Hé merde!
(Fontarabie, Espagne, vue de Hendaye, 4 août)
Rick avait passé la soirée à Fontarabie avec une brune explosive qui aimait les bagnoles et les motos. Ce soir là il portait une chemise hawaïenne avec des voitures et des palmiers, des voitures rouges, bleues, vertes et jaunes sur fond noir. La fille l’avait pris pour un fondu de mécanique, un as du volant, un Mozart du double débrayage, un expert du dérapage, un maestro du tête à queue.
Rick n’y connaît absolument rien en mécanique. Pour lui, l’automobile n’est qu’une question d’esthétique, un art de vivre. Rick est un artiste, il conduit au ralenti, il regarde, il sent. Il a fallu du temps pour construire la route, tracer l’itinéraire, dégager le passage, creuser, étaler la terre et le sable, poser l’asphalte, alors il faut du temps pour la suivre. Question de tempo, c’est pas pour rien qu’il est batteur. Par exemple La route entre Fontarabie et Saint-Sébastien, sur le Jaiskibel, tu la fait au couchant à trente à l’heure dans une décapotable bleue, une Ford Mustang de 1966, la couleur pour la mer, les lignes pour la montagne. Une rythmique discrète aux balais derrière la trompette de Miles Davis.
La fille parlait à toute allure, ils en étaient à leur cinquième Mojito. Il donnait le change. Quand une fille lui plaît, il sait faire semblant. Il prenait des airs de Steeve Mc Queen. Bon, il est brun, un peu dégarni, mais il a un regard dit-on. La fille voulait bouger, elle commençait à sentir l’embrouille. Elle, ce qu’elle voulait, c’était rouler à cent à l’heure accrochée dans son dos sur une Kawasaki Ninja H2R, pas regarder les étoiles sur le sable allongée entre deux barques de pécheurs.
Alors quand il lui a dit qu’il n’avait ni voiture ni moto, que son hôtel était à Hendaye de l’autre coté de la Bidassoa, que le dernier bateau qui faisait la navette entre les deux villes était à une heure du matin, elle l’a planté là sur le quai; pas un baiser, rien, un tchao sifflé entre les lèvres, et elle a filé, son cul magnifique s’éloignant en roulant dans la nuit. Une composition dont il n’a pas trouvé le final qui se shunte tandis qu’il ne trouve plus la force de tenir ses baguettes. En eau de boudin dit-on.
Une fois dans sa chambre, il s’est endormi comme une masse. De toute façon, c’était pas plus mal, le lendemain il avait un rendez vous dans la matinée à Biarritz avec le directeur d’une grande maison de disque. Un juteux contrat à la clef, celui-ci avait eu vent d’une session exceptionnelle avec le Rick Delaveine Trio au festival de Marciac. Rick avait récupéré un enregistrement, pas de très grande qualité, mais on y percevait toute la force du groupe, mélange de joie, de dérision et de mélancolie avec quelques éclairs de sauvagerie au moment où l’on s’y attend le moins, et surtout ce petit quelque chose qui donne du chien, une légère imperfection qui fait qu’on se sent si proche.
La salle avait fini debout, il en avait laissé une chemise Pierre Cardin en soie.
Le réveille sonne.
Rick rêvait qu’il était avec la fille dans une Ford Mustang Bleue sur la route de Big Sur en Californie. C’est elle qui conduit. Ils roulent vite. Elle porte des gants de conduite en cuir beige. La route tourne, tourne, il ne se sent pas très bien, il lui demande de ralentir, elle rit, pose sa main sur sa cuisse, le caresse, il est tétanisé, elle roule de plus en plus vite, une main sur le volant, l’autre qui s’affaire sur sa cuisse, il ne sait plus s’il se sent bien ou mal. Il fixe le gant de cuir sur sa cuisse, incapable de la moindre réaction. Maintenant ils sont dans une chambre aux murs bleus. Il est nu. Il bande.En face du lit, il y a un tableau de Pollock. Elle lui dit attends et disparait.
Il se réveille.
Il a mal au crâne, il est courbaturé, il bande toujours. Soudain il se souvient qu’il a oublié l’enregistrement dans la Ford Mustang. Il ne peut pas aller à son rendez vous sans cet enregistrement. Il faut qu’il retourne dans son rêve pour le récupérer. Il se rendort.
Quand il se réveille à nouveau, il est trop tard, il ne sera jamais à l’heure à son rendez vous.
Hé merde!
J'adore ce bonhomme, quel portrait !
RépondreSupprimerMerci Christine.
RépondreSupprimerRick Delaveine est apparu sur ce blog en septembre 2015, ça se passait à Bilbao. Rick aime l'Espagne, il y boit plus que de raison. Depuis il revient régulièrement sur le blog au hasard des voyages et des humeurs. C'est un bon camarade.