(Parc écologique de Plaiaundi, Irun, Gipuzkoa, 5 septembre, 9h)
Le cauchemar d’une grenouille
L'enfant au ballon
(Irun, Gipuzkoa, 5 septembre, 10h 30)
Elle est encore arrivée la dernière. Il ne restait qu’un ballon dégonflé. Ce n’est pas grave, ça lui fait penser à sa grand-mère qui a un gros ventre un peu mou sur lequel elle aime poser sa tête quand elle a un chagrin. Les autres sont déjà au centre du terrain avec les ballons, les cônes , les cerceaux. L’animateur a lancé la musique pour les activités sportives. On ne l’a pas attendue. C’est toujours comme ça, on ne l’attend pas Luisa. Quand ils grimpent en haut de la montagne, on ne l’attend pas, quand ils redescendent, on ne l’attend pas. Mais ça ne la dérange pas Luisa, en chemin, elle voit des choses que les autres ne voient pas.
La barque
(Hondarribia, Gipuzkoa, 10h 35)
Ruben avait mis sa barque au rebut, au bord du chenal, où on oublie les bateaux qui finissent par se confondre avec les berges vaseuses. Il ne voyait plus grand chose le vieux Ruben, trop flou et pas de quoi se payer de nouveau yeux. Pareil pour les oreilles qui veulent plus, trop cher. Il a mis sa barque au sec et s’est posé sur son banc devant la maison, à se confondre avec la façade délabrée. C’est le petit dernier de la famille, son petit fils Paco qui l’a réveillé, qui l’a remis en selle, qui lui a redonné le goût du large et des embruns. Paco, quinze ans, qu’on disait bon à rien, crétin, voleur et menteur, à tel point qu’on avait renoncé à tout espoir à son sujet, on laissait faire, on détournait les yeux, et ça lui allait bien à Paco, la liberté, c’est tout ce qui comptait, fallait juste qu’il ne se fasse pas choper par la garde civile. Un jour Paco a piqué sur le chantier de carénage du port de pêche suffisamment de pots de peinture pour repeindre un trois mats. Du bleu, celui de la barque de Ruben, et de beaucoup de bateaux du coin. Ici c’est bleu, vert ou rouge. Du bleu pour la coque, du blanc pour le nom. Paco a gratté, radoubé, repeint la coque, remis le moteur en état. C’est qu’il en savait des choses Paco à force de trainer en regardant faire les autres. Quand il en a eu fini avec le bateau, il a repeint le banc de Ruben. Au petit matin quand Ruben est venu s’assoir, Paco, qui l’attendait, a hurlé: Non, peinture fraiche! Ruben a fait glisser son index sur le banc et il a mis le doigt dans sa bouche. Hé, Paco, c’est du bleu des bateaux! Il était comme ça Ruben, voyait plus bien, mais il reconnaissait les couleurs au goût. Oui, Ruben, du bleu des bateaux, et j’ai repeint ta barque et remis le moteur en état de marche. Maintenant si tu t’assois sur le banc, c’est toi que je vais peindre en bleu. Ruben a regardé son petit fils avec du feu dans les yeux, comme si on avait changé les ampoules derrière ses yeux vitreux. La barque, tu l’as peinte quand? Elle est sèche? Oui? Alors vient, on prend le large!
Et ils ont pris la mer. Ruben disait, Paco faisait. Gaffe quand tu vois le bloc de béton tagué, il y a une épave au milieu du chenal, barre à tribord! Il se souvenait de tout Ruben, la mémoire elle n’avait pas bougé, fallait juste que quelqu’un ouvre la boite. Ainsi chaque jour ils sortaient pêcher. Ruben parlait et Paco apprenait. Il y avait les gestes aussi, tout ce qu’on fait les yeux fermés quand on l’a fait toute sa vie. Paco apprenait vite. Un jour Ruben n’a eu plus rien à enseigner. Mais il a continuer à sortir en mer avec Paco sans s’arrêter de parler. Maintenant il parlait de son enfance, de la famille, de la guerre qui avait fait des dégâts, des ses amours, de son amour, il en avait des choses à dire, mais ça c’est une autre histoire.
Repos
(Hendaye, 20h 25)
La Houle était si belle depuis une semaine. Belle et anormalement violente pour la saison (tout ne deviendrait-il pas anormalement violent?). J’ai tiré un peu trop sur la corde, résultat, élongation musculaire, me voilà simple spectateur. Je raconte au médecin comment, il y a dix ans, est né ce blog, suite à une immobilisation forcée par un sacré mal de dos alors que les vagues me faisaient de beaux clins d’œil. Il m’avait conseillé une semaine de repos, cette fois ci c’est deux. Ben voilà, me dit-il, vous venez de fêter les dix ans de votre blog, vous avez deux semaines pour inventer autre chose…
Rouler, rouler
(Hendaye, 8h 30)
Rouler, rouler la mer, rouler le ciel, rouler la clope, rouler le pain, rouler la peau, rouler, rouler, rouler la vie, rouler, presser, presser le vin, presser le bleu, presser l'orange, presser la nuit, presser le temps, presser, presser, presser la vie, presser, presser, rouler, rouler….
Le Vent
Une histoire d'Arthur et le Vieux
(Hendaye, 29 août, 15h35)
Chaque rafale efface les traces, brouille le paysage, le vent souffle les vacanciers.
Regarde dit le Vieux à Arthur qui ne lâche pas sa main, il en passe dans le ciel tenant fermement leur sac et leur chapeau. Là bas il y en a un avec un gros ventre qui a atterri le cul sur une cheminée tout en haut d’un toit. Il regarde désespérément son cornet de glace, plus préoccupé par sa boule de chocolat piquée de grains de sable que par sa position un peu trop élevée. Une prochaine rafale le fera redescendre d’un coup. Sauvera-t-il sa glace?
Et là, surenchérit Arthur, Il y a maman accroché à un parasol où il y a marqué Orangina, tu crois qu’elle va voler jusqu’en Italie?
Et le chien qui bat les pattes le poil au vent, on dirait qu’il nage dans le ciel.
Ne me lâche pas dit le Vieux, j’aurais bien du mal à te rattraper.
Soudain Arthur sort de sa poche une bobine de fil de pêche, gardée précieusement depuis leur journée de pêche au mulet dans le vieux port. J’ai une idée, attache le fil à mon pied, je vais voler comme un cerf-volant.
Le vieux attache le fil à la cheville d’Arthur qui s’envole aussitôt, et le fil se déroule, se déroule, tandis qu’Arthur pousse des cris emportés par le vent.
Un peu inquiet, craignant de se faire tirer les oreilles par les parents d’Arthur, le Vieux rembobine le fil et Arthur redescend.
Qu’est-ce que t’a vu là haut?
J’ai vu jusqu’en Italie, où maman travaille, j’ai vu des girafes lever la tête, et des oies me frôler, j’ai vu le château d’Abadia bien plus petit qu’en vrai, j’ai vu la courbe de l’horizon et un bateau qui s’en allait très loin au dessus des moutons. Mais j’ai les yeux qui piquent, je crois que j’ai du sable.
Regarde comment faire pour enlever le sable de ton œil: Tu tire ta paupière du dessus par dessus celle du dessous, en rouvrant ton œil, le grain de sable va rester accroché sur la peau extérieur de la paupière du dessous. Voilà. Ça va mieux?
Oui, ça marche, et même qu’avec les yeux fermé comme ça, après m’être un peu tiré les paupières j’ai revu tout ce ce que j’avais vu, je l’ai revu comme des photos qui restent accrochées dans ma chambre.
Neptune
(Hendaye, 20h 45)
Jeannot perd de sa prestance. Son petit fils lui a dit qu’il avait la peau qui pendait aux bras. Il a gonflé ses muscles, le gosse a dit que ça pendait quand-même un peu. Et puis il n’y a plus grand monde qui vient à ses cours de gym au Club Neptune. C’est moi Neptune, disait-il autrefois quand il se pavanait au milieu des gamins et de leurs mamans qui fréquentaient le Club. Il avait la tchatche, il avait la niaque, il avait le sourire Colgate, un sourire qui fait trébucher. Il y avait d’autres clubs sur la plage, chacune avec leur Musclor, mais lui c’était le cador. Sa réputation a commencé à flancher quand les surfers sont arrivés. Il n’était pas très à l’aise dans les vagues et les filles n’en avaient que pour les rois de la glisse. Alors le « C’est moi Neptune » ça marchait plus trop. Mais bon, il y en toujours quelque unes, de moins en moins jeunes, qui aiment bien s’agiter en rythme en écoutant ses conseils. Il ne sont plus que deux clubs sur la plage, Neptune et Mickey. Ils ont remplacé les portiques en bois par des structures gonflables, questions de normes et sécurité Les autres ont cessé leur activité. Maintenant ce sont les écoles de surf qui pullulent. Il va s’arrêter, bientôt, à 75 ans il a dit, faut savoir tirer sa révérence, il fatigue, et il a la peau qui pend parait-il. La seule chose qui le chagrine, c’est qu’il n’y a personne pour reprendre. C’est pas rentable. Sa cabane en bois, qu’il monte et démonte en début et fin de saison, c’est une des dernières, avec celle du loueur de tentes et transats, et celle du club Mickey, bientôt, il n’y en aura plus. C’est dommage, ça fait joli sur la plage en été.
Miniatures éphémères
(Forêt de Rambouillet, 23 août, 19h 05)
Vague à l’âme
J’étais accroupi au bord du chemin, à moitié caché par les fougères et la bruyère, en train de photographier ce petit personnage posé sur la souche. Une cavalière est passé, le cheval s’est arrêté net. Il est habitué aux hommes debouts, mais pas aux hommes accroupis, m’a-t-elle dit. Elle a vu mon appareil photo, ma boite de métal avec toutes ces petites boites de plastique transparent qui contiennent mes personnages, et les pinces que j’utilise pour poser les plus petits. Du haut de sa monture, elle ne distinguait pas le contenu de toutes ces boites. Vous faites des prélèvements? M’a-t-elle demandé. En quelque sorte, ai-je répondu
En forêt
(Forêt de Rambouillet, 19h 15)
J’aime aller seul en forêt. Je ne fais pas de bruit. Je guette. Il y a toujours quelque chose qui me surprend, un animal, un insecte, une feuille morte en équilibre, un bois mort, une pierre, mais surtout il y a les âmes de ceux que j’aime qui se promènent tout autour, en toute discrétion.
Ligne L, le nez au carreau
(Ligne L, Puteaux, Hauts-de-Seine, 10h 55)
Le train est à quai. Le môme à le nez écrasé sur la vitre. Le père, enthousiaste, répète: Regarde, regarde, Victor, la Tour Eiffel, là bas la Tour Montparnasse, et le troupeau de nuage, bien haut pour ne pas se piquer aux tours, regarde comme c’est beau, c’est Paris, c’est la capitale, regarde mon fils! Le môme lui, il en a pas grand chose à faire. Il écrase de plus en plus son nez sur le carreau, sa bouche maintenant, il fait les gros yeux, ça fait marrer les voyageurs sur le quai, aux premières loges, les autres dans le train rient de voir les autres rire, le môme maintenant lèche la vitre, grogne comme un petit cochon, tout le monde rigole, de plus en plus, et le père continue de s’extasier sur la ville, ses tours et ses nuages.
Les frères Marx
(Marciac, Gers, 7 août, 20h 35)
Le jour se levait à peine, Lucie est sortie pour arroser ses fleurs, comme chaque matin, prendre soin de son petit jardin en écoutant les oiseaux. Il y avait un gars dans la cour, un inconnu, pas très grand, mal chaussé, mal vêtu, avec de drôles de cheveux en épis sur la tête. Un petit air de Harpo Marx, qui lui a immédiatement rappelé son mari Jacques qui lui avait un petit air de Groucho Marx. Elle avait connu Jacques au bal des pompiers. Elle avait été séduite par ses moustaches , sa voix et son jeu de jambes. Bientôt cinquante ans de vie commune malgré les ronflements et les blagues à deux balles. C’est que c’était un tendre son Jacques sous ses airs de grand crétin. Jacques dormait encore. Il dormait de plus en plus tard depuis qu’il ne travaillait plus. C’était son moment à elle, le petit matin avec les fleurs et les oiseaux. Mais là, avec un Harpo dans la cour qui la matait avec des yeux ronds en ronronnant, il fallait réveiller son Groucho. Elle a crié Jacques pour qu’il se lève, il a surgit dans la cour en pyjama la tête toute froissée. Regarde mon Groucho, qui est là, ça ne serait pas un de tes frangins? Jacques regardait le gars avec des yeux aussi ronds que lui. S’cusez, je suis comme les chats, j’passe entre les barreaux ou par dessus les murs, je cherche un peu de compagnie et de quoi becqueter, j’sais parler aux plantes et réparer les vélos, voilà, qu’il a dit le gars en tendant la main. Jacques lui a serré la pince, Lucie a été cherché du café et du pain mie, et ils ont bu tous les trois comme ça dans la cour en trempant leur pain dans le café, sans rien dire. Parfois le gars penchait la tête en ronronnant comme un gros chat qui cherche des caresses. Jacques a raconté la blague des trois nains et du livre des records, le gars a ri aux éclats, alors Jacques a raconté d’autres blagues tandis que le gars se tordait. Le soleil était déjà haut quand le facteur est arrivé. Soudain Lucie s’est rendu compte que le facteur avait vraiment un petit air de Zeppo Marx. Ça alors, j’avais jamais remarqué, s’est-elle dit, ça va être une sacré journée!
Gerris
(Saint-Pantaléon-de-Lapleau, Corrèze, 6 août, 13h 05)
Le Gerris, le marcheur sur l’eau, appelé à tort araignée d’eau. Le Gerris est une punaise aquatique, non une araignée. Je les ai toujours nommés araignées d’eau. Je me souviens d’un ruisseau où enfant j’allais pêcher des écrevisses. Les araignées d’eau pullulaient, je pouvais rester des heures à les regarder filer sur l’eau, à grand coup d’accélérations saccadées. J’enviais leur vitesse, leur légèreté, je voulais aussi marcher sur l’eau. Nul désir christique ici, seulement faire ce que les autres ne font pas. Peut-être ma passion du surf est-elle née au bord de ce ruisseau?
Embata
(Hendaye, 12 août, 20h 40)
L’Embata arrive, l’Embata, ce coup de vent typique d’Hendaye qui s’annonce par une barre de nuage au sommet du Jaïskibel, qui soulève le sable, fait voler les parasols et moutonner la mer. Aux terrasses, on s’est empressé de tout plier. Il est déjà tard, les maitres nageurs sauveteurs ne sont plus là pour annoncer le vent fort dans les hauts-parleurs. ceux qui ignorent le phénomène restent imperturbables. Quelques veliplanchistes se sont mis à l’eau trop heureux de la tempête. Et il y a cette jeune femme qui coûte que coûte ira au bout de sa lecture.
Fanny et César
(Chalvignac, Cantal, 6 août, 22h 05)
Dans les ruines du château de Miremont, la représentation de Fanny et César de Marcel Pagnol vient de s’achever. La nuit vient. On a vu se coucher le soleil tandis que la belle troupe de la Luzège saluait. Puis une dernière scène en guise de rappel, les retrouvailles de Fanny et Marius, qui nous laisse une larme au coin de l’œil et conforte notre indéfectible besoin d’amour et d’histoires d’amour. Là haut, sous le ciel clair, au milieu des pierres, on nous a raconté la suite de l’histoire entamée l’an passé dans d’autres ruines avec Marius. On y a partagé les tiraillements des pères et des mères, quand trop aimer peut mener à la tyrannie. On s’est interrogé sur les désirs du fils qui après avoir pris la mer, laissé ses proches, parcouru le monde, réalise que l’objet de sa quête n’était pas si loin, on a ri aux éclats, pleuré discrètement. Cette troupe magnifique réussi a faire se côtoyer fantaisie et sensibilité. Raconter des histoires qui questionnent nos liens, nos modes de vie, nos choix, avec fougue et simplicité, sans artifices, ou si peu, du théâtre comme je l’aime. Il faudrait aussi parler des autres spectacles, comme ce formidable Cabaret Prévert, qui est une superbe et fantasque leçon de poésie, et de vie, ou cette lecture des Géantes de Capucine Clary-Devos, ode aux femmes et à la nature, nos forces pour demain, et les autres spectacles que je n’ai pas vus, il me semble tous mus par ce désir de résistance face au vacarme ambiant. Le Festival de la Luzège est un rendez vous à ne pas manquer, je reviendrai l’année prochaine!
Sur le site laluzege.fr vous trouverez toutes les infos sur les spectacles, notamment les distributions, les dates restantes et l’histoire du festival
Feu d'artifice
(Hendaye, 10 août, 23h 20)
Ils sont quelques uns, loin de la foule en liesse, ils regardent le feu d’artifice entre deux immeubles, par dessus les arbres. Chacun regarde, avec ses yeux à lui. Un enfant fait le chef d’orchestre. Tendu sur la pointe des pieds comme s’il voulait dépasser les toits des maisons et la cime des palmiers, il fait jouer la lumière d’amples et élégants mouvements de bras. Chacun choisira son image.
Obrigada
(Marciac, Gers, 7 août, 22h 45)
Sous le grand chapiteau de Marciac, le trio brésilien d’Amaro Freitas joue une ode à la forêt amazonienne. Une mante religieuse égarée entre les sièges s’échoue à mes pieds. Je la fais grimper sur ma main et sort la déposer sur les feuilles d’un palmier à l’entrée du chapiteau, sous la lune pleine. Obrigada! me dit-elle.
Partir
(Vaucresson, 4 août, 21h 15)
Par la fenêtre j’ai vu passer un homme en équilibre sur la ligne de nuages, l’irrésistible envie me prit de le suivre. Le temps d’enfiler une paire de chaussures, d’écrire un mot pour ne pas que l’on s’inquiète de mon absence et d’ouvrir la fenêtre, la ligne s’était effilochée et l’homme avait disparu. La prochaine fois je prendrai moins de précautions.