jeudi 28 mars 2019


Le sable est doux entre les doigts


(Kourou, Guyane, 27 mars)

Cyprien  a ôté ses chaussures et sa chemise, il s’est accroupi à l’ombre des cocotiers. Il ramasse de petites poignées de sable qu’il fait couler entre ses doigts. Le sable est doux. Les nuages vont en cortège, les enfants jouent, le vent balance les palmes. Cyprien est libre, infiniment libre, personne ne l’attend, le sable est doux entre ses doigts.
Cyprien fixe un point à l’horizon, deux traits sombres, un point fixe dans sa mémoire, les îles du Salut, le bagne où son père a crevé les fers aux pieds. Son père a crevé pour avoir refusé de rentrer dans le rang. On est comme ça depuis toujours dans la famille de Cyprien, on ne supporte pas l’injustice et la norme absurde, on le dit, on se bat.
À soixante ans passés, Cyprien ne compte plus les coups de matraque et les soirées la voix cassée d’avoir tant gueulé.
Le sable est doux, Cyprien goûte ce moment ouvert au vent. Plus il fixe les îles au loin, plus il pense à son père. Vient alors ce sentiment que la liberté n’est qu’illusion tandis que dans le monde entier l’étau se resserre.
Pourtant le sable est si doux entre ses doigts.

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