Des douceurs pour le nouvel an
(Vaucresson, 10h 35)
Ils habitent une chambre de bonne dans l’immeuble en haut de la colline du parc aux grands arbres. Elle a enfilé deux manteaux, deux paires de bas, son bonnet et la capuche par dessus, ses chaussures fourrées avec une fermeture éclair sur le dessus, elle a pris son caddie, elle a dit je file à la boulangerie nous acheter des douceurs pour le nouvel an. Lui est resté au chaud sous la couette, faisait 0°ce matin là. Elle a descendu la colline. Elle s’est arrêtée pour regarder un écureuil courir sur un arbre , disparaître derrière le tronc, réapparaître un peu plus haut, aller au bout d’une branche, faire demi tour, disparaître à nouveau, est-ce le même qu’hier s’est-elle demandé. Elle s’est arrêtée pour regarder passer un vol d’oies sauvages surgies du brouillard en cacardant, elle est restée immobile la tête levée jusqu’à ce que le son s’éteignent loin dans la brume, là bas vers l’étang de la Marche s’est-elle dit. Elle s’est arrêtée pour regarder de petits fils de givre qui pendaient aux branches tels de fins colliers de perles, elle a attendu qu’ils fondent , comme ils ne fondaient pas elle a soufflé un nuage de son haleine chaude sur les perles, un petit nuage sur un collier de perles qui fond, quand était-ce la dernière fois où il a gelé s’est-elle demandé. Elle s’est arrêtée pour regarder jouer deux grands-parents avec leur petit fils, ils jouaient à chat sous les grands arbres, le gamin avait les joues rouges, le grand-père qui boitait un peu se faisait attrapé à chaque fois, il n’y avait qu’eux et elle dans le parc embrumé, elle s’est rappelé avoir joué à chat avec son homme un jour d’hiver dans les rues pentues de Lisbonne. Elle s’est arrêtée devant une guirlande de traces d’oiseau sur le chemin blanc de givre, trois traits noirs à chaque pas, elle s’est demandé quel oiseau c’était, un gros sûrement, un corbeau peut-être, ici les gros, corbeaux, pies, perruches chassent les petits. Elle est sortie du parc, le portail a grincé, elle est restée là un moment à ouvrir et fermer le portail pour l’écouter grincer, ça grinçait comme la boite au lettre de la dame dont elle s’occupait, la dame ne voyait plus, elle lui lisait son courrier, la dame est morte à l’automne, elle s’est demandé si quelqu’un avait nettoyé la tombe après les dernières tempêtes. Elle est passée devant l’église, le curé encombré de ses béquilles, il était tombé en scooter, c’était un curé qui roulait vite, le curé à la jambe cassée donc avait du mal à ouvrir la porte, elle l’a aidé, il lui a dit merci, elle a dit de rien, elle n’a pas dit qu’elle n’aimait ni la vitesse, ni les églises, mais elle l’a pensé. Dans la Grande Rue elle a croisé madame Sophie, elles ont parlé du temps, des enfants, des chats qui mangent les oiseaux, des pavés qui font trébucher, de l’homme bizarre qui erre dans le quartier, des travaux chez l’ancien boucher, du curé et des voitures qui roulent trop vite. À la boulangerie, elle a pris une quiche, une pizza, un croissant au jambon, et puis un friand saucisse, un éclair café, deux même, ça c’est trop bon on coupe pas en deux, oh et puis ça aussi et encore ça, et ça là-bas c’est quoi, ça a l’air bon mettez m’en aussi, ah oui, j’allais oublier les chouquettes, mettez en vingt, on les mangera en regardant la télé, il en raffole mon homme. Quand elle est sortie les rayons du boulanger étaient à moitié vides. Au retour il fallait s’arrêter souffler de temps en temps dans la côte, le caddie était bien lourd à tirer. Elle a salué un voisin qui promenait son chien, ils se sont souhaité une bonne année, et ci et ça et encore ça. Elle a regardé deux trois trucs qu’elle n’avait jamais remarqué comme tous ces nœuds en bas du tronc du vieux châtaignier.
Elle a poussé la porte de leur chambre. Son homme était toujours sous la couette, en train de lire Moby Dick.
C’est moi…J’ai pas été trop longue?
Non mon cœur, comme d’habitude.
These amazing little stories are incredible. Surely you have used this talent in other ways. Simple places, simple stories, and big feelings.
RépondreSupprimer