Les horizons d'Edmond
(Hendaye, 21 novembre, 10h 55)
Après plusieurs années à quai à bouquiner cloîtré dans la cabine de son voilier décrépit, Edmond est parti, un jour de pleine lune, à pied vers la montagne. Il a marché trois jours, il s’est retourné, de là haut il voyait la côte et l’océan à perte de vue. Alors il est redescendu pas bien sûr de ce qu’il voulait. Partir à pied jusqu’au Cap Nord ou partir en mer jusqu’au cap Horn. Comme toujours le cul entre deux chaises, peu confiant dans ses capacités de navigateur, il avait passé trop de temps à naviguer par procuration, les piles de bouquins dans la cabine en attestaient. Sa seule certitude était sa soif d’horizons. Il a donné tous ses bouquins, ou presque, il a gardé son intégrale de Richard Brautigan, et il a commencé à retaper son voilier, l’intérieur d’abord. Vider, nettoyer, étanchéifier, il a bazardé tout le mobilier moisi, il a récupéré de ci de là, de quoi le remplacer, tout le monde le connait au port, depuis le temps qu’il est là. Et puis il a commencé à écrire, ça lui a pris d’un coup, quand il a vu la cabine nickel, blanche, avec la tablette en bois vernis. Une bonne place, face au hublot, la vue sur la coque du voisin avec les bouées accrochées au bastingage. Il a commencé à écrire l’histoire de deux frangins qui s’en vont vers le grand nord avec les cendres de leur père qui les abreuvait de légendes Samis quand ils étaient mômes, leur promettant de les emmener un jour là bas. Le père n’avait jamais tenu sa promesse, les fils s’étaient éloignés. C’est une histoire de réconciliation, de retrouvailles, de destinée des promesses, une histoire de cendres sur la neige.
Il s’occupera du pont et de la coque quand il aura fini d’écrire son histoire. On est en novembre, ça caille un peu dans la cabine, il en est à la cent vingt cinquième page, les deux frères se battent sur une plage au pied de montagnes à pic, des oiseaux tournent autour, l’urne contenant les cendres du père est posée sur le siège arrière d’un break Volvo garé là où s’arrête la route, devant la plage.
Quand il aura remis son voilier en état, des pieds à la tête, peut-être prendra-t-il la mer. Ou il écrira une autre histoire, celle d’un gars qui navigue jusqu’en Patagonie pour voir un truc qu’on l’empêche de voir alors qu’il n’est qu’à deux kilomètres…..
* Edmond apparait déjà dans les Posts des 29/10/2016, 25/06/2018, et 13/07/2018.

Todo tiende hacia el cielo.
RépondreSupprimerAbrazo