Dans les bois
(Forêt de Rambouillet, 9 novembre, 16h 10)
Il était plein aux as
Il a vidé ses poches
Et s’est retiré dans les bois
Un jour, une image, une histoire et autres bricolages d'un promeneur solitaire.
Le nez en l'air
(Hendaye, 28 novembre, 8h 25)
Je lève la tête
Il y a trois oiseaux
Et un avion qui passe
Tout droit
Il perce les nuages
Que voit le pilote
De là haut?
La mer, les vagues, les maisons?
L’envers des nuages?
L’intérieur des nuages?
Et si à cet instant
Il se demandait ce que voit
Le gars minuscule en bas
Le nez en l’air?
Les horizons d'Edmond
(Hendaye, 21 novembre, 10h 55)
Après plusieurs années à quai à bouquiner cloîtré dans la cabine de son voilier décrépit, Edmond est parti, un jour de pleine lune, à pied vers la montagne. Il a marché trois jours, il s’est retourné, de là haut il voyait la côte et l’océan à perte de vue. Alors il est redescendu pas bien sûr de ce qu’il voulait. Partir à pied jusqu’au Cap Nord ou partir en mer jusqu’au cap Horn. Comme toujours le cul entre deux chaises, peu confiant dans ses capacités de navigateur, il avait passé trop de temps à naviguer par procuration, les piles de bouquins dans la cabine en attestaient. Sa seule certitude était sa soif d’horizons. Il a donné tous ses bouquins, ou presque, il a gardé son intégrale de Richard Brautigan, et il a commencé à retaper son voilier, l’intérieur d’abord. Vider, nettoyer, étanchéifier, il a bazardé tout le mobilier moisi, il a récupéré de ci de là, de quoi le remplacer, tout le monde le connait au port, depuis le temps qu’il est là. Et puis il a commencé à écrire, ça lui a pris d’un coup, quand il a vu la cabine nickel, blanche, avec la tablette en bois vernis. Une bonne place, face au hublot, la vue sur la coque du voisin avec les bouées accrochées au bastingage. Il a commencé à écrire l’histoire de deux frangins qui s’en vont vers le grand nord avec les cendres de leur père qui les abreuvait de légendes Samis quand ils étaient mômes, leur promettant de les emmener un jour là bas. Le père n’avait jamais tenu sa promesse, les fils s’étaient éloignés. C’est une histoire de réconciliation, de retrouvailles, de destinée des promesses, une histoire de cendres sur la neige.
Il s’occupera du pont et de la coque quand il aura fini d’écrire son histoire. On est en novembre, ça caille un peu dans la cabine, il en est à la cent vingt cinquième page, les deux frères se battent sur une plage au pied de montagnes à pic, des oiseaux tournent autour, l’urne contenant les cendres du père est posée sur le siège arrière d’un break Volvo garé là où s’arrête la route, devant la plage.
Quand il aura remis son voilier en état, des pieds à la tête, peut-être prendra-t-il la mer. Ou il écrira une autre histoire, celle d’un gars qui navigue jusqu’en Patagonie pour voir un truc qu’on l’empêche de voir alors qu’il n’est qu’à deux kilomètres…..
* Edmond apparait déjà dans les Posts des 29/10/2016, 25/06/2018, et 13/07/2018.
Txingudi
(Baie de Txingudi, 10h 30)
« Quand tu rentres au port, c’est d’abord la baie qui te prend dans ses bras. » C’est ce que disait son père, le dernier pêcheur de la famille. L’arrière-grand-père, le grand-père, étaient pêcheurs. On voyait les thoniers bleus passer à la queuleuleu dans le chenal de la Bidassoa. Peyo, lui, ne pêche pas, il est jardinier, il prend soin de sa terre, comme il dit. En ce moment il a fort à faire, il y a le Charançon rouge, le bouffeur de palmiers, qui se propage, Peyo a abattu une dizaine d’arbres cette semaine. Le fameux Charançon, il est plutôt brun d’ailleurs…Il n’y a pas que le Charançon qui se propage et qui fait souci. Le samedi Peyo se vide la tête à l’entrainement. Il est barreur de traînière. Il n’y a pas mieux pour sentir la puissance d’une équipe soudée. Fallait bien qu’il prenne la mer d’une manière ou d’une autre. Les régates ont lieu aux beaux jours, mais on s’entraine toute l’année. Ils partent de la baie jusqu’en mer, avec le zodiac de l’entraineur qui tourne autour. Autrefois on pêchait avec de grosses traînières de bois. La sienne est bien plus légère.
Peyo travaille à terre, mais il a le même regard que son père.
Le Temps
(Bois de Saint-Cucufa, 21 novembre 2024, 15h)
J’ai roulé la journée pour voir la mer. Je suis arrivé à la nuit à Hendaye, je ne voyais pas les vagues. À cent kilomètres de Vaucresson, après une heure de route, il a neigé, une neige trop fine pour tenir, puis ce fut du bleu, puis de la pluie, un ciel très noir, et une éclaircie juste avant la nuit. Ce soir j’ai envie de neige, je regarde une photo de l’an dernier, je me souviens, j’écris trois mots, je pense à un homme retrouvé gelé, des stalactites au bord des yeux, adossé à un arbre noir, je ne sais pas si il a existé ou s’il va exister, il est dans le premier chapitre d’une longue histoire que je suis en train d’écrire. Hier soir j’étais à Vaucresson, près du feu, et aussi en Guyane, à Saül sous la pluie. Je me téléporte. Le temps a trois dimensions dit-on, je vais où je veux, devant, derrière, sur les côtés…
D'un Palais à l'autre
(Exposition Pekka Halonen, Petit Palais, Paris 8 ième, 14 novembre, 16h 10)
Ce jour là, nous sommes d’abord allés au Grand Palais pour visiter le Paris-Photo 2025. Il y avait foule, une quantité impressionnante d’œuvres, de belles photos, certes, mais impossible de garder une attention soutenue dans cette profusion et mon regard était surtout attiré par ce public éclectique, excentrique, chapeauté souvent, Leica en bandoulière, parlant toute les langues avec une dominante anglaise, se congratulant, se retrouvant, hésitant devant une photo à 50000,00€, s’extasiant avec ostentation, un public chic.
Après avoir traversé l’avenue Winston Churchill c’est au Petit Palais que nous avons trouvé le calme devant les paysages enneigés de Pekka Halonen, peintre finlandais. Dans les vastes salles, on circulait sans encombre, en silence. Un petit tableau, humble, sans effets, si ce n’est ce léger violet éclairant la neige épaisse, nous a touchés, enchantés, appelés. La Finlande sera sur le chemin de notre prochain voyage.
Roselière
(Forêt de Rambouillet, 9 novembre, 15h50)
Le V noir formé de deux arbres morts attire mon regard. Je quitte le sentier. La terre est gorgée d’eau. Il y a là au fond du vallon où coule un ruisseau une roselière, une douce cachette pour les aquatiques. Je ne bouge pas, je guette le moindre froissement dans les herbes, mes bottes s’enfoncent doucement, je coasse…
Toiles
(Vaucresson, 9 novembre, 10h 35)
Ce matin là, un matin d’automne, un matin de brume, partout dans le jardin, aux branches, aux tiges de fleurs fanées, aux clôtures et portiques, s’accrochaient des fils de soie, des fils d’araignées captant la rosée, et le jardin tout entier brillait des splendeurs d’un monde essoufflé où les araignées auraient pris le pouvoir.
Furtives silhouettes
(Forêt de Rambouillet, 9 novembre,16h 35)
Les grands arbres ont perdu leurs feuilles, tandis que d’autres plus jeunes, abrités du vent, conservent leur éclat. Dans la cathédrale, ils sont de furtives silhouettes drapées d’or et de soie, apparaissant ici et là de derrière de hautes colonnes de pierre grise, offrant leur amitié à l’étranger solitaire et mélancolique venu chercher refuge et réconfort.
La dernière rose du jardin
(Vaucresson, 9 novembre, 10h 45)
La dernière rose du jardin me dessine une vieille histoire, une histoire qui revient partout et de tous temps, une image d’Épinal. Une gamine encapuchonnée et son petit frère vont sur la terre sombre. Il pleut, il fait froid, au loin quelque chose gronde, le petit frère a peur, alors la gamine ouvre sa cape pour y accueillir et protéger son frère.
Liberté
(Lac Daumesnil, Bois de Vincennes, Paris 12ième, 7 novembre, 18h 40)
La nuit tombe sur le lac Daumesnil. Il y a un gars avec ses sacs échoué comme une île au milieu de la prairie. Les oies sauvages sont au repos, elle viennent de loin, elles vont où elles veulent, le gars lui aussi vient de loin, pas sûr qu’il puisse aller où il veut. À quelques pas, au Palais de la Porte Dorée, l’ancien musée des colonies devenu le musée national de l’histoire de l’immigration, Leyla McCalla chante la liberté.
Petite araignée
Une histoire de Rick Delaveine, surfeur et batteur de jazz de renommée internationale
(Vaucresson, 7 octobre, 17h 50)
il chante à tue tête, la radio à fond, After Midnight, JJ Cale, un morceau pour tracer sur une route toute droite, une route qui n’en finit pas, une route avec des rapaces posés sur des piquets de clôture qui attendent que tu écrases un renard ou un hérisson pour le bouffer sans effort, une route avec des poteaux télégraphiques qui te regarde passer, une route qui t’amène d’une fille à une autre, Rick a deux amours, Rick a la trique, à mi chemin, il ne sait plus s’il faut accélérer ou ralentir, il chante, il accélère, il ralentit, il accélère à nouveau, il gueule Leïla, il gueule Sophie, il chante, il gueule je vous aime, Rick est le roi du bitume, le prince des hauts plateaux, le seigneur des grandes plaines, le jour se lève, c’est lui qui commande le soleil, deux soleils aujourd’hui, aux deux bouts de l’asphalte, il dodeline de la tête, comme le petit chien collé sur le tableau de bord, et puis les épaules, les doigts tapotent le volant, putain que la vie est belle! Soudain ça tape, un coup dans le pare-brise, une pierre, une balle, un oiseau, il sait pas, il voit plus rien, le pare-brise étoilé avec le soleil pile en face, il perd le contrôle, sa Chevrolet Camaro rouille part en vrille dans un champ de blé mur, trois tonneaux, le blé jaune en charpie, ça fume, Rick a perdu connaissance, ça commence à sentir le roussi, il entend Leïla, il entend Sophie, t’es trop con, pas maintenant, quelque chose lui chatouille le cou, trottine sur sa joue, se plante sur le bout de son nez, il se réveille, la tête à l’envers, une araignée sur le bout du nez, merde ça crame, il se dégage, se déplie, y a urgence, il force la portière cabossée, avec les pieds, avec les poings, il sort, l’araignée est toujours là, sur son front maintenant, un troisième œil, il était temps, le moteur s’enflamme, il s’éloigne
Il regarde brûler sa Chevrolet Camaro toute neuve. iI prend délicatement la petite araignée qui est maintenant dans ses cheveux et il la dépose sur le blé écrasé suffisamment loin du feu.
Ça va, il n’a rien, il n’a plus qu’à attendre que passe quelqu’un qui le conduise là bas à l’est chez Leïla, sa petite Araignée... Merde, c’est son surnom!
Le chapeau
(Cirque de Mafate, La Réunion, Juin 1997)
Il y a un peu moins de trente ans, je passais deux mois à La Réunion à jouer un spectacle dans les écoles. Comme toujours, à la moindre relâche, je partais marcher à la découverte de ce pays volcanique. On m’avait déconseillé de partir seul dans certaines parties de l’île. Il n’en fallait pas plus pour m’y attirer. Mafate n’est accessible qu’à pied. A l’époque, il n’y avait que de rares rotations d’hélicoptères qui assurait le ravitaillement. Parti du cirque de Cilaos, accessible lui par la route, j’avais marché une journée entière jusqu’au cœur de Mafate.
Sur le sentier, passant devant une maison isolée, un homme m’a offert à boire. Je ne lui avais rien demandé, il semblait effrayé par ma présence, il est vite rentré et ressorti avec une bouteille d’eau qu’il m’a tendu en gardant une certaine distance. Il n’a rien dit, ses yeux roulait dans tous les sens, mais surtout, je me souviens de son chapeau, un petit chapeau de toile à bords étroit taché et décoloré. Ce chapeau est le souvenir le plus précis de cette rencontre, comme si toute la vie de ce personnage solitaire tenait dans son chapeau.
Mr et Mme Piquet-de-Bois
(Hendaye, 31 octobre, 7h 35)
Mr et Mme Piquet-de-Bois sont en vacances avec leur petit fils. Ils sont sortis tôt ce matin, il y avait quelque chose dans l’air, une inhabituelle douceur, un brin de facétie. C’est le gamin, réveillé le premier, qui a crié: C’est tout rose! Chez les Piquet-de-Bois on ne ferme pas les volets, question de principe, déjà qu’on a un nom de clôture. Alors dès que le soleil pointe le bout de son nez, les yeux papillonnent. Ils sont sortis tous les trois, avant même de prendre leur petit déjeuner, ils sont sortis prendre des couleurs, ça fait du bien par les temps qui courent. Ils se sont plantés sur la plage, ils font caméléon tandis que le minot cavale comme un chien fou.