vendredi 24 novembre 2017



La Marelle


(Saint-Amand, Manche, 22 novembre)

Kassim s’est levé à contre-cœur ce matin. Collé au dos de sa jeune épouse, la main posée sur le ventre rond, il sentait battre les pieds et les poings du petit. Ce sera un garçon, le docteur l’a dit à l’échographie, son fils, leur fils. Il sera un peu noir un peu blanc, noir comme lui, blanc comme Élodie.  Son Élodie, mon pays lui dit-il quand il la serre dans ses bras. Son fils sera bien ici en Normandie, il aura un toit, il ira à l’école, il vivra en paix…
Kassim s’est détaché délicatement d’Élodie. Elle ne s’est pas réveillée, elle a fait  un drôle de petit bruit qui lui a rappelé les chiots du pays de son enfance.
Il doit retrouver Robert à l’école avant l’ouverture pour réparer une fuite sur le toit. Le soleil se lève à peine. Kassim se fait une règle d’être toujours en avance. Très en avance même, puisqu’ici il y a des horaires à respecter, et qu’il est incapable de courir après le temps. Alors il anticipe toujours d’une heure ou deux, il va tranquille.
Kassim vient d’arriver, Robert n’est pas encore là. Il entre dans la cour, le portail n’est jamais fermé à clé, il regarde le ciel, le toit de l’école, les ombres sur le sol. Il remarque une marelle peinte en blanc sur le bitume. Il ne l’avait jamais remarquée, pourtant il vient souvent bricoler ici. Il pose sa boite à outil et saute à cloche pied de case en case. Il saute de plus en plus vite, change de pied, chante les numéros des cases.
Ce soir il prendra un pot de peinture à l’atelier municipal,  pour peindre une marelle dans la cour de leur maison. À la place de Terre, il écrira Mali, à la place de Ciel, il écrira Normandie.

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