lundi 29 mai 2017


Un Mince Collier de Chanvre


Il fait si chaud. Dans le train bondé, Lucas ne bouge pas. Il sent la sueur qui coule sur ses tempes, dans son dos, sur sa poitrine. Il sent les corps brulants des autres passagers serrés les uns contre les autres. Il sent leur fatigue, leur renoncement. Il sait qu’il sera bientôt ainsi, un corps sans nom et sans pensée anéanti par le travail, brinquebalé le matin, brinquebalé le soir, sans autre désir que la fin de la journée, puis la fin de la semaine.
Dans le train bondé, Il bouge le moins possible. Comme il faisait chez lui, là bas à Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, quand la chaleur devenait trop forte. Il fait le lézard, seuls ses yeux sont mobiles. Il regarde la nuque de la jeune femme, juste devant lui, les perles de sueur, le mince collier de chanvre noué. Il imagine le pendentif sur la gorge humide, une turquoise, une pierre de lune, ou quelques graines de chez lui.  Soudain, il voit sa mère, sa mère qui vendait ses colliers de graines sur le marché de Saint-Laurent, sa mère qui lavait le linge dans le fleuve tandis qu’il se balançait à une corde accrochée aux branches des gros arbres avant de se laisser tomber dans l’eau rafraichissante, sa mère qui était  si fière lorsqu’il est parti étudier à Cayenne, sa mère qui a retenu ses larmes lorsqu’il s’en est allé travailler en métropole.
C’était hier la fête des mères et il ne l’a pas appelée comme il le fait chaque année. Alors, au premier arrêt, il descend et sort de la gare. Il appelle sa mère, il ne se disent pas grand chose, que tout va bien, qu’il fait chaud, ici et là-bas, et s’envoient des baisers. Puis il repart, à pied, avec cette énergie qui le faisait courir sur les pistes de latérite quand il était enfant. Il repart à pied avec la conviction que pour ne pas disparaitre dans l’amas de corps qui emplit chaque jour les wagons aux mêmes heures, il ne doit jamais abandonner l’enfant qu’il a été sur les bords du Maroni.

(Saint-Laurent-du-Maroni, 21mars 2013)

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