lundi 23 novembre 2015



Le conteur


 Petit, il ne pouvait parler. Chaque fois les mots se bousculaient, cognaient, hésitaient, se heurtaient, le coeur palpitait, la peau picotait, il rougissait et transpirait.
Pourtant il fallait dire, répondre, demander,  où se défendre, lui où un autre. Mais rien de cohérent ne sortait. Il se renfermait, mutique, renfrogné, au pied d’un arbre, dans la cour de l’école.
La proximité du tronc, l’écorce, son odeur, le frémissement des feuilles, la lumière au travers, étaient sa consolation. Il restait là immobile à chaque récréation. Juste là, immobile. Respirer, sentir , écouter, regarder. Regarder les autres. A force de les observer, il sut tout d’eux, il pouvait les raconter du début à la fin. Parfois il se tournait face au tronc et il parlait. Il racontait la cour à l’arbre. Ca coulait entre ses lèvres, tout bas au début, puis de plus en plus fort.
Le premier qui s’est approché, c’est Paul, un petit avec de grandes oreilles. Il le regardait en souriant, il l’écoutait. Puis les autres sont venus, et il parlait de plus en plus fort, de plus en plus clair. Colette, la fille aux couettes pour qui il avait le béguin, n’en revenait pas. Le petit Jacques parlait! Il s’est retourné, et il a continué. Chacun avait son histoire, même le vieux Justin qui avec son gilet jaune fluo veillait sur le passage clouté devant l’école.
Il sut alors que s’il cessait de raconter, il ne parlerait plus…

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