dimanche 30 juillet 2017


Miniatures éphémères
Jouer


On lui a  dit: Tu es grand maintenant, cesse de jouer. Mais c’est plus fort que lui. Toute sa vie il jouera. Quand il sera temps, enfin désencombré de tout, il jouera encore là où personne ne le voit.

samedi 29 juillet 2017


Trois petites notes


(D 127, entre Masseube et  Miélan, Gers, 27 juillet)

Certains paysages sont comme quelques notes posées sur la portée.  Une mélodie qui force l’arrêt. On se gare, on coupe le moteur, on écoute. Trois petites notes, une comptine, trois poules qui vont au champ, de doux monstres, une sorcière, de la joie, une pincée de frayeur, la main minuscule d'une fillette haute comme trois pommes qui s’accroche au pantalon de son père.

vendredi 28 juillet 2017


Sur les hauteurs de Dieulefit


(Dieulefit, Drôme, 25 juillet)

Quand nous demandons à nos amis pourquoi ils se sont installés là, sur les hauteurs de Dieulefit, ils nous répondent: « pour regarder passer les nuages ».

jeudi 27 juillet 2017


Les Draps


(Pont-de-Barret, Drôme, 25 juillet)

Sous les remparts, deux draps s'entretenaient de la douceur de la peau des soldats.

mercredi 26 juillet 2017


Dersou Ouzala


(la Martelière, Travaillan, Vaucluse, 23 juillet)

Du coeur d’un fouillis d’herbes et de branches, il y a toujours une surprise à venir.  Une pensée, une idée, un souvenir, un reflet, un insecte, un oiseau, un renard, un tigre… Dersou Ouzala!

mardi 25 juillet 2017


Le Houx


(Pieris Rapae sur feuille de houx, Léoncel, Drôme, 19 juillet)

Leur seul désaccord concernait le houx dans le jardin. Elle le trouvait envahissant et piquant, il le trouvait joli, surtout lorsqu’il s’ornait de petites boules rouges.
Lorsqu’elle se piquait en nettoyant le parterre au pied de l’arbre, elle jurait. Parfois elle profitait de son absence pour le tailler sévèrement. À son retour, il jurait à son tour.
Mais si un oiseau où un papillon se posait sur l’arbuste litigieux,  ils le regardaient alors avec le même ravissement.

lundi 24 juillet 2017



Un si long amour


(Musée de la collection Lambert, installation de Claude Lévêque, Avignon, 20 juillet)

Il vient de se réveiller. Il la sent blottie contre lui, il entend sa respiration régulière. Il n’ose pas bouger. Il a les yeux grand ouverts. Le jour se lève, une pâle lumière passe à travers les rideaux.
Il se demande si le rêve étrange qu’il vient de faire n’est pas simplement l’expression d’un si long amour.

dimanche 23 juillet 2017


Miniatures éphémères
L'été


Chaque été, elle choisit soigneusement la couleur de sa robe, n’emporte presque rien, et laisse faire le vent.

samedi 22 juillet 2017


Rue du Tunnel


(Avenue du Blanchissage, Avignon, 20 juillet) 

La jeune femme qui s’avance d’un pas vif, là bas, une étudiante aux beaux arts d’Avignon, ignore que dans quelques instants elle croisera celle qu’elle deviendra.

vendredi 21 juillet 2017


TOC


 (Musée Collection Lambert, Avignon, Vaucluse, 20 juillet)

Sylvain avait un toc (Trouble Obsessionnel  Compulsif). On n’a jamais su pourquoi ni comment  cela avait commencé. C’était venu après la grande sécheresse. Chaque fois qu’il passait devant une chaise vide, il s’arrêtait et la contemplait en se caressant le visage. Il lui était impossible de continuer son chemin. Cela n’avait lieu que lorsque la chaise était seule. Heureusement les chaises sont rarement seules.
Il n’avait d’autre solution que de faire demi tour et trouver un autre itinéraire, ou attendre que quelqu’un s’assoit sur cette malheureuse chaise.
Sa petite amie s’était vite adaptée. Si au cours de leurs promenades ils apercevaient une chaise isolée, elle courait s’y asseoir. Il la saluait comme si c’était une étrangère, passait son chemin, et elle le rattrapait jusqu’à la prochaine chaise.
Ceux qui assistaient à ce ballet croyaient voir deux amoureux rejouer sans cesse leur première rencontre.

jeudi 20 juillet 2017


Écrire


C’est au musée de la collection Lambert, à Avignon, une des salles de la très belle exposition de la collection d’art contemporain d’Agnès B. La jeune femme écrit sur un cahier d’écolier, une écriture serrée, raturée. Je ne peux pas m’empêcher de jeter un œil en passant. Ces pages noircies sont un bloc d’énergie.
Dehors, il fait chaud, les gens courent d’un spectacle à l’autre, s’interpellent dans les files d’attentes, se retrouvent, s’embrassent, s’enthousiasment, se disputent, partout il y a de la musique et des cris, on ne lit plus les tracts distribués à chaque instant.
Je viens de voir un spectacle d’une grande intensité, Prison Possession de et par François Cervantes à partir de ses correspondances avec Erick Ferdinand. On y parle de la prison, de l’isolement, de l’indicible, de l’écriture.
Après le spectacle nous fuyons le bruit de la ville au musée de la Collection Lambert.
Il y a cet jeune femme, une surveillante, qui couvre son cahier avec cet air renfrogné.
Je repense à François qui à treize ans ne dit pas un mot et se lève la nuit pour écrire, à ce détenu qui « s’est évadé dans un texte, là où personne ne pourra le chercher ».
Je pense à tous les journaux intimes où se percutent les mots de jeunes gens en colère.
Et ce moment, cette image, sont d’une grande douceur.

mercredi 19 juillet 2017


Une fleur dont j'ignore le nom


(Fontaine du Vallon, Hautes Alpes, 16 juillet)

Il y a longtemps, j’ai travaillé auprès d’un mime polonais qui parlait très mal le français.
Son seul conseil était: « Juste faire, rien plus » prononcé avec un fort accent. Pavel Rouba, c’est son nom qui me vient après avoir regardé pendant plus d’une heure cette minuscule fleur des sous bois dont j’ignore le nom.

mardi 18 juillet 2017



Deep Purple in Rock


Un homme et son fils escaladent les pierriers vers le pic de Bure. Le fils, quinze ans à peine marche vite. Le père lui a appris où poser ses pieds, à deviner les passages dans la couleur de la pierre, les herbes couchées où les branches rompues. Le fils est devant. Le père lève les yeux. Soudain il se souvient d’une pochette de disque, Deep Purple in Rock, d’un temps d’expérimentations débridées, d’un temps où le corps savait encaisser, d’un temps où il ne faisait surtout pas comme on lui disait de faire. Il ralentit, laisse partir son fils loin devant, jusqu’à ne plus le voir.


lundi 17 juillet 2017


En Attendant


(Grand Porte-Queue, hameau de Sauvas, Hautes Alpes, 16 juillet) 

Huit heures, je pars vers le Pic de Bure. Au départ du sentier, sur le parking ombragé bordé d’une prairie en fleurs, près d’une voiture rouge, une petite vieille assise sur un fauteuil de toile pliant me fait un signe. Elle a un plaid en polaire rose sur les épaules, à ses pieds sont posés son sac à main, un thermos et une glacière bleus, une bouteille d’eau et une bouteille de vin. Elle est coiffée d’un bob jaune, ses cheveux sont très blancs, bouclés, son visage est tout ridé. Je m’approche pour la saluer. Vous montez là-haut? me dit-elle. Vous verrez mon fils, il vient de partir avec Martine et Ludovic, il marche bien le petit, c’est une bonne journée pour balader.
Durant mon ascension, je croise deux familles avec un jeune garçon. Je repense à la dame du parking, essaie de trouver des ressemblances, deviner quels sont ceux que la grand-mère attend.
À mon retour, vers seize heures elle est toujours là, assise dans la même position. Le plaid est plié, posé sur le sol, la glacière ouverte, les bouteilles quasiment vides. Elle me sourit. Ses enfants ne sont pas encore redescendus. Quand je lui demande si la journée n’a pas été trop longue, elle me répond: Oh non, j’ai volé toute la journée!

dimanche 16 juillet 2017



Miniatures éphémères
La Naissance des Cigales


Chaque été le père emmenait son fils assister à la naissance des cigales. La mère était partie trop tôt emportée par la Malaria. Devant les exuvies le père et le fils se racontaient des histoires. Ils imaginaient un retour de la mère. C’est ainsi qu’ils avaient tenu.
Le fils à grandi. Quand l’été il descend vers le sud, dès qu’il entend les cigales, il prend sa guitare et chante pour sa mère et son père.






samedi 15 juillet 2017


Une Promenade


Hélène était en Guyane depuis une semaine. Embauchée pour trois mois comme anesthésiste à l’hôpital de Cayenne, à son arrivée elle avait été saisie par le parfum de la forêt, ce parfum humide qui étreint celui qui a soif de mystère et d’aventures.
Mitchell, un collègue qui était né ici, l’avait invité à déjeuner dès le premier week-end. Ils avaient bu du rhum, avaient mangé du tatou et du chadèque. Après le déjeuner il lui avait proposé une promenade, un super endroit  avait-il dit. Elle imaginait déjà ses avances sous les grands arbres.
Cruelle déception! Cet endroit que Mitchell affectionnait tant, n’était autre que le tout nouveau centre commercial de Cayenne. C’était là qu’aimait se promener celui qui avait grandi entre les baraques de tôle et les chemins de terre rouge, celui qui était devenu médecin à force de travail et croyait tant en la modernité.

(Martres-Tolosane, Haute-Garonne)

vendredi 14 juillet 2017


Le Grand-Père, le Père et le Fils


Le grand-père vivait dans un désordre indescriptible. Il passait du temps dans son jardin les mains dans la terre. Souvent on l’avait entendu dire qu’il aurait aimé être paysan, cultiver la terre de ses origines, dans le Béarn. Le père ne supportait pas que l’on soit pieds nus dans la maison, ne s’intéressait qu’aux dernières nouveautés technologiques et ignorait la terre, tout devait être rationnel et classé. Tous deux furent ingénieurs polytechniciens. Aucun des deux ne parlait.
Chargé de  leurs rêves, de leurs peurs et de leurs pudeurs, le fils a pris des chemins de traverse étrangers au père et au grand-père.  Il va nu-pieds. Après être resté longtemps muet, il ne cesse de parler.

(Parc de Saint-Cloud, Hauts de Seine)

jeudi 13 juillet 2017


La Coquelourde du Jardin


Il posait des fleurs sur sa vie en désordre.

mercredi 12 juillet 2017



Vue sur la Défense depuis la Passerelle de l'Avre


Vue sur la Défense depuis la passerelle de l’Avre ( 2 juillet ).
Au début des années 80, j’ai habité quelques temps au pied de la passerelle de l’Avre, à Saint-Cloud, en bord de Seine, dans sans doute l’un des seuls quartiers populaires de la ville.
L’atmosphère y était chaleureuse. Il y avait l’usine Dassault et les studios de cinéma de Saint-Cloud, les deux cafés du coin étaient bondés le matin et le midi. Je me souviens avoir croisé un jour Jean-Pierre Mocky; j’étais un tout jeune comédien, je buvais un café à deux tables de la sienne. Je suis resté sans bouger jusqu’à ce qu’il parte, me demandant comment lui dire que j’aimais ses films, ses personnages, que je me verrais bien dedans.
Du coté de Saint-Cloud, après avoir traversé la Seine, la passerelle passe au dessus de ce quartier, puis au dessus d’une voie ferrée, jusqu’aux coteaux. À partir de là les rues sont bordées de belles maisons bourgeoises en meulière. Nous passions par là pour nous rendre à la gare, c’était un enchantement quand au printemps fleurissaient les cerisiers du japon plantés tout le long du chemin.
Aux abords de la voie ferrée, là où il y a maintenant des jardins ouvriers parfaitement entretenus, les pentes étaient en friches exhalant ce singulier parfum des terrains vagues, Sureau, Herbe aux Gueux, Chélidoine… le parfum des jeux interdits.
À gauche de la passerelle en regardant la Seine, il y avait une cabane de planches, bâches, tôles et cartons. Un étroit passage entre les hautes herbes y menait. Un vieux couple y vivait, hiver comme été, deux vieux sortis d’un film de Mocky, deux vieux qui gueulaient souvent et riaient beaucoup. Ils semblaient avoir toujours été là. Assis sur leurs chaises branlantes, ils ont vu pousser les tours de la Défense.
Aujourd’hui, sur la passerelle de l’Avre, je pense à eux, à leur chez eux, je me demande s’ils appréciaient ce paysage comme je l’apprécie. Je pense à toutes ces autres cabanes  maintenant coincées sous le béton des périphériques et des échangeurs, à ceux qui choisissent et ceux qui n’ont pas le choix.
Je regarde la ville. Elle est belle. De loin.

Les Crocodiles du Bord du Nil


C’était une soirée orageuse. Cela avait commencé par une dispute sur la quantité de rhum dans les verres de Mojito. Il avait fait une grimace, une grimace comme en font les tout petits enfants. Elle lui avait dit qu’elle faisait de son mieux, qu’il n’était jamais content. Elle avait retenue ses larmes, les reproches pleuvait. Elle s’était tue, avait fermé les yeux, avait pensé très fort au crocodiles des bords du Nil. Quand elle a rouvert les yeux, le mari avait été mangé.

(Saint-Cloud, Hauts de Seine, 2 juillet)

lundi 10 juillet 2017


La Ville


 Au sixième étage du centre Georges Pompidou un petit garçon que ses parents ont trainé au musée n’en peux plus. Il regarde par la fenêtre. Il compte les oiseaux qui passent.
Au cinquième étage du 2 rue aux Ours, Rick se réveille dans le lit d’Angela. Il est seul, il a mal à la tête. Il compte les jours passés avec elle.
Au deuxième étage du 5 rue du Grenier Saint-Lazare, Nadine monte lentement. Elle n’a que la peau sur les os. Elle respire mal. Elle compte les marches.
Au rez de chaussée du 13 rue de Montmorency, Michel boit son café accompagné d’un morceau de pain viennois. Il passe sa langue sur ses dents branlantes. Il compte ses dents .
Au septième étage du 3 rue de Braque deux amants sont étendus sur un tapis persan. L’homme caresse le visage de la femme. À voix haute, il compte ses taches de rousseurs.
Rue des Haudriettes un homme s’est endormi sur le trottoir. Il ne compte plus pour personne.
Au huitième étage du 6 rue Quincampoix, un étudiant en médecine compte les os du squelette humain miniature que lui a offert son grand père.
Au troisième étage du 1 de l’impasse Berthaud, Hélène berce son fils. Le petit est fiévreux, il a la varicelle. Hélène compte les taches rouges sur le corps de l’enfant.
Entre le cinquième étage et le quatrième étage  du 2 rue aux Ours, Angela est immobile dans l’escalier. La lumière vient de s’éteindre. Elle n’aime pas le noir, elle aimerait que  Rick soit là. Elle compte les jours passés avec lui.
Au sixième étage du centre Georges Pompidou, le petit garçon en a marre de compter les oiseaux.  Maintenant il compte les couleurs. Puis il en a marre de compter les couleurs. Alors il marche  en équilibre sur les poutrelles métalliques et il regarde loin devant, là où cesse la ville.

dimanche 9 juillet 2017

samedi 8 juillet 2017


Le Parc des Sources
- Promenade à Beaubourg-




Je déambule de tableau en tableau, insensible à ces grands formats aux couleurs criardes.
La vue à travers la vitre encadrée de murs blancs m’attire. Il est interdit de photographier les peintures, pas les murs.
Ce matin nous avons visité l’exposition du photographe Walker Evans . Devant ses images de bord de route, j’ai la sensation d’être déjà passé par là. Dans une salle nous entendons l’interview de Allie Mae Burroughs, épouse d’un métayer d’Alabama photographié par Walker Evans en 1936. Cette voix qui raconte sa rencontre avec le photographe et l’écrivain James Agee est bouleversante. Dans la salle deux portraits d’Allie, un très leger sourire différencie les deux.   En quittant la salle, la gorge nouée, je croise une jeune femme brune, coiffée d’un chapeau de paille, qui discrètement essuie ses larmes. Je ne connaissais de Walker Evans que ces portraits des fermiers d’Alabama qui sont dans le livre magnifique cosigné avec James Agee, «  Louons les grands hommes ». Je découvre tout le reste, j’aime son regard.
À midi nous mangeons sur la terrasse de Beaubourg. Deux croques monsieur, deux jus de gingembre carotte, et deux café pour 60€. À la table voisine une spécialiste de la culture parle fort, très fort, avec ces e trainant, de son dernier séjour à New-York et de ses projets en Chine. Je repense à la femme qui essuyait discrètement ses larmes.
Puis nous allons visiter l’exposition David Hockney. Ses couleurs m’ennuient, ne peuvent chasser le noir et blanc des photos d’Evans. Pourtant j’aime les couleurs vives, sans doute à cet instant ai-je besoin de retenue.
Puis il y a cette ouverture rectangulaire, verticale. Le ciel et la ville. Je ne prête pas beaucoup d’attention au tableau hors champ sur la droite, par contre le titre me plait: Le parc des sources.
Encore plus quand Sophie se place dans l’encadrement de la vitre. Le parc des sources. Je regarde alors le tableau plus attentivement, les couleurs, la chaise vide, la perspective. Le parc des sources. Tout à l’heure il n’y avait personne devant la fenêtre, maintenant il y a Sophie, ses vêtements ont la couleur de la toile, la toile avec une chaise vide. Finalement je crois que ce tableau me plait: Le parc des sources…

vendredi 7 juillet 2017


Les Nuits de Pleine Lune



L’oreiller est trempé. Un cargo rouillé accoste la fenêtre ouverte. Il les voit descendre, s’approcher, ceux qui  lui tiennent compagnie les nuits de pleine lune.

(Vaucresson, Hauts de Seine)

jeudi 6 juillet 2017


Rien


Il traine son sac dans la ville. Un sac de rien, un sac de bouts de trucs, de bouts de vies, de bouts de pain dur. Il s’accroche à son sac, sa bouée dans les flots d’hommes et de femmes en marche.
Il se poserait bien, sur une marche, dans un coin. Dormir un peu. Rêver d’un brin de paille dans les cheveux d’Éléonore, d’un brin de voix, d’un brin d’amour. Rêver de petits riens qui font la vie grande, de petits riens qui s’immiscent et chatouillent, de moments de rien dans la lumière du matin, de moments de rien entre deux trains, entre deux mains, entre deux seins. Rêver de petits riens, du bleu d’une robe, du lilas en fleur et du rose aux joues.
Point de repos. Tu n’es rien, moins que rien lui disent les murs au regard glacé. Une voix familière. Il ignorait de quoi le monde était fait que déjà il l’entendait.
Alors il va, dans la ville, accroché à son sac, son sac de rien…

(Stockholm, Suède, 17 juillet 2016)

mercredi 5 juillet 2017


Les Personnes d'Expérience 8

Fleurs et herbes d’une saison, olivier centenaire, ainsi se clôt cette série de portraits de résidents de l’EPHAD Marcelle Devaux. Aujourd’hui, l’Algérie et la Bretagne avec Andrée et Mauricette.
Chaque fois que nous venions, la séance terminée, Andrée s’empressait d’aller préparer les tables pour le diner. Il ne fallait surtout pas l’aider, c’était  sa  responsabilité, une tâche qui contribuait à la tenir debout. Mauricette qui était en fauteuil roulant attendait qu’on veuille bien l’emmener. Parfois les aides soignantes débordées tardaient et Mauricette se retrouvait seule en ma compagnie tandis que je rangeais mes cahiers. Cela faisait durer un peu plus le moment. Michel nous quittait après nous avoir chaleureusement serré la main le regard brillant. Annick était partie avant la fin de la séance, c’était son habitude, partir discrètement comme si elle avait un rendez vous important. René s’en allait à la recherche de sa femme, durant le dernier quart d’heure, son attention se relâchait, seule sa femme le préoccupait. Josiane et Jacqueline  sortaient fumer une cigarette. Solange avant de se lever demandait si on avait bien pensé à prendre sa chemise de nuit. Josette accompagnait Solange tout en soliloquant et Denyse s’en allait à petits pas, le sourire aux lèvres.


(11avril, Tivoli, Italie)

- Il y a Andrée, bien droite dans ses bottes, Andrée née à Alger, rue Amam, dans Bab el Oued. Andrée élevée chez les soeurs à cornette. Andrée qui aimait un père qu’elle ne connaissait pas. Andrée qui s’est mariée en tailleur avec un chapeau noir et une voilette au consulat. Lui, c’était un bel homme,  gérant de café. Un jour qu’elle était de repos, il a offert sa tournée, ils se sont mariés. Andrée qui ne gaspille pas ses mots, comme l’eau dans les pays chauds. Andrée qui aime les gâteaux au miel  et le soleil. Andrée qui est fière de son fils qui travaille à Casino. Andrée qui, à Dijon avait deux caniches et dix perruches dans sa maison pour ne pas oublier l’Algérie.

- Il y a Mauricette, Mauricette la bretonne ronde et joyeuse. Mauricette qui se souvient avec gourmandise. Qui se souvient de sa grand mère qui nouait les gerbes de blé, qui se souvient de son grand père qui la faisait sauter sur ses genoux en chantant une comptine bretonne ( oni gausse gausse gausse oni gausse), qui se souvient des chevaux dans les champs, des tranchées que l’on creusait pour s’asseoir devant les nappes posées à même le sol lors des grandes fêtes, des cimetières où les trois quart des tombes portaient le même nom, Mauricette qui se souvient des lutins dans les champs à trois coins, de la rivière de Kergroas et du canal de Nantes à Brest, Mauricette qui se souvient avec appétit, pour continuer, encore.

(23 mai 2014, Argelès-sur-Mer, Pyrénées orientales)

mardi 4 juillet 2017


Les Personnes d'Expérience 7


Aujourd’hui le bleu de cette photo prise à Uxem, Nord, le 9 juillet 2016 pour Josette Crapoulet.
Elle portait toujours un pull bleu. Ses mots hachés, bousculés, tombaient  en flot continu sur mon cahier. Le temps, la généalogie, le vocabulaire y étaient sans cesse réinventés.

 - Il y a Josette,  l’acrobate, qui faisait des salto au Québec, Josette qui ne s’en laisse pas conter. Au travail, ils lui donnaient des papiers, elle les regardait, disait si c’était bon, et ils repartaient. Ils auraient pu le faire eux même dit elle! Oui, elle ne s’en laisse pas conter! Au cinéma, quand arrivait le danger, elle tendait ses deux doigts en forme de révolver pour éloigner la peur. Sa mère n’était pas commode non plus,  quand Josette rentrait du ciné, celle ci la regardait, l’oeil noir: «  C’est qui qu’a payé, si c’est ton p’tit capain (c’est comme ça qu’elle disait), ça va. » Ils était cinq à la maison, Josette était la deuxième, fallait tenir son rang! Il y régnait un joyeux désordre, des enfants qui se disputent, jouent et sautent dans tous les sens et parfois la mère excédée qui élève la voix pour calmer son monde. Mais cela produit l’effet inverse, jusqu’à ce que le père  s’en mêle.
Et Josette qui me dit: c’est bien que vous soyez là, ça nous fait de l’air dessous les bras et dessous les jambes. Décidément, Josette…

lundi 3 juillet 2017



Les Personnes d'Expérience 6


(Séverac-le-Chateau, Aveyron, 5 aout 2016) 

Voici la suite de ces biographies, publiées depuis le 27/06, du groupe de résidents de l’EHPAD Marcelle Devaux à Colombes avec qui, à l’automne 2015, nous avons passé de belles après-midi à explorer les mémoires éparses des uns et des autres.
Aujourd’hui deux inséparables, Josiane et Jacqueline.

- Il y a Josiane, madame ici et un peu là bas. Josiane qui a le sens de la répartie et aime rigoler. Josiane qui mène la danse et bat la mesure.  Josiane qui donnait ses rendez vous amoureux au Sacré Cœur, les recoins y sont nombreux. Josiane qui quand son mari fautait, prenait le martinet et lui mettait sur le cul. Josiane la starlette du château de Versailles, la déléguée du personnel qui n’a pas sa langue dans sa poche. Josiane qui travaillait dans une cafétéria, dans la Creuse. Josiane  qui virevoltait, au coup de feu de midi,  avec toujours un bon mot pour l’ouvrier affamé, sachant remettre en place celui à la main trop leste, la voix forte pour envoyer les commandes et se faisait engueuler par son patron quand elle offrait des cafés à tout le monde le jour de son anniversaire. Et quand il n’y a plus personne, quand il n’y a plus que des miettes sur les tables et de la sciure au sol, alors elle s’assoit pour reposer ses jambes un peu lourdes et le sourire aux lèvres  elle  chantonne en pensant aux joyeux tours qu’elle jouera à son mari à son retour.



(Paris, 18ième, 20 avril 2016)

- Il y a Jacqueline, née à Toulouse, la copine de Josiane; Ensemble, elles ont le rire facile. Elle était sténo dactylo à la Cie Electromécanique, rue du Rocher à paris. Elles étaient plusieurs, rivalisant de coquetterie, dans la même salle, chacune à leur machine. Jacqueline tapait redoutablement vite.
A dix sept heure cinquante sept, elles avaient toutes enfilé leurs manteaux et attendaient assise à leur place, le sac sur les genoux, que l’aiguille de la grande horloge au bout de la salle soit sur le six. Alors elles se levaient et quittaient les bureaux en papotant gaiement.
Jacqueline qui se souvient des ses visites en Ariège où se trouvait sa famille et qui chaque matin ouvre les rideaux avec l’espoir de la clarté du soleil.

dimanche 2 juillet 2017


Miniatures éphémères
La Pluie


Impossible de trouver le sommeil, la pluie ne cesse de frapper le toit . Une goutte
s’infiltre entre deux tuiles disjointes, tombe sur son nez et lui dit: ne t’en fait pas.

samedi 1 juillet 2017



Les Personnes d'Expérience 5


Après Denyse, Michel, Annick, Solange c’est René qui se confie, qui cherche dans les dédales de sa mémoire.
(Photo prise à Vaucresson le 30 juin)

- Il y a René qui n’entend pas bien, René qui lit souvent, seul dans son coin. René préoccupé par sa femme qui est là, pas loin. « Mon premier baiser, c’est celui d’hier » dit il. René qui écoute la main derrière l’oreille, René qui sourit, les yeux fermés quand nous lisons des chansons d’amour. René, le charcutier, qui aime la mer et a parcouru les routes de Normandie à vélo. De Saint Julien sur Calonne  à Colombes. C’est à Colombes que se trouvait sa dernière boutique, rue Stalingrad; sa femme travaillait à ses cotés.
Il est là derrière ses étals. Bel homme. Toujours un léger sourire aux lèvres. Accueillant, aimable  mais discret. Il laisse le client venir à lui. Surtout ne pas l’importuner de questions embarrassantes et inutiles ou de publicités tapageuses sur ses produits. La fidélité de ses clients est le gage de la qualité. Il y a bien une préparation qu’il réussi mieux que les autres, mais jamais il ne le dira. Et sa femme est là, qui veille. A la charcuterie, ils parlent peu. Ils se connaissent si bien. Parfois ils se regardent faire l’un  l’autre, apprécient la précision du geste. Leurs mains, des mains qui si souvent se sont tenues. Rouler la pâte, malaxer la farce, trancher la viande, battre la sauce, hacher la chair, casser les oeufs, éplucher, peler, dépecer, couper, émincer, débiter  puis trier la monnaie. Et le dimanche en été, quand il fait trop chaud pour marcher, regarder main dans la main le tour de France à la télé.