mercredi 17 mai 2017



Coiff'Passion


Deux heures. La place est déserte. Qu’y a t’il derrière cette façade grise? Une femme endormie sur un fauteuil de faux cuir qui dans son rêve se voit enfant entourée de Barbies et de poneys qu’elle passait ses journées à coiffer? Sa sieste terminée, elle rallumera la lumière et attendra que quelqu’un vienne. Elle regardera par la vitrine et attendra…
Où y a t’il une femme qui dans l’arrière boutique, assise sur une chaise de paille, entourée d’une multitude de boites pleines de cheveux de toutes teintes, noue un à un des poils sur un tulle, pour en faire un postiche qui affublera un Cyrano amateur ou un apprenti gangster.
Je pense à cet homme que j’ai connu, alors que j’étais  jeune comédien. Guillaume, remarquable postichier, qui très vite travailla pour les plus grands. J’étais fasciné par sa patience. Un beau postiche, ce sont des centaines de cheveux noués un à un sur le tulle. Il aimait tant les cheveux. Il me racontait que si dans une file d’attente la personne le précédant avait une longue et belle chevelure, il ne pouvait se retenir de la toucher. Combien de fois fut-il au bord de sortir subrepticement ses ciseaux pour voler une magnifique natte. Je le vis fou de joie le jour où lui rendant visite  pour un singulier postiche, je lui apportai une longue mèche blonde, un blond vénitien, que ma fille s’était coupée. Il me racontait aussi la connaissance des visages et des caractères qu’il avait acquise à force de les transformer, comment les acteurs les plus connus  se confiait à un homme qui semblait en savoir plus sur eux qu’eux même. Humble artisan, réclamé par de grands metteurs en scène, il ne négligeait pas les acteurs moins connus à qui il faisait de petits prix. Ce qu’il aimait par dessus tout c’était ce qui sortait de l’ordinaire comme ce postiche de menton, boucles brunes rigidifiées au fixateur, qui , quand je mettais la tête à l’envers devenaient les cheveux dressés d’un petit être dont la tête était mon menton avec deux yeux peints, une petite tête et une grande bouche. J’entends son rire quand je m’étais allongé dans son petit atelier pour lui montrer ce que je voulais.
Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Récemment,  j’ai tenté de retrouver sa trace. Rien. Peut-être n’est-il plus de ce monde. Guillaume Tixier. C’est un nom banal, il y en a plein sur internet. Lui ne l’était pas, banal.
Cette façade grise, qui au premier abord pourrait dessiner l’ennui d’un village de campagne désertifié, ne l’est pas non plus. J’ai la sensation de n’avoir dit qu’une toute petite part de ce qu’elle me raconte.

(Prat-Bonrepaux, Ariège)

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