Miniatures éphémères
(Avignon, 23 juillet, 7h 30)
Dans les interstices
Un jour, une image, une histoire et autres bricolages d'un promeneur solitaire.
Couleurs du noir
(Mirmande, Drôme, 16 juillet, 11h10)
Exposition Couleurs du noir à l’église Sainte-Foy de Mirmande, un collectif de quatre artistes, Jean-Philippe Kempf, encres, Robert Kerrec, acryliques et poésie, Rainer Schlüter, sculpture, et Christiane Vielle , gravures, et ce chien venu chercher la fraicheur de l’église, ce chien noir qui s’est endormi au pied des gravures et sculptures, ce chien qui sera mon guide pour pénétrer ces paysages intérieurs où les couleurs du noir sont un appel à creuser la question de notre existence.
Les 24 h de la pétanque
(Mirmande, Drôme, 7 juillet, 12h 30)
Franck est à sa table de cuisine, un mégot au coin des lèvres, le marcel un peu taché, les pieds dans des tongs bon marché, il astique ses boules de pétanque avec un chiffon doux. Il voit son reflet dans la boule d’acier, le reflet d’un gars aux paupières tombantes qui sait pas toujours comment bien faire, sauf avec les boules. Là, il est le meilleur, tireur ou pointeur, il n’y en a pas deux comme lui. Mirmande contre Cliousclat, c’est dans trois jours, les vingt quatre heures de la pétanque, son moment, ses instants de gloire, quand sa maladresse et son bégaiement restent à la maison, au frigo, avec les bières auxquelles ils ne touche pas pendant trois jours avant le championnat. Les boules luisent sur la table en formica. C’est maintenant un autre reflet que Franck contemple sur l’acier poli, le reflet d’un gars qui ne doute pas.
La fibre
(Avignon, 17h)
Antoine a la fibre. Vous êtes éligible, on lui a dit. Les gars sont venu hier pour l’installation. Ça va mieux marcher, ils lui ont dit, vous allez vous sentir moins seul. C’est sûr que maintenant il peut rester connecté nuit et jour, il n’y a plus de coupures ou de baisse de régime. Il passe son temps rivé à son ordi. Il regarde les autres, il ne communique pas, il regarde juste. Mais bon, c’est pas pour ça qu’il se sent moins seul. Alors de temps en temps, il lâche l’ordi et se traine jusqu’à la fenêtre. En bas, il y a des gens qui font la queue devant un théâtre. Il les regarde. C’est quand même mieux en vrai. Et puis de temps en temps quelqu’un l’aperçoit et lui fait un signe.
Souvenirs
(Avignon, 11 juillet, 11h 20)
Elle fait la sieste à l’ombre, dans la fraîcheur des pierres sous le haut plafond. Un voilage de dentelle derrière le rideau de lin froissé témoigne des fastes d’antan. Elle est à moitié étendue sur une liseuse recouverte de toile de Jouy, Elle manie l’éventail avec élégance, la tête délicatement penchée, offrant son cou au léger courant d’air. Elle ne fait rien d’autre que s’éventer, insensible aux rumeurs qui montent de la rue encombrée. Tandis que son poignet encore souple agite l’éventail de papier japonais, elle divague d’un amant à l’autre. C’est étrange, depuis quelque temps, alors que l’âge et la maladie la retienne de plus en plus souvent au lit, elle rêve de ses anciens amants, des rêves délicieux où l’on se retrouve avec maladresse comme aux premières fois. Les souvenirs de ses amours qui la surprennent dans ses nuits mouvementées sont un excellent remède à ses douleurs de vieille dame.
Retour
(Avignon, 8h 45)
Elle rentre chez elle. Son train est à 10h. Elle ne prend pas le chemin le plus court pour aller à la gare. Elle a le temps. Elle longe les ruelles désertes, épargnées par l’affichage sauvage. C’est l’heure des hirondelles et des tourterelles. On peut regarder le ciel, les murs, les arbres, on peut regarder et écouter sans être interrompu à tout bout de champ. Elle prend son temps. Sous un porche elle salue un sans logis qui se réveille d’une nuit mouvementée. Il ne répond pas, il ne sait pas comment répondre. Elle fait rouler sa petite valise qui cahote sur le pavé, sa petite valise pleine de cahiers et carnets, sa petite valise pleine de tout ce qu’elle a vu et entendu, pleine de tout ce qu’elle aimerait être.
Dystopie
(Avignon, 10 juillet, 20h 05)
Dans la cité des papes les murs s’effritent. Pendue à une gouttière, une affiche claque au vent comme un étendard abandonné après le combat. Quand il n’y aura plus personne, quand le feu, le vent, les pluies, les guerres auront chassé les derniers hommes, les murs parleront, ils parleront des amours et des batailles chantés à leurs pieds, ils parleront aux rats et aux blattes, ils parleront jusqu’à ce qu’ils s’émiettent et disparaissent. Il restera quelque chose dans l’air, au dessus de la terre rase. Puisse un enfant survivant passer par là et respirer cette somme de mots…
L'homme penchant
(Avignon, 7 juillet,17h 40)
Il penche un peu, c’est un homme penchant, c’est comme ça lorsqu’il est amoureux, il penche. Alors il va piano, à contre temps dans la foule expansive. Parfois il s’adosse à un mur, un vieux mur penché, un mur dont l’inclinaison surprend. Depuis combien de temps ce bâtiment tient-il ainsi penché, 5, 6, 7 siècles? L’homme penchant s’adosse au mur penché. Il lève la tête et regarde passer les nuages. Ça lui remet les idées en place.
Parle, envole toi
(Avignon, 10h 35)
Dans la rue on racole, on bat le pavé, on roule du tambour.
Dans l’obscurité derrière la fenêtre, une silhouette furtive, un regard fiévreux, le regard de celui qui ne sait pas trop comment faire, qui voudrait bien mais n’ose pas, de celui qui sent bien que derrière ces appels, ces cris et ces chants il y a quelque chose de plus profond que ce vacarme.
Et soudain sur le mur, l’ombre portée d’un Pulcinella qui se glisse jusqu’à son oreille pour lui murmurer: « Parle, envole toi! les mots sont tes ailes*»
*Parole de Rabbi Nahman entendue dans le très beau spectacle de Bruno Abraham-Kremer, Parle, envole toi! ou comment le théâtre m’a sauvé la vie
Les pigeons
(Avignon, 5 juillet, 8h 20)
Deux pigeons attendent sur le bord du toit. La ville se réveille lentement. Bientôt ce seront des allées et venues frénétiques, des terrasses bondées, des files d’attentes, des parades assourdissantes. Les deux oiseaux iront tranquilles d’un toit à l’autre, de temps en temps ils lâcheront une fiente sur un festivalier en goguette ou un comédien inquiet, ils iront tranquilles toujours aussi étonnés de cette folie humaine qui prend la ville en juillet, bien heureux d’avoir tant à manger ce mois ci dans cette somme de déchets qui envahit les rues.
Grigri
(Avignon, 3 juillet, 10h 20)
J’ai ramassé ce bout de bois sur un sentier de sable bordé de roseaux. Immédiatement j’ai aimé le tenir, le regarder, ce ferait un beau grigri, une reine égyptienne pour bercer Bastien et les autres, les âmes solitaires du Pas de la Tortue qui ne savent pas toujours bien faire avec leurs congénères. Avec mon couteau j’ai écorcé une partie du bois, j’ai accentué l’œil et la bouche, déjà présents. La bouche n’était pas engageante, j’aurais préféré un sourire. Je me suis dit qu’il y avait bien mille raisons pour faire la moue, alors j’ai planté le bois dans un pot de fleur et j’ai versé un peu d’eau fraîche, en espérant qu’ainsi le grigri ferait son affaire.
Matin
(Avignon, 8H 30)
Il est encore tôt. les pigeons roucoulent, les corneilles criaillent, les hirondelles ont entamé leur ballet. Il fait bon. En bas dans l’impasse Petit-Saint-Jean, il ne reste que quelques bouteilles brisées et des mégots à la pelle des chamailleries alcoolisées de la veille. C’est le moment d’écrire, les machines ne sont plus en surchauffe, c'est le moment de dire à voix basse un Je t’aime et de le garder au frais pour qu’il dure jusqu’à la fin des temps.
Chaleur
(Avignon, 19h 50)
Écrasé de chaleur, je n’ai pas la force d’écarter le linge qui sèche pour regarder le paysage. Alors je l’invente. Un triptyque de jungle luxuriante bleue et or, les singes sautent d’un carré à l’autre, une feuille, une graine, une plume tombent sur la terrasse, au vent le tissu fait un bruit de feuillage, la sueur coule sur mon front, et j’entend dans le lointain le moteur d’une pirogue qui remonte le fleuve.