mercredi 20 novembre 2024


Un canto





 (Forêt de Rambouillet, 13h 05)

Variations sur  le marigot avec éclats de bois, d’herbes et de ciel, en réponse au merveilleux spectacle* d’Alessandro Sciarroni, U. (un canto), un chœur de 7 femmes et hommes (Raissa Avilés, Alessandro Bandini, Margherita D’Adamo, Nicola Fadda, Diego Finazzi, Lucia Limonta, Annapaola Trevenzuoli) célébrant a cappella l’amour et la nature avec des chants adaptés de la tradition italienne, spectacle d’une intense et nécessaire douceur.


L’un des chants: Mais où allez vous?


Mais où allez vous, mais où allez vous

si vous n’avez pas de cœur?

Que cherchez vous, que cherchez vous

si vous n’avez pas de mains pour rêver


Mais où allez vous, mais où allez vous

si vous ne savait pas aimer?

À quoi pensez vous, à quoi pensez vous

si vous n’avez pas de voix pour chanter?


Paroles et musique Bepi De Marzi


*Spectacle vu à la maison de la musique de Nanterre le 9 novembre dans le cadre du festival d’Automne

mardi 19 novembre 2024

 

Le poisson

(Plage des Chevrets, Saint-Coulomb, Ille-et-Vilaine, 15 novembre,11h)

Le voilà qui remonte sa barque sur la plage déserte, le pêcheur solitaire. Un poisson tressaute sur le fond, un seul, pas bien gros, sa queue tape sur le bois, pas bien gros mais vigoureux, le pêcheur a failli le rendre à la mer, mais il fallait bien rapporter quelque chose, pour la petite, pour celle dont il est le héros. La barque est lourde, il a le ventre vide. Il s’arrête de temps en temps pour souffler, les roues du chariot s’enfonce dans le sable humide, il faut redoubler d’efforts, il est encore loin de la limite, la ligne d’algues sèches et de bois flottés, là où la barque sera en sécurité.

Il est parti à l’aube, à marée haute. Il aime ces moments où à chaque coup de rame l’air du large petit à petit prend la place du parfum du cou de l’enfant endormi, ce bout de peau chaud de la nuit, ce bout de peau blanche de celle à qui il a juré qu’il serait toujours là  depuis le départ de la mère. Elle se réveillera seule, elle se débrouillera, elle l’attendra, il reviendra, elle a confiance, il a confiance, c’est ainsi, un pêcheur doit pêcher. Plus tard elle l’accompagnera. Pour l’instant c’est encore trop tôt. Il lui faut le large pour lui tout seul, il lui faut sa liberté, c’est comme ça, c’est un marin breton, une tête de bois flotté. Il tire sa barque sur le sable, le poisson s’est tu, enfin, la petite est là haut sur la berge, elle l’attend, il expulse avec bonheur l’air du grand large dans un dernier effort. Il revient, avec un poisson.

lundi 18 novembre 2024

 

Le Petit-Bé

(Saint-Malo, Ille-et-Vilaine, 14 novembre, 13h 55)

Une carte postale, le Grand-Bé, plus loin le Petit-Bé, ça a de la gueule du haut des remparts de la ville des  corsaires  et des grands voyageurs. Et puis il y a la  statue de Surcouf qui pointe du doigt le grand large. Tu résistes pas quand t’es môme, nous raconte le gars de l’hôtel, quand t’es môme et que tu habites à deux pas au dernier étage d’un petit hôtel. Mon premier grand voyage, j’avais douze ans, le Petit-Bé, l’îlot avec le fort, partir au montant, exprès, à marée basse tu passes, à marée haute il n’y a que de l’eau. J’étais avec Corinne, elle avait la trouille, je lui avais raconté que j’avais un ancêtre corsaire, que le vieux couteau à la lame rouillée que j’avais dans la poche lui avait appartenu et se transmettait de père en fils, je ne sais pas si ça l’a rassurée ou au contraire un peu plus inquiétée. C’était en novembre, j’avais pris une couverture, une des couvertures supplémentaires rangées dans  les  placards des chambres de l’hôtel peu fréquenté en cette saison. Marée basse 20h30, je m’étais couché tout habillé, il n’y avait qu’à se lever, sortir en loucedé, piquer la couvrante et aller taper au volet de Corinne qui habitait un rez-de-chaussée. On est passé facile, il y avait de la lune, le pavé des passages brillait, je tenais Corinne par la main, on était seuls dans la nuit claire, la mer clapotait tranquille. On est monté le plus haut possible, le fort était fermé, on s’est collé au mur sur un carré d’herbe et on s’est blottis sous la couverture. On écoutait, il y avait des reflets sur l’eau qui petit à petit recouvrait les rochers, masses noirs dans la nuit. Ça bruissait au dessus de nos tête, ce sont des mouettes qui rêvent,  j’ai dit à Corinne, ça l’a fait rire et elle s’est endormie, moi pas, je sentait l’eau très près, le parfum des algues m’enivrait, je veillais  sur ma fiancée au bout du monde. Au première lueurs la brume avait tout pris, on était encore plus  loin, à Saint-Pierre et Miquelon j’ai dit à Corinne, c’est beau mais c’est froid elle a dit. On est redescendu tout doucement dans le brouillard, la mer s’était retiré, on est rentré avant qu’on ne se rende compte de notre absence. Voilà, c’était mon premier et dernier grand voyage. Plus tard j’ai épousé Corinne et repris l’hôtel des parents. Alors si vous allez vous balader au Grand-Bé et au Petit-Bé faites gaffe à la marée, sauf si vous êtes très amoureux.

dimanche 17 novembre 2024


Miniatures éphémères

(Vaucresson, 16 novembre, 14h 40)

Légendes d’automne 

samedi 16 novembre 2024


Triptyque de l'Apocalypse

(Triptyque de l’Apocalypse*, Augustin Frison-Roche, Cathédrale Saint-Vincent, Saint-Malo, 14 novembre, 14h 55)

J’aime visiter les églises pour  leur atmosphère, et leur fraicheur en été. J’y perçois en suspension dans la nef une  multitude de prières, autant de secrets et d’histoires. Mais le  mécréant que je suis, homme de foi mais d’aucune appartenance, s’y attarde peu. Elles m’invitent même à une certaine espièglerie, comme tous les  lieux où règne l’ordre. Pourtant  ce jour de novembre je suis resté longtemps, subjugué, devant ce triptyque de Augustin Frison-Roche dans  le transept sud de la cathédrale de Saint-Malo. La  composition, les couleurs, les transparences et superpositions, m’ont ébloui. Tant de paix, tant  de vie et de force contenue, l’œuvre agit, et quelque chose au plus profond s’ouvre et s’étend, comme un lever de soleil.


* Huile sur bois,  6m x 2m,

vendredi 15 novembre 2024


La ballade des pendus 

(Saint-Malo, Ille-et-Vilaine, 14 novembre, 20h 40)

C’est marée haute, tous les bateaux sont partis, Elon Musk vient d’être nommé « Ministre de l’efficacité gouvernementale », Rick traine sa carcasse sur les docks de Saint-Malo avec la sensation d’avoir été téléporté dans un mauvais bouquin de science fiction. Il y a des corps qui se balancent au bout des grues et le poème de François Villon qui tourne en boucle dans sa tête.

jeudi 14 novembre 2024

 

Les mères

(Quimper, Finistère,  13 novembre, 14h15)

Fille de marin, elle a vu sa mère se ronger les ongles pendant les grandes tempêtes. Le père n’était pas souvent là. iI racontait de belles histoires mais n’était pas souvent là. Le frangin aussi a pris la mer, comme le père et le grand-père, dans la marine marchande. Elle s’était juré de ne pas épouser un marin, elle tenait à ses ongles longs qu’elle vernissait de rouge les samedis soirs. Elle a marié un libraire, il avait une boutique à Quimper et la mer en bouquins. Ils ont eu un fils. Fallait le tenir loin des bateaux et des sirènes du grand-père, c’était son petit, son poussin, son coco, son agneau, il ferait des études et irait au bureau, c’est plus tranquille. Manque de pot il a fait élagueur et maintenant elle se ronge les ongles, comme sa mère.

mercredi 13 novembre 2024

 

À la pointe de Beg-Meil

(Pointe de Beg-Meil, Finistère, 17h 35)

À la Pointe de Beig-Meil un ciel de cachemire cardé par Belenos*.



*Dieu guérisseur, dieu celte du soleil, de la santé et des arts

mardi 12 novembre 2024


Dans la forêt de Coatloc'h

(Forêt de Coatlhoc’h, Finistère, 15h)

Dans la forêt de Coatloc’h pas un arbre qui ne soit recouvert de mousse. Passer une main sur l’écorce c’est comme caresser un animal à poil. Et l’arbre murmure.

Dans la forêt de Coatloc’h on y marche à pas lents, retenus par les djinns qui émergent de l’humus. Et le charme infuse.

Dans la forêt de Coatloc’h un sabotier taille le bois pour les mariés de l’an neuf. Et le Pic épeiche s’acharne.

Dans la forêt de Coatloc’h il y a un Percheron, un débardeur et son amoureuse qui triment à hue et à dia. Et le soleil se faufile.

Dans la forêt de Coatloc’h le temps s’est pris dans le bois tombé. 




                                                            

lundi 11 novembre 2024

 

Les bras ouverts

(Arboretum de Chèvreloup, 5 novembre,10h 30)

Je connais un homme qui peut rester des heures immobile les bras ouverts jusqu’à ce quelqu’un vienne s’y blottir

dimanche 10 novembre 2024

 

Miniatures éphémères

(Vaucresson, 9 novembre,14h 25)

Soleil vert

samedi 9 novembre 2024


Éclats d'automne 

(Vaucresson, 12h 10)

Je suis à la fenêtre

La tasse  de café fume encore

Je l’entoure du creux  de mes mains

Comme en bivouac dans le matin frais

La brume se dissipe

Depuis quelques jours les matins sont voilés

Jusqu’à midi

La radio diffuse les infos

Une pie se pose

Dans le grand arbre face à la fenêtre

Éclats d’automne

La pie plus  forte que les infos

vendredi 8 novembre 2024

 

Les vieux avions

(Toussus-le-Noble, Yvelines,11février 2020,17h30)

Les vieux coucous, c’est comme les vieilles bagnoles et les vieux raffiots, ceux qui ont fait leur temps, qu’on laisse en plan près  des hangars, dans des terrains vagues où y a le ciel dans les flaques. Ils sentent la rouille, la limaille et la vieille graisse. Par grand vent y a les portières et les empennages qui grincent et toute la carlingue qui tremble d’un faux espoir. On les bichonne plus depuis longtemps, on leur pique même des pièces pour en faire des lampes de bureau. Pourtant ils font toujours rêver. Ils font rêver le vieux qui regarde, les doigts accroché au grillage, le vieux qui a une mappemonde punaisée dans ses chiottes, le vieux qui n’est jamais allé bien loin, le vieux qui a trimé pour avoir les sous mais qui n’a jamais eu assez. Ils font rêver le môme qui passe sous le grillage avec ses potes, qui s’assoie sur le siège en skaï déchiré et qui gueule comme un moteur asthmatique tandis que les copains regardent en bas comment c’est petit. Ouais,  ils font rêver les vieux avions.

jeudi 7 novembre 2024


Paysages

(Arboretum de Chèvreloup, 5 novembre, 10h 35)

J’ai une multitude de paysages dans la  tête et le cœur qui parfois se fissurent et font silence. 

Il suffit de marcher un peu pour qu’ils  se recomposent sous le regard des grands oiseaux. 

mercredi 6 novembre 2024


Une sale journée

(Marnes-la-Coquette, 27 octobre,17h)

Un héron abasourdi se demande s’il faut toujours croire au héron. 

mardi 5 novembre 2024


Promenade

(Arboretum de Chèvreloup, 10h 20)

La brume étouffe le bruit, des gouttes d’eau s’accrochent aux herbes, les arbres agitent les boules de gui comme le fou les grelots sur sa tête, et nous marchons main dans la main les pieds au sec dans nos hautes bottes.

lundi 4 novembre 2024


Vous avez déjà été amoureux? 

(Frasnay-Reugny, Nièvre, 24 juillet 2020, 20h 05)

Hier soir je regardais pour au moins la troisième fois le très beau western de John Ford, La Poursuite infernale (My Darling Clémentine, titre original tellement plus parlant). Était-ce mon état végétatif du moment, ou mon état amoureux qui ne fait que croitre avec l’âge, je retenais une réplique, une perle que je n’avais pas notée auparavant. Dans le saloon de Tombstone, Wyatt Earp (Henry Fonda), après un échange avec Clémentine Carter (Cathy Downs), demande à Mac, le barman (J.Farrell MacDonald): Vous avez déjà été amoureux? Celui ci répond: Non, j’ai toujours été barman.

dimanche 3 novembre 2024


Miniatures éphémères 


(Forêt de Rambouillet, 4 octobre, 15h 20)

Help!

samedi 2 novembre 2024


Astrakan café 

(Exposition Roger Ballen, Halle Saint-Pierre, 13 février 2020,13h)

C’est la fin des vacances, Sophie est partie raccompagner notre petit fils chez ses parents. La maison est sans dessus dessous, soudain si calme qu’il me faut un disque joyeux et léger, ce sera  Astrakan Café d’Anouar Brahem Trio (Anouar Brahem, Oud, Barbaros Erköse, Clarinette, Lassad Hosni, Bendir, Derbouka), les percussions pour les cavalcades du gamin, les cordes et vent pour la joie des grands-parents.

vendredi 1 novembre 2024


Pour la fête des morts 

(Plage de Cenitz, Guéthary, 14 novembre 2018, 17h 15)*

Pour la fête des morts

un enfant qui découvre le monde


*Post du 14/11/2018

jeudi 31 octobre 2024


Mon grand-père

Le père de ma mère 

(Les-Grandes-Dalles, Seine-Maritime,14 décembre 2016,11h 30)

Hier nous fêtions les cent ans de ma  mère. Nous étions nombreux autour d’elle à l’écouter et partager nos souvenirs. Elle a raconté à ses arrières petits enfants la fameuse histoire des crocodiles, Croque et Odile, que mon grand-père rapporta un jour chez eux. Mon grand-père était un homme élégant et fantaisiste. De retour d’un voyage à Paris, ses enfants lui ayant demandé de rapporter quelque chose d’extraordinaire, il revint avec, dans ses bagages, deux bébés crocodiles achetés à la Samaritaine. On les mit d’abord dans un aquarium, puis quand ils furent plus grands dans la baignoire. On avait fait construire dans le jardin de la villa de vacances à Hendaye un bassin pour les y accueillir. Un jour le curé d’Hendaye qui avait lui-même un bassin avec quelques poissons rouges demanda à mes grands-parents de prendre ses poissons en pension le temps de vider et nettoyer son bassin. Les crocodiles n’en firent qu’une bouchée. À ce moment de l’histoire ma mère est toujours prise d’un irrésistible fou rire. Quand les crocodiles furent trop grands, mon grand-père en fit don aux jardin des plantes de Toulouse. Il y moururent pendant la guerre, les bassins ne pouvant plus être chauffés. L’un des deux fut naturalisé et finit dans l’atelier de mon oncle le peintre Pierre Igon. Je me souviens l’y avoir vu.

Je n’ai pas connu mon grand-père maternel, mort trop jeune, pour qui ma mère avait une grande admiration. J’ai découvert hier une photo où on le voit, grand, vêtu d’un pardessus sombre et d’un feutre noir, une cigarette au coin des lèvres, quelque part au bord de la mer, un homme d’une grande classe.

Ce soir je veux voir la mer alors que j’en suis éloigné, je veux voir la mer et les images de la veille se bousculent. Je trouve une vielle photo, une photo de mer, une photo « élégante ». Je mets un pardessus, un feutre sombre, j’allume une cigarette et j’entre dans la photo. Je monte les quelques marches, je pose mes mains sur la balustrade, face à la mer. Au parfum du tabac se mêle l’iode du grand large, le cri des mouettes résonne contre les hautes falaises. Alors je les imite en levant les  bras,  et je vois mon grand-père et entend le rire de ma mère.

mercredi 30 octobre 2024


Un bel endroit pour rêver 

(Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane, 30 mai 2023, 11h 30)

Il y a quelques années, au rayon librairie d’un supermarché de Cayenne je croisai un jeune homme qui comme moi cherchait des cartes topographiques au 1/25000ème. Je découvrais la région et n’avais qu’une idée en tête, marcher en forêt pour en connaître le goût. Lui, me dit avec une déconcertante naïveté qu’il venait pour l’or avant toute chose.

Je l’ai revu quinze ans plus tard sur les bords du Maroni, à Saint-Laurent, dans un coin où sont échouées quelques épaves d’embarcations métalliques mangées par la végétation, des bateaux qui datent de l’époque du bagne. L’homme avait beaucoup maigri, il portait barbe et cheveux longs, le visage marqué mais toujours ces grands yeux naïfs que j’ai immédiatement reconnus.

-Tu as trouvé de l’or?

- Non.

- Et tu es toujours là.

- Oui, c’est un bel endroit pour rêver.

mardi 29 octobre 2024


Quai du Batardeau 

(Auxerre, Yonne,13 octobre, 15h 45)

Il a amarré sa péniche quai de la République. Il n’a pas eu le choix. Il aurait préféré quai du Batardeau, ça sonne mieux quand au petit matin tu demandes titubant qu’on te raccompagne chez toi. Quai de la république. C’est  peut-être un signe,  pour qu’il  s’abstienne, pour qu’il se range, pour qu’il s’assagisse, pour qu’il réfléchisse, qu’il creuse, qu’il apprenne, qu’il grandisse. Mais on ne se refait pas, né glandeur il mourra glandeur. Quand à la République il est difficile de la prendre encore au sérieux. Alors quand au milieu de l’après-midi il se lève, la bouche sèche et  la tête comme  une enclume, quand il ouvre le hublot pour mieux respirer, qu’il est saisi par un parfum humide, mélange d’huile de moteur et de feuilles mortes, il se dit  qu’il ne fera jamais mieux que la rivière qui suit son cours et que dès que la vedette à sec en face quai de l’Abbaye sera mise à l’eau, il larguera à nouveau les amarres, parce qu’il faut bien une raison…

lundi 28 octobre 2024


Les vieux indiens VI*

(Marnes-la-Coquette, 27 octobre, 17h05)

Vol-au-Vent et Genoux-Écorché s’ennuient. Le monde est devenu exécrable, un brouhaha continu  de barbarie, d’insultes et de non sens. La pluie a coulé leur barque, l’étang est sale, les berges sont boueuses, on ne peut s’assoir nulle part sans se mouiller le cul, le soleil a la gueule de bois. Le seul évènement interessant et  ce héron cendré qui semble bien décidé à s’installer sur leur territoire, ce petit bout d’étang qui s’enfonce dans un bois dominé par un Tulipier de Virginie de trois cents ans. Le héron a un air bien sympathique, il se laisse approcher, il semble ne plus rien craindre de ce monde. En cette fin d’après midi,Vol-au-Vent et Genoux-Écorché le découvrent en grande conversation avec quelques canards. Le héron, manisfestement polyglotte, invite les deux  vieux à se joindre à eux. Genoux-Écorché et Vol-au-Vent se font un peu canards, ils savent faire ce genre de choses, ils ont toujours su faire ce genre de choses, et ils se posent sur le tronc. Le discours de l’échassier leur fait vite oublier l’humidité du bois. Celui-ci parle du royaume d’un roi Simorgh, d’un long voyage et de ses multiples péripéties. Il dit que chaque époque porte son lot de barbarie, qu’il faut regarder aussi loin devant que loin derrière. Il parle aussi de la forme des nuages et du chemin des cours d’eau, du point de vue qui change au fur et à mesure que l’on s’élève et de ces oiseaux capable de nourrir des oiseaux d’autres espèces trop vieux pour se nourrir seul. Il raconte l’histoire d’un pélican qui transporte des migrants dans sa poche, déjouant la surveillance de la police des frontières . Il raconte la fable du héron au long bec emmanché d’un long cou, il raconte aussi des blagues à deux balles, Héron petit pas tapon, il raconte la solitude sur les bords du Nil et les crocodiles à l’affût, il raconte jusqu’au soir, puis la nuit entière. Au petit matin un brouillard épais recouvre le bois et l’étang. Les canards dorment la tête enfouie dans les plumes, un vol d’outardes cacarde dans la brume, le héron salue les deux amis et s’envole majestueusement. Genoux-Écorché et Vol-au-Vent se lèvent un peu courbaturé et s’en vont chez eux en dandinant, ravis de cette nuit aviaire et étoilée.


* I, II, III, IV, V billets du 27/11/2020, du 11/02/2021, du 16/10/2021, du 26/10/2022, et du 13/01/2024

dimanche 27 octobre 2024


Miniatures éphémères 

(Hendaye, 16 octobre, 16h50)

Prendre le pli

samedi 26 octobre 2024


Sciences naturelles 

(Misumène variable, Vaucresson, 19 août, 20h 10)

La rose est attirante

L’araignée est en planque

Complices

C’est à la tête

Que l’araignée crabe

Mordra sa proie

vendredi 25 octobre 2024


Rimes

(Vallée de la Vaucouleurs, de Rosay à Septeuil, Yvelines, 24 octobre, 12h 25)

L’an dernier, début septembre (post du 7/09/2023), nous étions passés par ici sur les traces de la famille de Sophie. Fin septembre nous déposions dans le caveau familiale l’urne funéraire de son père. La cérémonie fut simple et chaleureuse, j’y jouai d’un orgue de barbarie qui m’a accompagné pour bien des spectacles, décoré par mon oncle, le peintre Pierre Igon, acquis grâce aux conseils de mon beau-père qui s’était lui-même fabriqué son propre orgue. Cette année, quasiment à la même date nous y avons déposé l’urne de la mère de Sophie. Françoise retrouvait son Claude, là où enfants ils s’étaient connus. Cette fois ci c’est notre fils, Nils, qui jouait de l’orgue de barbarie, de celui de Claude dont il a hérité et qu’il a patiemment réaccordé, un orgue décoré par Françoise.

Nous sommes fin octobre, la semaine prochaine c’est la fête des morts et l’anniversaire de ma mère qui aura cent ans. Le champagne est déjà au frais. Après avoir déposé quelques fleurs sur la tombe de la famille de Sophie, nous marchons le long de la Vaucouleurs. La rivière est haute, les chemins sont encore détrempés des dernières pluies, le vieux saule que j’avais déjà photographié l’an dernier est encore plus beau, tout le long de la Vaucouleurs la vie palpite, et j’entends jouée à l’orgue l’une des chansons préférées de Françoise, Rimes de Claude Nougaro:


J’aime la vie quand elle rime à quelque chose

J’aime les épines quand elles riment avec la rose

J’aimerais même la mort si j’en sais la cause

Rimes ou prose

...

 

jeudi 24 octobre 2024

Mémère

(Les Bilheux, Septeuil, Yvelines, 12h 55)

On l’appellait Mémère, elle avait le nez pointu et la main leste, la lavandière du curée, une femme de poigne qui gardait parfois ses arrière-petits enfants, deux frangines et deux frangins, quatre mômes délurés qui s’entendaient comme larrons en foire. Elle descendait alors au lavoir son linge dans une brouette de bois, suivie d’une joyeuse petite bande. Un jour l’un des garçons faisant le mariole en équilibre sur les bords du bassin,  est tombé tout entier dans l’eau froide.  Mémère le punit à grand  coups de battoir sur les fesses comme un vulgaire paquet de linge sale. Elle l’avait dit, le sourcil froncé, faut pas danser sur la margelle, une fois, deux fois, sinon…

Les trois autres terrorisés regardaient l’intrépide tressaillir à chaque coup de battoir.

L’une des deux filles était Sophie qui me  raconte cette histoire, pour la nième fois avec le même plaisir, alors que nous faisons une pause au lavoir des Bilheux sur le chemin de Rosay à Septeuil, Septeuil le village de Mémère. Sophie rigole en pensant aux fesses de son cousin tandis que sur les pierres du lavoir dansent les ombres fantômes  des lavandières.

mercredi 23 octobre 2024


Le prince déchu 

(Abbaye deTrois-Fontaines, Marne, 8 novembre 2023,12h 25)

C’était un jeune homme ambitieux, arrogant, promis à un bel avenir. Contre toute attente, il parvint au sommet à vingt cinq ans, brûlant toutes les étapes. Cynique et sans état d’âme, il poussait les uns contre les autres, n’écoutait personne, et n’en faisait qu’à sa tête. Ivre de pouvoir, il en usait pour satisfaire tous ses besoins. Il finit par s’isoler. Ceux qui l’avaient soutenu se détournèrent, ses plus fidèles serviteurs le trahirent, il fut renversé, déchu. Il trouva refuge au cœur de la forêt de Trois-Fontaines dans une abbaye où l’hospitalité est l’une des règles, même le pire criminel est le bien venu, on croit à la rédemption, chacun a une seconde chance, et quand bien même un homme est toujours un homme quoiqu’il ait fait.

Le prince est là depuis deux mois. Il doit se faire oublier. Il devra sans doute rester ici un an ou deux. Ses cheveux ont blanchi, il fait bien plus que son âge, dix ans de toute puissance et une brutale déchéance l’ont touché au cœur. Il traine les pieds dans le parc en compagnie d’un moine, un confident, le frère Martin.

- Voyez frère Martin, tout n’est pas perdu, les arbres s’inclinent à mon passage.

Frère Martin ne répond pas, il soupire, pensant à la tâche à venir.

mardi 22 octobre 2024


Le roi a mal à la tête 

(Château de Versailles, 16h 20)

Le roi a mal à la tête. Depuis ce matin un nuage stagne au dessus du château, un Cumulus humilis, un nuage pourtant annonciateur de beau temps. Les autres nuages passent, poussés  par un léger vent d’ouest tandis que celui ci reste, gonflé des voix du peuple. Le roi a un mauvais pressentiment et une forte migraine. Le beau temps ne sera pas pour lui.