Louis
(Lac de Saint-Aignan, Nièvre, 16 octobre, 17h)
C’est son coin, ma bordure comme il dit, c’est là qu’il pêche, c’est là qu’il pense, quand il n’y a qu’un léger clapotis, à peine audible, quelques oiseaux et de temps en temps le blop d’un poisson qui remonte pour faire un rond. Il s’en fout si ça mord pas, ce qui compte c’est d’être là sur sa bordure, à regarder les reflets floutés par les risées, à se demander d’où il vient vraiment. On pourrait dire qu’il est d’ici, il fait la gueule comme les gens du coin, il esquisse un bonjour dans sa barbe, il connait le bois comme sa poche et raffole du Crâpiau morvandiau. Sa mère en cuisinait un au lard à tomber. Enfin, sa mère… C’est bien là le problème, à soixante dix balais, avant de s’en aller, elle lui a avoué qu’elle n’était pas sa mère et pareil pour le père qui s’est encastré dans un platane une nuit de janvier. Elle lui a fait cet aveu dans un éclat de lucidité, alors que sa mémoire partait en vrille. Il avait été adopté, point. À quatre ans. Un joli môme qu’avait la parlote. C’est tout ce qu’elle a dit. Alors sur sa bordure, il cherche, il fouille, archéologue de moi-même qu’il dit. Depuis que sa mère est morte, il a retrouvé des bouts, une corde de chanvre pour le chien peut-être, un chien noir sur le toit, une vieille traction derrière la maison, une maison basse, un carreau cassé, fait froid, les mouches sur le rebord de la fenêtre, des centaines, une vache qui rue dans la cour… Il fouille, il recolle, faut de la patience, un puzzle ses premières années. Aujourd’hui c’est tranquille, y a pas un môme pour gueuler en équilibre sur l’arbre mort, y a pas un abruti pour lui demander si ça mord, la lumière est belle, le soleil chauffe encore un peu. Il a posé son pliant, lancé sa canne et s’est lancé en mode mineur de fond les yeux rivés sur les feuilles mortes flottant sur l’eau. Et ça vient d’un coup, comme un courant d’air, une image, lui sur un arbre, un pommier, et une femme en bas en blouse à carreaux bleus qui gueule Louis! Louis… alors ça serait son nom d’avant, Louis avant Paul…
Ça lui fait comme si maintenant il avait un modèle pour son puzzle, et il est sacrément content. Il a assez pêché pour aujourd’hui, il reviendra demain.
Paulouis le pêcheur alors!☺️
RépondreSupprimerUna historia dolorosa para Louis. Un hombre que busca el principio de todo, el comienzo de su vida. Bonita la narración que atrapa desde el principio.
RépondreSupprimerLa foto, en un monocromo precioso es genial
Un abrazo