Un leurre
(Saint-Cloud, 16 janvier, 22h 45)
Les phares tenus autrefois par des taiseux solitaires gardaient les navires loin des récifs.
Celui qui tourne au sommet de la Tour Eiffel est un leurre.
Un jour, une image, une histoire et autres bricolages d'un promeneur solitaire.
"Mémoires d'un escargot"
(Forêt de Coatlhoc’h, Finistère, 12 novembre 2024, 14h 40)
Après avoir vu l’absolument réjouissant film d’Adam Elliot, Mémoires d’un Escargot, je cherche dans mes archives une photo d’escargot. J’en ai une flopée j’ai un faible moi aussi pour ces petites bêtes. Ce sera pourtant la photo d’un arbre que je choisirai, j’en ai aussi une flopée. Un arbre étreint par le lierre, un arbre solitaire étreint par le lierre. Ce film étreint la tristesse, il la transmue. Les personnages sont en patte à modeler et c’est si beau quand ils se touchent. L’humanité est là toute entière dans deux bras qui se touchent sur les quelles deux cicatrices se rejoignent pour dessiner un sourire.
Brouillard
(D 913, Socoa, 8h 20)
Il y a un gars en jaune qui court sur la route, un chat qui file en travers, quelques manechs tête noire figées dans l’herbe humide et la montagne à contre-jour. Je ralentis. J’ai attendu le lever du jour pour partir, l’aube m’ensoleille. Je ralentis. Le gars me salue, le chat disparaît, les brebis me regarde passer. Au bout de la ligne, un virage et soudain le brouillard. Tout devient blanc, opaque, les repères fondent, le doute grandit puis quelques centaines de mètres plus loin le jour, à nouveau, clair. Est-ce ainsi quand on commence à perdre la tête?
Courir sur les crêtes d'un monde en feu
(Hendaye, 8 janvier, 9h 40)
Je me souviens avoir vu un homme courir nus pieds sur des braises ardentes. C’était lors d’une cérémonie tamoule à La Réunion il y a une trentaine d’année.
Je me souviens d’Islam Dzugum, l’homme au survêtement grenat qui courait dans la guerre pour ne pas désespérer (dans « L’Air de la Guerre » de Jean Hatzfeld). Une jeune fille lisait ces pages qui décrivent la course d’Islam Dzugum dans un spectacle que j’avais monté avec des Lycéens à Gueret dans les années 90. Cette jeune fille disait qu’elle faisait du théâtre « parce qu’elle en avait gros ».
Aujourd’hui je vois un homme courir sur les crêtes d’un monde en feu.
Los Colores
(Bilbao,4 janvier,13h 25)
2030
Autrefois on pouvait changer la couleur de ses cheveux, de ses lèvres et de ses ongles, on assortissait une coiffure à ses chaussures, un sac à main à ses ongles.
Maintenant on peut aussi changer la couleur de ses yeux et les tatouages colorés sont de plus en plus prisés.
Fransisco Perez, agent immobilier à Bilbao, vient de créer une société, Los Colores, qui propose des appartements avec un service d’assortiment mobilier, garde-robe, corps, comprenant une infinie palette de couleurs. Il est aussi à l’origine des modifications génétiques pratiquées sur les platanes qui bordent ses résidences. Au printemps les arbres se couvrent de feuilles aux couleurs de tout le spectre des aurores boréales, maintenant très fréquentes sous nos latitudes.
Los Colores a fait des débuts fulgurant sur le MIL (marché de l’immobilier et des loisirs).
Ça commencera comme ça
(Musée Guggenheim, Bilbao, Pays Basque espagnol, 13h 10)
L’air de rien. Elle sait qu’il est là, il sait qu’elle est là, 195° d’un côté, 165°de l’autre. Il va tourner, discrètement, l’air de rien. Dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est plus court mais il y a le sac qui fait rempart, dans l’autre sens c’est plus long mais on a le temps de voir venir, de rester ou de partir, de penser à ce que l’on va se dire et à l’arrivée les épaules se touchent. Il ira donc à l’inverse des aiguilles d’une montre. Quand ils seront si proches que le bleu et le rouge de leurs vêtements se marieront, c’est elle qui parlera la première. Chacun son tour, lui a bougé, c’est donc à elle de parler. Elle parlera de l’exposition du moment, Hilma af Klint dont les grandes toiles colorées explorent les forces et structures de l’invisible. Couleurs et géométrie. Il se taira, écoutera, sentira vibrer son épaule. Puis ils laisseront agir le silence. Quelque chose d’inattendu se passera. Le canapé circulaire sur lequel ils sont assis tournera comme un manège, de plus en plus vite, du moins en auront-ils la sensation, alors il faudra se tenir l’un à l’autre pour ne pas chuter, il faudra s’étreindre. Ça commencera comme ça.
À l'écart des langues fourchues
(Hendaye, 1er janvier, 10h 35)
Aux troncs calcinés et flottés
Tête-bêche tels de vieux amants
À la naissance de la falaise
Où la pente est encore douce
À la lisière des herbes et du sable
Au froid piétiné d’impatience
C’est là qu’ils se retrouvent
Ceux qui s’aiment en silence
À l’écart des langues fourchues
Un ciel
(Hendaye, 8h 30)
Il y a des matins offerts au ciel.
Alors je regarde le ciel s’ouvrir, s’étirer, s’effilocher, se colorer, se disperser, se molletonner, frissonner, je le regarde jusqu’à ce qu’il ternisse, jusqu’à ce que la mer prenne la place et m’appelle, jusqu’à ce que viennent les premiers promeneurs, les premiers travailleurs, les premiers surfeurs, jusqu’à ce que je me souvienne que j’ai des chaussures et les pieds sur terre.
Le reste du jour, le ciel est devenu gris, je l’ai délaissé, j’ai surfé dans une mer alors bien plus séduisante, j’ai marché, j’ai surfé encore, j’ai bu un Mojito, puis un deuxième en bonne compagnie jusqu’à la nuit.
Et le soir je regarde le ciel à nouveau, le ciel du matin photographié à son apogée, je cherche des mots pour l’accompagner, je me souviens du vent, du froid, du visage de cet homme encapuchonné, assis sur un muret, le regard au levant, un voyageur sans doute, nous nous sommes salué, un signe de tête, un sourire, juste ça, je me souviens du bruit du camion-balayeuse sur la promenade, d’un vol de mouettes, d’une jeune femme buvant son café en regardant la mer, les deux mains serrées sur le gobelet pour se réchauffer, une jeune femme qui vient là avant le travail, je cherche des mots, des histoires hors de l’image, alors que je n’ai qu’un seul désir, partager cette beauté.
Alignement des planètes
(Hendaye, 9h 20)
Le 21 janvier Mars, Jupiter, Vénus et Saturne s’aligneront. Le 28 février ce seront toutes les planètes du système solaire qui seront alignées. Un alignement des planètes signifie une concomitance exceptionnelle d’évènements favorables. J’aimerais ne pas en douter. Très belle année à tous.
Des douceurs pour le nouvel an
(Vaucresson, 10h 35)
Ils habitent une chambre de bonne dans l’immeuble en haut de la colline du parc aux grands arbres. Elle a enfilé deux manteaux, deux paires de bas, son bonnet et la capuche par dessus, ses chaussures fourrées avec une fermeture éclair sur le dessus, elle a pris son caddie, elle a dit je file à la boulangerie nous acheter des douceurs pour le nouvel an. Lui est resté au chaud sous la couette, faisait 0°ce matin là. Elle a descendu la colline. Elle s’est arrêtée pour regarder un écureuil courir sur un arbre , disparaître derrière le tronc, réapparaître un peu plus haut, aller au bout d’une branche, faire demi tour, disparaître à nouveau, est-ce le même qu’hier s’est-elle demandé. Elle s’est arrêtée pour regarder passer un vol d’oies sauvages surgies du brouillard en cacardant, elle est restée immobile la tête levée jusqu’à ce que le son s’éteignent loin dans la brume, là bas vers l’étang de la Marche s’est-elle dit. Elle s’est arrêtée pour regarder de petits fils de givre qui pendaient aux branches tels de fins colliers de perles, elle a attendu qu’ils fondent , comme ils ne fondaient pas elle a soufflé un nuage de son haleine chaude sur les perles, un petit nuage sur un collier de perles qui fond, quand était-ce la dernière fois où il a gelé s’est-elle demandé. Elle s’est arrêtée pour regarder jouer deux grands-parents avec leur petit fils, ils jouaient à chat sous les grands arbres, le gamin avait les joues rouges, le grand-père qui boitait un peu se faisait attrapé à chaque fois, il n’y avait qu’eux et elle dans le parc embrumé, elle s’est rappelé avoir joué à chat avec son homme un jour d’hiver dans les rues pentues de Lisbonne. Elle s’est arrêtée devant une guirlande de traces d’oiseau sur le chemin blanc de givre, trois traits noirs à chaque pas, elle s’est demandé quel oiseau c’était, un gros sûrement, un corbeau peut-être, ici les gros, corbeaux, pies, perruches chassent les petits. Elle est sortie du parc, le portail a grincé, elle est restée là un moment à ouvrir et fermer le portail pour l’écouter grincer, ça grinçait comme la boite au lettre de la dame dont elle s’occupait, la dame ne voyait plus, elle lui lisait son courrier, la dame est morte à l’automne, elle s’est demandé si quelqu’un avait nettoyé la tombe après les dernières tempêtes. Elle est passée devant l’église, le curé encombré de ses béquilles, il était tombé en scooter, c’était un curé qui roulait vite, le curé à la jambe cassée donc avait du mal à ouvrir la porte, elle l’a aidé, il lui a dit merci, elle a dit de rien, elle n’a pas dit qu’elle n’aimait ni la vitesse, ni les églises, mais elle l’a pensé. Dans la Grande Rue elle a croisé madame Sophie, elles ont parlé du temps, des enfants, des chats qui mangent les oiseaux, des pavés qui font trébucher, de l’homme bizarre qui erre dans le quartier, des travaux chez l’ancien boucher, du curé et des voitures qui roulent trop vite. À la boulangerie, elle a pris une quiche, une pizza, un croissant au jambon, et puis un friand saucisse, un éclair café, deux même, ça c’est trop bon on coupe pas en deux, oh et puis ça aussi et encore ça, et ça là-bas c’est quoi, ça a l’air bon mettez m’en aussi, ah oui, j’allais oublier les chouquettes, mettez en vingt, on les mangera en regardant la télé, il en raffole mon homme. Quand elle est sortie les rayons du boulanger étaient à moitié vides. Au retour il fallait s’arrêter souffler de temps en temps dans la côte, le caddie était bien lourd à tirer. Elle a salué un voisin qui promenait son chien, ils se sont souhaité une bonne année, et ci et ça et encore ça. Elle a regardé deux trois trucs qu’elle n’avait jamais remarqué comme tous ces nœuds en bas du tronc du vieux châtaignier.
Elle a poussé la porte de leur chambre. Son homme était toujours sous la couette, en train de lire Moby Dick.
C’est moi…J’ai pas été trop longue?
Non mon cœur, comme d’habitude.
Sur le sentier côtier
(Sur le sentier côtier du Jaiskibel, Pays basque Sud, 16 décembre,15h 50)
Quelques marches taillées dans le rocher sur le sentier côtier. Le vieux ne franchit pas le col. Il s’assoit sur les marches. Il attend la vieille qui marche plus lentement. Ils franchiront le col ensemble et, ensemble ils s’émerveilleront devant les montagnes qui s’étendent jusqu’où porte la vue les pieds dans un océan d’argent. Ils connaissent ce chemin par cœur.
Une grande armoire
(Hendaye, 13 décembre, 17h 35)
Il y avait dans une maison d’enfance quelque part dans la montagne une très grande chambre avec une très grande armoire. En arrivant, après avoir ouvert les volets, on ouvrait l’armoire où s’empilaient draps et couvertures, de gros draps d’autrefois avec des initiales brodées et des couvertures de laine ou coton de toutes couleurs. Ouvrir les volets et faire les lits, le premier jour des vacances. Cette armoire sentait délicieusement bon.
Il y a quelques semaines nous avons vidé une autre maison, d’autres vies, d’autres souvenirs et aussi de grandes armoires dont plus personne ne veut. Je les ai démontées et en ai gardé une, une grande armoire claire avec de magnifiques portes en loupe d’orme.
Elle est maintenant en pièces détachées au fond de mon garage. Je la remonterai un jour pour y empiler ma collection de ciels.
Conte de noël
(Parc floral de Paris, 24 décembre, 21h 05)
Ils étaient tous là, les enfants, les parents et les grands-parents. On s’extasiait aux sons de musiques électroniques dans le parc illuminé peuplé de géants synthétiques. Soudain une chouette bien réelle hulula bien plus haut que les chants artificiels. Le grand-père tendit l’oreille, se redressa et disparu dans un trou noir sous les grands pins. Ce fut la panique, on avait perdu le grand-père. Les enfants l’avaient vu filé dans les fourrés. L’est parti par là crièrent-ils à l’unisson avant de trisser à sa suite. La panique redoubla, on avait maintenant perdu le grand-père et les enfants dans la nuit noire et le crachin d’hiver, fallait les retrouver avant la fermeture du parc. La grand-mère dit: ne vous inquiétez pas, je connais mon homme, allons chercher dans les coins les plus sombres. Petit à petit les lumières se sont éteintes, les chants se sont tus, sauf celui de la chouette, les derniers visiteurs sont sortis, on a fermé à clé les portes du parc.
Au petit matin les gardes découvrirent dans un bosquet, sous une superbe chouette hulotte posée sur une branche, une famille entière tout sourire et un peu mouillée, blottis les uns contre les autres comme des pingouins sur la banquise.
Le grand-père dit aux gardes: Merci pour tout, c’est le plus beau noël que nous avons passé!
Joyeux Noël
(Parc floral de Paris, 20h 30)
C’est Noël. On vient en famille voir l’Odyssée lumineuse, dinosaures, mammouths, lions, pirates, sirènes, licornes, une foule de géants de lumière, géants de tissus et fil de fer, si fragiles, jusqu’aux mariachis qui entonnent la fin d’un monde. Joyeux Noël!
La craie magique
(Artzuportu, au pied du Jaiskibel, Pays Basque sud, 16 décembre, 15h 10)
Un géant de pierre et une sorcière échevelée avec un arbre sur la tête veillent sur Artzuportu. C’est Jon qui les a dessinés avec sa craie magique. Ce que Jon dessine avec cette craie se réalise. Jon est le héros d’un livre de Zinken Hopp illustré par Gian Berto Vanni, La Craie Magique, éditions Hatier. Ce livre date de1959. J’en ai un exemplaire rafistolé avec du gros scotch. Il me fut offert par mon oncle Pierre quand j’étais petit, sans doute mon premier livre. Jon se dessine un ami de craie, Sofus, avec qui il va vivre de sacrées aventures. Ce conte et ces illustrations sont de toute beauté. Il me semble que depuis ce jour Jon et Sofus n’ont cessé de m’accompagner, plus ou moins discrètement, de même que mon oncle Pierre, le peintre Pierre Igon mort en 2006.