À l'ombre des hommes-bois
(Parc naturel d’Aralar, Larraitz, Espagne)
Miguel est devant. Une bonne paire de chaussures, un pochon de plastique avec un peu de pain et de fromage, un long bâton, il mène les juments et leur poulains aux pâtures. Une vingtaines de juments, presqu’autant de sonnailles différentes, et sept poulains. Son frère, Imanol, ferme la marche avec les chiens. Les deux frères ont vingt cinq et vingt trois ans et se ressemblent beaucoup. Le père dit de la mère qu’elle fait des copies.
De Larraitz, au pied du Txindoki, jusqu’aux prairies, il y a bien trois heures de marche. Ils sont partis à quinze heures, ils seront redescendus avant la nuit. Miguel connaît bien le sentier. Il y a juste un passage difficile, après les gros arbres; le sentier rétrécit et les pierres sont glissantes; il faut veiller aux poulains qui découvrent les chemins de montagne.
Là, avant que la pente ne devienne plus abrupte, il y a un point d’eau, à l’ombre des « hommes-bois ». C’est ainsi que leur grand-mère nommait ces arbres aux troncs épais et multiples, pas très hauts et recouverts de mousse.
Ils font une pause, les juments boivent, se bousculent, l’abreuvoir n’est pas plus grand qu’une baignoire, les chiens aboient, il faut remettre un peu d’ordre dans le troupeau, Imanol joue du bâton.
Miguel regarde les vieux arbres. Il pense à sa grand-mère qui avait sa façon à elle de parler des hommes. Il sent son cœur comme ce bois, un cœur difforme, énorme, un cœur débordant d’amour et incapable de choisir, un cœur qui puise à la moindre source pour en faire un fleuve.
Miguel pousse un cri, un cri joyeux et ferme, c’est lui le guide, il ne faut pas tarder, même si son cœur ne demande que ça.
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