Une Zygène sur une page qui se tourne 

(Zygène de la badasse, Travaillan, Vaucluse, 9h 35)

De retour dans le sud-est. Nous finissons de vider la maison des parents de Sophie. Une page se tourne. Certaines sont plus difficiles à tourner, humides, elles collent aux doigts. Dehors tout est sec. J’aperçois dans la prairie une Zygène de la badasse,  un lépidoptère au nom débonnaire, qui offre encore quelques couleurs aux herbes sèches, tandis que de la maison parvient le rire des deux sœurs qui retrouvent de vieilles photos de leur enfance.

Miniatures éphémères

(Hendaye, 22 août, 15h 40)

Père et fille

Sans un mot 

Le nageur

(Hendaye, 9h 55)

L’orage a chassé les vacanciers et cloué le bec à l’océan. Ne reste qu’un nageur solitaire prêt à étirer son corps au fil de l’eau entre deux averses. Lancer les bras, tendre les jambes, le battement régulier des pieds, la pointe qui frappe l’eau, l’homme devient poisson et si le ciel s’ouvre à nouveau lâchant des trombes d’eau, le nageur sentira les piques de la pluie sur les parcelles de peau émergées, il verra le relief de la houle, aussi faible soit-elle, se révéler et il deviendra poisson sur les collines, un long long poisson sur de douces collines pointillées.

Une banale scène de plage

(Hendaye, 22 août, 20h)

C’est une banale scène de plage. Une petite fille ouvre un paquet de churros encore chauds, un paquet pour elle toute seule, un paquet de six, pour elle toute seule, à s’en écœurer, c’est si bon. Elle sort du paquet un churros couvert de sucre craquant sous la dent. Un peu plus loin un petit garçon sans goûter la regarde avec envie. La fillette brandit le churros, pas pour lui offrir, non, pour le faire bisquer. Soudain, une mouette plonge et s’empare d’un coup de bec de la pâtisserie convoitée. La fillette gardera à vie la détestation des oiseaux.

Au même endroit 

(Hendaye, 22 août, 19h 55)

Quelques silhouettes 

Au bord de l’eau

L’eau qui va et vient

Au gré des vagues

Une femme debout

Pense à sa grand-mère

Les pieds dans l’eau

Au même endroit

Un enfant assis

Mains à plats

Sur le sable qui se creuse

Quand l’eau se retire

Se dit quand je serai grand

Au même endroit

Un homme tête baissée

Ne pense rien

Regarde juste l’eau qui va

Au même endroit

Tombé du lit

(Hendaye, 7h 30)

Elle dormait en diagonale sous la couette

Je suis tombé du lit

Je rêvais à l'instant même que j’étais une mouette 

Miniatures éphémères

(Hendaye, 22 août, 15h 30)

Free jazz 

Une boule de flipper

(Hendaye, 7h 40)

Le soleil comme une boule de flipper incandescente 

La vie comme un flipper géant, joyeuse et brutale. 

Frontière

(Hendaye, 22 août, 20h 25)

On se presse sur la jetée côté plage, tandis que sur le port le promeneur se fait rare. Ici on n’entend plus le bruit des vagues, on y vient rêver de lointains sous les palmiers en écoutant le vent dans les haubans. En face c’est l’Espagne, on aperçoit sur la colline l’imposant Parador de Fontarrabie. Et sur cette rive de la baie de Chingoudy, de nombreux jeunes gens, d’Afrique pour la plus part, qui ne dormiront pas au Parador, dont on ne peut imaginer ce qu’ils ont traversé pour venir jusqu’ici, se demandent encore une fois comment ils vont passer cette nouvelle frontière.

Sonorités pour adoucir le souci 

(Hendaye, 20h 55)

Face à la mer après une belle journée de surf, je prononce ce titre d’un recueil de poésie traditionnelle de l’archipel malais: Sonorités pour adoucir le souci*.

*Traduit du malais par Georges Voisset, Gallimard, Connaissance de l’Orient, collection UNESCO d’œuvres représentatives.

Capra lilabex unicornis volans

Quand le Lilas bruisse 

(Vaucresson, 19 août, 18h 15)

Il y a des petites bêtes, insectes, batraciens qui se déguisent en feuille mais il y a aussi des feuilles, ici une feuille de Lilas, qui se déguisent en petite bête. Voici un bouquetin volant des lilas, Capra lilabex unicornis volans, capable de vol stationnaire, il broute les toiles d’araignées ainsi que tout ce qui s’y trouve, araignée comprise. Son cri est un bêlement aïgu d’environ19000 HZ audible par les plus jeunes. Il se reproduit à l’automne, juste avant la chute des feuilles, queue à queue, comme les papillons. Il est totalement inoffensif, même capable de reproduire le chant des nouveaux nés et de converser avec eux. Il suffit d’un bébé à l’ombre du Lilas pour que le Lilas bruisse.

Saint-Cloud

(Saint-Cloud, Hauts-de-Seine, 14 août, 21h)

Je veille sur ma mère. Elle est tombée. Rien de cassé mais de multiples plaies, elle a la peau si fine. L’infirmière est venue. Elle a dit qu’il fallait revoir la garde robe pour l’assortir aux yeux aux beurre noir. Elles ont ri aux éclats. Elle est coriace ma mère, elle aura 100 ans en octobre. Et l’infirmière est formidable, ces rires sont une bonne part du soin. Ce soir je dors ici, Il y a si longtemps que je n’avais pas dormi dans cet appartement, l’appartement de mon enfance. Ma mère me dit soudain: Oh, regarde le ciel! Je sors sur le balcon regarder les nuages rouges sur les toits. Je me souviens du parfum de l’herbe tondue et des chevaux que j’imaginais courir là haut. Et il y a cette phrase de Gérard Garouste dans l’Intranquille qui me revient: On passe la moitié de sa vie à s’éloigner de sa famille, l’autre moitié à s’en rapprocher.

la Mouche à toison

(Mouche à toison, Machimus atricapillus, Vaucresson, 18h 10)

Adorable petit monstre. Je n’avais encore jamais vu cette mouche dans le jardin. C’est un redoutable prédateur de lépidoptères et autres insectes, une guerrière en armure. Elle transperce sa proie de sa trompe rigide, injecte une foudroyante salive venimeuse, puis aspire le contenu prédigéré. Sa présence est un bon indicateur de la qualité du biotope et de la biodiversité.

Miniatures éphémères

(Vaucresson, 9h 50)

Les nouvelles du jour 

La Butte de Montenoison 

(Montenoison, Nièvre, 17 mai, 16h 30)

À 417m d’altitude, la butte de Montenoison  est visible à plus de 30 km à la ronde. Il y a là haut de grands arbres, les ruines du château des comtes de Nevers, une église et un cimetière. Et de l’air, un air léger qui fait frissonner les feuilles et les morts. On voit loin, dans toutes les directions, les âmes n’ont que l’embarras du choix.

Un grand chien de bois

(Hendaye, 21 juin, 21h 50)

Dans les rochers

Un grand chien de bois

Où que j’aille

Je trouve un compagnon 

Ailanthus Altissima

( Vaucresson, 14h 55 )

C’était un Faux Vernis du Japon, Ailanthus Altissima, j’aimais son écorce rosée et ses rameaux. Il avait poussé si vite, 25 m en 25 ans. Un mauvais coup de vent a envoyé une énorme branche chez les voisins, une autre menaçait de rompre, la moitié de l’arbre, il y avait danger, l’abattage était inévitable. Des élagueurs sont venus. Quand ils ont vu les totems au fond du jardin, l’un d’eux, un sénégalais, m’a demandé si je parlais Wolof, un autre, le patron, m’a demandé si je travaillais dans les chemins de fer. Je leur ai répondu que je croyais aux esprits, c’est tout. Ils m’ont dit alors qu’ils allaient faire très attention.

L’Ailanthus est à terre, débité et fendu. J’ai fait quelques tas de bois, du bon bois pour la cheminée,  j’ai épousseté la sciure sur les totems et remis une queue au dragon à sornettes.

Famille Cloup

(Ambrugeat, Corrèze, 11août,15h 50)

Quand la guerre insiste

Quand la mort s’entête

Ronde

(Marciac, Gers, 27 juillet, 12h 30)

La terre est ronde

Il suffit d’aller droit

Pour rentrer à la maison 

Petit-Pois

(Orly, Val-de-Marne, 20 avril 2023, 9H 35)

C’est son fauteuil, le fauteuil de Petit-Pois. Petit-Pois n’est pas grand et porte toujours un nœud papillon à pois. Petit-Pois est pianiste de bar au Sheraton, à deux pas des pistes. Il joue chaque soir pour des voyageurs qui le lendemain s’envoleront tandis qu’il regardera partir les avions. Le soir il joue, il pianote comme on lit des cartes, comme on trace des itinéraires,  comme on roule, comme on navigue, comme on vole, il y a des trous d’airs, des coups de vent, des accalmies, et parfois une jeune femme en robe lamée vient s’accouder au piano comme une sirène. Petit-Pois fait chialer les voyageurs avec son blues ensorcelant. Et le jour, de 14h à 18h il s’assoit sur son fauteuil et regarde les avions décoller et atterrir. Il partirai bien lui aussi, à Végas, New-york, Montréal, Tokyo, une tournée internationale avec une sirène en robe du soir, mais peut pas, il est aviophobe, c’est rédhibitoire, alors il les regarde s’en aller, collé au fauteuil, un fauteuil enveloppant, carré, en skaï, en se disant que peut-être qu’un jour il sera capable.

Miniatures éphémères 

(Saint-Pantaléon-de-Lapleau, Corrèze, 8h 15)

Piquoiseau

(Marin définitivement à quai dans Marius de M. Pagnol) 

Les étoiles et les bêtes sauvages 

(Saint-Pantaléon-de-Lapleau, Corrèze, 8h)

Je n’ai pas écrit hier soir

Nous avons regardé le ciel

Enlacés

Il y avait tant d’étoiles 

Qu’on ne pouvait que se serrer un peu plus fort

En silence

Immobiles

Plus d’étoiles que de graviers sur le sol

Marchant nous aurions fait crisser le ciel

Alors nous avons dormi là

Au fond du vallon

Et ce matin

Tandis qu’elle dort encore

J’attends les bêtes sauvages

Qui sortirons du bois

Pour les saluer

Comme nous avons salué

Les étoiles

Bois et pierres

(Hendaye, 4 août, 17h)

Bois et pierres

Au bord de l’eau

Passe le temps 

L'île aux oiseaux

(Hendaye, 4 août, 17h)

l’île aux oiseaux, îlot de sable dans la baie de Chingoudy, refuge interdit aux hommes. Une armée de varans, crocodiles et autres sauriens préhistoriques veillent.

L'Agapanthe

( Agapanthe, Hendaye, 4 août, 16h50)

La promenade est fleurie le long de la baie de Chingoudy. C’est en vieillissant que j’ai appris à regarder les fleurs, à aimer leurs noms et leurs couleurs. Elles me donnent l’impression de vieillir un peu moins vite.

 

Une lame de schiste

(Hendaye, 7h 40)

Dans le ciel du matin une lame de schiste échappée des falaises, j’y puiserai mes forces avant d’aller surfer et je resterai silencieux au milieu de jeunes gens qui n’ont d’autres soucis que d’être les plus forts.

 

Miniatures éphémères

(Vaucresson, 4 juillet, 19h 05)

Le sourire du bois

Un peu d'ordre 

(Marciac, Gers, 26 juillet, 21h 20)

Les peupliers tentent de mettre un peu d’ordre mais un chardon sera toujours un chardon.

Se défaire

(La Carapa, Macouria, Guyane, 23 avril 2023, 14h 20)

Se défaire

Devenir si léger

Et surfer

Sur une feuille de Balisier 

Un heurtoir colérique

(Marciac, Gers, 26 juillet, 20h 45)

Un heurtoir brulant au soleil de midi, un heurtoir colérique qui donne  des coups de bec, qui mord furieusement, qui siffle comme les oies du capitole. Derrière la porte un homme tiraillé qui défend son territoire comme une bête sauvage et qui pourtant aimerait tant qu’on lui rende visite.