jeudi 19 mai 2016



Loin du Tumulte


Loin du tumulte, je fais une pause sur une petite route des Baronnies, au dessus de Bagnères- de -Bigorre. Je pense à ma mère qui m’avait passé un savon lorsque à quinze ans j’étais rentré aphone de ma première manifestation. Je pense à mon oncle Pierre qui s’abstenait de parler politique, un peintre immense qui portait sur le monde un regard sans cesse émerveillé et bienveillant. C’est avec eux que j’ai fait mes première grandes marches en montagne. C’était en Ariège. Je devais avoir douze où treize ans. Nous nous désaltérions à la régalade aux goulot de gourdes de peaux emplie d’eau teintée de vin rouge. En cas de fatigue, nous avions droit à un sucre imbibé d’alcool de menthe Ricqlès et  au pique-nique c’était saucisse sèche et  Bethmale au lait cru.  Nous partions aux aurores et avions chacun notre bâton. J’étais chaussé de Pataugas de toile brune très vite trempées par la rosée. Nous montions au gouffre du Berger, un énorme trou au bord du sentier si profond que l’écho d’une pierre jetée s’y perdait ou aux prairies de Balaguères d’où s’ouvrait une vue sur de plus hauts sommets, ou encore à la carrière de marbre, une carrière désaffectée où juché sur des vestiges de machines rouillées je faisais résonner ma voix sur les parois de pierre verticales.
Je pense à ses marches légères tandis que m’assaillent comme les mouches en été autour des étables toutes ces images de violence qui envahissent les réseaux sociaux.
Je pense alors aussi à ce jour où sur le chemin de l’école j’avais trouvé un billet de cinq francs. Ma mère m’avait dit de le donner au policier qui faisait traverser les enfants devant l’école, celui qui l’avait perdu pourrait alors le récupérer; mais j’avais bien vu dans les yeux du policier et à sa façon de glisser le billet dans sa poche la belle aubaine. Je pense à ce jour où à dix huit ans dans un couloir de métro un flic m’avait plaqué contre le mur en m’insultant parce que je l’avais tutoyé alors que lui même m’avait tutoyé en m’arrêtant pour me demander mes papiers. Je pense à ce tabassage en règle par des membres du GUD simplement pour avoir élevé la voix contre leurs agissements.
Je ne suis qu’un petit homme, j’ai grandi ainsi sur les chemins, le nez au vent et les yeux grand ouverts. Je sais avec certitude dans quel monde je veux vivre. Je serais toujours du coté des indiens. Mais là, un petit sucre imbibé de Ricqlès ne me ferait pas de mal…

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