séjour solitaire.
Et ce chien, assis devant la « cuisine » d’une famille Bushinenge, dont les aboiements m’on remis sur le bon chemin, alors que je m’étais égaré dans la forêt Guyanaise.
Et enfin, prés de l’église de Roura, ce chien blanc qui me regarde d’un air bienveillant tandis que je monte le sentier inquiet pour ma compagne malade à l’autre bout du monde.
Ces chiens sont-ils des anges? Je n’ai jamais eu de chien mais ces souvenirs me sont chers.
Quant aux chiens méchants, à ceux qu’il a fallu éloigner d’un jet de pierre ou d’un bâton levé, ils sont au rebut,  dans les tréfonds de ma mémoire…



jeudi 10 mars 2016


Les Uns et les Autres


L’homme du 7 mars n’a toujours pas retrouvé le fil de l’eau. Comme l’homme du 9 mars il attend que passe une pirogue. La fille du 29 février a coupé ses cheveux pour se préparer, tandis que celle du 23 février s’est fait un magnifique chignon éméché. Le troisième homme du 3 février décolle demain de Cayenne pour Paris, le boiteux est parti vers le Brésil, le coureur à Cacao.
Et pendant tout ce temps Igor, celui du 19 Septembre, le premier homme de ce blog, s’emmêle dans ses papiers…

mercredi 9 mars 2016


 Blues des Bords de Route


C’est un blues des bords de route, un homme planté dans ses bottes de gaucho face à un vol d’Urubus, un homme qui a laissé sa dernière pépite dans un bouge d’Iracoubo, un homme qui a oublié sa langue d’origine, un homme pour qui le goût des femmes n’est plus qu’un vague souvenir, un homme qui attend, sur le bord de la route.
Aucune voiture ne passe et son âme noircit. La nuit viendra et il se diluera dans l’encre des tropiques…

mardi 8 mars 2016


Une Danse


 Au bal de la Saint Jean, timide et maladroit, il regardait ses amis danser, sagement assis sur une chaise de paille. Et puis elle s’est approchée, immense, les cheveux courts, blonds, de grands yeux ronds derrière des lunettes carrées à montures en écaille, et un long nez. Elle le dépassait d’une bonne tête et chaussait au moins du quarante trois. Elle s’est dirigée droit sur lui, l’a pris par les mains sans un mot et l’a fait tourner dans ses bras jusqu’à ce qu’il succombe au plus intense des baisers. Il eut alors la délicieuse impression qu’elle allait l’avaler tout entier…

lundi 7 mars 2016


 Forêt Inondée


Tout est silencieux. Quelques vrombissements d’insectes, sa pagaie qui effleure l’eau, parfois un  cri d’oiseau où un fruit qui tombe dans l’eau. Il est bien là, légèrement ivre, dans son canoë, au coeur d’une forêt inondée. Il se laisse aller, pense à son aimée et se fond dans le reflet.
Le seul souci, c’est qu’à se laisser aller il s’est complètement perdu. Il est cinq heures et demi, la nuit tombe dans une heure, il n’a ni lampe, ni allumettes, et ne retrouve plus le fil de l’eau…

dimanche 6 mars 2016


Famille


Ils sont tous là, les enfants, les parents, les grands parents, les oncles , les tantes, les cousins. On a fait grillé quelques saucisses, on a sorti les bières de la glacière et on rit, on mange, on se raconte les derniers nouvelles entre deux histoires drôles, on parle fort. Il y a celui qui fait le coq et va piquer une tête en chantant à tue tête, il y a celle qui reste à l’écart, dans son monde, et le plus petit, à l’abri sous les feuilles, qui dort, innocent.
« On passe la moitié de sa vie à s’éloigner de sa famille, l’autre moitié à s’en rapprocher.»
Je ne sais plus où j’ai entendu cette phrase, mais pendant des années, j’ai voulu m’éloigner des miens. Ce genre de réunion me mettait mal à l’aise. Et puis j’ai rencontré Sophie, avec l’intime conviction que nous vieillirions ensemble. Nous avons eu deux beaux enfants. Petit à petit je me faisais une autre idée de la famille. Plus les enfants grandissaient, plus j’étais curieux de mes ancêtres. Une fois l’an, l’été, nous nous retrouvions dans une prairie aux Trois Couronnes, une montagne basque, pour faire griller quelques saucisses. Il y avait mes parents, mes soeurs, leurs maris, mes cousins, cousines, oncles, tantes et les enfants des uns et des autres. Je prenais de plus en plus goût à ces retrouvailles, et me surprenais à y raconter des blagues. Alors qu'enfant je ne pipais mot à la maison, il fallait que je sorte, que je m’éloigne pour parler, faire le clown et exister.
Le temps passe, certains ne sont plus, nos maux prennent de plus en plus de place dans les conversations, c’est le temps des enfants, des petits enfants. Sur l’arbre je ne suis plus feuille, mais branche…

samedi 5 mars 2016


Les Amis


Ce sont trois amis. Ils se connaissent depuis le collège. Ensemble, ils ont fumé leurs premières cigarettes et connu leurs premières ivresses. Adolescents ils allaient en bande danser dans des caves aménagées. Ils caressaient les nuques des filles au son de « It’s a man’s World » de James Brown. il y en avait toujours un qui était amoureux d’une fille qui elle même aimait l’un des deux autres. Ce n’était jamais grave.
Ils partageaient leurs lectures. Pour l’un c’étaient des romans d’espionnage dont toutes les pages chaudes étaient cornées, pour le deuxième c’était Lautréamont, Artaud ou Bernard Noël, pour le troisième c’était Karl Marx.
Ils ont laissé pousser leurs barbes et battu le pavé en hurlant contre la loi Debré.
Ensemble, ils ont fait leurs premiers grands voyages. Ils ont dormi dans des gares en Italie ou sur des plages en Grèce. Ils se sont perdus dans la foule à Belgrade puis se sont retrouvés  à Thessalonique.
Ils ont aimé, se sont aimés, se sont vu aimer.
Petit à petit chacun a tracé sa route, des chemins bien différents, mais ils se retrouvaient, régulièrement. Quand l’un restait silencieux trop longtemps, on s’inquiétait.
les mariages, les enfants, les séparations, les déménagements, les carrières, jamais rien ne les a désunis.
Et maintenant, à soixante ans, un âge où soulagé de ne plus avoir la charge de ses enfants, on doit alors prendre soin de ses parents, ils se retrouvent là sur ce banc. L’un vient de perdre son père, un autre a perdu le sien il y a quelques années, et le père du troisième est mal en point.
Ils sont là  face à l’océan et ils parlent de leur pères, de leurs racines…

                                                                                                    (Pour Gilles et Jean Philippe)

vendredi 4 mars 2016


 Perdant..



Tony est là hors champ. En noir et blanc lui aussi. Costume Armani crème,  chemise de soie noire, col déboutonné, chaussures de cuir tressé marron clair. Il n’en peut plus, deux heures et demi qu’il marche, du quartier Mango à Cayenne, jusqu’à chez lui à Matoury. Il a abimé ses chaussures et il a mal à la tête. Et là, il vient de s’arrêter net, à cinquante mètres de chez lui. C’est sa voiture qui est là mal garée, juste devant son portail.  Pourtant  quand il a quitté le cercle de jeux, ivre et complètement plumé, elle était encore devant le tripot clandestin. Elle avait changé de mains, Frank l’avait eue avec  un brelan d’as. Et si maintenant la voiture est là, c’est que Frank est chez lui.
Tony est inquiet, il ne se souvient plus très bien de la fin de la partie. Pourvu qu’en bout de course il n’ait pas joué Luisa, sa femme. Il lui avait promis de ne plus remettre les pieds là bas. Mais quand ça vous tient…

mercredi 2 mars 2016


 Dans les plis des rideaux


                                                               Dans les plis des rideaux
                                                         Les rêves des enfants qui dorment

mardi 1 mars 2016


L'Horloge


Quand William est arrivé ici, à l’ancienne léproserie de Javouhey sur les berges de l’Acarouany, il a immédiatement choisi ce bâtiment désaffecté. Il y a assez de place pour lui, Justine et ses quatre enfants. William a beaucoup d’amis,  et sa nouvelle maison est très facile à trouver, on la voit de loin. Et surtout il y a cette horloge arrêtée à neuf heures moins dix. Neuf heures moins dix, c’est l’heure de sa naissance. C’était un jeudi. Deux jours plus tôt son père avait touché le plus gros salaire qu’il n‘ait jamais eu. II avait alors acheté une montre et ne cessait de la regarder imitant avec joie ce geste ridicule et mécanique que font tous les blancs. C’est comme ça que William connait l’heure exacte de sa naissance.
Et peut-être qu’avec cette horloge arrêtée au dessus de sa tête, William et les siens vivront plus longtemps…