mardi 8 août 2017


Des copains


(Saint-Cloud, Hauts-de-Seine, 2 juillet)


Youssouph est venu un peu tôt, il n’y a personne encore au boulodrome. Youssouph est nouveau dans le quartier, il aimerait bien se faire des copains. Il a acheté un jeu de trois boules Obut Match+ et une casquette jaune.
 On ne voit pas souvent de noirs sur les terrains de pétanque, et pourtant c’est un sénégalais, Fara Ndiaye, qui a gagné au Star Master Pétanque en mars à Pattaya en Thaïlande. Il a même battu le record du monde de tir de précision il y a quelques années. Fara vient de Dakar, comme lui. Alors il n’y a pas de raison qu’on ne veuille pas de lui.
Jusque là tout c’est bien passé:  Il a trouvé un boulot de plongeur dans un grand restaurant sur les bords de Seine, une chambre avec un lavabo, douche et WC sur le palier, et sa carte de séjour « salarié » a été validée pour trois ans.
Le mois dernier il est venu au boulodrome, pour voir, il n’habite pas loin. Un gars avec une casquette jaune délavée l’a salué, un gars sans âge qui parlait comme un chien qui s’ébroue. Même en tirant il parlait. Il a suffi d’un quart d’heure pour que Youssouph sache tout de lui, le montant de son allocation chômage, le tour de poitrine de sa femme, la maladie de sa mère, les métiers de ses enfants, le frigo à changer, ses douleurs au gros orteil, son âge, sa marque de boules préférée. Il s’appelle Roger, est né et a vécu dans le quartier.
Youssouph sait ce qu’il veut, mais il est timide, très timide. Il laisse les gens venir à lui. Cétait un bon début.
Chaque mois Youssouph envoie cent cinquante euros de son salaire à ses vieux parents  au Sénégal, le montant du jeu de trois boules Match +. Ce mois ci les parents n’auront rien, il leur a expliqué pourquoi, la mère a compris.
Avant de revenir au boulodrome, Youssouph s’est entrainé tout seul au bois de Boulogne, en face , de l’autre coté de la Seine. Pointer, tirer, pointer, tirer. Il a trouvé un coin tranquille, une minuscule clairière. C’est là qu’il a fait la connaissance de Yolanda, mais ça c’est une autre histoire, l’histoire du timide qui à force de laisser les gens venir à lui, en a vu du monde.
Ce dimanche, Youssouph se sent prêt. Il attend, un peu nerveux, que les joueurs arrivent. En général ils viennent vers seize heures, après la sieste. Il espère que Roger sera là, ça facilitera le contact.
Encore faudra-t-il qu'ils soient un nombre impair, il sera alors sans doute le bienvenu pour une doublette ou une triplette.
Il a sorti les boules de leur étui, il les soupèse, les passe d’une main à l’autre. Il sait que s’il assure, il gagnera une bande de potes.

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