Le Voyage
Arthur et le Vieux
(Aire des Pyrénées, A 64, Ger, Pyrénées-Atlantiques, 8h 50)
Il y a une barrière métallique puis une route, une route toute droite qui s’en va vers les montagnes.
Arthur et le Vieux regardent à travers le grillage.
Colle ton oeil à la clôture pour l’oublier dit le Vieux.
Le soleil se lève, les montagnes se chauffent le dos.
Un jour, dit le Vieux, je suis parti. Oh je n’étais pas bien grand. Je voulais goûter la mer, goûter la neige, goûter la terre. Je voulais suivre les traces des bêtes, je voulais entendre leurs langues, et celles des hommes aussi. Je voulais savoir ce qu’était un monde plein d’arbres où les chemins se perdent dans le vert, ce qu’était un monde sans arbres où les chemins se perdent dans les pierres. Je voulais savoir ce que fait au corps trop de pluie ou trop de soleil. Je voulais savoir ce qu’il y avait derrière la maison, plus loin sur la route, après les bois, au delà des montagnes.
J’ai fait mon sac, un gros pull, un pyjama, un pique-nique, une gourde d’eau et un couteau, j’ai mis quelques cailloux dans ma poche, des cailloux blancs à semer pour ne pas me perdre comme le Petit Poucet.
Je suis parti au printemps, un matin, à l’heure des oiseaux, vers le soleil levant.
Au début je déposais un cailloux à chaque carrefour, puis tous les dix kilomètres environ, quand mes petites jambes fatiguaient.
Le troisième soir il ne me resta qu’un cailloux, le plus beau, en forme d’homme, noir veiné de blanc d’un côté, blanc veiné de noir de l’autre. Je décidai de le garder.
J’ai marché des jours et des jours. J’ai su pour la mer, pour la terre, pour la neige, pour la pluie et le soleil. J’ai entendu parler les uns et les autres, je les ai imité, pour partager leurs histoires.
J’ai marché des mois et des mois, toujours tout droit, droit devant.
J’ai marché des années, j’ai grandi, j’ai vieilli. J’ai marché toujours tout droit. J’ai vu des milliers de levers de soleil et autant de couchers. J’ai fait connaissance avec la lune. J’ai dormi dans des trous, des châteaux, des arbres, des fermes, des commissariats même, dans les bras de ta grand-mère aussi.
Et un jour, il n’y a pas si longtemps je suis arrivé à la maison. J’avais fait le tour de la terre.
Tiens, je l’ai encore ce cailloux, prends le, il est pour toi.
Alors Arthur prends le petit cailloux en forme d’homme et le serre fort dans son poing en collant son œil au grillage.