jeudi 28 février 2019


Comme une envie de pisser


(Camaret-sur-Mer, Finistère, 18 septembre 2018)

Roulé, cabossé, ça me prend comme une envie de pisser, coller mon oreille aux épaves, m’embarquer sur un cargo rouillé avec l’ami Nikos Kavvadias.
Je retrouve son livre « Le Quart ». Sur la quatrième de couverture: « Je voudrais qu’on oublie aussi mes ossements, mais dans un bordel. Et que les femmes s’en servent comme canules pour leur bock, comme fume-cigarette, comme sifflets. »
Les pages sont gondolées par l’humidité, j’ai lu ce livre lors de mon dernier voyage en Guyane. C’est un livre qui colle au corps, qui sent la mer et l’amour, la rouille et la brume.
Roulé, cabossé, ça me prend comme une envie de pisser, larguer les amarres, cap à l’ouest, on est jamais trop vieux pour aimer, jamais trop vieux pour partir, question de rythme.
Ça tombe bien, j’ai un billet pour Cayenne, dans douze jours, un billet pour un pays qui colle au corps, un pays où les livres pourrissent, un pays qui a le parfum d’une femme de marin.

mercredi 27 février 2019


Obstination


(Eyburie, Corrèze,  19 février)

La pierre se fendille
Le bois craque
La fleur ploie
Le drap se déchire
L’outre se perce
La corde rompt
La maille file
L’amour s’obstine

mardi 26 février 2019


Paf!


(Turenne-Gare, Corrèze, 21 février)

J’ai toujours désiré le calme et la lune, pourtant je ne résiste pas au plaisir facétieux de faire éclater les ballons.

lundi 25 février 2019



Au bois dormant


(Versailles, Yvelines, 24 février)

Les ronces qui écorchent les chevilles
le bois mort qui craque sous les pas
au centre un lit drapé de neuf

dimanche 24 février 2019

samedi 23 février 2019



Prémices


(Turenne-Gare, Corrèze, 21 février)

Célestin Dupuy s’est réveillé en bandant ce matin. Quelques crocus sur le chemin, deux canards et un héron au bord de l’étang, le givre étoilé sur un brin d’herbe jaune, ce léger trouble au dessus de l’eau dans la fraîcheur matinale, un ciel clair, la journée sera belle.

vendredi 22 février 2019



La douceur de l'amour


( Paon-du-Jour, Eyburie, Corrèze, 19 février)

Nous sommes encore en hiver,
pourtant il y a, posé sur la pierre,
un papillon, le premier de l’année.
Ses ailes ont la douceur de l’amour.

jeudi 21 février 2019


Un passage secret


(Turenne, Corrèze, 7h30)

Il y avait une grande salle au sous-sol de mon école. À dix heures on y faisait la distribution de Cacolac. J’y ai vu un jour un spectacle d’ombres chinoises. Le premier spectacle dont je me souvienne. J’avais six ans. Rien ne me reste de l’histoire, si ce n’est la sensation d’avoir été emporté loin, les yeux grand ouverts.
Je découvrais un passage secret dans le sous-sol de mon école.

mercredi 20 février 2019



La Perle du Limousin


(Uzerche, Corréze, 19 février)

Uzerche est une ville mystérieuse, âpre. La pierre est grise, la côte jusqu’à l’église est raide.
Le chant de la mésange y côtoie celui de la faucheuse. Lors de mon premier séjour en 1986, je disais: Il y a de la mousse sur les pierres et dans le cœur des gens. Je me trompais. J’ai rencontré des gens formidables, j’ai vécu l’un de mes plus forts moments de théâtre, j’ai aimé à la folie, ma fille a fait ses premiers pas sur les hauteurs de la ville. « Le Venin des Histoires », c’est le titre du spectacle que nous avions crée cette année là. Nous avons connu des moments de douleurs, des moments de grâce inouïs, et un drame, une comédienne a eu un grave accident de voiture. Trente ans plus tard certains me parlent encore de l’émotion soulevée par ce spectacle. Il est l’une des clés de l’acteur que je suis devenu.
En septembre 2017, j’y reviens avec une autre équipe, un projet autour de la vieillesse et de la mort. J’apprends la mort de mon père au bout de deux jours de travail. Quelque chose se passe, comme une évidence, je trouve ce point où le chagrin et la joie fusionnent. Nous avons beaucoup ri pendant ces quelques jours de travail avant que je ne retrouve les miens pour accompagner mon père.
Je reviens à Uzerche ces jours ci, reprendre le travail interrompu l’an dernier. Au premiers mots la gorge se serre, puis la légèreté revient. Et à nouveau les tragédies de la vie pointent leur nez. Le père de l’un d’entre nous est aux urgences.
Nous parlons de ces coïncidences malheureuses, chacun d’entre nous porte son lot de drames liés à la ville.
Uzerche serait-elle une ville tragique, une ville porte-malheur. On la nomme pourtant la Perle du Limousin.
Quand un objet irritant pénètre à l’intérieur de la coquille d’une huître, celle ci entoure l’objet d’une couche de nacre, ainsi se forme la perle.
Uzerche est tout simplement une ville où l’on ne triche pas. J’y reviens pour éprouver ma condition d’homme, pour fabriquer de la nacre.

mardi 19 février 2019


Un fantôme


(Nussas, Eyburie, Corrèze)

J’ai demandé mon chemin à un fantôme, il m’a demandé de rester à ses côtés, 
il y faisait un peu frais, j’ai préféré m’en aller.

lundi 18 février 2019


Un bon gars


(Uzerche, Corrèze)

La lune est pleine, les dés sont pipés. Au jeu des petits chevaux, il est toujours perdant. Il finit sa bière sans dire un mot, Ginette au fond du verre. La nuit sera rude, va falloir attendre l’été pour embrasser. C’est un bon gars mais y a pas de prise pour s’accrocher. C’est comme ça, ça dure pas. Il l’aurait voulue pour la vie, Ginette s’est tirée un lundi. Je reviendrai quand t’auras refait les peintures qu’elle a dit. Il a rien compris, il a juste chialé. Il sait pas faire, il sait pas dire.
Faudra bien qu’un jour ce soit son tour.

dimanche 17 février 2019

samedi 16 février 2019


Rayures


(Uzerche, Corrèze)

Le soleil ne va pas tarder à se lever sur la campagne givrée. Le vieil homme collé au radiateur regarde par la fenêtre. Il répète en boucle: Oui, oui, c’est ça, c’est bien ça… Oui, oui, c’est ça…

vendredi 15 février 2019



Désordre


(Uzerche, Corrèze)

Première journée de résidence dans le tout nouveau théâtre d’Uzerche. Nous évoquons le désir d’une forme créant du désordre pour mieux questionner l’intime et le politique. Est-ce le bon endroit?

jeudi 14 février 2019



Saint-Valentin


(D167, entre Lagraulière et Uzerche, Corrèze)

Les jours rallongent, à dix huit heures trente, il y a encore suffisamment de lumière pour mêler le ciel et l’eau. Je reviens de Bretenoux dans le Lot. J’ai passé un moment dans un EPHAD avec quelques vieilles dames. Nous nous sommes racontés des histoires d’amour, c’est la Saint-Valentin. Depuis octobre je viens là une fois par mois. Un atelier, de quoi, encore une fois je ne saurais le dire. Nous conversons, nous nous racontons, c’est tout.
Je m’arrête sur le bord de la route. Ce miroir posé dans le vallon me renvoie tant d’images, il me dit que je suis fait de tous ces gens que je rencontre, il a l’éclat des yeux de Jeanne, le tranchant du sourire de Jeannette, la douceur de la main d’Irène, la noirceur des sourcils de Marie-Louise, l’épi dans les cheveux de Simone, la vivacité de Paulette, l’étonnement de Jeanne.
Il a la profondeur de l’amour de Sophie, le charme des routes qui ne finissent jamais.
Il a le regard de nos enfants, la confiance des collines.
Il a la voix des anciens, ce que l’on doit au ciel et à la terre.
Il garde la lumière du crépuscule un jour de Saint-Valentin.

mercredi 13 février 2019


Au dessus des toits


(Vaucresson, 9h15)

Le brouillard était si dense  
que l’on pouvait marcher dedans au dessus des toits 
et venir surprendre les voisins à leurs fenêtres.

mardi 12 février 2019


Aimer les arbres


 (Hendaye, 17 novembre 2018)

Une jeune femme avec qui je viens de travailler me dit au moment de nous quitter combien elle aime les arbres.
Je m’engouffre dans le métro heureux de cette rencontre.
Dans le train, alors que l’on se presse comme des fourmis besogneuses, un homme est assis en face de moi, un homme noir, au visage fin; il se tient parfaitement droit, immobile, les yeux fermés, le visage tourné vers les vitres; il semble dormir.
Je l’observe, je me dis qu’il doit lui aussi aimer les arbres, peut-être rêve-t-il d’une allée de feuilles mortes qui va vers la mer. À l’instant où je l’imagine marchant dans le sous bois, l’homme ouvre les yeux et me sourit.

lundi 11 février 2019


Sauter par la fenêtre


(Toulouse, 6 février)

Se prendre une mémorable casquette
Sauter par la fenêtre
Et courir sur l’eau
D’un bout à l’autre du monde
Avant le grand effondrement

dimanche 10 février 2019

samedi 9 février 2019



Huit samouraïs désarmés


(Vaucresson)

Ils foulent ensemble les feuilles mortes
tenant haut leurs lanternes blanches
huit samouraïs désarmés
vont à pied sur les sentiers
ils passent un pont de bois
ils  franchissent un col où rien ne pousse
ils suivent le lit d’une rivière à sec
ils cherchent une vallée où l’on ne se bat pas

vendredi 8 février 2019


Musique militaire


( Voie Mazas, Paris, 12ième, 9 janvier)

Sa femme est hyperacousique, son voisin du dessus est misophone, son voisin du dessous est antimilitariste, sa voisine de droite est paranoïaque, son voisin de gauche est gardien de nuit et les cuivres agacent le chien du concierge. Pourtant il n’y a que la trompette et la musique militaire qui le tiennent debout. Alors il vient chaque jour sur les quais  faire ses gammes et jouer son répertoire devant les autos qui défilent.

jeudi 7 février 2019



Le tour de l'étang


(Marnes-la-Coquette, Hauts-de-Seine, 3 février)

C’est un dimanche après-midi, après avoir mangé un poulet frites, ils se promènent au bord de l’eau. La vieille dame s’accroche au bras de son fils, elle raconte comment elle dansait le soir au casino. Il l’écoute, il lui parle de la mer et des oiseaux, il se dit que bientôt elle ne pourra plus faire le tour de l’étang.

mercredi 6 février 2019



Un Voyage


(Toulouse, Jardin des plantes, Haute-Garonne)

Je pars à cinq heures, il pleut, un crachin glacé. Dans le train les visages sont fatigués, beaucoup dorment, gagnent quelques minutes de sommeil le temps du trajet avant les huit heures de travail quotidien. Train de banlieue, métro, visages cosmopolites d’avant le lever du soleil, ceux qui chaque jour dans le même wagon se reconnaissent se saluent.
Montparnasse, ce sont maintenant quelques cadres qui à peine installés dans le TGV ouvrent leurs ordinateurs. Ils n’auront pas été déconnectés plus d’une heure.
Je pars à Toulouse. Un simple aller et retour pour l’enterrement de ma tante Suzanne, la sœur aînée de ma mère. 95 ans, une génération s’éteint petit à petit. Ma mère est la dernière, elle le dit en riant. Le sourire, le signe de cette famille dont Toulouse fut le berceau.
Après une soirée en famille et une nuit à l’hôtel, je me rends à pied à l’église. Le même crachin à Toulouse qu’à Paris, mais plus doux. Même sous un ciel gris la ville est belle. Les multiples impacts sur les vitrines après les dernières manifestations contrastent avec la douceur des briques. Toulouse, la ville rose où l’on voit le ciel.
Il est encore tôt, je suis en avance pour la cérémonie religieuse, je fais quelques pas au jardin des plantes, tout près de l’église.
C’est là que j’aperçois cette belle jeune femme qui observe les oiseaux, assise en tailleur sur les feuilles mortes dans les buissons.
Une princesse Hmong. L’émotion me saisit. L’image aurait put être prise au Vietnam ou en Guyane. Les histoires de ma famille maternelle et paternelle se bousculent. Il y a cet homme, un vietnamien, qui s’est présenté un jour chez ma tante Suzanne. Il était le fils d’un arrière grand-oncle militaire en poste en Indochine, et après de longues années venait enfin de retrouver la trace de ses origines. Il y a mon grand-père paternel qui fit carrière en Indochine dans les messageries fluviales. Il y a toute cette branche de ma famille maternelle qui est partie pour l’Argentine. Il y a eu l’Afrique pour mes parents. L’Afrique, l’Asie, l’Amérique du sud.
En vieillissant l’histoire familiale m’intéresse de plus en plus. Elle détient sans doute les clés d’une part de ce que nous sommes.
Le mois prochain je pars cinq semaines en Guyane. Les raisons de l’amour que j’ai pour ces terres tropicales que je fréquente depuis plus de dix ans me paraissent de plus en plus claires.
Aujourd’hui, au jardin des plantes de Toulouse, cette jeune femme m’emporte dans un fantastique voyage en compagnie des morts. Je l'en remercie.

mardi 5 février 2019



Feng shui


(Marnes-la-Coquette, Hauts-de-Seine, 3 février)

Son appartement est feng shui, 
son mari est mathématicien, 
ses enfants sont précoces, 
de sa fenêtre elle voit l’eau, les roseaux et les oiseaux, 
elle entend l’autoroute et les avions, 
elle peint des arbres morts et écrit des haïkus, 
elle s’emmerde à mourir à Marnes-la-Coquette.

lundi 4 février 2019


À Pâques ou aux Marquises


(Marnes-la-Coquette, Hauts-de-Seine, 3 février)

C’est un étang loin à l’intérieur des terres, 
mouettes et cormorans viennent y passer l’hiver.
C’est un homme qu’a pas le cran ni les épaules,
au soleil de quatre heures, sur un banc de bois,
il s’embarque pour Pâques ou les Marquises.

dimanche 3 février 2019

samedi 2 février 2019



Il a neigé!


(Vaucresson, 30 janvier)

Mardi, il a neigé. Les bambous étaient à genoux, le lilas glacé, une gosse branche du noisetier pendait, rompue sous le poids de la neige.
Samedi matin il ne reste au fond du jardin que quelques traces blanc sale, et  dans la prairie à quelques pas de la maison deux tas  de neige informes, restes de bonshommes à la gloire éphémères.
Enfant, chaque matin d’hiver, au réveil, je me précipitait à la fenêtre espérant une neige épaisse.
Si le paysage était blanc, on criait de joie: « Il a neigé, il a neigé! » et on réveillait tout le monde. On s’habillait en conséquence. Pantalon de ski, dit fuseau, que ne porte maintenant que des jeunes filles « vintages », après-ski fourrés, chaussures montantes avec une fermeture éclair au milieu, anorak, gants épais et bonnet de laine. Se vêtir ainsi était une délicieuse promesse de jeux dans la neige.
Nous roulions la neige en énormes boules laissant de grandes traînées vertes sur tout ce blanc.
Nos bonshommes de neige souriaient. Leur durée de vie était bien plus longue.


Belphégor


(Marly-le-Roi, Yvelines, 6 janvier)

Deux  vieux amoureux jouent à cache cache dans le parc de Marly.
C’est un dimanche d’hiver. Au réveil une chanson de Brel, « Il peut pleuvoir », leur a donné un regain de vitalité. Ils sont partis en trottinant dans la prairie.
Ils se cachent, ils s’appellent, ils se retrouvent, et se cachent à nouveau.
Soudain elle s’arrête devant une statue recouverte pour l’hiver. Lui est derrière, immobile, frissonnant comme un gamin. Elle se voit alors à douze ans, l’œil collé à la serrure de la porte du salon où trône la télévision, tentant d’apercevoir l’ombre du fantôme du Louvre interdit aux enfants.
Alors mue par ce même sentiment de terreur et d’excitation, elle hurle: «  Belphégor » et lui jaillit de sa cachette et la serre dans ses bras avec la puissance d’un super-héros.