Le premier départ de Tonton Yves, pêcheur d'Islande
On habitait à six ou sept kilomètres de Paimpol. On est parti à pieds à deux heures du matin, pour embarquer vers quatre heures et quitter le port avec la marée. Il fait nuit noire. On entend la chouette. Je marche, en silence, mon père à coté, silencieux pareil, ma mère derrière. On marche. Fait froid. On marche. Et v’là qu’à une croisée, une silhouette nous rejoint. Et puis une autre. Et encore une autre. Et encore, à chaque nouveau croisement, des hommes nous rejoignent, parfois suivis des femmes, tous silencieux pareil. On marche. Toute une troupe, et moi quatorze ans, le plus petit. Je marche. Un coup j’ai peur, je rentre la tête dans les épaules, je baisse les yeux, un coup je m’redresse. Quelque chose qui se passe. L’impression de grandir, fier d’être avec ces hommes, comme si d’un coup mes épaules étaient à la hauteur de celles de mon père. je marche, fier, la nuit s’éclaircit. Je marche. Et puis derrière les femmes qui ralentissent, des mains qui se serrent.
On arrive en haut du bourg, là où y’a l’église. Y’a le vent qui souffle… Et de nouveau cette boule dans la gorge…
( Chapelle Notre-Dame-De-Grâce, Honfleur, 5 octobre 2016, texte écrit en 2009 pour le spectacle "L'Islandais")
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