jeudi 2 août 2018


La Carrière


(Carrière de Pauliac, Aubazines, Corrèze, 28 juillet)

Dans les années 30, à la carrière de Pauliac, trimait une centaine d’hommes aux mains calleuses.
Ils taillaient des pavés de Gneiss. La poussière de la pierre s’infiltrait dans les plis des vêtements et des corps, pénétrait souvent bien plus profond qu’ils ne pouvaient l’imaginer.
Le parterre de blocs concassés a fait  place à une prairie et une marre où, dans le silence de l’aube, viennent s’abreuver quelques biches.
À certaines heures, avant que ne sèche la pluie ruisselante sur la roche, se dessine une silhouette aiguisée. C’est celle de maître Florent qui régna sur ses ouvriers d’une main ferme. Un nez grec, un large sourire et l’oeil clair, Florent était aussi dur et exigeant avec ses hommes qu’il était tendre avec la pierre. Il lui parlait, la caressait, devinait ses moindres failles, mettait à jour la plus belle de ses textures. Il suffisait qu’il parle au rocher de sa voix grave pour que les carriers se mettent à l’œuvre avec ardeur.
Quand l’exploitation a cessé, après que l’on eut évacué les derniers blocs et les outils, Florent est resté seul pendant trois jours sans dormir. Pendant trois jours il a regardé la pierre, pendant trois jours il s’est remémoré les visages de chacun de ses ouvriers, pendant trois jours il les a nommés un à un. Puis il a quitté le pays. On n’entendit plus jamais parler de lui.
À la carrière de Pauliac, aux heures où se dessine sur la face humide la silhouette de maître Florent, on entend alors cogner les pics, les coins, et les maillets, métal contre pierre, on entend claquer, crisser et rouler le caillou, on entend battre le cœur des hommes.

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