B. Paradis
(Guise, Aisne, 7avril 2018)
Elle ne lui avait pas donné de nom, juste un numéro, le 244. La première fois, elle l’avait appelé une nuit sans lune, une nuit de brume. Rick s’était réveillé en sursaut, ne sachant plus où il était, comme chaque fois qu’il rentre de voyage. Il n’avait pas reconnu cette voix, elle avait la douceur de la soie roulée au bout des doigts, avec parfois un infime grain de sable. Elle lui avait parlé de lui, elle semblait le connaître, très bien. Elle lui avait dit qu’elle aussi aimait les arbres et la pluie chaude qui goutte sur la nuque. Elle lui avait dit qu’elle venait d’un pays au parfum de menthe et de lait caillé. Elle lui avait dit combien elle aimait l’amour, ses pétales et ses épines. Elle lui avait dit qu’elle aimait voir se lever le soleil en écoutant les oiseaux, qu’elle aimait le bruit de l’eau dans les gouttières et du vent dans les haubans. Elle lui avait parlé des coquelicots, des oiseaux de proie qui veillent sur le bord des routes, de la lune dans les buissons, des pierres qui roulent, des roseaux qui penchent et du caillou dans la chaussure. Elle lui avait parlé du père qui ne dit rien, de la mère qui rit aux éclats. Elle lui avait parlé de la tête posée sur la poitrine comme une île sur son océan. Elle lui avait parlé des jours sans savoir quoi faire ni de ses mains ni de ses mots. Elle lui avait parlé du silence et des marées, des étreintes et des regards, de la caresse d’un cil, des lèvres dans le cou, d’une étoffe qui s’envole.
Elle avait parlé, sans jamais dire son nom, elle avait parlé plusieurs nuits de suite, sa voix avait le goût du meilleur des whiskies, le goût de la terre et d’un nuage solitaire, le goût des saisons et de l’infini.
Elle lui avait dit viens, porte 244, au Familistère de Guise.
Il était venu, porte 244, au Familistère de Guise. Il avait vu son nom sur la porte, son cœur s’était emballé.
Il n’avait pas osé frapper, il était longtemps resté immobile devant la porte, le cœur battant, l’oreille tendue.
Il n’avait pas osé frapper, il était reparti sans faire de bruit, avec celle qu’il avait imaginée, certain ainsi de ne jamais la perdre.
Merci Pierre, c'est trop bien de commencer la journée avec cette lecture, Marie - Pierre
RépondreSupprimerMagnifique… !!
RépondreSupprimer